Quantcast
Viewing all articles
Browse latest Browse all 1402

Le culte du moi

 

Le Culte du moi de Maurice Barrès. Qui a dit que Barrès était fasciste ? un gauchiste, évidemment. En ces temps de consensus mal éclairé, on a du mal à s'imaginer de quelle violence étaient les anathèmes fustigeant Barrès. On le mettait bientôt sur le même plan que Maurras ou le dernier des collabos. Regardons la photographie de ce futur académicien. Il a 25 ans, à son bureau, la mèche plaquée, le front blanc et plat, le regard hautain et retiré des myopes.

Image may be NSFW.
Clik here to view.
Du flou sous le palmier.JPG

Plein d'argent, il publie alors un salmigondis, un collage d'opuscules intitulé "Sous l'oeil des Barbares", "Un homme libre" et "Le Jardin de Bérénice". Le tout s’appelle “ Le Culte du moi ” et obtient jusqu’après la guerre 14/18 un franc succès auprès des jeunes bourgeois. Il est vrai que les autres ne savaient pas lire. Passons. Il s’agit d’une génération d’énervés, au sens des énervés de Jumièges à qui l’on a ôté les nerfs.

1892, la France s’ennuie, pleurotte l’Alsace-Lorraine, ne voit rien de grand dans les politicailleries. Pas de grands desseins. Alors Barrès, nouveau des Esseintes, parle. Du haut de son dédain, il voit monter les barbaries. Il s’offusque en prisant derrière son monocle. Il chante non pas les ors et les cuirs, comme le héros de Huysmans, mais plutôt la poussière et les gris.

On peut se gausser de cette attitude hautaine. Barrès n’est pas fasciste, il est seulement chiant. On trouve des passages sur la terre et les morts, qui nous dictent notre devoir et dont nous sommes la continuité. Mais on trouve aussi beaucoup de prose vaporeuse, imbibée d’adjectifs tristes et mornes. Quelque chose de post-baudelairien, de post-verlaineux. En tout, une belle collection de textes choisis bout à bout, organisés de façon très moderne, avec une surabondance de sous-titres.

Le propos est de se forger une carapace cotonneuse, sous laquelle on se sentira à l’abri des vulgarités et bestialités ambiantes. Pour cela, Barrès le concède volontiers, il faut de l’argent. Détachement aristocratique devant la guillotine. Mais ce que l’on a retenu après cette lecture se résume à bien peu de choses. Rien ne parle plus aux âmes d’aujourd’hui. C’est comme d’ouvrir un album de fleurs séchées autrefois à la mode.

Phénomène de mode, adéquation parfaite à une seule génération. Comment Barrès a-t-il pu galvaniser avec ces souffles de vieillard prématuré d’autres jeunes hommes de 25 ans ? Belles pages sur la Lorraine, sur Venise, sur la Camargue... Moirures... Diaprures... Rien d’énergique. Je vais vous lire une page. Vous entendrez une prose splendide qui ne veut pas dire grand-chose ; qui n’est pas là pour signifier, mais pour bercer.

Qui propose au souffrant de se délecter de sa souffrance et de chercher une femme pour le bercer. Le bonheur de l’embryon. Le refus - que j’aime - de toute action - refus insincère : l’ouvrage dépasse les 600 pages. Ah, ces hommes d’action qui crachent dans la soupe ! Qui prônent le rêve sans oublier leurs dividendes ! P. 47 :

« D'où lui venait cette énergie à se perdre ? - Il fut choqué de passer en arguties les premières minutes d'une angoisse inconnue. - Mais sa douleur est donc une joie, une curiosité pour une partie de lui-même, qu'il se reproche de l'oublier ? - En effet, il est fier de devenir une portion d'homme nouveau. - il se perdait à ces dédoublements. Sa souffrance pleurait et sa tête se vidait à réfléchir. Une tristesse découragée réunit enfin et assouvit les différentes âmes qu'il se sentait. Il comprit qu'il était sali parce qu'il s'était abaissé à penser à autrui.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 1402

Trending Articles