Quantcast
Channel: der grüne Affe
Viewing all articles
Browse latest Browse all 1402

En passant par la Lorraine...

$
0
0

"Le Tour de la France par deux enfants" ! Voilà bien le livre dont Chevènement devrait rendre la lecture obligatoire en ces temps d'oubli de la Patrie ! Car il fut, ce livre, celui même où tous les enfants apprenaient à la fois la lecture, l'histoire des grands hommes, l'économie de notre cher pays, et les vertus qui font d'un petit garçon un homme !

"Tu seras un homme, mon fils !" - et tu seras un bon Français ! en ces années déchirantes où la France vient de se voir arrachées ses deux plus chères Provinces et la Lorraine, une voix, une voix féminine, car G. Bruno n'est autre qu'une femme sous pseudonyme masculin, s'élève pour apporter le réconfort à l'orgueil national meurtri. Et tout le monde s'arrache cette oeuvre providentielle, célébrant les vertus du patriotisme et du goût de l'effort !

Les éditions s'en arracheront jusqu'à la guerre Quatorze, où son souvenir échauffa les états-majors, n'en doutons pas, ainsi que tous ceux qui partaient pour le front la fleur au fusil ! Mais il y eut une querelle : devait-on laisser subsister les passages où l'un des deux orphelins prie Dieu, ou remercie la Providence pour le secours qu'elle leur octroie ?

Il y eut donc des éditions expurgées de toutes les prières et invocations, qui sont peu nombreuses et tout aussi excisables que les grommellements antisémites de Céline, pour en faire un oeuvre propre, présentable, laïque et républicaine. Et puis l'édition primitive prévalut bien sûr dans l'une de ces dernières années, où j'ai pu relire cet ouvrage aussi fondateur que "Sans Famille" ou "Les Misérables".

 

Nu flou tordu.JPG

Il faut dire aussi que l'autrice (un lecteur, une lectrice ; un auteur, une autrice, et non pas une auteure, ô ignares femelles) s'était aussi astreinte à une autocensure pas piquée des hannetons : en 1873, il n'était de bon ton ni d'évoquer la Révolution, ni l'Empire, ni rien de ce qui aurait pu fâcher. Il fallait à tout prix réconcilier une nation blessée, ne pas faire allusion à la Commune ni à la condition misérable des ouvriers.

Pas un seul grand homme des années 1789 et suivantes donc, mais un légiste obscur ; Napoléon Ier ? seulement évoqué en une seule ligne par un Corse de passage, dont on ne décrit la province et le "plus grand capitaine de tous les temps", je cite, qu'en trois lignes à peine ; la Révolution n'a été qu'une période de malheurs, "où les Français se battaient les uns contre les autres", comme dit l'un des personnages de ce roman.

Les ouvriers sont tous bons, tous travailleurs, tous prêts à faire le sacrifice de leur courte vie tout entière pour le redressement de la déesse France, à condition qu'ils ne boivent pas (épisode du roulier), ou qu'ils ne cherchent pas à rouler le patron qui les exploite (l'un des deux frères refuse avec indignation de faire comme on dit "danser l'anse du panier").

Aucune critique non plus à l'encontre de l'Ancien Régime, qui pourrait bien revenir, on ne savait jamais, et c'est pourquoi l'on ne parle que de deux rois, Henri IV et sa poule au pot, et si j'ai bonne mémoire Charles IX, qui aurait tiré du protestant à l'arquebuse depuis son balcon du Louvre, mais peut-être ne parle-t-on même pas de lui. Tout est ainsi édulcoré, consensuel, ad usum Delphini dirait-on, car Julien, le plus petit des deux frères, n'a que sept ans, et rien ne doit le choquer.

C'est lui qui lit à haute voix les passages des grandes biographies de Grands Hommes français, commençant par les mots fameux : "C'est en telle année que naît le jeune Untel..." - au cas où il serait venu à l'idée de l'un de ces génies de naître vieux. Mais ne nous moquons pas. C'est dans ce gros bouquin que le jeune frère, suivant aussi l'exemple de son aîné, toujours prêt à offrir ses bras pour un peu d'argent, ne voulant être à charge à personne dès l'âge de 14 ans, trouve une mine d'exemples édifiants.

Il faut que l'on sache, partout où ils passent, de la Lorraine à Marseille, de Sète alors orthographiée C-e-tt-e à Bordeaux et jusqu'à Brest ou Lille, dans cette France meurtrie et dépecée, que le caractère français est de rebondir toujours dans l'adversité, de faire valoir son individualité, son individualisme, indépendamment dirait-on de tout climat politique ou social favorable ou non à l'expansion économique ou culturelle.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 1402

Trending Articles