Il est inutile de rappeler les dérives auxquelles peuvent conduire ces morales centrées sur le beau, le logique, le mathématique, l'amour du vitalisme et du volontarisme. Dans un premier temps, ces préceptes nous haussent au-dessus de nous-mêmes, puis l'orgueil, l'irréalisme l'emportent. Aux premières pages éblouissantes d'Onfray (n'dékatfer) sur la Sérénissime (auxquels font échos les dernières pages en boucle) succèdent d'admirables considérations sur la statue du Colleone, ce condottiere dominant je ne sais plus quelle place, où chaque méplat, chaque bosse ou recreux de marbre expriment au plus haut point la tension d'une volonté farouche, sans sombrer dans la brutalité du reître, quel qu'ait pu être le personnage historique véritable.
Michel Onfray écrit bien. Il évoque à merveille le charme de Venise nocturne, l'exhaltation diffusée par la pierre animale de Verrocchio, auteur de ce Colleoni. Lecteur, incline-toi. Lecteur, fais aussi un effort de réflexion. Cet effort de soi, cette conscience de tous ses mouvements, comme un cheval à l'exercice, cette sculpture permanente de ton apparence, non point tant extérieure qu'interne, ce respect à toi-même que tu te dois en permanence d'avoir devant les yeux quue tu tournes vers ton intérieur, à quoi va-t-il te mener ? Pour les plus réussis, à Brigitte Fontaine, dont j'admire sans réserve cette contamination du Moi par (non pas le surmoi qui n'a rien à faire ici) mais par le Plus-Que-Moi.
Mais pour les plus nuls, pour les moins attentifs, pour les moins tendus, qui sait ? pour les moins doués aussi, car la volonté ne peut pas tout, la cohorte des poseurs, des snobs, des prétentiards, qui parfois s'effondrent, dans leur salle de bain face à la glace du démaquillage, ou lors de mémorables parties d'ivrognerie. Qui aiment et jouissent dans la raideur, sans abandon par peur de faire péter le liftage moral, dont on ne sait jamais ce qu'ils pensent, quel personnage ils jouent. Car cet idéal du Condottiere doit s'assortir, et bien peu en sont capables en jouant, doit s' acccompagner de modestie, de respect de l'imperfection de l'autre, de l'imperfection de soi-même(Nietzsche fait dire à Zarathoustra : « Tu tombes, relève-toi, tu retombes, relève-toi encore, tu tombes dix fois, relève-toi dix fois, mille fois, relève-toi mille fois »).
Mais toujours dans le courage, dans la fierté, dans la sérénité amère, dans le désespoir constructif et orgueilleux, celui d'un Dom Juan par exemple, qui sait ce qu'il en coûte à la grandeur de s'affronter au néant, au relatif pire encore je crois que le néant. Seulement, pour en venir là, quelques pages de moins auraient suffi, car Onfray des folies n'a pu empêcher de s'étaler, de se tartiner, de se rétaler. D'une part, il est une démarche que j'estime insupportable : c'est ce mathématisme philosophique par lequel on s'imagine régir l'âme des humains et la sienne propre. Un jour, dit-il si j'ai bonne mémoire, un ami, qui lisait mes pages désespérées, me dit : Si tu écris cela, pourquoi ne te suicides-tu pas ? ce serait la seule solution logique. Alors, nous dit Onfray, « les écailles tombèrent de mes yeux, et je changeai aussitôt ma façon d'écrire et de penser, puisque je ne voulais pas en définitive me suicider ». Ô l'heureux homme, même en supposant qu'un tel processsus ait été ici tant soit peu romancé, ayant pris en fait plusieurs semaines ou mois : il reconnaît qu'il a tort, que son raisonnement va de travers, et il tourne bride, il tourne casaque, comme cela, without shouting station, sans crier gare !
Mais voilà votre solution, amis fumeurs, amis buveurs, amis amoureux d'une salope ou d'un salaud, il n'y a qu'à ! Simple question de bon sens ! « Manuel de la timidité », « Comment acquérir de l'éloquence », « Comment vendre un canapé-salon à un connard de fonctionnaire qui n'en a pas besoin », le tout en dix leçons ! Mais c'est intenable, votre morale, votre raidissement, Monsieur Onfray (« mieux d's'en passer »), face aux aûûûtres, face à sa femme, face à ses enfants, face à ses chefs (car même le Condottiere avait un chef), face au merdeux de banlieue qui vous traite de bâtard en agitant les bras devant votre gueule toute blanche, tu fais quoi là, Monsieur Onfray ? Tu ramènes ta belle gueule ?