C'est une brave petite production littéraire dont je vais vous entretenir ce soir : de Léonce Bourliaguet, « La Maison qui chante », du bon vieux temps de la Bibliothèque Verte, avec ses couvertures à trois barres d'or. Je ne pense pas que j'aie outre mesure aimé cet auteur quand j'étais enfent, car je n'ai pas conservé « Le Moulin de Catuclade », recueil de nouvelles du même. Je préférais les histoires de Grand Nord, avec Curwood ou Jack London. Et puis j'ai lu ou relu « La Maison qui chante », et sans jeu de mot, j'en ai été enchanté.
La maison qui chante, c'est un moulin à eau, avec une roue à aube qui tourne sur la Vézère. Moi j'habitais l'Aisne, 02, et je n'imaginais pas devoir finir mes jours dans le Sud-Ouest. A présent je vois bien mieux l'endroit dont il s'agit, près de Hautefort et de la forêt de Clairvivre, dans le Haut Périgord. A peu de choses près le pays de Jacquou le Croquant, et de la même veine. Non pas des paysans misérables vivant une vie de bêtes sans chaussures, mais des meuniers aisés, installés de puis mille quatre cents et quelques, donc avec leurs lettres de noblesse si l'on peut dire.
Leur moulin commande toute la vallée, ce sont eux qui lâchent ou retiennent l'eau à leur gré, ce qui ne leur assure pas une sympathie très nette de la part des meuniers d'aval. Mais tout se passe bien, le jeune garçon qui raconte ses mémoires nous entretient de son bonheur familial, des virées campagnardes qu'il entreprend sur les collines avoisinantes, des attachements qu'il forme avec son père, son frère aîné Joachim, et sa vieille nourrice illettrée qui lui raconte de si belles et vieilles histoires périgourdines, hantées de fées, de géants et de sortilèges, avant de s'endormir. Il n'y a pas d'injustices criantes, et chacun vit à peu près convenablement, jusqu'à ce qu'un voisin s'avise de contester les titres de propriétés de cette famille : occupation du terrain vaut propriété, mais justement, aucun document ne le certifiant depuis ces époques reculées, il est toujours possibles à un chicanous d'engager un procès.
Ce sont de ces histoires morales, où le jeune garçon fait l'expérience de la méchanceté du monde, apprend la vie à travers un instituteur, des voisins, des catastrophes, et finalement de la vie. Il passe des enseignements de sa vieille nourrice, qui lui raconte des fables, aux aspérités plus irrémédiables de l'existence réelle. Le conte qui m'a bien plu, et qui revient par allusions tout le long du livre, est celui des poissons qui se rencontrent parfois, les uns disant qu'il n'y a rien en aval du moulin, le sautres qu'il n'y a rien en amont du moulin. Et puis un jour, les eaux débordent, les poissons duc anton d'amont rencontrent ceux du canton d'aval, et s'aperçoiven,t qu ela vraie question n'est pas de savoir où va la rivière, mais où va le poisson.
Belle leçon ma fois, reprise dans le denrier paragraphe, qui pose en termes très accessibles ces fameux problèmes de la connaissance, de la liberté individuelle ou du fatalisme. Or justement, la vraie rivière un jour entre en furie, balaye tout sur son passage y compris le moulin ancestral, estropie le père qui meurt, donne l'occasion aux voisins de venir aider la famille sinsitrée ou au contraire de lui témoigner sa plus crasseuse indifférence. C'est dans le malheur qu'on connaît ses amis. Chacun surmonte ses épreuves, le frère aîné se ruine, se tue au travail, et les dernierzs battements de cœur du père coïncident, dans un extraordinaire artifice de composition, avec les premiers coups sourds de la mécanique du moulin reconstituée.