Reste le style à admirer, dont il reste quelque chose tout de même en traductions, la hauteur de vue du moins de l'auteur, la profondeur de la réflexion historique un tantinet transmise à votre cœur, et la sensation de participer à quelque beau rite culturel. Mais toutes les phrases sont versatiles : vous croyez avoir affaire aux uns, et ce sont souvent les autres qui déboulent comme ça, sans crier gare, dans le récit, les actions parfaitement illogiques lesquelles ne s'éclairent que si l'on admet s'être trompé sur les intentions des uns ou des autres que l'on a une fois de plus confondus. C'est finalement assez rebutant. La guerre du Péloponnèse de pus ne présente pas de front traditionnel, mais n'est qu'une série de coups de main plus ou mons grandioses, le plus souvent tout petits, déclenchés pour d'obscures raisons – l'on croirait une partie d'échecs entre néophytes où chacun ne jouerait qu'en fonction du dernier coup de l'adversaire, sans voir plus loin que le coup suivant. Les Athéniens jugèrent que, s'ils déployaient du courage, ils pouvaient encore s'assurer le succès. Nous allons aborder le chapitre CVII, antépénultième de toute l'œuvre.
Les vaincus sont les futurs vainqueurs, du moins pour l'instant. On s'est bien foutu sur la gueule et sur mer, et vous allez voir ce que vous allez voir. Le quatrième jour après le combat naval, les Athéniens de Sestos, après avoir fait diligence pour réparer leurs vaisseaux, mirent le cap sur Kyzikos, qui venait de faire défection. D'abord, observer une fois de plus la banalité de la réflexion (grande certes, mais banale) ; ensuite, celle de la situation : les Athéniens, dont la puissance est à bout de souffle, s'essoufflent à ramener dans leur giron les cités en dissidence permanente, un peu comme on rattrape les chiens étourdiment découplés. Ensuite, repérer les villes : le Gaffiot n'est plus à sa place, et je dois faire avec les débris de ma mémoire : Sestos est en face d'Abydos, de part et d'autres des Dardanelles, mais je ne me souviens jamais si c'est en Asie ou en Europe.
Kyzicos, appelé Cyzique par les ringards (notre Voilquin se la joue Augustin Thierry), serait sans doute au bout d'un cap en pleine mer de Marmara ou Propontide. En compagnie de ces joyeux marin, cinglons donc, cinglondon. Dans les parages d'Harpagion et de Priapos, ils aperçurent au passage les huit vaisseaux de Byzance. Huit, pas un de plus. Tenons le pari que trois seront vaincus, deux en fuite, et trois vainqueurs d'une partie des flottes. Un rat sera noyé, trois hémorroïdes guéries par l'eau de mer. Je palpite : Ils leur foncèrent sus, vainquirent les équipages qui étaient à terre – c'est atterrant – et capturèrent les vaisseaux. Bravo, j'ai été joué. Les équipages n'étaient pas à bord. Nous exigeons de savoir leur menu. Voici donc les huit vaisseaux en remorque. Mais c'était considérable, « à l'époque » ! beauté du coup de main ! Médiévisme de foncèrent sus ! pâmons-nous ! à mon commandement : ôôôôô ! Ils allèrent ensuite à Kyzikos, ville ouverte qu'ils firent entrer sous leur domination et à qui ils infligèrent une contribution. Pour une fois, c'est simple ; ils n'ont pas changé de cap en cours de route. Et il ne s'agit que de pognon. Pas d'idéologie. Sur ces entrefaites la flotte péloponnésienne d'Abydos (juste en face de Sestos) cingla vers Eleaunte (prononcez « et les hontes ») et reprit ceux des navires capturés en état de reprendre la mer, les Elaeuntins ayant brûlé les autres. Si je comprends bien : les vaisseaux byzantins furent non pas remorqués, mais laissés à Eléaunte. Ces derniers ont brûlé les plus esquintés, mais se sont laissé reprendre les autres. Mais, il s'agit peut-être d'autres vaisseaux. Le soldat Pétélos a reçu trois rames en récompense, et se les est appliquées sur ses furoncles. Les Péloponnésiens dépêchèrent en Eubée Hippokratès et Epiklès pour ramener l'escadre qui s'y trouvait. Donc, ils demandent du renfort pour déloger les Athéniens de Cyzique, lesquels ne vont pas tarder à recevoir des nouvelles de Byzance dont ils ont capturé huit vaisseaux. Nous abordons à présent le chapitre CVIII, avant-dernier de toute l'œuvre. Thucydide en est encore aux détails de détails. Nous aurons observé les mêmes caractéristiques chez tous les historiens anciens, dont bien plus tard Bède le Vénérable, courant d'un bout de l'Angleterre à l'autre pour relater les miracles et les pousses de royales barbes.
Cela devrait me plaire, pulvérisé que je suis par l'analyse, incapable de synthèse. Il en sera de même jusqu'à ma mort proche. Et Thucydide passe à autre chose : des faits ! des faits ! Pas d'analyse ! Vers la même époque Alcibiade, avec treize vaisseaux (pas un de moins), revint de Kaunos et de Phasélis à Samos. Je vois à peu près où se situe Samos. Les autres lieux me restent inconnus. Je ne me souviens même plus de ce qu'il était allé y faire. Il bougeait beaucoup. Surtout sous l'homme. Alcibiade est un personnage très remuant. Il y annonça qu'il avait empêché la flotte phénicienne de se joindre aux Péloponnésiens et renforcé l'amitié de Tissapherne pour Athènhes, et la chose me revient : Tissapherne, allié de Sparte, changea de camp et médita peut-être de dévier la flotte Phénicienne en faveur de ses nouveaux amis, les Athéniens.
Or voyez l'astuce, il devait appporter cette flotte aux Spartiates ! Petit canaillou...