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De l'âme

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Première tentation

“On ne nous dit rien, c'est bien la preuve qu'il faut que cela soit caché, donc la preuve que cela est.” Il en est ainsi à propos d'une éventuelle et hautement fantaisiste descendance filiale de Jésus qui eût formé notre dynastie mérovingienne ; ou (carrément) de l'existence de camps de la mort antipalestiniens en Israël et autres balivernes : il n'y a rien, donc on nous le cache, et moins nous aurons trouvé d'armes de destruction massive en Irak, plus ce sera la preuve qu'il y en a, d'autant plus qu'on en trouve moins. Ce qui fait que nous venons tout bonnement, purement et simplement, de déceler, de dénoncer chez Péguy la faille non négligeable d'un raisonnement sectaire, c'est-à-dire proprement “de secte”, et paranoïde ; nous sommes en pleine littérature.

Or c'est précisément l'absence de preuves qui constitue non pas une preuve du christianisme (“de telles preuves, il n'en faut pas”) (où serait le mérite s'il y avait preuve), mais une preuve de l'amour de Dieu : “Dieu a tellement aimé l'homme qu'il l'a voulu libre” voir plus haut. L'Eglise a réponse à tout. Elle “ne répond pas à côté des questions, elle répond au-dessus” (Barbey d'Aurevilly, “Les Diaboliques”). Le fait religieux présente le cas de figure proprement dit, voire limite – où c'est bel et bien l'absence de preuve qui constitue une preuve.

 

Retour à la question numéro deux : survivrai-je ?

Deuxième angoisse humaine, complémentaire, greffée, constitutive, conséquentielle (“qui suit”) - incrustée : survivrai-je en tant que tel ? Pour qui postule Dieu, rien d'impossible : qu'est-ce que mille milliards d'individus pour Dieu ? pour l'infini ? nos savants ne spéculent-ils pas sur des nombres infiniments plus grands encore ? Et c'est ici que j'attends de pied ferme nos modernes, cible privilégiée de Péguy : “Comment pouvait-on au Moyen Age” (“en ces époques reculées”) (au temps de Péguy, qui est un bloc de Moyen Age) “se soucier d'une question aussi absurde, aussi aliénante, aussi déstructurante, que le salut de son âme ?” (diront les Modernes : le paradis, etc. , air connu, pensez si nous connaissons ces objections sur les anges qui chantent en chemise, ou les petits démons fourchus) – alors qu'il ne s'agit de rien de moins que de la survie individuelle : si je suis damné, je rejoins le Néant, le Gouffre, le Barathre.

Et qu'on ne vienne pas objecter que de tels soucis n'ont pas leur place dans l'âme des modernes. Ma foi si. Il n'y a pas au monde que des spectateurs d'Arthur. Nous disons donc : si je suis sauvé, si je survis, il faut que ce soit en tant qu'individu, entendez-vous, et non pas rejoint à Dieu, plongé dans Dieu, exalté en Dieu, ce qui est à proprement parler un anéantissement, comme de plonger et disparaître dans la lumière - faut-il que l'homme recule, que l'imagination, que le raisonnement de l'homme recule, et s'épouvante, pour préférer encore se limiter pour son éternité, pour sa petite éternité, à sa mesure, à sa petite vie terrestre infiniment, indéfiniment prolongée ?

(La Vérité. La Mort. Autant de dimensions où nous ne pouvons survivre, où notre air se raréfie, où le manque de pression atmosphérique nous fait, à la lettre, éclater, disparaître) ...Telles étaient les fresques égyptiennes, qui n'imaginaient rien d'autre qu'une éternelle survie au milieu des banquets, avec des chants, des anges en chemise qui sont toujours des femmes, apsaras, houris...

Péguy abandonna très vite ces régions irrespirables et communes de la Spéculation. Il lui fallut très vite des perspectives concrètes, qu'elles relevassent de l'idéologie socialiste ou de l'idéologie chrétienne proprement dite. Je souopçonne sa foi d'avoir été une constatation, une acceptation, une célébration de tout ce quie est. Heureusement, sans l'Injustice...

 

Des Intellectuels

 

Deux mots reviennent de façon obsessionnelle chez Péguy, deux gros mots : race et intellectuel. Devons-nous à toute force préciser à quel point il est, il a toujours été facile à tous les manipulateurs de tirer ces deux mots de leur contexte pour leur faire dire ce qu'ils voulaient qu'ils fussent ? Le “parti intellectuel” chez Péguy, ce sont tous les décideurs de Sorbonne, ces Sorbonnards et Sorbonicoles de Rabelais, les mêmes qui à travers les siècles dictent ce qui doit ou ne doit pas être dit, écrit, pensé. Tous ceux qui de nos jours encore imposent au corps enseignant (pour ne parler que de celui-là) une manière de faire, des procédés, des programmes inapplicables, irréalistes, parfaitement coupés de la réalité des classes (par exemple), parfaitement cuistres et, sur le terrain, rigoureusement inefficace.

Tous ceux qui nous apprennent ce que nous devons faire en voiture, au bar, dans les cafés, ceux qui décident de l'actualité, de ce qui sera l'actualité et de ce qui ne le sera pas, des guerres et des campagnes présidentielles qui seront couvertes et de celles qui ne le seront pas. A l'époque de Péguy, tous ceux qui ont une solution, qui décident qu'à partir de ce moment-là nul ne devra plus croire en Dieu, nul ne croira plus qu'en la sociologie, en la science, en l'anthropologie,de préférence en langue allemande (eh oui...) ; mettra toute sa foi dans le matérialisme le plus épais, le plus provocant, le plus méprisant, le plus ricaneur, où Péguy veut voir l'esprit prussien... Tous ceux qui de tout temps ont voulu régir et régenter la pensée unique, la musique unique, la peinture ou la non-peinture unique, et qui sévissent aujourd'hui encore avec une brutalité plus forte encore du fait même qu'ils viennent d'en éliminer d'autres, de les mettre KO.

Comme si l'histoire des idées ne devait plus être que la succession d'affirmations aussi tranchées qu'opposées, ainsi de siècle en siècle, avec aussi peu de sérieux que la mode maxi succéda aux modes mini. Et cependant, nous répétons que Péguy n'a pas été un précurseur, que tout ce qu'il a dit a été vrai dans toutes les générations, l'homme n'a à sa disposition qu'une vingtaine de chapeaux (cf. Musil) qu'il fait se succéder sur sa tête, en s'imaginant qu'il s'agit de pensées incluses dans autant de cerveaux... Mais en réalité nous n'avons jamais cessé de tourner toujours dans le même cercle étroit, nous ne sommes que des accidents, seule subsiste l'essence, ne nous enfermons pas dans notre époque, dans notre actualité, dans notre vanité d'époque à laquelle toutes les autres devaient aboutir, et ne négligeons rien de ce qui a été, des circonstances. Ayons le respect de nous-mêmes, ni meilleurs, ni surtout pires que ceux qui nous ont précédés, que ceux qui nous suivront.

C'est cela, cette propension outrancièrement vaniteuse à s'imaginer que tout est trouvé, que tout est découvert pour les siècles des siècles, que Péguy appelle l' “intellectualisme”. Nous sommes priés de retourner aux sources, de revenir aux textes, ceux de Péguy. Quant au mot “race”, tant d'autres se sont déjà évertués à démontrer, et avec le même insuccès, que Péguy ne l'a pas utilisé dans le sens de Gœbbels, mais dans celui de tradition maintenue etc., que je ne me donne pas la peine de discuter. Nous avons affaire en effet, chez les plus ignorants des adversaires de Péguy, à des gens qui, leur démontrât-on le plus rigoureusement possible ce qui est vrai, ce qu'il en est, nous écouteront ou feindront de le faire avec attention (“il n'est pire sourd...”) puis reprendront leur antienne à la syllabe même où ils l'auront laissée, mâchonnant comme des mécaniques en fer Péguy est un fascis-teuh, Péguy-est-un-fascist-euh.. Peut-être que nous-même, oui, à la suite de notre pensée, dans la suite logique de ce que nous essayons de faire passer pour notre raisonnement, nous en serons amenés à en revenir sur nos admirations. Peut-être, sans doute même nous en faudra-t-il quelque peu rabattre, et nous interroger dans la perplexité.

Pour l'instant, nous avons juste voulu baliser une fausse piste, pour que l'on ne s'y engage pas. Mais nous ne nous sentons pas tenu à l' “efficacité”, autre marotte de ceux que Péguy aurait appelé “les intellectuels”. Les intellectuels sont ceux qui ont toujours raison.

 

De la damnation

Que faire des damnés, intellectuels, ou non ? doivent-ils être sauvés ? ne faudrait-il pas plutôt que tous les sauvés sombrassent dans la damnation, pour racheter ceux qui seront tombés? Péguy, au contraire de Pascal, n'a pu se résoudre à adhérer au dogme de l'Enfer. (C'est qu'ils étaient bien épais, les catholiques, en ce temps-là. Rien de plus souple et de plus propre désormais à bien tâter l'air du temps. Voir ce qu'ils sont devenus.) La damnation, donc : ne consisterait-elle pas en l' indifférence des anges ! ...Je parle des damnés dès ce monde-ci, dès ici-bas. L'égoïsme des gens heureux.

. La catastrophe même que ce serait, si les gens heureux se penchaient réellement, de toute leur âme, sur les malheureux : ce redoublement stérile de tout le malheur du monde (je ne parle pas d'une action véritablement efficace – comment agir “efficacement” - c'est leur marotte) - face au deuil, face au mal de vivre ?... (Digression : aporie entre la viscérale exigence d'égalité, de compassion (de frousse intense, d' épouvante sourde) – partagée, réversible du légume à l'ange et de l'ange au légume (“Je sens trop mes fibres continuer celles des autres hommes, des animaux, même des plantes, pour ne pas suivre leur sort. Ne me parle pas de ne pas mourir tant qu'il n'y aura pas un légume immortel”(Giraudoux, Amphitryon 38 II, 3) - et le besoin éperdu de Reconnaissance - comment rester frère, et cependant supérieur ? consubstantiel, et autre ?


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