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Iliade la merde sur la table, Odyssée dégueulasse !

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Le bas-relief du littérateur.JPGL'Iliade et l'Odyssée font partie bien sûr de mes livres de chevet, je les lis et relis en français comme en grec, cette fois-ci dans l'édition de la Pléiade, j'atteignis déjà l'index des personnages, comme en attestent les marques au crayon face à tous les quarante-septièmes noms, parmi lesquels un Pédée, avec un « e », sans doute obscurément massacré quelque part.

Car on se massacre beaucoup, après s'être copieusement insultés. A ce propos les doctes vont criant à l'invraisemblance de ces chapelets d'insultes, de ces rappels de généalogies survenant sans rapport avec la situation irréelle de combats volcaniques. Et si tout était un rite ? Que les guerriers, effectivement, se fussent arrêtés, assis, aient dévidé tout un discours avant de reprendre les armes, que c'était assez discuté, et que ma foi il allait bien falloir passer aux choses sérieuses ? A la seule chose sérieuse, c'est-à-dire de savoir qui des deux survivrait... « La vie humaine est trop courte », comme le dit Flacelière dans l'avant-propos : «A Diomède, qui lui demande son nom et sa naissance, Glaucos répond en somme : « A quoi bon ? Que t'importe ? », et il ajoute : « Sur terre, les humains passent comme les feuilles : si le vent fait tomber les unes sur le sol, la forêt vigoureuse, au retour du printemps, en fait pousser bien d'autres : chez les hommes, ainsi les générations l'une à l'autre succèdent. » Iliade, VI, 146-149, référence suivie de l'inévitable renvoi à une note en fin de volume, comme il est de règle dans mes bons vieux bouquins chiants universitaires.

Voilà : les guerriers philosophaient avant de s'entretuer, sachant qu'ils allaient accomplir la danse sacrée de la vie et de la mort, car il n'est rien de plus grave, après avoir donné la vie, que de donner la mort. On peut même dire que donner la mort est plus en rapport avec le mystère de la condition humaine, l'homme, selon le cliché, étant le seul animal qui sache qu'il devra mourir. Ces notes et ces renvois, s'il faut vous confier un secret, constituent justement la respiration du texte. Ils vous empêchent de lire trop vite ces grandes aventures toutes simples de grands enfants, que vous pourriez être tentés de feuilleter rapidement, vu leur caractère répétitif. Elles vous disent, ces notes : attention, nous avons quelque chose à vous révéler.

Ce passage, que vous lisez avec l'indifférence de l'œil sur le mur lisse, recèle des beautés de connaissances : donc, la note 3 de la p. 93 sur Chrysè nous précise que le prêtre Chrysès et sa fille Chryséis étaient originaires de Chrysè, ville de Mysie, au sud de la Troade. Chryséis avait été enlevée par les Grecs lors d'une razzia qu'ils avaient faite à Thèbe, ville d'Eétion (le père d'Andromaque), pour se procurer des vivres et des richesses ; lors du partage du butin, Chryséis était échue à Agamemnon comme captive de guerre. » Ce sont les noms ici qui vous introduisent à la civilisation. Ces noms où le père, la fille, et pourquoi pas le fleuve et le fondateur portent la même appellation, déclinée au masculin et au féminin – ces noms dont on ne sait lequel fut le premier pour contaminer les autres.

Que n'apprend-on pas encore dans cette note ? Que les Grecs d'une rive de l'Egée combattaient les Grecs de l'autre rive ; que le pays de Troie s'appelait la Troade ; qu'il y existait une ville de Thèbe, différente de celle de Grèce d'Europe, différente de celle d'Egypte. Et voici du texte : on vous parle de l'Atride, il s'agit d'Agamemnon, car tous ces nobles personnages ont bien des noms. C'est le plaisir du lettré antique de savoir deviner de qui l'on parle :

 

 

 

« L'Atride, de ses mains, tirant le coutelas qu'il porte suspendu toujours auprès du grand fourreau de son épée, sur le front des agneaux détache quelques poils, que les hérauts s'en vont distribuer aux chefs achéens et troyens. » Ici, note 1 : « Lors de tout sacrifice, on coupe quelques poils sur la tête de la victime qui est ainsi vouée à la mort (de même le Trépas, dans l'Alceste d'Euripide, dit, aux vers 654-76 : « Il est consacré aux divinités souterraines, celui dont ce glaive a dénoué la chevelure. ») Mais ici, de plus, comme il s'agit d'un sacrifice sanctionnant un serment, laa distribution de ces poils, comme des grains d'orge rituels (voir chant I, vers 449, 458 et chant II, vers 410) associe plus étroitement entre eux les participants. » Et je ne suis pas allé voir ces références, car si les numéros des vers traduits figurent au sommet des pages en français, ils ne sont pas assez précis pour que je puisse retrouver exactement les vers ci-dessus mentionnés.

Disons plutôt que j'ai la flemme. Or le texte reprend : « Puis l'Atride, levant les bras, à haute voix fait pour tous la prière :

AGAMEMNON.- Souverain de l'Ida, Zeus Père, le plus noble et le plus grand des dieux, toi, Soleil, qui vois tout, qui, de même, entends tout, - vous, Fleuves, et toi, Terre, et vous qui, sous le sol, punissez ceux des morts qui se sont parjurés » - ici la note 2 : « C'est-à-dire Hadès et Perséphone, souverains des Enfers » - « servez-nous de témoins et veillez sur ce pacte ! » Et c'est ainsi que se poursuit cette lecture, à travers les brumes éclaircissantes des notes, et maints et maints rêves. Il est d'autres méthodes assurément de lire ou de relire, comme Sylvie Vartan, les grands classiques, mais celle-ci est la mienne. Je vous souhaite toute liberté pour vos lectures personnelles, et vous invite à reparcourir longuement l'Iliade et l'Odyssée, d'Homère, ou d'un autre, qu'importe : il nous hante toujours. A tout à l'heure.


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