CHAPITRE TROIS Le but du jeu est d'établir
un savant basculement, entre la Vie et la
Mort (la mort plutôt du côté des hommes
comme il se doit), Joie et Tristesse,
Ascétisme et Sensualité.
Or passant quelque jour par un grand
cimetière, j'y fus frappé par une épitaphe
poignante :
"A mon mari - A son oeuvre"
accompagné d'un autoportrait du défunt,
pas mal, sans plus.
D'autres portraits du même ornaient trois
tombes voisines, comme si
les amis du défunt avaient poussé
l'obligeance, voire la charité,
au point se faire inhumer dans la même
section ; mon dos fut alors parcouru d'un très
vif frisson.
Frappé deuxièmement mais plus
subsidiairement par la carte
postale représentant "l'Hôtel de Ville", "construit
à l'imitation de celui de Paris", ce qui serait
risible si je n'avais assisté à quelque
spectacle extraordinaire du côté de la gare,
où toute la troupe avait reconstitué
quelque sombre cabaret typiquement
parisien des années 25, avec
une nostalgie, une bonne volonté
véritablement pathétiques : venu à Limoges pour me
dépayser, je retrouvais le dépaysement
au sein du dépaysement. Me revenait dans
la figure ce comportement frelaté consistant
à passer pour ce que je ne suis pas là où je suis :
Polonais à Budapest, Israélien à Carthagène
(Espagne).
J'avais là des Limousins et Geauds exprimant
leur nostalgie intacte pour un Paris qui n'existait
déjà plus, qui n'existerait
jamais plus, celui des années 25, celui-là qui
avait aspiré à lui tous les pères et grands-mères
de leurs si vertes et désormais si vides
campagnes limousines...
C'était d'un poignant indicible, d'une justesse,
d'une sincérité à tordre les entrailles, et d'une
ringardise à tout jamais irrécupérable, par tout ce
que cela révélait en le voulant ou sans le vouloir -
c'étaient de tels spectacles avant-garde
de Limoges (faites-le donc, votre procès !)
que se nourrissaient les personnages. Nous
n'avons pas encore décidé si Hélène doit
s'enfuir en compagnie de l'essuyeuse
de verres du fond du café
à La Teste, formant un de ces
si nombreux couples féminins en cavale.
Quant au docteur Matz, il deviendra si drôle,
si insouciant et débarrassé de ses tics
d'oraisons, là-haut sous les combles,
qu'il s'en suicidera. Je calomnie
mes personnages, n'est-il pas vrai...
X
Les personnages masculins
communiqueront par téléphone et non
par la Toile, car je ne sais pas me servir
de cette dernière ; je prétexterai quelque
préférence à entendre une voix humaine
au bout du fil, alors que certains dispositifs
permettent à présent d'entendre la voix
de celui qui vous parle.
Les féminins se déplaceront plus
volontiers corporellement, car il faut, dans tout
roman contemporain qui se respecte, que les
femmes représentent le mouvement et le
dynamisme, après avoir symbolisé
durant des millénaires l'immobilité
("L'homme est le voyageur, la femme
est le clocher", disait à peu près
le mauvais Musset). Nous évoquerons
également "la bonne du curé", ainsi que
la "BCBG", qui "essuie les verres au fond
du café" à La Teste (voir plus haut).
Ces deux femmes sembleront
jouer dans un premier temps les
"choeurs antiques",
mais opéreront un rôle capital
par la suite.