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Retour au Tambour...

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Le Tambour de Günther Grass, vaste ouvrage en deux volumes au Livre de Poche nos 2614/2615, si toutefois le texte est véritablement intégral (n'achetez pas La Montagne magique de Thomas Mann, il manque je ne le répéterai jamais assez plusieurs chapitres de philosophie, jugés trop abstraits pour ces gros ploucs de Gaulois) – est digne d'inspirer respect et considération. Même si vous avez « vu le film » (air connu), vous trouverez des épisodes remarquablement développés. Trop développés. On ne sait pas se borner. C'est une œuvre de mauvais goût, foisonnante, geignarde, revendicatrice, baroque si l'on n'usait et n'abusait de ce mot. Vous connaissez donc tous l'histoire de ce jeune garçon de trois ans doué d'une précocité exceptionnelle, qui décide le jour de ses trois ans de se lancer dans un escalier de cave afin de retarder pour toujours sa croissance et de rester bloqué à son âge précisément.

Or son père, du moins putatif, lui a offert pour son anniversaire un bruyant tambour, en allemand Blechtrommel, c'est-à-dire un de ces horribles instruments plats de fer-blanc capable de produire le plus volumineux des vacarmes. L'Allemagne nazie astique ses buffleteries, la bêtise monte en flèche dans le peuple, et notre faux débile, Oscar, trouble de ses roulements de caisse les beaux ordonnancements de dignitaires hitlériens locaux. Il apprend sournoisement à lire et à écrire, évitant la promiscuité des écoles publiques, et subit la méchanceté des humains dès l'enfance. Et tant que ses aventures à ras de sol ne font que le mener dans son cadre familial, avant et pendant la guerre – voir le remarquable épisode de la prise de la poste de Dantzig par les nazis – cela va bien, le lecteur suit l'intention satirique, bien que lourdement germanique.

Mais ensuite commence ce qu'on ne voit pas dans le film, du moins selon ma mémoire. Le nabot retardé de croissance s'est senti grandir, atteint désormais 1m 22, et nous fait part de ses aventures avec tous ceux qui l'entourent. Et alors se révèle ce que nous soupçonnions : Le Tambour est une œuvre dingue. Trop longue, d'abord. Trop d'épisodes. Trop de personnages. « Trop de notes », disait de Mozart le bon Joseph II. Nulle harmonie mozartienne ici, mais plutôt une cacophonie grinçante, Bartok par exemple. Des humiliations subies et réclamées. Des appétits dépravés d'infirme, à l'âme torturée comme un bonzaï. Des digressions sur un personnage dont personne ne voudrait assumer la destinée – identification impossible par conséquent, à moins d'être fâcheusement tordu.

Des longueurs, innombrables, des emplois incongrus de mots, des tournures alambiquées, rendues par la traduction (de Jean Amsler).

Et surtout, un foisonnement, vous vous en seriez douté, dont le seul fil directeur est la vie d'Oscar, moins nabot certes mais tout petit et bossu quand même, un Oscar qui parle de lui tantôt à la troisième tantôt à la première personne, et qui se met en avant, grince, fait des plaisanteries dont la lourdeur se téléphone des lignes à l'avance. Et pourtant, fasciné par le venin, par le ricanement de cet infernal gnome, le lecteur marche. Oscar est un personnage peu recommandable, l'infirmité, la sottise, la guerre, l'ont rendu méchant, aigre, narcisse, autodestructeur, persuadé de son immense importance et soudain s'attendrissant et nous attendrissant sur son misérable sort, méprisable et puant d'orgueil, sous son vernis de vedette. Oscar est devenu le meilleur tambour du monde, un numéro dirais-je unique, pour les vieux et vieilles de tous les pays, qu'il fait pisser dans leurs culottes en leur réinculquant leur petite enfance chieuse et méchante, perdue, le temps béni où l'on pouvait piquer des crises et se rouler à terre, et vivre à cru la jouissance de la rage et de la punition.

Docteur Bousson, bienfaiteur de La Ciotat.JPG

 

Oscar fait des tournées, salue en costume de gala, baise la main des dames et les saute très bien en s'aidant de son horriblement attirante infirmité, mais en dessous conserve son cœur méchant, et sa folie qui ne se rend que par un mot allemand, la Schadenfreude, qui est « la joie de faire le mal ». Il éprouve d'ailleurs aussi bien la joie de faire le bien et de se voir en porte-bonheur. Ce livre fou, dérangeant, échappant à tous les critères de bon goût et heureusement, procède à la fois du Pétersbourg de Biély et des fumeuses histoires de fou de Jünger, ou du Maître et Marguerite de Boulgakhov. Tout ce que l'on n'aime pas en France bien policée où l'on fait un triomphe aux petites crottes contournées des Editions de Minuit d'à présent...


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