Ingrid Bétancourt, La rage au cœur. Je tiens entre les mains l'un de ces infects fascicules bourrés de morale où une enfant gâtée fait de la politique et nous raconte ses histoires de Blanche Neige – entendez , La rage au cœur, datant d'avant son inernement, précision indispensable et qui sera si souvent rappelée. Cela commence à la Zola, moins le style, plus le Reader's Digest : les enfants sont réveillés la nuit en raison de menaces de mort sur la famille et son héroïque représentante. Puis la narratrice (enfin : sa rédactrice, car je me refuse à croire qu'Ingrid Bétancourt ait écrit de la merde) revient en arrière, genre "Comment en est-on arrivé là ?", technique éprouvée, Zola vous dis-je.
Il n'est pas question pour moi de remettre en cause la magnifique sincérité de la députée Ingrid, ni la bravouritude de son engagement. Moins encore de verser dans le perfide en soulignant la prétendue bonne forme où elle fut retrouvée après 6 ans et plus de captivité – j'ai trouvé ces accusations particulièrement odieuses ("il faudra qu'elle me donne l'adresse de son jacuzzi"). Seulement voilà : un livre, ce que j'appelle un livre, ce que tout le monde devrait appeler un livre, non que je pose au modèle universel, mais il faut bien que certains (et je ne suis pas le seul) respectent la déontologie du critique (du moins sur ce point-là) – un livre n'est pas un manifeste, n'est pas le compte rendu de tout ce que l'auteur ou l'autrice (je répète patiemment : un acteur, une actrice ; un auteur, une autrice, un amateur, une amatrice, poil à la matrice) a pu faire de bien et de risqué dans sa vie.
Que l'éditeur soit là pour fliquer les gaffes du présentateur ou non, un livre, c'est avant tout le point de rencontre, littérairement parlant, c'est-à-dire en plaçant la littérature au-dessus de tout, entre un Auteur (une autrice) et un Lecteur (une lectrice). Le style à la Tintin et Miou, à la Cité de la joie, à la tractitude façon élections municipales, n'ont jamais répondu aux exigences, aux profondeurs nobellisables (qu'on pense à un Steinbeck, peu suspect de droitisme) que nous sommes en droit, en attente d'espérer dans un volume relié. Neuf livres sur dix ne correspondent qu'à un besoin de documentation, celui-ci en est un, oou de propagande en vue du Droit Chemin de Gauche, c'en est un aussi.
Nous rappeler que les paysans, que les ouvriers souffrent, que les tsunamis locaux ravagent régulièrement les maisons bâties sur pilotis, c'est bien ; que les hommes bourrés au whisky ne supportent plus les promesses de quelques gouvernements que ce soit, OK ; de même, rappeler inlassablement, au péril de sa vie, que les députés au masculin et au féminin se dressent parfois contre les absurdités corruptives dignes d'un général Tapioca ou des plus invraisemblables livrets d'opérettes à la Marcel Amont ("Un Mexicain basanééé...") - soit ! resoit ! Bravo Ingrid, d'avoir osé, d'avoir réuni des fonds alors que tu étais méconnue (issue d'une grande famille pétrie de luttes politiques, tout de même...), d'avoir payé au prix fort ce que tu envisageais de payer, car tu y es allée, Ingrid, avec toute la fougue de ta naïveté, alors que je n'ai rien fait du tout et que ce serait vraiment mieux si je la fermais, soit, je t'admire, même si tu as vu la sainte Vierge en te faisant faire un lardon, même si plus personne n'entend parler de toi ce qui ne veut rien dire.
Seulement, stylistiquement, littérairement, livresquement, bien traduit ou non – d'ailleurs Ingrid est francophne – c'est nul, à chier, plein de bons sentiments comme d'acné pubertaire sir la gueule. Ce qui nuit au but poursuivi. Pour faire d'un livre un argument politique, il faut être Victor Hugo dans Les châtiments, sinon, c'est le bulletin paroissial, filandreux, ça part en testicules de mulet, on admire, mais ça rebute. A la Nolleau (ne parlons pas de Zemmour), dénonçons le chouimgommisme syntaxique, l'indignation de premier degré, l'incantation, la puérilité du "J'ai gagné" ou du "J'ai perdu", le ton édifiant, les larmes édifiantes d'hirondelle, tous les couplets sur la misère du peuple qui sera réglée en trois coups de cuiller à pot de poudre blanche de Medellín, je ne parle pas de Cali parce qu'il a une tête à me faire un procès, je me suis mis au sec (pardon).
Fustigeons, et revenons aux fong-dameng-taux : le dessin représente un clodo assis dans la rue au pied d'une affiche toute rose étalant cette raclée des régionales au profit de la gauche. Le clodo tient une pancartouillette.