Lisant, par coquetterie, ce roman russe "Un héros de notre temps" dans son texte d'origine, avec la traduction en face, tout de même, je pensais, au cours des années (car il en faut plusieurs pour en venir à bout) n'avoir eu qu'une vue fragmentaire et confuse de ce prodigieux témoignage du romantisme pétersbourgo-caucasien. Se débattre avec le dictionnaire n'est pas en effet le meilleur moyen pour jouir d'une vue surplombante propice aux synthèses. Je me suis donc attelé à Wikipédia, pour voir de quoi il retournait. Eh bien ouf : ce documentaire sur la mentalité des jeunes gens romantiques était bel et bien confus.
Il se composait en effet de quatre parties, lâchement reliées, sorte de tétralogie de nouvelles, où le héros, Petchorine, se fait raconter une histoire par un vieux capitaine, à base de chevaux aimés comme des femmes ; puis où ce même héros se voit décrit de l'extérieur ; enfin, c'est lui qui rédige son journal personnel, et pour finir, il raconte. Maladresse ou virtuosité, nul ne sait, mais jeunesse à coup sûr. Pétchorine, ce serait un peu Lermontov lui-même, qui ne dépassa pas l'âge de 27 ans, tué dans son troisième duel. "Une mort de chien", dira le tsar, "pour un chien". Il n'était pas très aimé, notre Lermontov. Il était officier, plus souvent aux arrêts qu'à son tour, pour indiscipline, duels à propos de vétilles (Pouchkine en mourut aussi, avant lui), exil dans le Caucase, qui ne fut jamais une région de tout repos mais une terre de conquêtes coloniales, peuplée de Tcherkesses et autres féroces Tchétchènes.
Notre Lermontov, doué par ailleurs d'un joli coup de plume dessinatrice, nous entraîne dans un tourbillon d'aventures, sur fond de plus de 4000 mètres, avec ravins insondables, torrents bouillonnants, tempêtes redoutables, et indigènes bouillants et traîtres comme il se doit. Une tête brûlée désire très fort une file, Bella, farouchement gardée ; s'il l'obtient, il offrira au ravisseur un cheval qu'il aura volé. Pari tenu, le cheval contre la fille. Mais on se lasse de tout, y compris d'une femme enlevée, sauvage puis docile, ignorante et vertueuse. Alors, Kazbitch, le propriétaire du cheval, animal sacré, se venge en assassinant la femme. Carl'amoureux s'est lassé de sa conquête, et Kazbitch retrouve son équidé, son unique amour : qu'est-ce qu'une femme en effet comparée à un coursier ?
Il est impossible à Petchorine de rester fidèle. Deux femmes à la fois, voilà ce qu'il lui faut à courtiser. La première en devient à demi-folle, la seconde est l'objet d'un duel. Le rival s'appelle Grouchnitski. Lermontov-Petchorine le décrit de la plus ridicule façon qui soit : l'écrivain avait aussi, dans son service armé, ses têtes de Turc. Et c'est l'occasion d'un duel atroce, sur une petite plate-forme bordée de précipices, afin que le premier blessé chute sur les rochers, ce qui fera une mort accidentelle, et non pas une infraction au règlement militaire. Or, Grouchnitski, auquel ne manque décicément aucun défaut, a fait charger son pistolet, mais non celui de son adversaire ! Suspens, frémissements et sueurs froides. Enfin, une conversation sur le libre-arbitre amène un groupe d'officiers désœuvrés à parier sur la vie et la mort. Quoi de mieux que de jouer à la roulette russe ? Clic, pas de balle – ouf ! D'où l'expression : "T'as pas sans balle ?" C'est l'époque où tel officier russe, apercevant (quelle idée) un revolver abandonné sur un guéridon, s'exclama : "Tiens ! si je me suicidais ?" Ce qu'il fit.