« Le Hans Pfaall (ces consonnes, ces voyelles, je m'y perds) rend compte de son voyage en absurdie et dans la lune, à grands renforts de bricolages techniques (pressurisateur, supposition d'une atmosphère lunaire) évidemment totalement dépassés, allant jusqu'à nous narrer par le menu la façon dont il a tendu sa toile de nacelle, avec nœuds, œillets, boutons, et pendant ce temps, je compte les minutes. » Quelle injustice : ce n'est pas plus absurde que le voyage de Cyrano de Bergerac ! Je suis insensible aux poésies de la mathématique et de la technique : grande infirmité de ma part ! « Hans Pfaall déroule imperturbablement son conte et ses calculs à « Leurs Excellences » de Rotterdam, et sur cette température glaciale, plus que polaire, qui remplit l'autre quinzaine : hélas mon bon, la lune est si éloignée du soleil qu'elle ne connaît que le glacé, à moins que je ne me trompe, moi, petit merdeux.
« C'est Dali qui résume le mieux : Si l'homme meurt encore, c'est la faute à Jules Verne. Car si nous n'avions pas gaspillé toute notre énergie à mettre le pied sur la Lune (sans lendemain) » ( mais non sans après-demain), « nous nous serions dirigés vers la recherche biologique, et aurions depuis longtemps vaincu la mort. Qu'aurait-il pu dire encore, cet impersonnel mathématicien, ce bricoleur génial de matelot ? « sur une translation constante de l'humidité – que veut-il dire ? - qui s'opère par distillation, comme dans le vide, du point situé au-dessous du soleil jusqu'à celui qui en est le plus éloigné – mystère. « A la verticale » du soleil, je suppose – et que vient faire ici cette histoire d' « humidité » ?
« Encore de la vieille physique, fleurant son XVIIIe siècle ; placer ici, je m'en souviens, mon habituelle diatribe contre les physiciens et mathématiciens, juste capables de dire non pas « Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité », visiblement appris par cœur, mais « On dirait une tranche de cake avec des morceaux d'amandes », seul capable de s'échapper de la bouche d'un ingénieur astrophysicien, de surcroît pilote et militaire. Ce n'est pas demain qu'un poète abordera sur la Lune. ...sur la race même des habitants, sur leurs mœurs, leurs coutumes, leurs institutions politiques – seulement, Poe marcherait sur les traces de Swift. Il emploie le mot « race » et il fait bien.
« Tout cela fleure, encore une fois, et pour moi seul, l'insipide à plein nez. La poussière, le vêtement sale, le XIXe siècle cette fois-ci, en un mot. Où j'eusse étouffé. ...sur leur organisme, particulier, leur laideur, leur privation d'oreilles, appendices superflus dans une atmosphère si étrangement modifiée; - nous touchons là des abîmes d'hypothèses. Tout cela excitait les esprits à l' époque. De nos jours tout cela est si rebattu. De plus, Edgar Poe ne fait-il pas parler son personnage par prétérition ? « J'aurais pu ». Les auteurs sérieux, tels Michel Leiris, énumèrent toutes les raisons, puis en reviennent, en bons Bouvard et Pécuchet, à leur taillage de plumes : l'homme est seul devant la mort et devant sa glace, et c'est à lui de se démerder. Notre pensée ressemble à Hans Pfaall : elle bricole avec nacelle, panier, attaches serrées par des nœuds marins, découvre sur la Lune la même chose qu'ici-bas en moins bien, ne parvient pas à se déprendre de ses préjugés, conclut à l'inanité de toute chose, et va se recoucher avec ma femme sous sa couverture. ...conséquemment, sur leur ignorance de l'usage et des propriétés du langage, sur la singulière méthode de communication qui remplace la parole ; une langue de sourds-muets sans doute - sur l'incompréhensible rapport qui unit chaque citoyen de la lune à un citoyen du globe terrestre - voici du nouveau pour le coup Mister Poe, qui prouve le tort que j'avais d'avoir douté de votre perspicacité »
Ce n'est pas plus crétin que le projet fou de Sarkozy de lier la mémoire d'un enfant juif massacré à la conscience d'un enfant contemporain. Nettement moins crétin, même : à qui en vérité serions-nous reliés, dans l'univers ? Où est notre moitié platonicienne, que nous recherchons toute notre vie ? Voici de quoi piquer notre curiosité, notre sensibilité, quelque chose de renouvelant. Qui suis-je dans l'azur ? par exemple. Tel est ce qui nous est venu à l 'esprit, ou à la bouche, après que nous eûmes relu ces Histoires extraordinaires d'Edgar Allan Poe