Le public particulier que je représente fausse également les appréciations du critique, puisque je suis professeur de lettres, donc nourri et gonflé au double sens du terme de toutes ces mythologies dont j'ai précisément une vaste indigestion. Quant aux légendes celtiques ou indiennes, elles me touchent très peu, j'en vois trop le côté puéril et même arbitraire. Ce livre "L'homme et les mythes" me semble devoir exalter un jeune homme de 19 ans qui ne connaît pas grand chose encore, mais présente pour un quinquagénaire instruit un côté de rabâchage menant à la pesanteur, les illustrations en particulier n'ayant fait l'objet d'aucun effort et rappelant fâcheusement ces clichés archi-usés que tous ceux de ma génération admirèrent déjà dans les livres de leur sixième et cinquième au temps des Mallet-Isaac.
Il me faut tirer au sort une page de l'ouvrage de Jean-Pierre Hammel : sans doute en obtiendrez-vous quelque chose de plus substantiel : 186, nous pouvions tomber plus mal, il s'agit de l'utilisation des mythes chez Racine et Baudelaire. J'avais oublié cette façon de proposer la connaissance : utilisation et pérennité des mythes selon les littérateurs en particulier français à travers les âges.
C'est ingénieux, mais à mon sens peu utile. En effet, de deux choses l'une : ou bien l'on ignore qui furent Jean Racine et Charles Baudelaire, ou à peu près ; dans ce cas, que l'on se reporte à leurs oeuvres, et l'on découvrira sur le tas les immenses mérites de ces deux génies, et la vivacité dans leurs âmes de ce que représente les mythes éternels. Et ce n'est pas à l'aide d'un digest à l'usage de la ménagère de l'Indiana que l'on aura pénétré les arcanes plus ou moin ssulfureux de ces géants.
Connaître Baudelaire ou Racine, ce n'est pas lire deux ou trois strophes ou demi-tirades. La connaissance approfondie, ressentie, de chacun d'eux, ne peut se faire que par une longue fréquentation, assimilée au cours d'une longue période appelée adolescens, accompagnée de phénomènes d'échos d'un âge à l'autre, d'une période de la vie à l'autre, de la cinquantaine vers la vingtaine - c'est une assimilation, une acculturation.
Dans ce cas, de brèves notions ne pourront que nous badigeonner superficiellement ; c'est ainsi que les légendes de Rama et de Krishna me paraîtront toujours, à moi béotien occidental bouseux, enfantins, sans beauté ni profondeur. Je ne dépasserai jamais le stade de l'amateur de services à thé à motifs hindous. Et je le déplore. Poil au pylore.
En revanche, si l'on a été nourri de Racine et de Baudelaire sans parler des autres, les rappels de Monsieur Hammel agacent profondément : nous savons tout cela ! voudrions-nous lui dire. Apprenez-nous quelque chose de plus approfondi, de plus pointu, de plus universitaire, de plus fouillé, de plus pointu ! Tous vos rappels ne s'adressent pas à nous, et quant aux autres, ils ne le comprennent pas beaucoup plus qu'une poule ne comprendrait la structure d'un couteau, un crapaud celle d'une boîte d'allumettes !
Parole, on dirait des chapitres de remplissage, qui seront suivis à la fin de chapitre de mise en bouche - alors que sur Lévi-Strauss précisément, sur lequel je suis si peu renseigné, j'aurais aimé avoir des considérations plus élaborées, plus structurées, moins strictement et moins maigrement indicatives - mais voyons Racine, en rapport avec Euripide à propos d'Iphigénie :
"La tragédie racinienne s'arrange avec le sacrifice : elle nous en transmet encore l'idée, mais elle nous présente une victime" (Hermione bien entendu) "qui paie ses fautes, plusd qu'une victime glorieuse qui porte et assume le destin d'un ensemble qui la dépasse. La culpabilité prend le pas sur la Vertu. Dérive en même temps que transmission, carrefour du mythe - qui retrouvera autrement sa force première au XIXe siècle, avec Goethe, sur un mode plus intériorisé.
Exemple du destin des mythes en littérature, le motif du sacrifice s'y révèle fondamental, parce que porteur du questionnement sur l'innocence et la culpabilité. S'y est "raccroché" - avec la force que l'on sait, au XXe siècle - le motif du "bouc émissaire", visage inversé, révulsé et sombre de la figure imaginée par Euripide." Poil au bide.
Les poètes et l'archétype
Réminiscence de l'Age d'Or chez Baudelaire
Baudelaire fut partagé, sa vie durant, entre une fascination pour les ténèbres et le mal qui les hante, et l'espoir d'un temps et d'un lieu rédempteurs, porteurs d'une Vie véritablement salvatrice. Ce temps hors du temps et ce lieu hors du monde, où se concentrerait la Vie, constituent l'un des motifs récurrents des Fleurs du mal.
Antidote au spleen, à la mélancolie profonde, à l'angoisse engendrée par la vulgarité du réel et de la misère, le paradis lointain, rêvé, halluciné par le poète, est presque toujours associé à la femme aimée" quel con ce Baudelaire. "Elle le sécrète ou il est son écrin, né des senteurs de sa chevelure
Tout un monde lointain, absent, presque défunt
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique...
ou contemplé dans ses yeux
Astres dont nul soleil ne peut flétrir la flamme.
Ce pays est d'abord conforme au cliché exptique - "chaleur éternelle", soleil, océan, nature généreuse - imaginé par les contemporains et apprécié par Baudelaire lui-même lors de son séjour dans l'île Maurice,
Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux..."
Fin hélas de l'extrait. Vous voyez comme c'est bien écrit, bien conçu, bien cultivé, comme tout cela vous prend par la main ? Certes. Mais je n'ai pas éprouvé de surprises, je n'ai trouvé que des développements attendus, une démarche bien sage, utile sans doute mais sans ce pétillement que l'inattendu de la démarche ou la profondeur juste un peu plus exceptionnelle de la démarche procurent au lecteur qui grâce à l'auteur se découvre intelligent.
Juste des petites pointes exotiques et ingénieuses, qui me permettront d'affiner mon analyse par le recours à ma mémoire. Peut-être a-t-on semé sur un terrain déjà saturé par tout cela, mais peut-être aussi aurez-vous la curiosité de vous procurer "L'Homme et les mythes" de Jean-Pierre Hammel, collection "Héritages" chez Hatier. Merci de votre attention. Poil au fion.