Le paravent de laque, de Robert Van Gulit, Holla
ndais très versé en civilisation chinoise, illustre les aventures de l'inspecteur Ti, Sherlock Holmes de l'époque impériale, en l'occurrence le VIIe siècle de notre ère. On y retrouve notre héros parmi tout un monde interlope, de banquiers véreux, de prostituées et maquereaux, de mendiants, avec une profusion de détails exacts chargés de nous informer avec précision, mais sans lourdeur, combien la Chine diffère de tout ce que nous connaissons en Occident. Le juge Ti passe pour un ancien lettré qui s'est converti aux façons de vivre de la pègre, car il ne saurait dissimuler son accent distingué, ses bonnes manières et l'élégance de ses caractères tracés au pinceau.
Il s'agit, grâce aux manœuvres d'infiltration, de gagner la confiance des divers malfrats, parmi lesquels un caporal déserteur et un mendiant hideux, de découvrir l'assassin d'un notable, et de la femme de ce dernier, qui possédait bien des bijoux. Nous ne dirons pas que nous avons suivi cette histoire avec passion, car elle est entortillée comme il se doit et notre intelligence ne brille pas en ce domaine. De plus, comme signalé, le lecteur s'attarde malgré lui avec plaisir sur les conditions de vie de la Chine médiévale, où nul meuble, où nul geste, ne sauraient correspondre à quoi que ce soit de connu en Europe. Dans cet exotisme à la fois spatial et temporel, nous serons cependant étonnés que les ressorts de la psychologie humaine demeurent les mêmes.
Cela pourrait sans doute se confirmer à partir du grand roman médiéval Au bord de l'eau, où l'on voit évoluer des riches, des paysans, des militaires, des nobles. Cependant, les samouraï japonais pleurent et sanglotent lorsqu'ils veulent prouver leur résolution virile ; et les juristes romains d'Albicius, à en croire Quignard, ont de bien étranges façons de raisonner. Mais acceptons ici, chez Van Gulit, ces bases psychologiques auxquelles nous sommes accoutumés. Votre serviteur écrivit quelques élucubrations l'an dernier sur ce Paravent de laque, où se trouvent délicatement peints, panneau après panneau, les détails d'un crime commis ou à commettre. Mais voyons ce que cet autre ego, datant de quelques mois, pouvait bien élucubrer à propos de ce policier :
« Un juge chinois déambule dans les rues en pentes de Weiping, au VIIIe siècle. Son assistant et lui rencontrent d'étranges personnages, en particulier un mendiant borgne qui les suit, puis se propose de les aider pour échapper à la police. Curieux, non ? Et bien propre à dépayser. L'auteur est un Hollandais érudit et polyglotte, qui connaît parfaitement son affaire, ce qui permet une riche vraisemblance dans les décors et le comportement : tout à fait conforme à ce que nous autres Occidentaux pouvons comprendre d'une civilisation raffinée, brutale dans les basses couches.
Le juge Ti est un personnage récurrent, que j'ai eu déjà l'occasion de connaître voici quelques années : il était question d'un cadavre flottant sur une inondation, et pénétrant dans une maison ainsi au fil de l'eau – si je me souviens bien. Cette fois-ci, dans Le paravent de laque, nouvelle donnant le titre au recueil, un homme s'est précipité dans le fleuve rapide bordant sa propriété, mettant ainsi dans l'embarras ses héritier qui ne peuvent produire un cadavre en guise de preuve du suicide. Et tout, je le suppose, se résoudra par l'intervention du juge Ti, incognito ou pas. Je ne comprendrai pas grand-chose, mais l'exactitude m'aura enchanté.
Actuellement, les voici dans une auberge, probablement le repère de la pègre locale. Quel juge Ti débrouillera ce que je suis incapable d'analyser ? Je n'y vois plus clair en moi-même, je n'ai d'ailleurs jamais pu : dès que j'éprouvais quelque chose, deux cas se présentaient : ou bien cela causait du tort à quelqu'un, et j'abandonnais l'action dont j'avais envie ; ou bien l'entourage me persuadait qu'en réalité je ne pensais pas cela, non, mais plutôt ceci. Toute ma vie se sera passée à débusquer les déguisements de mes sentiments, ou à les créer de toutes pièces, pour ne contrarier personne. Les obstacles proviendraient donc non des gens extérieurs, qui se contentent de chercher leur intérêt, mais les propres arcanes de mon cerveau, qui me poussent ainsi à obtempérer, alors qu'il est toujours possible de négocier.