Par une matinée pluvieuse deprintemps, après un sommeil interminable de ma compagne de vie. Julien Gracq encore et toujours, Un beau ténébreux. Humeur maussade et volontaire. Prose moins bonne que dans Le château d'Argol. Séquence de syllabes « qu'on con » repérée. Critiques enfilées avant de lire, afin d'être sur les rails, ou « dans le mode d'emploi »- parfois bien utile. Je fus aidé ainsi pour Le château d'Argol, enfin compris après troisième lecture, et apprécié. Car Julien Gracq fait partie de mes anciennes idoles, « meilleur auteur du XXe siècle » selon moi. J'ajouterais volontiers désormais Marguerite Yourcenar, et dans un registre tout à fait différent, Marguerite Duras, et encore Sollers. « Quoi, Maître, seulement quatrième ! C'est ridicule! - C'est vous qui êtes ridicule mon ami. - Et c'est bien ainsi que je l'entendais, à distribuer ainsi mes bons points comme un directeur d'école primaire. Laissez-moi vous dévorer du regard. - Dévorez mon ami, dévorez. » J'aurais sous le nez sa grosse tête grisonnante contenant tout un monde, et je serais avec lui familier, en essayant de toutes mes forces de ne pas glisser dans la condescendance ou l'irrespect. Car ce que je crains d'exprimer, je l'exprime, en bon gaffeur : ainsi des beaux garçons que j'évite, craignant d'exprimer un désir que je n'éprouve pas. Sortez, psychiatres, de votre pochette à veston votre crayon à mine, afin de noter « acte manqué ». Dans le vrai sens du terme, et non, comme Sardou Michel, en lieu et place de « ratage » : A mes actes manqués, chanson, hymne extraordinaire, dont les paroles les plus cruellement prescientes sont »à tout ce qui nous arrive entre vingt et trente ans », car c'est bien là, dans cette tranche de vie que mon petit-fils abordera bientôt, que tout se joue, que tout se noue, que Prométhée sevoit irrémédiablement attaché au Caucase.
« Connaissez-vous Michel Sardou? L'avez-vous déjà rencontré ? Appréciez-vous ses chansons ? » Il faut se mettre à la place de Sollers, qui cherche à fuir après sa conférence, qui envoie se faire foutre tous ceux qui font semblant de ne pas le comprendre, ou qui ne le peuvent pas, qui n'en sont pas capables, qui ne sont pas « à la hauteur ». Je me souviens, en toute fin de conférence, de l'intervention d'un jeune tout en nerf, qui avait lancé dans la débandade des spectateurs : « C'est bien joli, les choses que vous avez dit [sic!], mais il suffit à n'importe quel juif d'avoir été dans un camp et de le raconter pour aussitôt se voir publié » - « il suffit », jeune homme ? ...justement, « il suffit ». Et Sollers, qui descendait de son estrade, fit de loin le même geste que l'on a pour chasser un « chétif insecte, excrément de la terre ».
Il n'allait pas polémiquer avec ça. Mon indignation s'est tarie, je n'allais tout de même pas empoigner le micro portable de cet inculte pour clamer ma désapprobation, alors que chacun remuait les chaises pour gagner la sortie. Julien Gracq n'avait pour toute communication extérieure que ses cours de géologie, que je devinais extrêmement barbants. Il ne voulait pas être connu, mais, seulement, lu.
Avant de commencer cette explication de petit texte, cette allégresse soudaine à la nouvelle de la suppression des IUFM, ces instituts stupides qui ont fait tant de mal à ceux qui transmettent le savoir, à coups de consignes jargonnantes et inapplicables, ayant conduit à l'ignorance arrogante ou désarroitée tant de jeunes déboussolés. Cette joie que j'éprouverai à soutenir un gouvernement si critiqué, ce plaisr que j'ai eu aujourd'hui à lire un texte en faveur des Etats-Unis systématiquement présentés comme une tribu de barbares , cet autre que j'ai éprouvé à écouter Radio Chalom et cette si magnfique langue hébraïque, si propre à la musique. Après cela, ce retour euphorique à Julien Gracq, à mes anciennes amours, dont je noterai « il me semble que j'ai imperceptiblement glissé du temps que l'on passe à vivre à celui que l'on passe à regarder la vie s'écouler »...