Me voici en pleine merde, en plein comique aristophanesque, avec La paix, où deux esclaves, au lever du rideau, pétrissent des excréments pour nourrir un escarbot, messager sacré, chargé par un vigneron, Trygès, de le transporter lui-même au palais de Zeus, afin qu'il obtienne la paix, que tous les spectateurs désirent. Evidemment, ce n'est pas excessivement passionnant : et quelque "jeune homme qui se croit malin" dira : "Qu'est-ce que c'est que se sujet ? Que nous importe cet escarbot ," ("ce scarabée," "ce beetle" si vous y tenez). Et de même qu'à feindre la jouissance, comme on le leur apprend paraît-il en cours, les femmes parviennent à s'autosuggestionner jusqu'à totale efficacité, de même à force de me persuader que je comprends le grec, j'y parviens également, de moins en moins mal dirons-nous. Κάτ΄αυτώ γ΄ανήρ Ιώνικος τίς φησι παρακαθήμενος΄ "Δώκεω μεν ες Κλέωνα τουτ΄ άινίσσετάι ως κεινος αναιδέως τήν σπατίλην εσθίει". Bref, un Ionien (bêtise ou intelligence complice ?" dira que l'on va s'en prendre à Kléôn le belliciste pour bouffer de la merde.
Le Belge de service ? L'homme qui se croit malin ? Aristophane place dans la bouche des spectateurs les arguments qu'il va se faire un plaisir de réfuter. Procédé bien connu des avocats et autres procureurs. En tout cas, le public "caca proutt" fut servi. Y avait-il l'odeur ? Nous n'oserions l'espérer. D'autres se sont probablement préoccupés de savoir comment des Athéniens auraient ouï dire que le scarabée serait le meilleur messager vers Zeus-Râ. La paix n'est pas en effet un titre très porteur. Il s'agit d'un spectacle d'actualité, le théâtre est bondé de petites gens, qui saisissent toutes les subtilités. Un peu comme les Viennois Rathausplatz, écoutant les chansonniers brocarder le gouvernement avec un âne qui chie. Άλλ΄εισιών τώ κανθάρώ δώσώ πιείν : et notre sypathique esclave d'aller offrir à boire à l'ecarbot... en se tenant la bite pour pisser.
Nous voici en pleine finesse, la vraie, et le profond, viendront ensuite : Aristophane est capable des deux pôles, aussi bien la scatologie que l'humanité la plus émouvante. Rabelais, Shakespeare, participeront de ce même grand écart – la grande rigolade et le creusement de méninges et de cœurs. Le second esclave aussi viendra voir l'escarbot, comme un kafkaïen se pencherait sur une blatte. Le deuxième esclave est représenté par les deux premières lettres de sa fonction, "OI. B'", bêta prime signifiant "2" – jamais pu assimiler la numérotation complexissime des grecs . Et il dit, ce brave homme : ΄Εγω δέ τόν λόγον γε τοίσι παιδίοις καί τοίσιν ανδρίοισι καί τοίς ανδράσιν καί τοίς υπερτάτοισιν ανδράσιν φράσω καί tοίς υπερηνορέουσιν έτι τούτοις μάλα.