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KHYRS ET TZAGHÎRS

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COLLIGNON KHYRS ET TZAGHÎRS

 

1. La stèle

 

Ici le fleuve entaille la falaise. Six cents doghs de dénivelé. Au sommet, la ligne des arbres – en bas, la trouée du rapide et son ravage de troncs. L’eau fume jusqu’aux premières savanes sous la pente : c’est là, au bout de la dernière piste, que se devine sous les herbes la stèle d’Alloum-Khéfi.

« Lis ce qui est écrit !

noirs,armée,invasion

- Comment serait-ce possible, ô Badjar, à celui que tu as privé de la vue ?

- C’est juste.Qu’on l’achève.

Un esclave pousse le Blanc, qui tombe à quatre pattes et reçoit sur la nuque le froid tranchant du ssûtak ; un autre entraîne le corps et la tête hors de la piste, à portée de hyènes.

« Blanc, lis-nous le texte de la stèle.

- De la dixième année de mon très glorieux Règne

« Quiconque, homme ou femme, de peau noire, ayant franchi la borne du Royaume

«  Sera sur-le-champ exécuté ».

Un vaste éclat de rire secoue les Suivants sur leurs méharis, et gagne la colonne des guerriers sur toute sa longueur. Le prisonnier halète. Le ssûtak recourbé s’élève sur sa tête, mais le Badjar fait un geste condescendant : « Laissez-lui la vie ». L’homme est tiré en arrière par la corde qui lie ses poignets. Le Badjar tend le bras vers la stèle. Aussitôt dix guerriers s’arc-boutent à sa base et s’écartent d’un bond quand la pierre s’abat dans un creux d’eau sous les herbes, avec le bruit lourd d’un hippopotame touché à mort.

Alors une clameur remonte la colonne jusqu’aux lisières de forêts, et plus loin, où l’on n’a rien vu. Le Badjar a levé trois fois le ludabeth, sa lance-d’appui, qui descend jusqu’au sol le long de sa monture, et rythme la marche vers le nord : Hy-bâ !

Hy-bâ ! crient les flancs-gardes.

Le Badjar marche en tête sur son méhari. Ses lèvres sont bleues. Son crâne aux tempes poncées porte une crête rousse de la nuque au front. De sa ceinture partent huit longues étoles rouges, tendus en étoiles par huit esclaves à pied, aux lèvres bleues, le torse nu. Ainsi maintenu à mi-corps, il avance avec majesté, comme une rutilante mygale.

Les tendeurs d’étoles trébuchent sur les longues-herbes, prenant soin de toujours garder le tissu soigneusement tiré. Leurs traits et leurs muscles luisent. Sous la taille écartelée par les écharpes tendues à se rompre, un pantalon bouffant d’étoffe blanche à crevés rouges. Les pieds sont nus. Derrière l’imposante pyramide formée par le Badjar et ses étoliers, les treize fouroukh montent des chevaux noirs à crinière courte. Les fouroukhs ou maréchaux ont la tête rousse et la bouche bleu saphir ; mais leurs cheveux sont plus ras, et leurs prérogatives ne vont pas jusqu’à s’autoriser la garance pour se peindre, ou la poudre d’indigo.

Ainsi se règle la tenue des officiers, reconnaissables au nombre de leurs bagues.Les serre-files agitent leurs baguettes de cuivre. Le peuple tzaghîr est en marche : hommes et femmes en état de porter les armes. Ils ont tous les cheveux roux, les lèvres bleues et vernies, et lorsque le Badjar tourne la tête, il aperçoit, en file interminable jusqu’aux Gorges de Lazb, un immense dégorgement humain de braises rouges et de peaux noires.

 

X

X X

 

TZAGHÎRFRANÇA1S

 

« Mior utimer wendrè halemu «  Nous avons ainsi cheminé

« horpowo biongak cho rikao,«  jusqu’au coucher du soleil,

«  pö ruzuerru rok mispa fwonga. «  qui s’abaissa sur notre gauche.

«  Ja bunsuéla u jumbu ku nkéakè, «  Le bounsouéla a lancé la prière,

«  nör mior utimer diklu «  puis nous avons formé

« diklu kar bakbar chuzuma. «  les cercles d’ébène.

« Ha nikhuè jami  «  Je portais le numéro 743

«  rior kaq ipshkar Schebbi«  sous les ordres d’Ebbi

«  as ha gor runuzu «  et je fus séparé

«  sha Hamaoua. « de Hamaoua.

«  Ba riok-jou, ha bilnwè «  Ce soir-là, je comptai

«  tchoumer ju turmankwèma «  dans la vaste plaine

« …. «  plus de 50 cercles,

« …e aucun Blanc n’apparaissait encore. Mon tour de garde n’intervenait qu’aux quatrièmes «  veilles. Je dégainai mes deux épées-de-main, l’une plus courte pour la gauche, et l’autre «  pour la droite, et les plantai dans le sol comme il m’avait été enseigné. Puis je déroulai le « çèmo qui ceignait mes reins pendant la marche, et m’y enveloppai. Je ne pouvais dormir, «  enfin parvenu au Pays Blanc... »

 

X

X X

 

« Maîtresse !

- Que me veux-tu, à cette heure de la nuit ?

- Pose ton Rouleau-des-Lois, viens à la fenêtre !

- Je suis trop âgée pour pouvoir m’étonner.

- Tu n’entendais pas ce bruit par la ville ?

- Me voici près de toi. La nuit est restée chaude.

- Les guerriers se sont rassemblés sur la place et les rues voisines remplies.

- Les flambeaux luisent sur les murs de sable.

«  Au-dessus des ruelles invisibles je vois le tunnel pourpre des torches.

- Ils partent cette nuit pour le pays des Khyrs ! »

Djezirah et sa servante demeurent accoudées sur le balcon. Tous les contingents mobilisables d’Aïn-Artoum se sont agglutinés, bloquant la place au coude à coude. Les lances tendues à l’alignement jettent des éclairs roux. Devant le premier rang est ménagé un espace libre. Une vaste gifle de métal:lesl ances se sont redressées. Le Dovi paraît, escorté de deux colosses aux lèvres violacées. Ils élèvent sans effort le Chef sur le pavois.

« Troupes aimées, guerriers !

« Il est venu, le temps des prophéties.

«  Plusieurs fois nos marchands sont allés au gras pays des Blancs

« Les Khyrs, les Gorgés.

« Plusieurs fois leurs curieux ont grimpé sur nos plateaux Tzaghîrrs.

« Nous sommes curieux, nous aussi.

«  À présent nos marchands sont armés

« notre noir empire est plus ancien qu’eux :

«  nous sommes les fils de la Lune et du Vent, Enfants de Toutes-Aures.

«  Que le Premier Croissant nous éperonne.

«  Lune a promis la Terre à nos conquêtes

«  Depuis .540. années pour .540. autres années

«  - Peuple Têtes-Rousses !

2. La bataille de Drinop

 

 

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! k

! k Les Khyrs

!k !k tentent

!k de déborder les Tzaghîrrs

>>>>>>>>

TZA !k Ceux-ci percent

>>>>>>>> leur centre

!k !k et se rabattent

sur ceux qui

!k voulaient les déborder.

Le centre Khyr est en fuite.

‘’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’

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Récit d’un jeune Tzaghîr, Héri

(dans le style de sa nation)

 

« Ma taille n’excédant pas le rayon du soleil (1), je fus introduit au corps agile des

«  Archers. Ce sont les plus parfumées de nos guerrières. Choyé d’une majorité de

« femmes, mon tempérament s’épanouit. Nos exercices alliaient la grâce à la prompti-

«  tude. Comme prescrit par la pratique et les incantations, nous prouvons sur le terrain

«  nos qualités d’infiltration et de repli, et la plus grande souplesse du poignet. Gliss é s

«  parmi le trot des chameaux, nous décochons de bas en haut nos traits courts et mor -

«  tels ; de nos couteaux nous achevons qui choient sur le sol.

«  Nous avons adopté la position du Croissant. Notre aile tenait le nord.

«  À peine avait paru sur le tranchant de l‘horizon la muraille des Blancs.

«  À peine les chefs de pointe avaient-ils levé leur lance de signal que nous fûmes enve -

«  loppés sur notre gauche. Les sauvages escadrons lourds des Khyrs, si véloces sur leurs

«  bêtes, frappaient lourdement comme une mâchoire de pince. Les guerrières f roissées

«  s’abattaient sur leurs arcs flexibles. Les clameurs mêlaient leurs panaches. Pressés

«  comme nous étions, dans une extrême excitation, le mouvement tournant sur la gauche

«  nous fut freiné, mais ceux qui périrent sont tombés sur place. Chameaux et ar c h è r e s

«  mêlées, nous autres quelques hommes, parvinrent à faire front : cohue, retrait du bras,

«  corde bandée, flèches tirées d’en bas.

«  Que notre combat semblait solitaire !

«  Nous avons tenu, enveloppant les chevaux des Blancs sous nos nuées de pennes. Et les

«  Blancs à leur tour chantèrent l’atroce mélodie de la souffrance : jarrets tranchés des bê-

«  tes, cous harassés qu’on égorge, dards fichés au creux des tripes. Nos parfums tournè -

«  rent sous la fadeur, alors les Blancs pleurèrent. Leurs arrières sentirent le poids des lan -

«  ces d’avant-garde, qui s’étaient refermées sur eux comme une coque. Nous en a v o n s

«  consommé un grand massacre, fabuleusement

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) 1,65m

 

 

 


Henri III

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COLLIGNON

JACQUELINE BOUCHER “HENRI III”

Parlons d’Henri III, dernier des Valois, roi de France, 1574-1589. Et mettons tout de suite les choses au point : il ne faut pas en rester, et jusqu’à quand nous en faudra-t-il rester à cette image du roi pédé ? « Allô Henri III ? - C’est elle-même ! » - tromperie sur la marchandise : Jacqueline Boucher, autrice de l’ouvrage éponyme, reprend la thèse de Philippe Erlanger dans sa grosse biographie : n’en déplaise à certains petits messieurs qui aimeraient bien l’introduire dans leur cercle, Henri III ne fut pas homosexuel, en tout cas moins que Louis XIII. Henri fut couvert de boue par les braves catholiques de l’époque, plus calomnié encore que Louis XVI. Nous avons surtout conservé les aspects folkloriques de ce grand roi qui essaya le plus possible de maintenir l’unité d’un royaume déchiré par les guerres civiles.

roi,pédé,France

Ainsi de ce fameux symbole du bilboquet : sa vogue n’a duré que quelques semaines à la cour – sur quinze ans de règne, c’est peu. Son épouse Louise de Lorraine fut profondément amoureuse de lui, et ne se remit jamais de son assassinat. Pourtant il posséda, roi de France oblige, nombre de maîtresse qu’il s’efforça de lui dissimuler. On lui attribua même un enfant caché. « Mais les mignons ? » direz-vous – car vous n’êtes pas près de lâcher prise, « il n’y a pas de fumée sans feu ! » - là encore, détrompez-vous : sous Henri IV aussi nous trouverons des mignons, sans que le Vert Galant ait jamais été susceptible de pédérastie. « Mignon » signifiait tout bonnement « favori ». Les satiriques ont parlé de « visage fardé » : mais l’expression signifie aussi bien « empreint de dissimulation », « masquant ses sentiments ».

Qu’on l’ait vu travesti au Bal des Amazones ne prouve rien de plus : tous les gentilshommes s’étaient pareillement mêlés à ce bal, et les femmes y parurent déguisées en hommes. Nous avons vu de tels amusements au carnaval de Vatan dans l’Indre ; cela ne peut prouver l’homosexualité de toute une population ! En revanche, le cadet du roi, le duc d’Alençon, était, lui, complètement homosexuel ; mais comme il penchait du côté des catholiques, pas un pamphlet, on disait un pasquil, ne l’atteignit lui-même, cible facile et autrement scandaleuse ! N’oublions pas que l’homosexualité en ce temps-là était passible du bûcher ; que si Henri III en avait tâté, on en retrouverait la trace en maints écrits, en maintes allusions.

 

 

COLLIGNON LECTURES “LUMIÈRES, LUMIÈRES” 2039

JACQUELINE BOUCHER “HENRI III” 39 03 17 2

 

 

 

Or il se trouve que nous en sommes toujours réduits aux mêmes sources : les pamphlétaires, qui finirent par le faire assassiner sur sa chaise percée en 1589, parce qu’il voulait léguer le trône à son lointain cousin Henri de Bourbon, de religion réformée… Le souverain pressentait le drame de sa succession et fit de nombreux et ardents pélerinages avec son épouse pour obtenir la grâce d’un enfant. Si nous avons attaqué bille en tête sur ce point, c’est parce qu’il nous semble capital de détruire une légende confortable autant que calomnieuse. L’autrice d’ailleurs ne traite ce thème qu’incidemment, à sa place, à l’intérieur de l’ouvrage, et sans lui accorder plus d’importance qu’il n’en mérite, avec un certain dédain, usant des arguments que nous venons de vous présenter.

Les chapitres du livre traitent de choses bien plus sérieuses : le cérémonial de cette cour, ses fastes, la façon de gouverner, l’esprit baroque, l’atmosphère intellectuelle et l’italianisation des hautes sphères sociales. Il ne s’agit pas d’une étude chronologique, mais d’une approche thématique, ainsi que nous l’avons vu par la disposition des chapitres. Le lecteur navigue ainsi du début à la fin du règne, et si l’on n’est pas au fait des évènements, c’est un peu déconcertant. C’est ainsi que l’on fait plusieurs fois allusion au fameux « duel des mignons », sans nous dire jamais ce qui l’a provoqué, ni quels en furent les protagonistes. Cependant nous sont présentés des tableaux fort convaincants fixés dans nos mémoires, comme celui de ce faste puissamment déployé.

Comme il n’existe pas d’administration à l’échelle nationale, le Roi doit s’assurer la fidélité de ses vassaux en les comblant de cadeaux et de privilèges. Puis, après avoir fait leur « quartier de cour », c’est-à-dire un quart d’année, un trimestre, obligatoire afin de rester dans les faveurs du roi, les seigneurs s’en retournent dans leurs provinces pour y faire appliquer la loi royale. Comment se logeait la cour ? Versailles n’étant pas construite, c’est au Louvre qu’il faut être, et c’est à Paris que l’on cherche à loger.

Lisboètes

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COLLIGNON ITINERRANCES  - LISBOÈTES

Je n’écrirai jamais Lisboètes. Pure lusophobie. Et puis j’aurais la rage de ne jamais plus pouvoir y retourner. C’est contradictoire. C’est unbehagen. Malaise profond mais impossible à définir. Comme si j’avais répugnance à revenir sur la tombe d’un bras. Que l’on m’aurait coupé. J’ai fait un plan, par flashes, illogique, sans chronologie. Voici une suite d’images :

- la Juive de Calcutta, rencontrée dans un train frontalier, et répétant chaque huit phrase : « I’m Jew… I’m Jew... » comme un appel à justification, à compassion, à meurtre.

- la Cap-Verdienne de Genève, avec laquelle j’ai parlé de clitoridectomie au nom de toutes les oreilles du compartiment, et l’autre Blanche, qui se lavait sans cesse.

- le Coca et les pêches, les glaces, de Lisbonne ou de Carthagène (mais à présent tout le monde a voyagé, ou croit l’avoir fait) (le faire, devoir le faire)

La folie têtard b.JPG

TABLEAU D'ANNE JALEVSKI

- Cimetières de Lisbonne, les Plaisirs, la tombe horizontale d’Amalia Rodrigues, amatrice de paix sociale, en quelles circonstances Salazar a-t-il pris le pouvoir, et à quels bordels n’a-t-il pas succédé ?

J’ai des vagues de sang qui battent dans ma tête, un ressac sourd et obstiné qui annonce ma mort ; poursuivons :

- L’Assommoir de Zola, pluie et bruine dans les vapeurs d’alcool, alors qu’au dehors, à Lisbonne, il fait 36°.

- Le plaisir des langues, entendues ici dans les rues, le flûtisme tendre de mon français, les clairons espagnols et pas d’anglais Dieu merci pas d’anglais

- Drague à la FNAC : il y a donc la FNAC à Lisbonne ? Qui a dragué qui ? a dragué quoi ? ne rien perdre surtout ne rien perdre.

- Le métro : de Lisbonne, aux deux lignes si mal foutues, de Paris si complet, si merveilleux, de Prague engloutissant Alphaville !

- Les églises de Lisbonne, vernissées comme des momies

- Gulbenkian, seul endroit frais, qui fait aimer l’art contemporain juste parce qu’il fait frais

- Fr. que j’ai failli voir et consommer sur place, et qui m’a aimé, que j’ai rejetée comme un muffle fasciste, raciste, xénophobiste.

Cela tient une colonne. Mais en face, une classification ébauchée, avec des chiffres, c’est trop en avant dans ma vie, 2000, plus que 2008, je cherche, je cherche des griefs et n’en trouve pas, voici, bis :

1. Filles dans le train, que je draguais toutes à la fois, par mon silence, par la fixité de mes regards, gisant à mes pieds sur le tapis du train. Développer.

 

2. Petits pavés noirs et têtus de Lisbonne, tranches coupantes.

 

3. Croisière, à bord d’un bateau fluvial, et ces immigrés stupides qui s’étonnaient de l’aspect du Tejo, parfaitement, du Tejo, oui c’est la nostalgie, pas la xénophobie mais la nostalgie, amère.

 

4. Le Monument des Conquistadores, avec juste une femme, la Reine Isabelle, au pied de la bite

 

5. La Tour de l’Estoril, toute petite et qu’on ne visite pas, et non loin le banc où je me suis assis, pus que j’ai photographié comme point de plus à l’ouest de ma vie.

 

6. Les Jéronymes (ou Jéromines?) (Vasco, Camoès dont j’ai caressé le front en priant, et Pessoa inaccessible (travaux).

 

7. Pourquoi les magasins sont-ils toujours fermés à Lisbonne ?

 

8. Je devrais voir le quartier Moniz

 

9. Les montées, les descentes.

 

10. L’Ombre et le Cagnard

 

11. Délices de la pensião

 

12. De petites gens, de petites portes, de petites maisons, de petites rues.

 

13. Château St-Jorge

 

14. - Vieira da Silva

 

15. Wagon-restaurant

…ce ne sera pas long… vous verrez…

 

DANS LE COMPARTIMENT

C’est si vieux. Ça ne veut pas venir. Un interminable enfermement, deux heures silencieuses en rase campagne, Huit places en face à face. Le seul homme. Des jeunes femmes. Bien trop jeunes et frappées d’une extrême fatigue. Seul mâle de cinquante-huit ans. Colonie de vacances pour filles de vingt ans. Fauchées n’ayant pas ni l’avion ni le billet couchette. Moi non plus. Avec qui voulez-vous coucher ? personne. Tous ensemble. Toutes ensemble et moi. Harem de sept, Sept d’un coup. Épuisées… reintées… Pauses de pantins sans une once de lascivité. Elles ballottent, leurs bustes ballottent, retombent, tressautent, sans harmonie ni suite. La fesse sous le vêtement plus suggestive et ronde, régulière et satuaire, attirant la courbe accompagnatrice – esquissée dans l’œil et du fond de la tête à l’extrémité du nerf

 

 

 

 

 

NOX PERPETUA DEVELOPPEMENTS I, 1-11

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COLLIGNON « NOX PERPETUA - DÉVELOPPEMENTS »

 

(2035)

J'aimerais savoir ce qui se passe. Mon intelligence est intacte. Des épisodes me sont dictés, mais je n'ai pas dépassé l'an 1900. Wellesley-Leurbeyrolles : mot de passe. Renseignements pris, il s'agit dans le premier cas d'un gouverneur des Indes britanniques de 1797 à 1805, frère aîné de Wellington ; « Church and Wellesley » se trouve, pour sa part, à Toronto, dont il est « le quartier homosexuel ». Voyons le nom suivant, de haute noblesse française peut-être : il est de notre stricte invention. Dommage. Et c'est ainsi que je retrouve, dans le jardin enneigé de Pasly, cette femme magnifique et mûre que je désire et qui me désire. Elle tremble de froid, les possesseurs du jardin l'ont recueillie là, en lui promettant ma venue prochaine.

A présent nous aimerions, elle et moi, nous réconforter mutuellement, à l'abri. Voici un vieux porche en bois, voûté à plein cintre. Mon épouse nous a rejoints ; l'intimité n'aura duré que quelques instants - pourquoi mon épouse Arielle se trouve-t-elle avec moi en ces circonstances ? pourquoi partageait-elle ma trouille intense, alors que la clé tirée de ma poche s'adapte parfaitement à la serrure ? derrière ce portillon ainsi surgi devant nous il nous semblait entendre les cris d'angoisse d'une femme qu'on menace de la torture ! Or cette porte basse donne dans une cour, celle d'un lycée battu des vents ; ce grand espace est garni de candidats au bac, malgré le plein hiver. Partout règne un grand remue-ménage. Ma femme ne tarit pas de reproches, passe et repasse la porte, que j'ai pourtant soigneusement refermée derrière nous. L'angoisse et la peur étreignent chacun de nous trois. Elle se déshabille, et dans mon dos les deux femmes ont disparu, ont quitté la scène et l'histoire, condamnées à combattre, ou à s'entendre, de l'autre côté du mur, dans le froid neigeux du jardin.

Pourquoi suis-je toujours voué à parcourir en bout de cour ces toilettes immenses, comme si j'y avais subi un viol permanent ? J'aperçois le dos voûté d'un génie de Contes, en frac, dont les épaisses moustaches dépassent de façon menaçante ; il me réclamant d'une voix sombre le mot de passe. J'urine en hâte, avant qu'il ne se retourne ; au premier mouvement qu'il esquisse, vite, je m'évade par une lucarne. Par les toits. Une mansarde : sauvé. Deux lits crasseux, abandonnés, sordides : c'était la loge des pions, au temps de l'internat. Un coup d'œil par la fenêtre : le toit reste vie, et personne ne m'a suivi. Mais en tournant la tête vers le haut, je découvre tout un étagement de mansardes en quinconces, un vrai château de Chambord misérable. Plus haut, une fille apparaît au coin d'un carreau crasseux. Je la rejoins par des étages intérieurs : « Je suis prêt » dit-elle, mais c'est moi qui ne le suis plus. Alors, elle part, sans bien refermer la porte de cette autre mansarde. C'est alors que dans un spasme de terreur je m'aperçois que le grand Génie noir m'a rejoint par les escaliers. Pourtant il ne me voit pas. Sa fonction est d'être là, d'effrayer, sans passer à Dieu sait quel acte. Je sais à présent où je suis : à Guignicourt, où ma mère couchait dans la mansarde précisément de son père mort.

C'est le Génie. Inoffensif, fantômal, mort. Pourtant je me roule sur le lit, hurlant de panique. Le génie s'est dissout dans les airs, mais les pas que j'entends gravir les escaliers sont bien présents, bien réels cette fois :la police, ou bien la milice, ou je ne sais quel groupe qui m'appréhendera pour avoir ignoré le Mot de Passe...)

 

39 09 26

Investissement d'une mission sacrée. Mon épouse ici portera son vrai nom, qui est celui d'Arielle, femme de Joachim, parents de la Vierge. Nous croyons en la Vierge parce que c'est notre mère, nécessairement vierge, telle que nous l'imaginions enfant. La première scène se passe à midi, Arielle est assise sur une chaise au milieu d'un trottoir, devant une fenêtre ouverte. Devant elle je me suis penché sur un carton contenant du raisin avarié, à demi mangé, au-dessus duquel tournoie un essaim de moucherons que l'on appelle drosophiles. Soudain paraît à la fenêtre, dans le dos de mon épouse, une espèce de furie jaunâtre : « Vous allez rester là longtemps ? ...vous nous bouchez la vue – Je m'en vais. Mes deux amants m'accompagnent, l'un et l'autre me ramonent successivement. » La vendeuse éclate de rire, son aspect démoniaque disparaît.

L'ENVOL, TABLEAU D'ANNE JALEVSKI

reve,sommeil,songe

Arielle se lève pour une destination qu'elle a précisée, que j'ai oubliée. D'autres sont invités chez Lazarus, je n'en suis pas pour cette fois, me voici seul avec la Vavrino. Combien elle m'ennuie ! Derrière la fenêtre, à l'intérieur, s'étend un bistrot ariégeois ; sur la lucarne d'icelui repose un soutien-gorge, abandonné là par une qui étouffait. Lorsque je poussais la porte, la serveuse me fixait : c'est parce que je suis très beau. Le miroir que j'ai à mon tour fixé me l'a confirmé : c'est un morceau de glace ébréché. Il ne s'agit pas de moi, mais de l'homme qui pisse et agit en mon nom à l'intérieur des messages de Dieu. Quand je ressors, soigneusement digne et boutonné, je crains d'apparaître un peu crispé.

L'apparence d'un envoyé de Dieu doit être irréprochablé, même après avoir excrété. Il y a derrière lui toute la queue d'un long rêve. Glose celui qui peut.

 

39 09 27

Il m'a été donné de croiser des êtres extraordinaires. Il suffit de parler d'un homme pour qu'il devienne héros, héros de récit. Milanese était un hirsute, un niais, dessinateur au rabais. Juste bon à fournir des cigarettes. Je viens de la taxer. Ainsi s'exprimait Léna, 60 ans, devant un jeune mendiant. Voici par terre, devant l'auberge d'Ariège, un gros flacon laissé là, vide, sale, poussiéreux. Mon père l'a laisé tomber là, négligemment, comme il fait tout : ses flacons, ses maîtresses. Et si je débouche cette fiasque, il se dégage une puanteur d'acide à faire reculer. Il est plein. Transparent, mais plein. À s'y tromper. Mais qu'est-ce qu'il peut. Quel animal peut survivre dans ce milieu. C'est bien la question qui me vient juste alors qu'une raie, raie lisse, remonte des profondeurs. Je tiens entre les mains ce gros bocal désormais, cet aquarium bientôt. Qu'ai-je fumé ? En surface, la raie se retourne !

C'est une chauve-souris, un mammifère, sans soupçon d'amphibisme, qui me montre à l'envers son visage, une espèce mixte, attirant les souris. Elles arrivent, quatre ou cinq, dessinées par un Walt Disney, et la déchiquètent, petit à petit, sans hâte, méthodiquement. Sur ce qui est à présent devenu un aquarium, je jette un linge pudique : tous nagent, sauf moi, je ne pourrrais pas déployer mes bras sur une surface aussi faible. Pourquoi dévorer un être si faible, si mort, si étrange. Et si je retire le linge, afin de tout voir après tout, je m'aperçois que les souris se sont enfuies dans leurs papiers, mais que le fier animal, créature indéfinissable, est déjà bien mal en point ; l'aquarium est alors parfaitement sec.

(plus tard)

...or il n'y avait plus rien de juste dans tout cela, Je me trouvais en plusieurs lieux à la fois, je vivais plusieurs vies du passé à la fois, entendez que mes vies se superposaient en moi : en plusieurs épisodes de ma vie. Elle, et mon regard, étaient devenus profonds à l'instar de ceux qui vont mourir du sida ou qui vont mourir, et seuls à le savoir se retiennent tandis que leur œil s'approfondit dans les lueurs de fins d'après-midi. Et l'orgue et ses paliers [sic] résonnaient dans ma tête. Un jeune homme, droit, de dos, jouait pour nous, suspendu dans les boiseries raides et claires, et les femmes à ses pieds poussaient un balai anobli sous les cascades méthodiques des tuyaux.

 

 

Crémation : marque d'irrespect et de déshonneur pour ce qui fut un instant demeure du Créateur. Caractère d'autant plus abominable de l'holocauste. Un rabbin transportant une ou plusieurs urnes remplies de cendres doit nécessairement les avoir recueillies sur un lieu de crémation criminelle. Cependant, certains mouvements réformistes admettent que l'on enterre des cendres à l'intérieur d'un cercueil, et les familles peuvent afficher leur deuil, et même réciter le Kaddich. Ces précisions sont tirées d'un article de l'Encyclopédie du judaïsme. Un rabbin ne peut assister à une crémation. Comme le transport s'effectue à l'intérieur d'un wagon de marchandises, il est fait référence aux sinistres déportations que l'on connaît, avec effet en quelque sorte anticipé. Rien n'indique par conséquent qu'il puisse étreindre une ou plusieurs urnes, d'autres peuvent aussi bien garnir le plancher du wagon et tressauter sur les aiguillages. S'il fait si froid, c'est que les fermertures ne sont pas hermétiques. Nous verrions volontiers des portes coulissantes large ouvertes sur un paysage de neiges lugubres. La composition en tache d'huile ici s'impose et prend son ampleur de maturité : trouvez un autre auteur qui se soit permis, jusqu'à sa mort ou presque, de ne composer que des œuvres de jeunesse. Or voici le miracle : une de ces urnes prend la forme d'un cercueil, première étape formelle d'une réhabilitation ; et de ce cercueil, par une longue fente, comme un génie de la Lampe, s'étire et se forme dans l'air une jeune fille juive, qui représente l'apogée de toute beauté féminine de peau blanche.

C'est une flamme bleu ciel, mais soutenu, qui se forme en spirale comme un ectoplasme. Nous espérons un discours visionnaire : qu'aura-t-elle vu, de quelles certitudes et consolations remplira-t-elle nos cœurs, si tant est qu'une preuve ou même un témoignage sans mensonge puisse faire éclore un quelconque espoir de solution finale du fond de l'Abîme. Les amples draperies bleutées s'enflent alors et l'emporte par l'ouverture vers le ciel, au-dessus du convoi. Alors en pleins champs le train s'est arrêté. Nous en descendons tous, et j'aide à passer les robes à panier. C'était la mode en ce temps-là. Il me faut respecter beaucoup la trame qui m'est offerte. Et cette prairie où nous descendons, je me convaincs de l'avoir connue à l'âge de six ans.

Quelle distance, et que je me sentais bien en ce temps ! J'ignore pourquoi. J'embellis tout sans doute. Mais à présent je suis adulte et plus qu'adulte, et mon temps passé me désespère : un homme de sable est coincé dans un sablier, et sent avec désespoir son corps s'écouler dans le vase inférieur ; il veut sortir de là, ses mains s'appliquent avec désespoir sur le verre et son visage exprime l'horreur. Nu ne peut sortir du fatal sablier, et cette image fait rire. Pour moi j'applique ma tête au sol et veux m'y enfouir en vrillant de toutes mes forces, en désespoir du temps passé. Vous aurez vu la même scène où des Italiens se fusillent à travers un champ de blé ; le père de même enfouit sa tête en vain, et se fait abattre, par pitié. Est-ce 1900 de Bertolucci ? Mon épouse se fout de ce que je puis dire. Je lui aurais bien raconté tout cela, qui se déroulait dans un rêve, celui que je faisais dans cette si belle et atroce prairie. Alors les employés, passant de groupe en groupe au long du talus, nos invitent tous à rejoindre le convoi, et nous retrouvons nos voitures bondées. Il y a là mon amie Jou, que je désignerai désormais autrement, et Marie Bouvousole, épouse Cousin.

Ces deux femmes existent vraiment. Je les ai méconnues, comme toutes, que nous ayons baisé ou non. Il y a tant de monde sur ces banquettes qu'une jeune fille de treize ans, comme j'en ai tant conu, s'appuie du visage contre mon bras nu. Elle somnole et nous ne bougeons pas. Fait-elle cela à tous les hommes ? D'un arrêt à l'autre, la voiture se vide, nous reprenons un peu nos aises, les robes à nouveau s'étalent. Et, luxe inouï pour le dernier trajet, nous pouvons mes compagnes et moi gagner la galerie supérieure, d'où l'on jouit d'une vue imprenable sur les petites vitres allongées à hauteur des yeux. Vraiment la belle conception.

En vérité ce train comme celui de Proust se traîne savamment par toute la campagne normande. Rendez-nous nos écrivains. La petite station de descente se trouve en plein bocage. Notre automobile nous attend, et nous entraîne encore plus loin, dans une autre prairie, touffue, humide à ravir. Elle est bien close, et sert de parking : mais il n'y a que nous. Après la lettre à Sophie Volland, notre humeur est agreste. Et ce sont trois frères peut-être, ou cousins, qui nous accueillent dans leur ferme. C'est là que nous passons la nuit, chacun dans une chambre ; et quand je me réveille, mes compagnes doivent me quitter, ma voiture a disparu malgré la barrière : ma propre épouse monte dans celle d'un autre et s'en va, très loin d'ici. « Guidez-moi ! Suivez-la ! » Les trois frères secouent la tête d'un air entendu : toutes ces femmes se rendent en un lieu très secret, d'où je dois être apparemment exclus.

Ô dérisoires chastetés ! « Vous vous perdriez. Nous ne saurions pas même vous instruire. » Qui sont-ils ? Peut-on là-dessus construire quelque chose ? Quand je les reverrai, je le leur dirai. Elles conviendront qu'elles ont bien pensé se débarrasser de moi, pour enfin se retrouver entre elles, sans ambiguïtés d'aucune sorte. Elles agiteront devant mes yeux des foulards légers rouges, verts ou bleus, qu'elles auront trouvé à vendre sur un lointain marché normand. Tout s'emboîte bien à propos... A présent c'estla première fois que je fais cours dans un si grand établissement, couvrant plusieurs km². Serai-je à la hauteur de ce qu'ils me demandent ? Et, d'abord, qui me demande quelque chose... J'aurai face moi des jeunes gens, des jeunes filles, à peine plus jeunes que moi, illuminés d'une attente bien plus forte que celle de n'importe quelle administration ; j'espère ne pas succomber à la honte en récitant un livre qu'ils possèderaient déjà, comme cela m'est déjà arrivé : il suivaient sur le fascicule. Instruire n'est pas réciter par cœur devant des fermiers dubitatifs. Son père relevait la tête : « N'est-ce pas qu'il est bien doué, mon fils ? » Le vieux paysan, qui devait mourir quelques années plus tard, hochait la tête en considérant l'enfant prodige : « Ce n'est rien, de réciter comme ça ; cela ne prouve rien du tout. » Préparer des cours de bonne qualité implique une extrême implication, une confiance en son propre raisonnement, un pessimisme moins paresseux : forge tes propres phrases, n'imagine pas qu'il existe, au-dessus de toi, une activité plus prestigieuse à laquelle tu pourrais sacrifier la préparation de ton cours, de tes propres convictions, qui existent, quoi que tu en penses.

Toi aussi tu peux inventer, sans te contenter de transmettre ce qu'on dit les ancêtres. A l'aube de la fin, tu plonge encore le regard dans l'abîme de l'action. Ils sont là devant toi, tes disciples, grands, blonds, intelligents, pleins d'attente au singulier comme au pluriel. Abandonne la vitesse, approfondis-toi, approfondis-les. Certains garçons portent une cape noire et romantique. Et si ta conférence n'est pas préparée, si ta science est insuffisante, appuie-toi sur un texte. Et si le texte est mal imprimé, que les caractères se brouillent, que ta langue bute sur les mots, c'est que le rêve ou le sort te sont défavorables, c'est que la maladie du doute en toi s'introduit. Tu ne peux même pas traduire, ils se détournent de toi et font club contre toi, ou à part.

Le texte philosophique se dissout, d'abord les accents, puis les esprits puis les omégas. Ce sont les lignes à la fin qui se mêlent et se dissolvent. Ces disciples ne sont plus les miens, ils s'informent entre eux de ce qu'est leur vie, ils s'instruisent par l'exemple et la différence, et tu es relégué au fond de ta honte. Je pense plus à la stupidité. Cela peut-il se rattraper ? Le cours du lendemain porte sur un texte de notre langue : à l'aide de certains mots que j'ai soulignés lors d'une lecture précédente, je parviens à élaborer un commentaire suffisamment verbeux pour donner le change.

Mais on ne donne pas le change. Cet âge juge vite, et ne revient pas sur ses décisions. Déjà la plus belle étudiante, une fille à la Julien Gracq, aux yeux de qui j'aurais mesuré le poids de toutes mes paroles, m'a déserté. Privé d'approbation, mon cours s'étire dans l'ennui, l'alchimie n'opère pas, et lorsque le gong de fin retentit, un petit brun chafouin, sarcastique, m'interpelle : « Est-ce que ce sera comme ça toute l'année ? Je réponds oui : c'est ce que je fais de mieux, ce que j'offre le plus volontiers. L'étudiant s'embarrasse. J'ignore ce qu'il voulait dire. Mes airs triomphants. Ces tambourinements de poitrine. Ce sentiment d'être dans le vrai. D'avoir bien moulu le grain.Je ne suis pas fâché de retrouver enfin la grande ville, aux dimensions d'Argentan. Il vient de s'y ouvrir un lycée tout neuf, bâti dans les meilleures proportions, hauts murs immaculés. C'est ma jeunesse qu'ils attendent, et mon inexpérience fraîche. Ils m'ont confié de plus des disciples de mon âge, contemporains. Je n'ai pas préparé le cours, comptant sur la grâce. Déjà mes jeunes gens m'ont prêté attention, mais il ne faudra pas négliger de la faire épanouir. Nous nous séparons, le sourire est dans l'air. Mais c'est au maître aussi de passer des épreuves ; d'immenses oraux semblables aux initiations. Vingt-quatre entretien sur vingt-quatre textes. Le premier portait sur Valery Larbaud, Nerval et Prince de notre siècle. Le second me mène en face d'un bureau où siège, le front chauve et barré de rides, ce magistrat plus entraîné aux diatribes municipales qu'aux subtilités anacréontiques. C'est un homme en vue, même éminent. Nous apprécions nos élans poétiques.

Mais il est bien tard, l'entretien commencé, pour obtenir de revenir chez soi, et remettre la suite après déjeuner. Je n'oserais troubler notre bonne intelligence ni le règlement.Si nous n'en sommes qu'au second oral, comment peut-on envisager d'entasser les 24 épreuves en une journée ? Je veux en sortir vivant : il m'en coûtera la semaine. Je m'en suis bien tiré, par le moyen du bon agencement de l'analyse. Le candidat m'a semblé satisfait, mais il ignorait que pour y parvenir, j'avais évoquél'image de ces fleurs blanches couramment nommé « boules-de-neige ». Puis, n'ayant rien de mieux à faire pour l'après-midi laissée libre, j'emprunte un chemin de crête au crépuscule.

Voici une maison de bois, très accueillante, un peu cachée en ces sommets, où je pourrais facilement m'installer. L'urgence est d'excréter le plus profond de mes entrailles : non le chant mais la chierie - or je ne parviens jamais à chier, mais il suffit de quitter cette pièce obscure pour constater que d'autres se sont emparé sans modestie de tout l'espace extérieur : la rayonnante Louti, déesse de la lumière, et son radieux fils, dieu du sourire et du mystère, le plus énigmatique, le jour de son anniversaire. Bientôt chantera le grand Lahn aux longs cheveux dorés, aux longues bottes de plastoc.

En compagnie d'Arielle-Séraphîta nous parvenons au camp retranché au-delà des crêtes ; il faut supposer que la pente a redescendu, que des pentes verdoyantes d'une Suisse ou d'une Dordogne nous soyons retournés dans l'antique désert, où vivent de farouches peuplades, cernées par le sable et ses invisibles ennemis qu'il engendre. Ce ksar rudimentaire est constitué de toiles blanches et sales, sommairement renforcées de terre tassée. Vit là-dedans une population mangée aux mouches. Séraphîta disparaît dans un de ces gourbis de terre aussi peu pourvus d'ouvertures qu'une galgala vernissée des sables. Elle est reparue coiffée d'un keffieh de combat, et je me sens rejoint par les troupes françaises, sur le point d'assiéger : les officiers m'entourent et me témoignent leur sympathie ; vaut-il mieux négocier ? montrerons-nous, pour inciter à se rendre, ou pour traiter avec moins d'insolence, ces photos qui circulent, montrant d'horribles cadavres sanglants et découpés, femmes, enfants, dont nul ne connaît l'assassin ? Les armées parfois massacrent, afin d'accuser l'ennemi. Peut-être aussi les habitants du ksar ont-ils tué de leurs propres enfants, afin d'entretenir l'émeute et l'insurrection, afin de communier sur les corps avant de s'entretuer, de s'entresacrifier rituellement sur les corps dépecés de leurs propres entrailles, chair de leur chair. Ils sont 42 corps, découpés dans d'immenses corbeilles, vArielleries plates au travail remarquable, soulllées de sang. La lutte n'est pas près d'être finie. Il semble qu'elle durera infiniment, si la religiosité s'en mêle, si la rejointure à la divinité exige tant de cruautés, de cruor, « le sang répandu ».

C'est alors que survient l'enfant. Il s'appelle Mohi, il est pur et blanc, tel que je fus à dix ans. La tour qu'il construit devrait atteindre atteint trente étages. D'abord il empile. Sable sur sable. Il lève les yeux, fixant une image publicitaire, roulant dans son cadre, à même la plage : toc, rrr, toc. Cela lui donne du courage. Si la publicité représenbte l'immeuble, c'est la preuve la plus formelle que son entreprise s'achèvera. Je le regarde : mon fils Igor attend de moi que j'aménage ces cubes siliceux, pour présenter de confortables logements, avec vue luxueuse sur la mer. Et lorsqu'il a fini, je me hisse à l'intérieur jusqu'à la terrasse la plus élevée, d'où je domine d'un côté la mer, de l'autre côté la ville.

Sans doute a-t-on surestimé la quantité de sable du mortier, car j'y patauge, mes semelles y crissent sur la pâte sèche : le vide est là, non loin de moi, après ce mince parapet de 40m. Et l'on a hissé là, par les escaliers de sable, un trampoline vert, alors je saute, je saute, je rebondis, croisant dans mes rebonds ce tout jeune homme appelé Spiderman , ce ne pourrait être aucun autre, si vite que je l'entrevois à peine. De plus en plus vite. De plus en plus haut. De plus en plus de biais puis au-dessus du vide. Redescendons l'étage : Spiderman s'exerce encore ; ses dieux le soutiennent. Et me voici dans une immense salle, donnant de tous côtés sur le ciel, bourrée d'hommes, sans trace ni possibilité de meubles.

Tout autour de l'immeuble, combien d'autres tours encore, constituées d'étages aux cloisons de verre, vastes salles cubiques superposées où s'entassent les gens sans cesse, les plus proches les mains sur les vitres. Les voici tous hermétiquement confinés. Le jeu commence : certains entassés trouvent l'espace d'entrouvrir leurs mains et de laisser choir à terre d'énormes pétards qui explosent ; les enfants – car il y a dans ces salles aussi bien des enfants – poussent des hurlements de terreur – les adultes éclatent de rire, et dans mon cube trnslucide, moi, au moins, je me scandalise, et tous les enfants que je peux attraper ou caresser, je les rassure et les réconforte. Mais la foule est trop compacte, restreignant à presque rien mon domaine de consolation. Sur la plage, tout en bas des grands appartement de sable, les pArielleaux électrique nous vantent celle fois d'autres villes, d'autres séjours que celui-ci, aux vitres considérablement renforcées. Je tire dans un angle une carte routière de ma poche : les mouvements prisonniers de la foule dégagent parfois d'étranges espaces, comme un air en sursis : et de près, la carte montre au zoom des villes en ruines, après les bombardements de l'ennemi.

Dans les appartements qu'il faut croire bien résistants, le vacarme inhumain des pétards s'apparente de plus en plus à ce massacre où j'ai participé : celui de la famille impériale de Russie, le 17 juillet 1918. En vérité, on n'a pas le droit d'épouvanter ainsi les enfants.

 

50 10 19 Parenthèse

 

Réflexions : C'est moi qui ai voulu en rester à 18 ans. Je n'ai pas à me plaindre. Avec l'impuissance qui s'y rapporte. Je dois m'accepter. “Connais-toi toi-même”. Ma comédie sociale,mes faux-fuyants, j'en ai ma claque. Baiser je ne peux plus. C'est au-dessus de mes forces. E finita la commedia. Une autre comédie commence – crois-tu ? dormir.

 

 

50 10 31

Lors d'une discussion dont le début m'échappe, je déclare à ma femme : “Je suis impuissant”. Ce qui lui déplaît profondément : elle répète ma phrase avec acrimonie ; c'est un prétexte pour ne pas la satisfaire. Mais je ne sauis pas seul responsable ! C'est à elle aussi qu'il appertient de me stimuler ! Mais il faut se lever, rejoindre sa voiture pour se rendre à son travail : il fait déjà grand jour. Mais à travers les murs, je l'entends s'écrier : “Sur quel ton il a dit ça ! C'est humiliant ! C'est humiliant !” Et dans cette rue très claire de Tanger, je me fais la réflexion qu'elle l'a bien cherché, sans pouvoir me départir d'un fort malaise. Il faut bien que ces sentiments procèdent d'une certaine réalité, puisque je les ressens toujours à mon réveil.

 

50 10 31, nuit

 

Les premiers instants du coucher sont douloureux. Ce n'est qu'au bout d'un certain temps que l'on parvient à surmonter l'angoisse de franchir les Portes de la Nuit. Portes du moi, mystère...

Celui qui dans ses veilles ressent malgré lui des sentiments si discontinus, si disparates, possède peut-être après tout le don de personnalités multiples ; mais est-ce si sûr ? est-il possible, est-il facile et honnête pour lui d'en tirer parti, peut-il impunément se glisser sans dommages dans ces diverses personnes ?

Cerrtains autres, peut-être les mêmes, s'aperçoivent avec désolation que c'est seulement au coucher que se révèlent de fortes résolutions, juste au moment qu'il n'est plus temps ; il ser tenté d'espérer une belle mort à venir, pleine de vaillance et d'enseignement pour son entourage s'il y en a ; mais c'est peut-être aussi qu'il se faut raffermir et recomposer avant de doser inconsciemment le bon mélange, devant produire les rêves sinon révélateurs, du moins réparateurs. Parfois, au réveil, cette résolution a traversé la nuit : mettez-le en pratique.

Il vous faut donc dominer, discipliner les courants divergents, les utiliser, à des fins littéraires (pour ceux qui manquent d'ancrage concret). Les invocations, équilibrages et déséquilibrages cuisinés dans le rituel des pratiques et prières (d'aucuns diront superstitieuses) devraient dans l'idéal permettre une vie perpétuellement passionnée, que bien peu d'entre nous pourraient supporter. Il existe des livres de prières pour les trois cent soixante-cinq anges de l'année ; chacun peut se les procurer dans les librairies spécialisées. Peut-être y croirez-vous ; maintenez cependant toujours une distance, et n'oubliez pas que la sincérité rend fou, mais que la fausse science est bonne.

Birobidjan P.S. Je ne sais pas quoi faire de mon sexe. Pourquoi ? Mourir perplexe.

50 11 03

 

J'ai rattrapé mon chat sur le fleuve Amour, gelé, en vagues.

(Dans l'autre monde, le chat s'est enfui de sur mes genoux. Je l'ai caressé sous la gorge, et le temps de sentir une grosse cicatrice, il m'est sauté des genoux et je ne l'ai jamais revu. Pouvait-il croire que je voulais l'achever ? Quelle terreur nocturne ai-je ravivée, quel égorgement animal, je l'ignore. Les deux occasions où je l'ai revu, il s'est enfui).

Le fleuve Amour, séparant la Chine de la Sibérie, longeant le Birobidjan où Staline établit des juifs, signifie en réalité « fleuve boueux ». Dommage.

 

 

50 11 05

J'ai l'impression d'être sans cesse au lit, sans cesse à table. J'ai l'impression de vivre sans cesse la même journée, tel un moine attaché à sa règle. Comme le moine, je mourrai sans avoir vécu autre chose qu'une longue journée. Qui serait cet homme qui aurait vu tant de vieilles villes parmi les rochers. Est-il vrai que je n'aie pas de caractère ? Je cède à celui qui gueule. Mais peut-être y avait-il une grandeur chez mon père, une fierté. Toutes les nuits me voici face à moi-mêm

 

50 11 23

Quelle est cette métropole où elle et moi nous retrouvons, grouillante, sous une pluie battante ? Qui attendons-nous au coin de cette avenue d'intense circulation ? Reconnaîtrons-nous le véhicule qui doit nous transporter ? derrière nous s'élève une digue, extrême-orientale : Houang-Ho ? Shinano de Niigata ? Nous formons des numéros de téléphone : personne ne répond. Plus tard, dans l'après-midi, me voici dans un amphithéâtre de faculté, une de ces constructions circulaires et plongeantes à l'ancienne, où pérore un de ces clowns promus professeurs de faculté : de taille immense, mains en battoirs, pieds démesurés, dispensant une leçon très inattendue ma foi sur les rapports entre Proust et les Essais de Montaigne. Jean-François Revel, dans son ouvrage Sur Proust, éditions Grasset, collection "les cahiers Rouges", contient un chapitre (le V) consacré à "Montaigne à propos de Proust", où il réussit à rapprocher ces deux auteurs qui a priori se situent à des confins opposés de la galaxie littéraire.

Jean-Luc Picard le cite en ces termes, p. 158 : "Montaigne et Proust connaissent les hommes parce qu'ils sont eux-mêmes plusieurs hommes... Ils ont cette sensibilité en toile d'araignée qui permet de capter en soi la façon exacte dont l'autre se sent en-dedans de lui-même.""Il faut (à mon avis), précise Picard, chercher [leurs affinités] non dans les sujets manifestes de leurs oeuvres, encore moins dans des courants ou des écoles, mais dans le type d'hommes et d'écrivains qu'ils incarnent." Mais ma personne, dans l'amphithéâtre, se montre peu sensible au sujet traité, bien plus concentrée sur les gesticulation de l'enseignant, tant il est vrai que le corps, plus que le discours, exprime l'âme.

Plus cet homme s'agite, plus ses extrémités se développent : c'est de la véritable acromégalie, agrandissement maladif hormonal des mains et des pieds. Il monte et descend les escaliers, interroge voire interpelle des étudiants qui n'auraient pas envie de s'exprimer, de "participer" comme on dit sur les bulletins scolaires. Le voici désormais torse nu, bronzé, immense, à la façon d'un Zeus Lance-Eclair. Il rabroue une certaine demoiselle Mouton pour sa lecture à haute voix particulièrement molle et monotone. Ma lycéenne s'appelait de même, avec un "h" : "Mouthon", mouth on ? Mais voici le professeur en bronze qui ressort sous la pluie ; l'auditoire l'entend déclamer, chanter, brailler : il ramène bras-dessus bras-dessous une paire de retardataires. Nous en restons tout époustouflés, mais plus que jamais sur la réserve, peu désireux de participer à ce cirque ; n'ai-je pas cultivé dans mes cours ce genre de transmission du savoir ? Et ne serais-je pas devenu aussi grandiose, aussi grotesque, si j'avais pu accéder moi aussi à l'enseignement supérieur ?

50 11 27

J'ai tant besoin de mon corps complémentaire. De mon corps comme reste, excroissance, résidu de l'esprit, mais seul véritable. Simplement la prochaine fois je prendrai une femme qui ne pense pas. Tant de messages notés dans l'urgence, jetés après six semaines ; tant de commentaires enamourés de soi. Que faire de tous ces « bonheurs d'écriture” ? Repente pertruatur. Berdé moralister évencté - Sagolas de perso lamaltibus latinum popinae.

Seges actéôn sogastaque leniant. Adque praepotentem regere ligna sinant, dum molities inter aedes Paphlagoniam erithursentes. Latinum verum.

 

50 11 29

Comment peut-on ainsi passer toutesa vie au lit ?

50 11 30

« Ma mère a pissé au lit. Tout est détrempé : je dois tout nettoyer » : une telle épreuve me fut épargnée. Mais en la nourrissant de compote sur son lit de mort, recueillant sur ses lèvres les bavures et les redirigeant vers sa bouche, je me suis soudain

détourné pour pleurer, pensant à cette inversion des rôles, aux deux bouts de la vie.

50 12 01

Je marche (je suis une jeune femme) dans une ville coloniale munie de grands terrrains vagues. Je chante d'une voix très claire. Les hommes se tiennent à distance. Mon chant doit à la fois les charmer et les éloigner. Les paroles sont dans ma langue. Au moment où je traverse un long terrain vague au sol gris d'argile très fine, un rideau ou plutôt un store géant s'abaisse devant moi, m'emprisonnant. Cela devient l'intérieur d'une pièce. Un vieux monsieur corpulent et paisible s'assied près de moi sur un banc, une petite fille nous regarde d'un air de blâme ou de méfiance, je continue à chanter “Motchisvo” (“Liberté”). C'est un grand apaisement, il me semble que je peux avoir confiance en cet homme.

LES EFFROYABLES HEMORROÏDES D'OTTO WEININGER

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C O L L I G N O N

 

LES EFFROYABLES HÉMORROÏDES

 

D’ O T T O W E I N I N G E R

 

 

« Chef-d’œuvre d’inexactitude et de mauvais goût »

 

« ...dans le grouillant faisandage de la Vienne 1900, où se décompose le compost le plus putréfié de ce que la conscience européenne a généré de plus putride, s’épanouissent aussi bien les efflorescences les plus prestigieuses que les moisissures les plus pestilentielles : Adolf, Musil, Schnitzler, von Teleff. Or ce cadavre gonflé comme une outre devait également, tel le ventripotent Guillaume le Conquérant qui explosa dans son cercueil en un certain mois d’août 1075, inondant de sanie les assistants épouvantés – ensevelir l’Europe sous les débris de son Empire, en un non moins certain mois d’août 1914. Mais la pétarade la plus plate de cette charogne avant qu’elle n’explosât fut le coup de pistolet tiré dans cet immeuble de la Schwarzspanierstrasse le 13 octobre 1903 et dans le cœur du plus illustre (et du plus oublié) représentant de la faisanderie viennoise, OTTO WEININGER.

« Cette obscénité propulsa le brûlot le plus nauséabond de nos bibliothèque, loin devant Mein Kampf. Cela s’intitulait Au cul les bonnes femmes (Réf. ACLBF). Ce qui se joue à Bourignac avec JÉRÔME LADOUILLE, autant qu’avec OTTO à Vienne, c’est, mutatis mutandis (et non pas « mutate mutande »), cet instant précis, cet horrible instant où le bébé, en équilibre sur la planche à bascule, va dégringoler dans son bain, ou son bac à merde, et s’y engloutir : encore immobile, mais déjà son centre de gravité s’est imperceptiblement, irrévocablementdécalé. Or, la masse d’insanités entassées par Jérôme Ladouille en sli peu d’années d’existence n’a d’égale que le prodigieux fatrasde connaissances ingurgitées, à la même vitesse, par OTTO WEININGER.

D’où une bouleversante similitude de pensée :

« Les bonnes femmes, c’est toutes des truies quand a sont vieilles, et des limaces quand a sont jeunes. Les unes qu’a puent de la gueule, les autres qu’a puent du cul. Faudrait que tous ces trous y soyent bouchés », à rapprocher d’OTTO WEININGER :

« ...les femmes – tantôt des hyènes : les mères, tantôt des soit-disant chatons : les filles. Les unes sont laides, les aures portent des jupes serrées aux fesses. Est-ce que toi aussi cette partie dela femme ne te dégoûte pas ? La nature a incarné là l’impudicité même ».

(Lettre à Gerber du 17-08-1902)(Traduction Jacques Le Rider, Juriste). sexe,femme,sottise

 

ESPRIT DE NEMESIS TABLEAU D'ANNE JALEVSKI

(Nous ne possédons pour l’instant aucun document précis concernant la santé d’Otto Weininger ; en revanche, un certificat médical nous révèle fort opportunément, sur Jérôme L., ce qui suit :

« Au repos, 3cm ; en activité [sic] 5 1/2 cm. Testicules : Ø= 1cm ».

Loin de nous l’idée d’exploiter ce document à des fins démonstratives…

!

! !

 

...Voici le moment de prendre en compte, enfin, trop tard sans doute, les indignations de la lectrice (les hommes ne lisent plus : ils « étudient » (!!!) l’informatique) : « Pourquoi diable » (s’écrierait-elle) vous appesantissez-vous, fille de plombier juif ! sur ces deux personnages rebutants ? » (misogynie, antisémitisme, démangeaisons crurales) – sans oublier leur disparate : un bourgeois raffiné, un inculte parlant cul. Expliquons :

Par un sombre après-midi de janvier, égaré loin des bibliothécaires en blouse, j’ai découvert dans une crypte un couple de volumes étroitement maintenus par un ruban de tissu gras. Je les empruntai pour quelque temps (deux ans ne sont rien dans la vie d’un livre), et les ayant parcourus, puis lus attentivement, je fus saisie par les rapprochements de ces biographies : c’était en vérité un seul homme en deux formes : ou l’Ancien et le Nouveau Testament. C’étaient des correspondances d’oppositions si indissolublement suturées : aisance du premier, fausse aisance du second ; culture crasseuse de l’un, encyclopédique ignorance de l’autre ; entregent d’Otto, irrémédiable enfouissement de Jérôme. Pourtant, même délires, semblables haines, suicide précoce pour les deux (Weininger avec succès, sombrant dans le ridicule pour le sieur Ladouille). C’était au point qu’on pouvait légitimement se demander si le plus misérable n’avait pas délibérément décalqué dans sa vie obscure les félicités dont le plus avantagé fut comblé, sans toutefois parvenir à ces dernières, faute d’extraction…

« En relisant, je trouvai toutes les raisons de confirmer et d’affiner cette improbable théorie. Si improbable que cela puisse paraître, il semblait de plus en plus plausible que la biographie d’Otto Weininger fût tombée entre les mains de Jérôme Ladouille, que ce dernier l’eût déchiffré ou se la fût fait lire. Constatant alors leur folie commune, assaisonnée de coïncidences anecdotiques stupéfiantes, il avait résolu de poursuivre de son propre chef ce que le sort avait agencé jusqu’ici, allant même jusqu’à pressentir, du fond de sa boue, l’éventuelle réincarnation de Deux en Un.

« Ma voie se trouvait tracée : féministe, et femme, ce qui ne gâche rien, je me sentis le devoir de plonger, justement, au sein même de la misogynie, tel un vidangeur dans son scaphandre, afin de racheter ces mâles en inspirant à fond l’épaisseur de leurs miasmes. Pourquoi étions-nous tant haïes ? À quoi bon nous être époumonées à extirper de nous tout le bien-être de la féminité ? l’Ancienne et la Nouvelle Ève se retrouvaient de toute façon traînées dans la même ordure…

X

Des parents de Ladouille, père et mère, nulle autre mention que l’alcool, et pour le père, le Bordel, comme nous le verrons. Les gens de cette espèces ne laissent en tradition que des grommellements interchangeables dans l’obscur.

Nous nous dispenserons (pour les deux familles) des assommants préliminaires généalogo-gynécologiques prétendument éclaircissants dont nous abreuvent les universitaires du commun, ne nous faisant grâce d’aucun protêt devant notaire.

Les études de Ladouille (Jérôme) se bornèrent à leur plus simple expression. Otto en revanche, excella dans les matières littéraires : les maths et les sciences l’ennuyèrent copieusement.

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FIER-CLOPORTE LANGUES 2035 10 27

Une énorme fatigue.

Un vide somptueux.

Même s’il a rencontré Henri Serpe, même s’il l’a véhiculé. Un clochard, qu’il avait inventé, qu’il a réellement admis près de lui, siège avant. Plus, une promenade nocturne sur les remparts de Langres. Plateau envahi par la musique américaine. Une chambre d’hôtel modérément chauffée, parfaitement silencieuse. Puissant bien-être.

Un lointain codétenu lui envoie un étron dans une boîte. Interrogé à ce sujet, le coupable avoue : « Fier-Cloporte me faisait chier ». C’est ainsi que Jojdh rêve. Un jour viendra vers lui Jean Mille, sans domicile fixe, de Faye-l’Abbesse (Deux-Sèvres). Jojdh regardera par l’œilleton et s’abstiendra prudemment d’ouvrir la pore à son héros, seul contact extra-hôtelier de son voyage éclair.

Le silence à Langres pèse, le ventre grelotte. Les madeleines épaisses attendent dans leur sachet. Jojdh économise. Il ne se consolera jamais de s’être cassé la tête contre les murs de sa cellule – pourtant, quelle joyeuse excitation la veille de son départ ! il choisirait Grenoble cette fois, se posterait devant la porte de son ami perdu, contemplerait les filles de ce veuf, en séduirait une. Il serait confronté à son ami après vingt-huit ans d’absence ; quels titres dans les journaux !

Dans cette ville trois semaines auparavant des trombes d’eau s’étaient déversées. À Bagnols-sur-Cèze,le Gardon avait débordé. Jojdh avait téléphoné à son vieux maître en littérature : personne. Il imaginait les scènes les plus morbides, afin de s’y créer un rôle. Se sentant aussi stupide que la moyenne.

Il serait temps de se mettre à peindre afin d’avoir d’autres messages à se délivrer que ces informes grisailles : ainsi de ce coït entre hommes, entendu, supposé, derrière la cloison d’hôtel, accompagné d’un coït hétéro douloureux survenu dans sa chambre à lui. Un tel ressassement, loin de lui sembler essentiel, relevait désormais de l’obsession compulsionnelle, sans aucune utilité pour les humains.

Son imagination tournait au récitatif gris.

étrange, poète,rêveRETOUR 2035 10 28 2

 

Les agréments qu’on trouve à se perdre, entre Joinville et Montier. On tourne à gauche, à droite, et c’est simplement ravissant. Jojdh essaya de savoir de quel Joinville était l’historien.

« Deux marquises occupaient une chambre. La prison s’en trouvait transformée en château. « Elles dormaient en lits séparés : elles ne se fussent jamais commises à des attouchements plébéiens. «  Le domestique (Jojdh) s’était levé le premier, allumant les poêles. Il s’était fait propre, et même « douché. Le rasoir neuf avait glissé sur ses joues ; cette fois, il ne s’était pas entaillé.

«  Une croûte subsistait sur sa lèvre.

«  Les marquises dormaient toujours. Il les avertirait de son départ, après les avoir approvisionnées. »

 

Plus loin dans les campagnes, le silence faisait très fort penser aux temps d’avant 1970, quand l’espace restait immobile. Bien qu’il n’aimât personne alors – et pour longtemps ! - il appréciait ce fin glaçage de l’air, cette qualité noble et cassante de l’atmosphère, avec des relents de rhume dans les tympans. Il marcha sur la neige, imaginant la mort afin de respirer plus large.

Il s’était vu en Pesquidoux, parcourant à l’amble ses propres vignes, fusil brisé sous le bras. Il frapperait sur les ceps pour débusquer les lièvres, et les manouvriers salueraient, casquettes basses :

- Not’ Maître…

Trente novembre 1969.

Très loin.

Il marchait à présent par les champs de Haute-Marne.

 

 

 

 

 

 

 

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Peut-on parler de Textes libres… Sitôt écrits sitôt évanouis, dans la vaste bourrasque des pages errantes, tantôt ici et tantôt là. Reprises, perdues et retrouvées. Inclassables, inintitulables. Deux jeunes gens, au second étage de Vivaldia, se renvoient des boules de papier à grands coup de guitares en guise de raquettes. La clientèle survenant, ils rangent leurs deux manches de poêles à frire, se rajustent le col et vantent les mérites de leur musicale marchandise. Tels sont les textes, ballottés à ras de moquette par des vendeurs qui s’ennuient. Nous aimons errer dans ce grand magasin mal géré, à présent occupé de néant et de planches sur la grand-place où l’on coupe des chènes, afin d’y replanter d’opiniâtres platanes, qui fourniront de l’ombre dans trente ans.

Mon Dieu ! Je serai mort, au niveau de ces chiottes qui hantent les sous-sols, où se heurtaient dans les couloirs voûtés de briques blanches ceux qui cherchent fortune en se touchant le cul. Il y avait des relents de pains tranchés à l’urine, délavés et détrempés d’eaux rasantes, et les cuvettes portaient toutes ces sachets déodorants sous le rebord Jacob Sanitaires. On pissait en l’air, ou bien bas sur les mouches représentées par l’artiste, qui permettaient de viser sans plus penser à son âge précis. D’autres toilettes du Nouveau Monde montrent des femmes,Marilyn, Manson et autres, accoudées au-dessus de vos bites et contemplant leurs fragilités, attentives et sans désir, femmes et verges. Elles étaient bien habillées, décolletées comme des stars, puisque aussi bien leurs yeux étaient baissés, et qu’il n’y avait rien d’autre à voir dans cette direction.

Dans une boîte mexicaine, des femmes se déshabillent sur une planche qui pénètre au-dessus d’un public formé d’hommes, et lorsqu’elles ont fini, au poil près, c’est à l’homme qu’elles ont choisi qui revient de se déshabiller soi-même, à moins qu’elles n’y mettent la main dans un autre numéro, et lorsque l’homme est enserré, nu et fruste, par la plus plantureuse, il doit se tenir digne et contempler ses amis en face, restés sous lui au bas de la planche de show. Le journaliste qui m’avait décrit cela précisait dans son article qu’au moindre frémissement de queue, au moindre embarras, l’homme nu se faisait huer par ses congénères, tant il est vrai que la fiction du Beau procède du respect admiratif et non de l’appétence commune. Un jour Régine, chanteuse et plantureuse devenue, se fit obligeamment traiter par le Canard de « Plus grosse commune de France », ô chef-d’œuvre ! admiration de l’esprit déployé, cécité du réflexe

 

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offensé ! Plus tard, avec son fils, elle subit dans un avion privé les assauts grommelés autant qu’antisémites d’un pilote. Plainte encore, cette fois recevable. Mais qui est son fils ? Comment voler avec ce poids ? L’air est-il aussi solide que le ciment ? Quand cesse-t-on d’avoir peur ? L’écrivant vole d’insignifiance en frivolité dans le même bruit d’ailes que les Victoires sous l’Arc de Triomphe. Il s’effrite aussi sous le poids. Nous admirons de là le Virgin Megastore en son prototype, où déboulait le représentant du Bord de l’Eau, interpellant chacun dans sa vulgarité, Je ne vais pas me faire impressionner par ces ploucs, Nous avons été traités comme des marchands de pommes de terre, avaient relevé les gérants, alors que nous avons un staff d’estimateurs chargés d’évaluer les textes qui nous sont soumis. Je ne fus plus envoyé en mission.

 

Il suffisait de hausser le ton, d’afficher ses façons familières et sa désinvolture, et tout cédait à vos airs entendus. Comme on peut se tromper. Comme tout cède à la marque du jour de la naissance, et comme elle est indélébile, impossible à masquer ! Le sceau des plouqueries reste gravé profondément jusqu’au derme du bétail écarté. Nous ne serons jamais Régine ni Cordy (Annie), qui nous faisait tant rire.

 

VERANTWÖRTLICH 32 03 16

 

« Responsable ». « Qui doit répondre ». Sur le qui-vive. Qui m’a complimenté, fait honte ? Adepte je suis non du confucianisme, oui bien du confusionnisme : dès ma première volonté, l’engourdissement me gagne le cerveau, merde aux Sartriots disant : « Imagine tes ailes, et tu voleras ! » Veux-tu penser ? le sommeil te prendra.

Au culte du héros succède la fourmi.

 

Bientôt sera exalté celui qui trouve sa case sur le damier. Jamais je n’ai entendu la moindre discussion instructive. Ballotter d’un os de son crâne à l’autre. Qu’est-ce que le groupe ?

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Je ne suis responsable de rien.

Régression.

Choisissez donc, soit d’exalter l’enfance,

soit de la rabaisser !

S’il s’agit d’exalter la nature, exaltons le cadavre.

Je hais les « Enrichissez-vous ».

Jamais le tronc d’arbre ne devient crocodile.

 

LE GRECO 32 03 18

 

 

 

Si je pense, si j’affronte, je dors. Attention fragile.

Sachant qu’il y eut rupture. Que l’odeur m’a quitté, comme l’homme du Sud en Islande, relent de moût, de chocolat – lui en voouloir encore, de ces détours de temps perdu -fuis, vieux robinet, jusqu’au Greco, j’ai toujours préféré Zurbarán. Le Greco fällt mir nichts ein, ne me dit rien. L’homme tombé sera hissé sur le trône, qui n’est que du bois, du velours, des dorures. L’homme se laisse accaparer, un disque qui tourne et le voilà distrait, il capte tous les bruits, la volonté s’en va avant d’être venue.

Je ne peux plus lutter contre l’Enfant.

Tous ont choisi l’enfant.

Je compte les minutes et me lamente.

Greco ? … a trouvé la solution. Ne m’intéresse pas.

 

 

 

COLLIGNON PAGES LIBRES 6

JOUISSANCE ABSOLUE 32 02 23

 

 

 

Changement d’emploi du temps est jouissance absolue. Le condor tient Robert Grant en ses griffes, gen Himmel nach, et ton sourire au bord du verre : tous soufflaient dans le tube de verre pour imiter le lion de la Goldwyn Meyer.

Le Grec vient chaque nuit, moustaches tombantes, accablé. Il joue de l’orgue : assis, tête branlante, dox voûté, perplexe – son doigt lève une note comme un lièvre et le canon s’engage et les ogives tremblent et l’organiste se fait aveugle, tel est l’idéal constitutif de l’organisme : du même bois que les tirasses et geignant du fond des poumons.

 

 

 

PER TENEBRAS

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C O L L I G N O N

P E R    T E N E B R A S


Le jour même où j’entrais en maternité, ma mère fut admise à l’hôpital pour y mourir. Mon ventre se révolte encore, bien après l’étouffant juillet 31 – chacune aux deux bouts de Prague est en attente, nos lits sont du même métal blanc. Dans mon corps une piqûre a libéré l’irréversible mécanique des contractions, car tout délai redouble le danger. La mort, elle, peut attendre. Pour ma part j’ai choisi le jour et l’heure. « Elle est tombée du divan » dit Máslo« les yeux blancs, la langue tirée mordue, les joues violettes. Quand les infirmiers l’ont emportée, elle a tourné la tête vers les tentures et les fauteuils, je comprenais mal ce qu’elle disait, c’est la dernière foisje ne reviendrai plus ou bien ne mens pas. Quand on l’a chargée dans l’ambulance, le Dr Kraus m’a juré qu’il était inutile de l’accompagner ; elle avait perdu connaissance : « Pane Kališe,Monsieur Kališ, il faut s’attendre au pire ».

...Mes premières contractions se sont déclenchées à point. Avec mon frère nous avons répété les exercices d’accouchement sans douleur, mais la nature en avait décidé autrement. Du plus loin que nous nous souvenons, mon frère et moi - il s’appelle Bronislav, mais on lui dit Máslo, Beurre - notre mère avait désiré la mort. Cette fois c’est la bonne. Une semaine avant cela, Beurre m’avait téléphoné de nuit : «Maman a pleuré dans mes bras. Elle criait je vais mourir. Elle criait dans un mois je serai là-dessous enmontrant le sol je ne verrai pas mon petit-fils « elle s’agrippait à mes épaules » et Máslo disait ce n’est rien tout s’arrange mais rien n’y faisait. Elle s’est épuisée dans ses bras, il l’a reposée sur le lit.

Depuis quatre ans j’ai vu ma mère décliner dans sa maison neuve. Mes parents se sont saignés, payant comptant, refaisant le toit. Ils ont tout retapissé, acheté des voilages. Beurre (Máslo) mon frère est resté chez eux avec les meubles ; une maîtresse en ville, c’est tout – mes contractions reprennent ; c’est Beurre qui m’a pris par les bras pour la respiration « petit chien », et quand tout fut fini chez nous, carrelage, enfant, isolation, c’est mon mon père qui a disparu et je me suis enfuie jusqu’en Turquie. Mon frère est normal, il couche avec d’autres femmes et torche au sol l’incontinence de notre mère. J’évoque la vie de maman sans pitié, puisque je suis revenue la voir pour mes congés : « ...dépérir... » écrivait-elle, « baume au cœur », dans les petits mots glissés avec les courriers de mon frère.

Il me reprochait de manquer de chaleur, j’étais libérée des levers à dix heures trente-cinq, des traînements de pantoufles, des geignements et autres flatulences. Du jour au lendemain plus de pantoufles. Beurre avait résisté, opiniâtre, teigneux ; sa régulière habitait Žižkov, il lui menait la vie dure. Et moi, dès que j’ai vu la Turquie, je me suis mise à coucher avec n’importe qui et quoi, en femme normalement constituée : contraction, décollement ; contraction, décollement – puis plateau-pic, plateau-pic, une femme qui jouit, normale, quoi.

Le pire dans l’accouchement, c’est l’impossibilité de revenir en arrière, l’engrenage, l’usure – la matérialisation du temps – « mère à mon tour », et tout ce genre de rabâchage tandis que le ventre mastique sa boule. Maman épiait mes amours, espionnait mes odeurs de doigts au petit matin, il m’aura fallu la Turquie pour jeter ma vieille au Bosphore, c’était longtemps avant sa mort, tu fais ton mari cocu répétait ma mère et qu’est-ce que j’y pouvais, moi, si mon mari avait fait un gosse à l’autre – « putain » ? ...au point qu’avant de regagner ma pièce au premier, j’avais hurlé dans l’escalier que celui-là m’aimait,que nous irions « vivre très loin » - Křištof, m’aimer ?

Nous revenions du Maroc à Prague, Maman criait en pleine nuit, le cœur comme un pendule au bout d’un fil, mon père : « Ce n’est rien, ce sont les nerfs » - j’enfonçais ma tête en biais dans l’oreiller une bête pensais-je une bête a plus de dignité crevant de rage et de honte crève, crève donc elle était bien malade pour de bon – mais il est de ces basses planches de théâtre qui donnent à tout jamais le devoir, oui le devoir d’ôter à un mourant tout respect. Ma mère racontait ses rêves. Au petit-déjeuner. Toutes ses confidences par moi vécues comme autant d’agressions une jeune Tzigane a prédit dans mes rêves que je mourrai dans 7 ans – je suis née tard dans la vie de ma mère.

Les femmes de ma tribu se retiennent d’avoir des enfants.

Un malheureux de plus au monde.

Sept ans plus tard, ses règles s’arrêtèrent, les miennes apparurent.

Je ne pouvais pas savoir. Putain ! Putain ! Tels furent les derniers mots de ma mère. Derniers sursauts de vie. Jaillis du grabat. Quatre ans je l’ai vue décliner, sept et quatre onze, tard levée les premiers temps, tôt couchée, grognant, crachant, bavant, coups secs de savates vers les chiottes ou vers la cuisine, et Beurre, Frère Beurre, rancissait. Je ne souhaitais la mort qu’à vous seule. En moi poussait la vie, je voulais cet enfant, avoir une naissance à dire, ne retrouver à ma disposition que les mots de chacune – PADBOL. Hérisson c

Les infirmières sont très froides. En vérité elles ont vu trop de morts. C’est mon premier accouchement. Elles se foutent de ma peur. Je n’ai pas crié. Sarah ma fille, un caillot sur le cul. 19H15, Lion premier décan, épisio. Mon enfant n’a pas de père : « Tu aurais pu prévenir, que tu étais enceinte ! » Je n’ai pas eu confiance. Je ne veux pas non plus que Frère Beurre touche ma Sarah de ses mains gluantes. Il tenait mes épaules pourtant : « Serre mes bras, serre ! » On n’admet pas les pères en Tchécoslovaquie ni les frères, dans les blocs d’accouchement. Le seul homme qui reste, plus proche parent. Il ne savait quoi faire au début.

Moi non plus. J’ai exigé sa présence, sa tête jaune ébouriffée comme une motte ravagée par la baratte. Comment avais-je pu supporter ces lassants exercices de grossesse ! Les services de maternité ne les imposaient que trois courtes semaines avant l’accouchement ! Une femme au loin hurlait ; ses respirations n’avaient pas été machinalisées. Dès mon cinquième mois, Frère Beurre posait sa tête sur mon ventre. Il avait surnommé le fétus « Blouky ». Fille ou garçon. Frère Beurre nettoie les déchets de notre mère : vide les pots, éponge le parquet. Je n’ai jamais craint, ces derniers mois, que l’agonie de ma mère déteigne sur l’enfant.

Elle engueule son fils. Il lui est nécessaire. Il est là pour moi.

 

 

 






 

 

Pourquoi ont-ils tué Péguy ?

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C O L L I G N O N

 

POURQUOI ONT – ILS TUÉ

P É G U Y ?

deuxième édition (la première au Bord de l’Eau, 33 LORMONT

Je referais bien mon œuvre, en mieux, mais personne ne s'en apercevrait (Jules Renard ?)

 

 

Je ne veux pas qu'on me défende. Je n'ai pas besoin d'être défendu. Je ne suis accusé de rien.

“Je ne redoute rien tant que ceci : qu'on me défende.”

Charles Péguy, Notre Jeunesse

 

...Et cependant voici cent ans et plus que l'on défend, que l'on pourfend Péguy, tiré, tiraillé, annexé, à gauche, à droite, depuis sa vie, depuis sa mort le 5 septembre 1914 ; cent ans et plus qu'il s'enfonce à son sujet des portes ouvertes. La chose est entendue. Or les portes ouvertes sontcelles qui ont les plus solides chambranles. Défendons Péguy. Et attaquons Péguy ; pour la bonne mesure. Indéfendable. Trop de partisans prônent le seul Péguy saint, le Péguy de sacristie tout enfumé d'encens. Trop d'opposants évaporés font de lui le chaînon manquant de Maurras à Hitler. Carrément. Nous avons tous tué Péguy.

Péguy nous parle. Puis s'éloigne. Nous ne le comprenons plus – puis il nous revient, en pleine face. Je ne détiens pas de clef, je ne déroule ici aucun arcane ; au sein d'une immense clarté levons notre torche hasardeuse – superflue peut-être. Le monde s'effondre, Péguy brûle encore.

X

 

Préliminaire

Charles Péguy, poète, écrivain, catholique, socialiste, né en 1873, mort au Champ d'Honneur.

Mon père, instituteur de campagne, Hussard Noir de la République, mort athée dans son fauteuil un 26 août d'avant 2000.

 

Portrait 1

Dans un livre j'ai rencontré un jeune homme de quinze ans, qui [ne] me ressemblait [pas] comme un frère ; pâle, émacié, face large, intense, soupçonneuse ; des oreilles en anses de soupière, qu'il suffirait de saisir pour que la tête, lourde, hydrocéphale, déborde : celle de Charles P., livré à l’objectif en 1888, l'année du bon général Boulanger. La photo de l'adolescent montre ce regard lourd, mûr, aiguisé,devant qui l'adulte rend les armes et baisse la tête.

Sur un autre cliché, à 40 ans tout juste (manœuvres de 1913), le lieutenant Péguy, barbe rousse et jambes croisées face au soleil, pose sur une chaise – lui-même fils et petit-fils des rempailleuses d'Orléans, les quatre pieds au sol, à même la terre de France. Barbu, serein, austère et flamboyant sur son siège paillé, celui que ses hommes surnommaient le Pion.

 

Péguy, adulte, avait le teint si noir et les yeux si clairs que la petite fille de Jacques Copeau se pencha vers sa mère : "Maman, est-ce que c'est un charbonnier ?"

 

Portrait 2

Comment passe-t-on de sa tête de quinze ans à sa tête d'avant la mort. Grandes Manœuvres de 1913. Annulées 1914 "pour cause de guerre". De quelle manière peut-on inférer l'avenir - à partir d'un cliché. Comment le faciès batracien de Charles P. a-t-il pu se muer en ce masque héroïque fixé cette fois en 1909, bête traquée, fauve résolu, acculé à fond de terrier, dans un rencoignement de son bureau des "Cahiers de la Quinzaine" - passer de l'âge d'Adam (créé à l'âge de quinze ans) à celui de l'homme vieillissant (ils étaient vieux avant que d'être) "On est vieux ; ce qui est pire, on est vieilli”

Naguère, les enfants kidnappés (qui ne survivent statistiquement que quelques heures à leur rapt) bénéficiaient seuls de ces logiciels permettant d'évaluer leur bouleversement physique vraisemblable. A présent chacun de nous peut se transformer ad libitum ; suivre un jour à venir, un jour horrible de progrès, la progression de notre propre décomposition – de cunabula usque ad arcam, du berceau jusqu'au cercueil) - noter que la seule vérification infaillible, remonter de sa gueule d'aujourd'hui à sa frimousse d'enfant, n'est pas encore tout à fait au point). Différence essentielle, d'essence, entre Leconte de Lisle, “qui vieillissait vieillard”, et Hugo, “qui vieillissait vieux” - Charles P. de nos jours n'écrirait plus “l'homme de trente ans ce n'est pas seulement le premier vieillissement de la force, c'est l'inscription, la première conscription prise du vieillissement charnel de la mémoire”.

En bas de page : Dialogue de l'Histoire et de l'Âme charnelle Trente ans, c'est devenu l'adulescence. L'âge où l'on ne veut plus grandir ("A quarante ans, il adhéra au parti communiste des USA") - «  Quel âge a-t-il ? C'est la question que chacun se pose. Dès que l'on parle d'un autre, la première question qui vient, qui jaillit spontanément , c'est : quel âge a-t-il ?" Je suis cela ; peu à peu les ans me creuseront, me graveront les veines et les tempes.

Je n'ai jamais rien lu au front des vieillards. Peut-être se sont-ils seulement beaucoup ennuyés. Ma tête tournera comme une toupie sous la hache, comme ces viandes grecques autour des broches verticales, mes fanons se tendront, je tenterai de rattraper mes traits entre mes doigts!

Car ce que nous pardonnons, ce que nous passons le moins chez les autres, c'est la jeunesse.

X

 

Mes sources (Forschungsquellen) sont les textes mêmes de Péguy, aux vieilles éditions de la Pléiade. Et le “Lagarde et Michard” du XXe siècle, où Claudel et Péguy à eux seuls (édition 1962) font, occupent à eux seuls 79 (soixante dix-neuf) pages, respectivement 37 et 42). Céline : une seule page (“un auteur bien noir”), Artaud, pas même un nom - Lagarde et Michard donc n'ont pourtant pas manqué de flair, eux qui citent en dernière page Beckett, Ionesco (théâtre) ; Bataille et Blanchot (“théoriciens”) ; Robbe-Grillet, Sarraute, Butor (pour le roman) - le dernier texte est tiré d' Un Balcon en forêt de Gracq : “Peut-être qu'il n'y a plus rien ?”)

Péguy nous dit ce qu'obscurément nous attendions : que nul ne connaît les secrets de l'histoire, même littéraires ; que tous ceux qui ont cru déchiffrer ses obscurs panneaux se sont toujours lourdement trompés ; si grands que soient nos espoirs ou nos anathèmes, l'Histoire enfantera toujours plus d'imprévisibles mystères que nous n'aurions jamais su en imaginer. Il n'y a pas de sens de l'Histoire.

 

Péguy contre la prédestination

Péguy en effet se prononçait contre toute prédestination individuelle.

Ou bien tout repose sur le diviseur zéro, le diviseur absurde (car diviser par zéro n'est pas même zéro ; c'est proprement, mathématiquement, inconcevable). L'homme, en ce point d'intersection entre l'inexorable horizontale du plan temporel humain, et la verticale, couperet de Dieu –– tire de sa substance et de sa rage l'acte et la parole : et chacun, à l'instar du Maharal de Prague, façonne son propre nocturne Golem.

- ou bien Dieu a tellement aimé l'homme qu'il l'a créé libre - et dans cet espace de liberté et d'amour laissé par Dieu (posons Dieu comme “x) : l'homme ne s'en jettera pas moins dans le pari fou de la

vie et de la reproduction, sous le regard d'amour de la Lumière. Et d'un abîme à l'autre éternellement Péguy balance. Libre dans son espace autant que la fourmi dans son itinéraire entre les graviers que la botte ne parvient pas à écraser.

Un salut qui ne serait pas libre, qui ne serait pas, qui ne viendrait pas d’un homme libre ne nous dirait plus rien. Qu’est-ce que ce serait. Qu’est-ce que ça voudrait dire. Quel intérêt un tel salut présenterait-il.

 

Péguy ne fera baptiser aucun de ses fils : "Il faut se méfier des curés. Ils n'ont pas la foi, ou si peu.”.

 

 

Généalogie, ou retour à l’obscur

Toute généalogie est nécessairement, avant tout, cosmologie. Notre famille est en effet condition nécessaire de notre venue au monde, de notre création du monde.

Le père de Péguy, Désiré, communard, mourut quand il avait dix mois.

Toute cosmologie implique mythologie. Mais que tous ces morts (syndrome de Barrès) parleraient par notre bouche, exerceraient leurs droits sur nous, je n'y crois pas. Je ne saurais y croire. Je ne saurais descendre de toutes ces générations bornées, deux, puis quatre, puis seize, telles que les présente, exigeantes, tutélaires, Charles Péguy. Cadavre dans son placard : « le grand-père Jean-Louis, vigneron qui travaillait la terre (...) grand buveur, il roula sous un train à l’âge de quatre-vingt un ans, le 20 mai 1885, et son petit fils n’en parlait pas » (Simone Fraisse, Péguy, aux Écrivains de toujours, éditions du Seuil).

Comme les peuples légendaires, certains sont descendus des dieux, de nulle part. Ex nihilo. Péguy, non.

 

Péguy ; Barrès

Quand un homme comme M. Barrès va chez son éditeur, ils peuvent traiter, ils peuvent causer de puissance à puissance”. “Monsieur Barrès a fort bien noté plusieurs fois que le mouvement dreyfusiste fut un mouvement religieux”. Péguy admirait son classicisme. “La culpabilité de Dreyfus, je la déduis de sa race : celle de Judas”. Ça, c'est de Barrès. Malaise. Péguy fut soutenu par Maurice Barrès lorsqu'il s'est agi de décerner le prix inaugural de l'Académie Française. Fausse note ?... L'antisémitisme avant et après Auschwitz : ce n'est pas le même. “Auschwitz”, disait Bernanos, “a déshonoré l'antisémitisme” - ah bon ? Ces reproches que l'on faisait à Péguy, vers la fin de sa vie, de ne plus fréquenter que des juifs. De s'enjuiver. Bon nombre des abonnés aux Cahiers de la Quinzaine étaient des juifs. Des juifs pauvres. Méprisés par les juifs riches.

Maurras [1868/1952] – Bernanos (suite) [1888/1948])

“Quand je trouve dans l'Action française, dans Maurras, des raisonnements, des logiques d'une rigueur implacable (...) comme quoi la royauté vaut mieux que la république (...) j'avoue que si je voulais parler grossièrement je dirais que ça ne prend pas.” Et même si Charles P. avoue, quelques lignes plus bas, que l'expression “mourir pour le roi” lui “dit quelque chose”, “alors j'écoute, alors j'entends, alors je m'arrête, alors je suis saisi”, l'allusion se conclut par ces mots de Michel Arnaud, beau-frère de Gide : “Tout cela c'est très bien parce qu'ils ne sont qu'une menace imprécise et théorique. Mais le jour où ils deviendraient une menace réelle [les royalistes] verraient ce que nous sommes encore capables de faire pour la République”.

Dans“L'Argent” nous lisons : (“Le dernier ouvrier de ce temps-là était un homme de l'ancienne France”) et aujourd'hui, dit Péguy, le plus insupportable des disciples de M. Maurras n'est pas pour un atome un homme de l'ancienne France”. Péguy, représentant (de) la "Vieille France" au même titre qu'un Chevalier des Touches (“[Charles], celui qui a été élevé à Orléans entre 1873 et 1883 a véritablement touché ce qu'était la vieille France d'autrefois”) - Péguy n'a pas opté pour le royalisme mais pour la République. C'est un seul et même héritage de la vieille et vraie France. La même droiture. La même loyauté. La même vertu. De Vercingétorix à saint Louis, à sainte Jeanne d'Arc.

À Robespierre même ("durée" bergsonienne : nous sommes à la fois notre passé, notre présent, notre avenir ; c'est pourquoi il serait illusoire, et nuisible, de nous renier en quoi que ce soit). Péguy quant à lui n'a jamais voté. Louis Barthou prétendra même qu'il n'était pas un assez ferme républicain. Voyez où va l'égarement : certains se sont même plus tard sentis si farouchement républicains qu'ils ont voulu retremper, entre celtes, les ailes du coq gaulois dans le sang du dragon germanique, celui qui rend Siegfried invulnérable. Bernanos, en revanche, ne collabora jamais. Péguy lui servit de modèle. (L'auteur de Nous autres Français (il “s'efforce de se garder à droite et

à gauche”, Encyclopédie Larousse) s'en fut élever des vaches au Brésil - il n'y a pas de sot métier.

Mais l'aîné des Péguy, Marcel, resta, jusqu'à sa propre mort en 1972, antisémite et raciste.

 

Prémisses d' une bibliothèque idéale

Péguy lisait peu.

- les Évangiles (...qu'est-ce que ce dieu – qui ne sut ni danser, ni rire ? - Homère, Sophocle - mais Eschyle ! ("je ne parle naturellement pas de ce méprisable Euripide" - seule référence à ce dernier dans toute l'œuvre de Péguy)"tandis que nous ne sommes que de pauvres modernes", (Onzième Cahier de la huitième série) ; Corneille, il l'attire, il l'annexe à la sainteté ; talibanisme à notre sens que ce fracassage de statues perpétré par Polyeucte ; Hugo (Victor-Marie, Comte Hugo) dont le voisin de Péguy Louis Boitier lui récitait Les Châtiments - Descartes, aussi absurde qu'une démonstration mathématique - "Je pense, donc je suis” - (“quelque chose pense, passe à travers moi”, donc je suis - admirable contradiction voire aporie) - Descartes qui n'a jamais suivi sa Méthode... Pascal encore, et Georges Sorel, et Bergson - cela s'appelle, du beau nom puisé dans l' Illustration de la langue française (Joachim Du Bellay) - l' “innutrition”.

Peu d'autres. Pratiquement pas de contemporains. Vous voyez bien qu'on peut s'en passer. De la lecture.

 

Quelques repères temporels

Huysmans :

conversion, 1895, En route

1898, la Cathédrale

1906, Les Foules de Lourdes.

Mort en 1907

Claudel : né en 1868. Croyant qu'il avait du génie, et sa sœur du talent, quand c'était le contraire. Qualifié de grosse vache biblique par Mme Airelle Lemarié, professeur de faculté.

1889, Tête d'or

1892, La Jeune fille Violaine

1893, L'Echange

1905, le Potage de Midi (c'est exprès)

1900-1908 : les Cinq Grandes Odes ("Le soleil, ce flambeau occulte / Qui éclaire toutes choses par-derrière")

Jamais Huysmans oblat de Solesmes, jamais Paul Claudel ne figurent à l'index nominum des deux volumes de prose publiés à la Pléiade en 1957. Nous ne possédons pas l'édition plus récente. Péguy ne mentionne Claudel nulle part. Mais il surveille ses productions Le P. de Lubac dit : "La lecture de Claudel m'exaltait et me fatiguait ; celle de Péguy, même en ses polémiques les plus fumeuses, me reposait toujours."

1909 L'Otage, qui souleva la répulsion de Péguy : ainsi donc, c'était cela, le catholicisme qui plaisait, le catholicisme qui “avait du succès” ? ...qui “marchait” (auprès du public), qui “fonctionnait” ? "L’Otage de Claudel est trop Action Française (...) Ça ne vaut rien, c’est de la politique" lui fait dire Garutti. Alors que la Jeanne d'Arc de Péguy n'avait pu obtenir le Prix de l'Académie...

...1914 le Pain dur, 1916 Le Père humilié

1912 : l'Annonce faite à Marie

1923/24, le Soulier de Satan (bon j'arrête).

(...Bernanos, 1888-1948. Henri Jammes, 1868-1938...)

 

Laissons à d'autres le soin de déterminer quelles forces obscures, ou appels de la Grâce, ont pu susciter chez ces auteurs catholiques leurs inspirations : mais le fait demeure que le Péguy du Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc (1897) et le Joris-Karl Huysmans d' En Route (1895) n'ont jamais éprouvé le moinsre besoin, la plus minime démangeaison, de confronter le parallélisme de leurs itinéraires spirituels, malgré la cathédrale de Chartres. Rien non plus du côté de Léon Bloy, ou d'Ernest Hello. Cependant huit lettres de Claudel à Péguy ont été retrouvées. Claudel défend la Catholique, Apostolique et Romaine, Péguy ne fait pas baptiser ses enfants. Claudel fustige le philosémitisme de Péguy : il a vu "dans tous les pays du monde" l'action de la juiverie."


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C O L L I G N O N

 

 

R E T O U R   A

 

 

FRAMBOURG

 

Tous mes chapitres portent des numéros de rois

All my chapters are numbered kings

 

 

CHAPTER THE FIRST

 

J’écris par erreur et par obstination

 

Description

Trottoir cannelé sur caniveau sale. Une pantoufle en surplomb : placide, Ripa, à trois pas de sa porte, un chat gris sur l’épaule. Une ville en forme de cœur serrée sur l’éperon Planèze. En bas le Lander sous-affluent du Lot, qui déborda l’an passé. Une sous-préfecture du Massif Central, sept mille habitants, quatre écrivains. La vie s’effondre comme un fleuve, tout contre nous, obstinés, têtes basses.

 

Identité

Ripa, la Rive. Il se débarrasse des prospectus : « La Course aux Ânes », « Flambourg dynamique, Bal Mousse au Naïte »- je ne veux pas queça vive.

 

Température. Date

6 degrés. Dix avril 2002. 900 mètres d’altitude.

 

cantal,plateau,ventDescription (le personnage)

Un nez, dont le bord inférieur (de profil) évoque la courbe d’un canif ou ganivet a écaler les noix. C’est emmerdant les descriptions. Toutes les filles me l’ont dit. Elles qui passent bien vingt minutes par jour à se branler ne vont tout de même pas en perdre dix à lire une description.

 

Âge – Domicile

53 ans. A toujours habité mettons rue St-Jean, n° 43, Flambourg, quartier Banclou, sur le plateau. À Banclou, pas de conflit. Juste une petite envie d’assassiner sa tante, quatre-vingt six ans, sur son lit. Tous félicitent Ripa de son dévouement, il ne lui reste qu’elle, grabataire, exigeant des soins constants ; il a obtenu de l’hôpital Montieux (Fermons-l’Écran) un lit médicalisé qui se monte, s’abaisse, s’incline, comme chez Nègre, le dentiste. Ripa aime bien sa tante : rien que du matériel de pro. Il compte bien qu’elle durera le plus de temps possible (indépendamment de sa pension, qui passe toute en soins) ; il ne chauffe que la pièce, à gauche, où elle végète, avec le feu dans l’âtre – et comme il a bien refermé dans son dos, le voici qui prend l’air, en pantoufles, sur le pas de sa porte.

 

Menus

Ses menus ne varient pas. Longtemps, un employé apporta de petits repas tout cuits. À soulever successivement les couvercles, l’odeur s’élevait, délectable :  « On en a bien assez pour deux. » Le plateau vide était repris le soir, sans corvée de vaisselle. Mais Ripa s’est vexé. Il a fini par refuser « la charité ». Il s’est mis à la cuisine. La tante en sera peut-être bien morte (adhérences intestinales ? ...ravioli à tous les repas.

 

CHAPTER THE SECOND

 

Organisation

Ripa se paye une infirmière à mi-temps, à mi-coût avec les Services Sociaux. Il ne pourrait se passer de Firmine, quand on soulève la tante paralysée, qu’on la repose sur sa couche bien propre. 

 

Culture

La Maison de la Presse est sise au coin de la rue du Gu, entre deux murs en angle et trois tourniquets de cartes. Le proprio, c’est Servandeau. Ripa fait son entrée, son chat sur l’épaule : pur bâtard qui crache, noir et blanc à longs poils, Louksor. « La Montagne ! - Un euro 10. Qu’est-ce que c’est ? - Un autre chat, pour remplacer celui d’avant. Perdu à Pampelune, coursé par un chien fé-roce. Foutu pour foutu, il a préféré sauter par-dessus le mur de terrasse dans les branches d’arbres, en contrebas. Je ne l’ai jamais revu. »

Ici tout le monde se connaît.

Le chien de Servandeau se redresse en gueulant : pas le même fumet. Servandeau tend le journal et rend la monnaie.

 

Description, II

 

Julien Servandeau : grand, mou, 56 ans, lunettes "Haphine-Monture"made in Clermont. De celles qui vous renvoient,, sur du tain blanc, votre propre image :

insupportable. Sa femme Greta, petite rousse et maniaque, se précipite pour vous rajuster sous le nez, dans l’étalage la revue que vous venez de feuilletere.

 

Vie privée

Les Servandeau habitent sur place, un petit réduit avec canapé, réchaud. La maison de campagne est loin. Ils ont fait venir une table, un buffet bas. La nuit, Servandeau pose son bijou de poitrine en argent (le bijou) sur le dessus du buffet couvert de linoléum. Le lit n'a pas de pieds. Il est à même le sol, dans une pièce sans fenêtre.

 

CHAPTER THE THIRD

 

 

Servandeau at work

Servandeau travaille dur. Les journaux sont reçus à sept heures. Il les place en rayons, les pose à l’endroit s’il y pense. La boutique ferme à 7heures. « Me voilà en retraite » dit-il. « Ça me laisse plus de temps pour visiter ma tombe. » La dalle porte son nom, né le tant, tiret d'attente - et l'épitaphe, plagiée sur un tombeau de Quinsac : HOMME DE LETTRES. A cent francs la lettre; 1400F ("plus de deux cents-z-euros" (il fait la liaison) "en monnaie d'Occupation"(sic). Des contes moraux de Servandeau paraissent dans Feuilles d'Auvergne. Mais il n'a garde d'abandonner son comptoir. Il reçoit le client, lui vend, le remercie : "On ne prend jamais sa retraite", dit-il, "dans le commerce".

 

Dessin, lecture

Derrière son comptoir, aux heures creuses, il dessine des tombes. "Désir d'indépendance" disent les pédopsy. Mais à cinquante-six ans ? Ripa cependant, sortant de sa chambre-hôpital, achète sa Montagne. SERVANDEAU s'est plongé dans un "Poche".

RIPA

Fais voir ?

SERVANDEAU, présentant la couverture :

Ernst Jünger.

"C'est bien", pense Ripa ("...pour un marchand de journeaux").

Le lendemain, Servandeau lit un autre livre. Mais il se dérobe : "C'est sans importance" - il ferait beauvoir qu'un Ripa contrôlat ses lectures ! Servandeau collectionne aussi les grands titres de journaux : "Coup de grisou en Chine", "Tsunami en Indonésie", "Ecrasé sous son tracteur retourné". Il colle ces manchettes dans un classeur.

Sur un carnet à part il note les Prophéties de Nostradamus ; beaucoup servent plusieurs fois. Servandeau et Ripa se connaissent depuis quinze ans. Ils haussent les épaules l'un de l'autre.

 

CHAPTER THE FOURTH

 

 

La Toile

Flambourg a trois Cybercafés, en sursis : chacun s'équipe, ici comme ailleurs. Serrvandeau choisit le plus sombre. Au fond d'un boyau garni de "moniteurs" gris (en français : screenplays) officient deux prêtresses géantes, suceuses des indigents de la com' . La première a des lunettes d'écaille, la tête à droite, elle apprend le mandarin. La seconde, tifs queue-de-vache et menton galoché : de la présence, du piquant. Servandeau découvre tout. Courriel l'enthousiasme. Restons français. Des Françaises en interface, des Belges, des Comoriennes : "Relations discrètes - Race indifférente".

 

The girls

Servandeau truque sa date de naissance. Pas de photo non plus - no webcam. Sa femme Greta, née Gus, jalouse et maniaque (celle qui replace les journaux) - avare ! p as prête d'investir dans l 'achat d'un P.C. (Portable Computer). Servandeau va au cyber comme on va au bordel. Il dit : "Rupture de ramettes A4 ! je fais une virée à Fermont.

- Passe donc ta commande par téléphone, comme tout le monde !"

Elle croit les prêtresses du Cyber-Point [saïbeur-poïnnt] incorruptibles : impardonnable... Servandeau se les tape dans l'arrière-boutique. "Autre chose que les parlotes sur la Toile."

 

CHAPTER THE FIFTH

Coquart and C°

Ripa s'est organisé un roulement d'aides-soignantes. Ça permet de sortir avec Coquart, que je sais même plus qui c’est. Coquart, ex-notaire, pousse des bordées de jurons tout bas : « Quarante ans que je me suis retenu. Je vais me gêner ». Coquart est tout petit, tout jaune, comme Feu Mitt’rand. Il n’est ni prêtre défroqué, ni fils de prêtre (des bruits courent ; les mêmes que sur Baudelaire ; Coquart tient des fiches sur tous les bruits qui courent).

Il habite une magnifique maison place Ste-Ischrine avec de splendides caissons de plafond, qu’on regarde en contre-plongée de l’extérieur, par les fenêtres.

 

Distraction

Promenade avec Ripa place des Brilles, face à l’Institut Selvat. Ils s’assoient tous les deux sur le banc, tous journaux dépliés (La Montagne, Le Centre, La Pinachval) devant les yeux, matant les filles à travers les trous. Des journaux. Ils se relèvent en craquant des genoux, replient leurs envoilures en grognant contre les culs-bénits. Chez Coquart ils boivent de bons coups de Floch de Gasc, Me Coquart jure. La place des Brilles donne en terrasse, vers l’est, sur le ravin de Serres-Salles aux flancs couverts d’arbres et de prés. Tout au fond c’est la Maronne, affluent de la Cèze. À l’horizon, le Cantal qui s’étage, mauve, pourpre, poulpe.

Par temps de neige tout étudiant transgenre serait transporté, pas la peine de rester perclus sous La Montagne en bandant vaguement. J’sommes ben d’accord dit le notaire.

Autres distractions

Ce n’est pas ce qui manque. Ni ce qui abonde. Ex-Maître Coquart, de mèche avec « Jean-Claude Auxbois, Biens et Propriétés », se fait confier des trousseaux de clés. Bien des vieux crèvent, dont les enfants ne se dérangent même pas pour l’héritage : « Trop de frais, trop de réfections ! » Alors Coquart et son con plisse, nuitamment, s’introduisent comme des gueux dans les demeures branlantes : « Un pays qui crève ! - Eh ben tant mieux !  - Je quitterais bien ma vieille tante ! dit Ripa. « Achève-là ! » jure Coquart. Passant devant l’agence Auxbois, Ripa salive devant ce qu’on vend, et les prix hors de prix, émoluments compris : « Tout croule dedans bordel » avertit le notaire, déchargé de son devoir de réserve.

Ex-Me Coquartne sous-prête pas ses clés. De nuit les fentes des volets tracent des raies sur les parquets, les murs vides résonnent, Ripa se sent chez soi. Il ne se confie pas au marchands de journaux (Le Centre, Bitachval), Marcel Servandeau : ce dernier préfère les tombes, à chacun ses manies ! Les retraités occupent à présent la place et l’emploi des princes et princesses de jadis, qui avaient tout loisir de vivre des tragédies d’amour. « Je ne veux rien savoir des jeunes de Frambourg » dit Ripa. Les visites clandestines se prolongent. Les lattes de parquet craquent. « Et le chat sur l’épaule ? » Il ne bronche pas.

Son nom est « Kraków », prononcez « -kouf » à la polonaise : « Cracovie ».

Un gros chat gris à longs poils, avec de grands yeux dorés.

 

Dernière distraction, « la plus nulle mais pas la dernière », least but non last

Ripa, dans les appartements déserts, joue à l’aveugle, déambulant de long en large, Kraków sur l’épaule. Le maître du chat repère le notaire à sa résistance magnétique, à la crispation des griffes sur l’épaule : »Si je me crevais les yeux, cela m’avantagerait ». À dix ans il lisait Contes et légendes tirés de l’Antiquité classique : « Je serais » dit-il, « aveuglé comme Œdipe » - il prononce « é- », comme il convient (ésophage, fétus, Édipe ; écuménisme, énologue.

 

CHAPTER THE SIXTH

 

Dévotions

Servandeau fait ses dévotions ; lui l’athée, à Ste-Istrine-Bas-de-Pente,il s’agenouille et il croit croire. Une église « Napoléon III », aux vitraux laids, pour prier les yeux clos. À genoux bras en croix sans voir ni être vu dans l’absidiole, pas même du curé qui joue au foot à St-Bastien avec les minimes. Ou à plat ventre sur le pavé. L’inconvénient est de ne pas savoir où tourner la tête, car, sur le bout du nez, c’est intenable : à droite comme à gauche on attrape des crampes, sans pouvoir jouir de son sentiment de déréliction (« sentiment d’abandon, de privation de tout secours »). Il faudrait un bourrelet de tête, qui laissât sur le devant un espace pour l’appendice nasal, qu’il porte long et bourguignon. ; s’il était vu ne fût-ce qu’une fois par Servandeau, adieu vente de journaux. Mais où qu’il soit, fût-ce au comptoir, Servandeau récite trois Je vous salue aux trois angélus, matin, midi et soir, trois fois trois coups suivis d’une courte volée de cloches enregistrées ; l’angélus fut institué l’an quatorze cent soixante-et-un par le bon roi Louis XI, classé parmi les Pères de l’Église à la Bibliothèque monacale de Belloc (Pyrénées-Atlantiques).

 

Autres superstitions

À Nuestra Señora del Pilar de Zaragoza, le notaire en veston, l’avocat, touchent au matin l’énorme clou sanglant des pieds du Christ et se signent, la bouche, le front, pour dès l’aurore être inspiré de Dieu. À la Basilique de St-Antoine à Padoue, les fidèles font des vœux, priants et tête basse, la main plaquée de toute la paume sur la paroi tombale du saint. Servandeau se rend Pont du Drer où pendent au-dessus de l’eau les poivrières. C’est là qu’en treize-cent soixante s’enclosaient les pénitentes, juste nourries par un jour-de- souffrance, pissant eT pourrissant sur place pour expier les péchés du monde. Servandeau fasciné s’accoude au parapet, regardant sous ses pieds filer l’affluent païen, tandis que « nos curés jouent au foot et répètent « Dieu veut que nous soyons heureux ».

Le terrible secret de Dominique Paziols

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À Saint-Rupt vit un fou. Il surgit carabine en main. Il s’appelle Dominique PAZIOLS, tue sa mère, son frère et ses sœurs. Emprisonné à vie, il étudie Kant et Marivaux. Évadé, il gagne une ville comme B*** , port de mer où chacun combat pour sa vie, où les maisons tombent sous les tirs d’obus, où l’on se tue de rue à rue. Dans cette ville de MOTCHÉ (Moyen Orient) – Georgesou Sayidi Jourji, fils de prince-président, cherche tout seul dans son palais six ou sept hommes chargés de négocier la paix. À ce moment des coups retentissent contre sa porte, une voix crie Ne laisse plus tuer ton peuple, celui qui frappait détale au coin d’une rue, le coin de rue s’écroule.

Ainsi commence l’histoire, Jourji heurteà son tourchez son père (porte en face) Kréüz ! Kréüz ! ouvre-moi ! et le vieux père claque son vole sur le mur en criant« Je descends ! prends garde à toi ! » Les obus tombent « Où veux-tu donc aller mon fils ? - Droit devant – Il est interdit de vourir en ligne droite ! » Ils courent. Lorsque Troie fut incendiée, le Prince Énée chargea sur son épaule non sa femme mais son père, Anchise ; son épouse Créuse périt dans les flammes – erepta Creusa /Substitit. Georges saisit son père sur son dos ; bravant la peur il le transporta d’entre les murs flambants de sa maison.

Ce fut ainsi l’un portant l’autre qu’ils entrèrent à l’Hôpital. « Mon père » dit le fils « reprenons le combat politique. Sous le napalm, ressuscitons les gens de bien. Il est temps qu’à la fin tu voies de quoi je suis capable ». Hélas pensait-il voici que j‘abandonne mon Palais, ses lambris, ses plafonds antisismiques, l’impluvium antique avec ses poissons. Plus mes trois cousines que je doigtais à l’improviste. Les soldats de l’An Mil se sont emparés du palais ou ne tarderont plus à le faire et ceux du Feu nous ont encerclés même les dépendances ne sont pas à l’abri puis il se dit si mon père est sous ma dépendance IL montrera sa naïveté de vieillard -

 

X

 

Georges avait aussi son propre fils.Coincé entre deux générations.

Le fils de Georges sème le trouble au quartier de la Jabékaa. Il s’obstine à manier le bazooka.« Va retrouver ton fils ! - Mon père, je ne l’ai jamais vu ! ...J’ai abandonné sa mère, une ouvrière, indigne du Palais – cueilleuse d’olives – Père, est-ce toi qui a déclenché cette guerre ?… s’il est vrai que mon propre fils massacre les civils, je le tuerai de mes mains. À l’arme blanche. »

X

Les bombes ne tombent pas à toute heure. Certains quartiers demeurent tranquilles pendant des mois. Leurs habitants peuvent s’enfuir ; la frontière nord, en particulier, reste miraculeusement calme. Gagner le pays de Bastir ! ...Le port de Tâf, cerné de roses ! ...pas plus de trente kilomètres… Georges quitte son vieux père. Voici ce qu’il pense :  « Au pays de Motché, je ne peux plus haranguer la foule : tous ne pensent qu’à se battre. En temps voulu, je dirai au peuple : voici mon fils unique, je l’ai désarmé ; je vous le livre. » Il pense que son père, Kréüz, sur son lit, présente une tête de dogue : avec de gros yeux larmoyants. Puis, à mi-voix : « Si mon père était valide, je glisserais comme une anguille entre les chefs de factions; je déjouerais tous les pièges. « Avant même de sortir du Palais, Kréüz s’essuyait les pieds, pour ne rien emporter au dehors ». Le Palais s’étend tout en longueur. Des pièces en enfilade, chacune possédant trois portes : deux pour les chambres contiguës, la troisième sur le long couloir qui les dessert toutes. Chacune a deux fenêtres, deux yeus étroits juste sous le plafond. Georges évite les femmes : il prend le corridor, coupé lui aussi de portes à intervalles réguliers, afin de rompre la perspective. Au bout de cette galerie s’ouvre une salle d’accueil, très claire, puis tout reprend vers le nord-ouest, à angle droit : le Palais affecte la forme d’un grand L. Le saillant ainsi formé défend la construction contre les fantassins – grâce à Dieu, nulle faction n’est assez riche pour se procurer des avions ; cependant chaque terrasse comporte une coupole pivotante. « Dans les tribus sableuses d’alentour, nous sommes considérés avec méfiance : attaquer le Palais, s’y réfugier ? ...nous n’avons rien à piller - personne ne découvrira les cryptes – et mon père, Kréüz, a fait évacuer presque toutes les femmes…

3Je reviendrai, ajoute Georges, quand l’eau courante sera purgée de tout son sable... » - ou bien : « ...quand les brèches seront colmatées. »

 

X

 

À Motché, attaques et contre-attaques se succèdent sans répit. Il faudrait réimprimer un plan de ville par jour. Georges peine à retrouver son propre fils : « Ma mission prend une tournure confuse ; Kréüz m’a dit tu n’as rien à perdre – je ne suis pas de cet avis. » Georges consulte les Tables de Symboles : cheval, chien, croix ; la Baleine, le quatre, le cinq ; le Chandelier, le cercle et le serpent.Il me faut un cheval, pense Georges, pour porter les nouvelles et proclamer les victoires. Pour fuir. Pour libérer. Fuir et libérer". Georges lance les dés : "Voici les parties de mon corps qu'il me faut sacrifier : la Tête, Moulay Slimane, Gouverneur du pays, assiégé dans son palais ("Ksar es Soukh" dont le nôtre est la fidèle réplique ; pourtant cet homme ne règne que sur quatre (4) rues) ; le Bras : Kaleb Yahcine, qui tient l'Est (le désarmer, ou l'utiliser à son insu) ; la Main, qui désigne ou donne : El Ahrid.

"Le Sexe ou Jeanne la Chrétienne, enclavée de Baroud à Julieh ; elle ne rendra pas les armes si je ne la séduis. Le Coeur battra pour Hécirah, forte de son peuple opprimé : chacun de ses héros se coud un coeur sur ses guenilles. Tous portent le treillis, et souffrent de la faim (position : le Sud) ; l'Oeil est celui d'Ishmoun, c'est à lui qu'il en faut référer ; quand à ma Langue enfin, puisse-t-elle peler de tant d'éloquence".

 

***

 

Je suis ressorti du Palais déserté.J'ai rencontré une femme qui montait de la ville, trois hommes dans son dos lui coupant la retraite. Elle s'appelle Abinaya, belle et rebelle, sous son voile rouge. "Quelles sont tes intentions ?" me dit-elle. "Ne libère pas ces chiens". Je garde le silence. Croit-elle que j'agisse de mon propre chef ? "Pour descendre en ville sans risquer ta vie - fais le détour par Achrati, au large du Moullin d'Haut - et tu parviendras au dos du cimetière ; là est le centre, Allah te garde". Je n'ai rien à foutre d'Allah, je ne reverrai plus cette femme, Abinaya est la clef ; quand je l'aurai tournée, je ne m'en souviendrai plus.

Elle examine mon plan de ville : "Trop vieux. Ce sentier a été goudronné. Ce bâtiment : démoli, telle avenue percée. Ce sens unique inversé, ce nom de rue modifié. Les Intègres occupent le Centre, en étoile. Ici le dépôt de munition ; contre le fleuve une base Chirès et trois sous-marins. Prends garde couvre-feu des Anglais. Sous les arcades ici chaque jour distribution de vivres et de cartouches. Evite les ponts. Repère les points tant et tant - depuis combien de temps n'es-tu plus sorti du Palais ?" J'ai mis mon père en sûreté. Je ne sais plus par où commencer.

Elle effleure ma joue de ses lèvres - je sais ce qu'il en est des femmes - je ne bouge pas - l'un de ses hommes (de ses gardiens ?) n'a rien perdu de nos paroles - de son treillis il tire un jeu de trots. Il me propose une partie - "je n'accorde pas de revanche" dit-il. La partie s'engage en plein air, sur une pierre. Abinaya fait trois plis. Les autres gardes s'amusent, sans lâcher leurs armes. Fou, Papesse et Mort. "La papesse" dit l'homme "détient tous les secrets ; ton père renaîtra. Qui peut entrer vivant dans la ville, ajoute-t-il, et en ressortir inchangé ?" La partie est terminée. Nous nous levons, descendant ou redescendant le sentier rocailleux vers Motché.

Mon partenaire au jeu déroule son voile de tête : il semble détraqué, agite sa Kalachnikov et rejette les pans de son hadouk. Je le reconnais : nous étions ensemble à Damas, à la section psychiatrique de Sri Hamri, "le Rouge" ; ce dernier avait em^prunté aux Occidentaux (qui le tenaient d'Égypte) le concept de "soignés-soignants". Qui était fou ? qui ne l’était pas ? c’était indiscernable.

Moi, je l’étais. Qui peut dire au jour de sa mort « Mes mains sont pures » ? « Dans les Trois Pavillons de Damas » me ditil « on mélange tous les hommes, fous et sains d’esprit, comme autrefois. » Il rit en agitant son arme : les fous entendaient des voix, chantaient des litanies, expulsaient le Chéïtann (SATAN !) qui rejaillissait, inoffensif, sur toute l’assistance. J’ai dit : « Zoubeïd, je n’étais pas un infirmier sérieux. La famille de mon père m’avait placé d’office, parce que je tirais sur les chèvres. Et jamais je n’ai cru au Chéïtan, même quand je bêlais comme les bêtes. Chacun de nous est fou, et n’est pas fou. Sage... » - Abinaya, qui descend le sentier devant nous, se retourne. La voie devient une ravine aux cailloux instables. Les premières maisons nous dominent comme une muraille, dont les fenêtres sont autant de meurtrières. L’odeur des égouts sort du sol. Un garde voilé, plus bas que nous sur la pente, porte à son oreille un récepteur noir dont il déploie l’antenne :

Liban,milices,chrétien

« À Vauxrupt dans les Vosges, sans motif politique, un Français, Dominique Paziols, a tué au fusil de chasse quatorze personnes du même village. Il a commencé par son père, le blessant deux fois au cou, sans pouvoir l’abattre... » - Le salaud ! » Je crie le salaud par réflexe. Le garde voilé se retourne en riant, d’abord, parce que sans y prendre garde il a branché le haut-parleur, ce qui aurait pu provoquer une catastrophe, ensuite parce qu’il ne comprend pas comment une telle information a pu s’égarer sur son canal. « Les Vosges », « Vauxrupt », ces noms ne représentent rien « ...puis il a descendu sa sœur, des vieux, des femmes et des enfants. Cet homme est un chien ».

Message privé. Jamais un présentateur ne s’exprime ainsi.

Un homme d’ici a reçu d’autre part un message, capté par radio,  et nous l’aura retransmis, à sa sauce. Pour montrer qu’ailleurs aussi, très loin, on tue, « sans motif politique ». Pour justifier tous les assassinats d’ici, au nom de sa propre milice. Le haut-parleur grésille et s’éteint, nous descendons vers la ville entre deux rangées continues de bâtisses bistres, de plus en plus hautes sur les berges. Ceux qui m’escortent n’ont plus de réaction ; pour moi, fils de Kréüz, ce fait-divers d’au-delà des mers est un signe.

 

MOTCHÉ

Passé le ravin nous sommes entrés dans MOTCHÉ, hérissée de chevaux de frise, barrée de dérisoires chicanes en tôle ondulée. Mais pour celui qui traverse la rue, les balles sont de vraies balles. Notre file reste sur le côté droit, puis le radio soulève d’une main dans un recoin de mur le rideau de perles d’un vieux café à pavements bleus. La radio diffuse ici une interminable complainte de Fawz-al-Mourâqi. Nous nous asseyons autour d’un cube de pierre blanche. Des tasses en forme de dés à jouer sont posées devant nous. Le café brûle. Zoubeïd, le fou de Damas, mâchent une chique d’aram avec des bruits de bouche qui claquent. D’autres clients sont dissimulés dans des renfoncements, derrière des rideaux d’alcôves.

Le Fou s’affirme pleinement satisfait de mes révélations. Ils sont montés à ma rencontre, dit-il, le jour où ils savaient me trouver. Je réponds que j’ai découvert les micros planqués dans le Palais. Il fait un geste « sans grand intérêt », avale son café. Depuis que nous sommes à l’abri, son agitation a cessé. Abinaya soudain s’adresse à moi : Ton fils te cherche, pour te tuer. Je lui réponds qu’il ne me connaît pas. « Ni toi non plus » dit-elle. « Tu es enjeu del utte, malgré toi. Et lui, ton fils, trouvera fatalement des indices ; il sait déjà que tu as quitté le Palais – à sa recherche. Aussi prends garde ». Des têtes passent par les rideaux, se renfoncent. Zoubeïd m’affirme qu’il m’aurait tué lui-même, lui le Fou, si je n’étais pas descendu en ville : « Les balles dans les rues ne te cherchent pas. La rue est plus sûre que moi ». ...Qu’il m’atteigne donc, ce fils… Zoubeïd raconte qu’après mon départ, ils ont tué un infirmier, à Damas : « On a serré la cordelette - sarir ! » - couic - « ...les Yahoud ont bombardé l’hôpitazl de Sri Hamri – piqué ! largué ! - où seras-tu en sûreté ? » Je connais mon fou. Il tourne autour d’une mauvaise nouvelle. Ce café maure baigne dans le calme. Les rideaux des alcôves se balancent. « Ton fils te cherche, Ben Jourji. Il sait que tu es descendu. Il te descendra pour se faire un prénom. Il ne se cache jamais deux fois au même endroit. Moi Zoubeï je connais ses cachettes, l’une après l’autre. Une bête laisse toujours sa trace. Il n’est pas véritablement de ton sang : tu ne l’as ni reconnu, ni élevé ».

Abinaya manifeste son impatience. Elle demande à ses gardes de se revoiler, de ressortir, de laisser seul « Sidi Georges, Neveu du Président ». Je renouvelle ma consommation. Zoubeïd me quitte à son tour. Il laisse sur la table le Pape, Quatrième Arcane : Allez, et enseignez toutes les nations. Toutes les nations se battent dans ma ville – pourquoi cet imbécile de Paziols s’est-il borné à ceux de sa nation ? La sœur et le beau-frère, le jour de leurs noces, assassinés à St-Rupt en France. Il a raté le père. C’était un petit village, au pied des Vosges.

Pourquoi ce fait divers a-t-il marqué notre correspondant en France au point de lui consacrer, ici à l’autre bout de la Méditerranée, toute la deuxième page ? ...un triangle d’herbe formait la place, ornée d’un petit cèdre… qui n’a pas son fusil en Xaintrailles ? Le père passait, il l’a visé au cou, l’homme blessé a couru chez les Geoffroy, et Dominque le Chrétien riait en rechargeant son arme. Tout le village l’a vu. Je lis l’article in extenso. Évasion, filière moyen-orientale, chiqueur de libanais ? Le voici revenu parmi nous. Quelque part. Bonne planque. Je passe la nuit au-dessus du café, dans une chambre blanche. La guerre frappe à l’autre extrémité de la ville.

Je m’endors bercé par les fusillades lointaines. Le lendemain, je fais sortir mon père de son refuge, Hôpital Rafik. Devant nous, vers l’ouest et vers la mer, descend la ville en cercles concentriques. Nous suivons la pente, degré par degré. À notre passage les portes se ferment, à même les murs. Des femmes voilées rappellent leur enfant. Des pierres bondissent entre nos pieds. « Ils m’ont reconnu » dit Kréüz. Nous parvenons sur une place triangulaire, formant palier, dominant la ville où fument au loin les détonations ; plutôt un terrain vague, où grouille une foule en haillons ; c’est un rassemblement du peuple, harangué par quelque agitateur debout sur une pierre.

Prends le féminisme et tords-lui le cou

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 COLLIGNON HARDT VANDEKEEN

scélératesse,victimes,femmes

L E   S I N G E   V E R T

TOME III

PRENDS LE FEMINISME ET TORDS-LUI LE COU 30 – 3

 

 

 

Avertissement

Ce numéro contient des affirmations parfaitement démentes, des cris de haine ignobles et pitoyables, et ne doit être considéré que comme un documentaire sur ce que le délire peut produire chez un détraqué. Comme le dit Molière en marge de son "Tartuffe", "C'est un scélérat qui parle". Il n'y a là nul appel au meurtre ni au viol, moi je suis un père de famille bien pépère et je ne veux pas d'emmerdes. A bon entendeur, salut.

 

PRENDS LE FEMINISME ET TORDS-LUI LE COU

 

 

Entendons-nous bien : je suis féministe.

Entendons-nous mieux : je suis misogyne, résolument, définitivement misogyne.

Féministe, car vigoureux partisan de la liberté de conception et d'anticonception, de l'avortement libre et gratuit, du droit absolu à toutes les formes de sexualité entre adultes consentants ; de la rigoureuse égalité des salaires, de la parité hommes/femmes dans les affaires publiques. Les femmes sont aussi capables de tout ce qu'on voudra que les hommes, bien plus souples en tout cas dans toutes les conversations où elles font preuve d'une bien plus grande ouverture d'esprit que les hommes.

Rien de plus agréable en particulier pour un homme que de travailler avec des femmes, voire sous l'autorité d'une femme: car là où cette dernière use de diplomatie, vous faisant doucement comprendre ce qu'il faudrait ou aurait fallu faire, l'homme se croira obligatoirement tenu de mettre ses couilles sur la table et de gueuler que bordel de merde c'est lui le chef ; archi-pour l'accession des femmes aux plus hautes fonctions directoriales, politiques et religieuses - à quand une femme présidente de la république? à quand une papesse ? - ennemi farouche enfin de tout fanatisme visant à réduire la femme aux fonctions de sac à foutre qui ferme sa gueule ( ça, c'est le ton "Singe Vert" ; juste pour ferche).

Mais là n'est pas la question. Moi ce qui m'intéresse, c'est l'amour. C'est en cela que la femme - sans sectarisme.. - me concerne au premier chef (ce chef-ci est plus bandant que l'autre) ;

But - aber - je suis tout aussi inévitablement misogyne quand je lis et relis les mêmes éternels et sempiternels mensonges rabâchés par les journalistes "en mal de copie" convertis en

sociologues d'un coup de braguette magique. Le credo de ces nouveaux bêlants est en effet désormais d'aller partout clamant que "la femme, ça y est, est libérée, choisit les hommes, drague, revendique son autonomie, son indépendance, et baise à tire larigo " tandis que l'homme" (je poursuis), "le pauvre, complètement largué, ne parvient plus à assumer, se recroqueville, crie "maman" dès qu'on le touche et prétexte le mal de tête pour se dispenser de passer à la casserole."

Et nos sociologues d'occase de remarquer finement que la Fâme est en tête de la pointe de la flèche du progrès, alors que l'homme, ce pauvre couillon rétrograde, se "cramponne à ses privilèges" et ne sait plus à qui se vouer, partagé entre la démission, l'effémination (les putes n'ont-elles pas en effet paraît-il besoin de plus en plus de bougies dans le cul de ces Messieurs pour les faire bander, c'est le dernier scoop, très peu pour moi merci) - bref, les mâles déchus voient enfin battre en brèche leur puante suprématie.

"Les étudiantes américaines", écrivait je ne sais plus quel journaleux des années 60 - des années 60 ! - "revendiquent désormais ouvertement une activité sexuelle auprès de leurs compagnons, qui ne semblent plus en mesure de les satisfaire" - des étudiantes américaines ? dans les années soixante ? Mais où t'as vu ça, mec ? Quand je pense qu'elles en sont encore à te foutre un procès dans les pattes dès que tu les regardes en face plus de trois secondes !

Telles sont les conneries qu'on lit depuis plus de trente ans dans les magazines... Eh bien je vais vous dire, moi, ce que j'ai remarqué ; non pas la vérité vraie, mais ma vérité à moi qui Nom de Dieu en vaut bien une autre. Lorsque le Phphéminisme a commencé à se manifester, dans les Dix Glorieuses 68-78, j'ai eu très, très, très exactement l'impression d'entendre les jérémiades de ma mère et de ma grand-mère. Les Fâmes ne manqueront pas de me faire observer que c'est bien la preuve de la pérennité de ce sentiment d'oppression, et que "de tout temps, en tout lieu", la femme s'est sentie brimée par l'homme.

Exact. Mais voyez-vous, entendre rabâcher ces récriminations sitôt qu'on ouvre la bouche pour engager une conversation d'amour ou disons "de charme", c'est proprement refroidissant. Pour l'érotisme, c'était râpé. Ma mère et ma grand-mère considéraient l'acte sexuel comme barbare, inutile et dangereux. Je me souviendrai toujours de cette suave initiation pratiquée par ma grand-mère - qui me l'avait racontée avec fierté, comme preuve de son modernisme et de

son ouverture d'esprit, à l'égard de je ne sais plus quelle petite fille :

- Et tu as déjà vu un zizi ?

- Bien sûr, celui de mon petit frère !

- Et tu sais que ça peut être dangereux le zizi, qu'il faut y faire attention, que ça peut donner des enfants ?" - quelle horreur en effet ! ça viole, ça défonce et ça féconde ! Autrefois, une femme sur trois mourait en couches à son premier enfantement. Ca ne les a pas quittées.

Dans un film de Blier, Gérard Blanc craint de se faire mettre par Gérard Depardieu. Sa femme lui dit :

- Il me le fait bien à moi !

- Oui, mais moi je suis un homme !

- Et alors ? mais c'est la même chose, mon vieux ! on se fait pénétrer ! il faut y passer, ça vient vous buter dans le fond ! » - et tu sais ce que tu peux faire pour que ça ne vienne plus « buter dans le fond » ?

Autre propos fleuri, de ma grand-mère :

- Y avait les poules à rentrer, les lapins et le cochon à nourrir, le repas à préparer, et des fois à onze heures du soir la journée n'était encore pas finie !

Merci grand-mère. Et tout à l'avenant.

- Mais il n'y a pas que ta grand-mère dans la vie !

- Non, il y avait aussi ma mère, et toutes les bonnes femmes qui fréquentaient ma mère, qui se ressemble s'assemble.

- Et ça ne t'est jamais venu à l'idée de sortir du milieu de ta mère ? (elle est fine, celle-là)

- C'est indélébile coco, les premières impressions. Oui, j'ai entendu cela partout, partout, quelle que soit la femme, quelle que soit la fille : les hommes sont de gros dégueulasses, point. Il y en a même qui vous proposent de coucher avec vous, chère Marie-Claire, je suis très embarrassée : je croyais pourtant que cet homme m'aimait, or, voyez ce qu'il me demande...

Vous croyez que c'est marrant de lire des choses de ce genre dans le "courrier des lectrices" quand on a seize, dix-sept ans ?

Vous croyez que c'est remontant d'entendre à la télévision tout récemment une jeune femme déclarer, lors d'une émission littéraire s'il vous plaît, et se tournant de droite et de gauche pour quêter un acquiescement général qui ne semblait faire aucun doute : "Qu'y a-t-il de plus laid

qu'un sexe masculin ? à part bien sûr celui de l'homme qu'on aime..." Là j'ai cru quand même que Sollers allait s'étouffer de rire - mais c'est grave ! c'est très grave !

Pourquoi ne pas dire alors pendant qu'on y est "Tous les Juifs sont des - ceci cela - mis à part Untel qui est mon meilleur ami ? de toute façon j'ai toujours eu l'impression que les femmes finissaient par épouser un homme parce qu'il fallait bien le faire, et pour se protéger une bonne fois pour toute de tous les autres qui sont des salauds et des violeurs sans intérêt...

Bref, le mari, c'est "le bon Juif".

De toute façon pour parvenir à obtenir les faveurs d'une "fille", c'est un tel parcours du combattant - elles attendent, sur la défensive, toutes griffes dehors, et elles te font évoluer, à droite, à gauche, comme un chien savant, et attention, c'est le sans faute ou rien ! bref quelque chose de si harassant que le mec se retrouve pieds et poings liés, complètement ridiculisé avec sa tumeur au bas du ventre et à bout de souffle sous la férule de la gonzesse, qui, ben non, finalement, a changé d'avis, n'a plus envie, et préfère se branler.

D'ailleurs vu la façon que les mecs ont encore et toujours de baiser, je la comprends.

Alors évidemment j'entends d'ici les hommes qui me disent : "Tout de même, dans les années soixante-dix, ne viens pas me dire que tu ne t'envoyais pas qui tu voulais !"

Ça va pas ? Non mais ça va pas mon vieux ? Tu ne t'en envoyais pas plus qu'avant ou après - qu'est-ce que c'est que cette légende à la graisse de couilles ? Tu avais droit à la morale, mon vieux ! à toute la satanée leçon de morale ! On n'était pas des objets ! Ca ne se passait pas du tout comme ça! On était des femmes libres, libérées, on choisissait ! - et voilà le grand mot lâché : choisir.

Les femmes veulent faire l'amour, plus la fidélité, plus la sécurité, plus la bonne paye, plus le trois pièces-cuisine, plus... Alors forcément : là où les hommes quémandent un croûton de pain, les femmes exigent toute la pâtisserie fine : un type qui reste avec elles, qui l'entretienne, puis qui devienne son toutou, et qu'elle puisse ronger toute sa vie en l'emmerdant jusqu'à finir par lui baiser la gueule de dix ans de longévité. On interrogeait là-dessus une centenaire: "Est-ce que ça ne vous fait rien que les hommes vivent en moyenne dix ans de moins que vous ?" Réponse :

- Moi si je me suis mariée et si j'ai pris un homme, c'est pour avoir des enfants. Le reste, ça m'est bien égal comment ils vivent, les hommes. " Et comment ils meurent, donc...

Interrogé au sujet de ses vieilles dames et de leur vitalité, le dessinateur Jacques Faizant répondit un jour en public que l'homme était en effet complètement usé, vidé, fini à soixante-dix ans (ça me rappelle une réflexion entendue dans un magasin, par une vieille femme justement : "Oh ça ne vit pas vieux un homme, allez !" - d'un ton de mépris absolument inimaginable - mais on ne gifle pas les vieilles dames) - eh bien donc ! que répondit Jacques Faizant ?

"Les femmes, voyez-vous - prenant bien son temps, tirant sur sa pipe - ont leurs soucis, n'est-ce pas..." (sous-entendez : "...que les hommes ne peuvent comprendre." (murmures d'approbation féminine dans l'assistance). Un temps : "...les hommes ont leurs soucis - plus ceux de leur femme." (hurlements de joie masculins, battements de mains).

Soyons brutaux : les bonnes femmes n'ont strictement aucun besoin de mec, je parle d'un point de vue sexuel. Je me souviendrai toujours de ce que Simone de Beauvoir a découvert très tôt lorsqu'elle était jeune fille ; elle l'a écrit dans le Deuxième sexe : que les hommes avaient besoin des femmes, mais que les femmes n'avaient pas besoin des hommes. Ça ne s'invente pas. Et s'il y a une chose et une seule que la prétendue "révolution sexuelle" a bien valorisé auprès des femmes, c'est bien la légitimisation, que j'approuve sans restriction, de leur branlette ; la devise de l'Angleterre est "Dieu et mon droit", celle des femmes "Moi et mon doigt". Et les femmes se sont vite rendues compte - et comme elles ont raison ! parce que ce n'est pas avec la façon de faire des mâles, je rentre et pschitt je sors (80% des hommes de trente ans sont éjaculateurs précoces) ou bien je bourre je bourre et ratatam, que les femmes sont près de se mettre à jouir - qu'on ne prenait jamais aussi bien son pied que seule ou entre copines ("des orgasmes de plus d'une minute", c'est dans Gazon maudit).

Mais ce faisant, dit la pintade, elles ne font tout simplement, et je vous renvoie au début de ces lignes, que renouer avec tout ce qu'on peut trouver de plus conformiste chez la femme : le refus systématique de la baise. Delphine Seyrig déclarait à qui voulait l'entendre que l'homme était près à subir toutes les épreuves, toutes les humiliations du monde, voire de traverser un lac de merde, pourvu que sur l'autre rive il y ait un coup à tirer.

Je lui répondrais que la femme est prête à faire très exactement la même chose, pourvu qu'elle puisse ne pas baiser ; depuis l'aube des temps, la femme n'aime pas baiser. Du moins avec un homme. Comme dit Brassens, "Quatre-vingt quinze fois sur cent / La femme s'emmerde en baisant. Je t'ai engueulé une fois comme du poisson pourri une certaine T.C. parce qu'elle me racontait benoîtement que plusieurs jeunes filles dont elle faisait partie, devant faire les vendanges

sur une île grecque, s'étaient mutuellement mises en garde : "Il faudra faire attention, avec tous ces Grecs !" Réflexion présentée comme toute naturelle, tout innocente ! Vous croyez peut-être qu'il n'y en aurait eu ne fût-ce qu'une, pour avoir une aventure de vacances ? pas du tout ! La grande préoccupation de ces demoiselles était surtout de ne pas baiser ! Surtout, bien préserver la petite tranquillité pantouflarde de leurs petites branlettes, seules ou entre elles !

Oui, elles sont libres, toutes les femmes sont libres et nous sommes en république ; mais dans ce cas, je suis moi aussi parfaitement libre de commenter ce comportement répugnant de racisme anti-masculin. Voyez-vous mesdames, quand un homme éprouve une attirance sexuelle pour une femme, il cherche au moins à se rapprocher d'elle, à entrer en contact, à se montrer tendre, je ne sais pas, chacun son petit jeu ; si par extraordinaire, j'ai bien dit par extraordinaire, une femme éprouve un désir sexuel pour un homme, elle se gardera bien de faire les premiers pas.

Elle commencera par s'enfermer soigneusement dans sa chambre, bien à l'abri, elle s'astiquera deux ou trois fois, et ça lui passera. C'est ainsi que les femmes peuvent se vanter - singulière vantardise... - de "tenir sans hommes" des mois et des années - et de nous faire la morale, la morale, la morale... Angélisme et chasteté... Tu parles ! moi aussi je peux tenir dix ans sans femmes, à trois branlettes par jour, pas de problème...

C'est la femme au contraire qui reste en arrière. Elle redécouvre le vieux fond féminin de fausse abstinence. C'est d'un archaïsme navrant et à y bien regarder redoutable : la fameuse libération sexuelle de la femme ne consiste en fait qu'à s'abstenir, et à choisir, c'est-à-dire à se choisir soi-même, nul n'étant considéré comme digne d'accéder aux inégalables faveurs de son Précieux Cul.

L'homme, pendant ce temps-là, peut toujours s'astiquer - il n'a pas le choix, lui. Parfois il est vrai, il accède, de façon infinitésimale, aux joies de l'amour ; mais le plus souvent, c'est tout pour les mêmes, qui par-dessus le marché se plaignent que les femmes sont "trop faciles", n'est-ce pas Monsieur Sollers (toujours lui) et font les dégoûtés, dont évidemment je ne fais pas partie, haha, vous croyez que je ne vous ai pas repérés avec vos gros rires papiers-gras...

Parce que je vous entends d'ici depuis longtemps, les mecs, toujours le même chœur des mâles depuis que j'ai quinze ans ce qui ne me rajeunit pas. Votre discours n'a pas varié je ne dis pas depuis les années cinquante mais carrément depuis l'Antiquité. Vous battez les femmes en connerie, et franchement il faut le faire. Avec vous ce n'est peut-être pas la bite de bois, mais en

tout cas c'est la langue de bois :

"Mais mon vieux ! je ne sais pas moi ! mais c'est é-vi-dent ! Y a qu'à ! c'est toi qui ne sais pas t'y prendre !"

Hahaha (re).

...Donc à vous entendre il vous suffit d'ouvrir votre braguette pour que les femmes tombent comme des mouches. Les mouches peut-être, mais les femmes non. Il est hallucinant que mes congénères se permettent de me tenir des conneries pareilles sans la moindre variante et quel que soit l'homme. Alors comme ça, en dépit de toutes les lois les plus mathématiques du calcul des probabilités, je suis le seul homme de France et de Navarre et de toute éternité à "ne pas savoir m'y prendre" ? Le seul ?

...Vous vous foutez de ma gueule ?

Dans un premier temps je réplique, avec la plus éclatante mauvaise foi, qu'à les vois "s'y prendre", justement, c'est-à-dire s'y engluer, j'ai bien envie en effet de ne pas suivre leurs traces baveuses et de ne pas "m'y prendre". J'ajoute même qu'à considérer leurs pitoyables courbettes, pitreries et gonflettes de couilles, j'ai honte. Pour eux, et pour les femmes - car le plus écœurant, c'est que ça marche. Vous passez pour des cons, les mecs, je vous le dis.

- Oui, mais on tire un coup.

- C'est trop cher.

"Je veux moi ET baiser ET ne pas passer pour un con.

Nietzsche disait à peu près qu'il souhaiterait que la rencontre entre l'homme et la femme se situât au plus haut niveau de l'esprit, alors qu'elle n'est hélas le plus souvent qu'une rencontre de deux bêtes qui se flairent...

Donc : mes compliments Mesdames ; les hommes sont des cons, mais vous n'êtes pas en reste. C'est vraiment bien la peine de jouer les angéliques. De toute façon l'amour avec une femme se résout toujours plus ou moins à l'un de ces trois cas de figure : ou l'insensibilité de la femme, ou sa feinte, ou sa jouissance, mais dans ce cas-là comme dans les deux autres, vous êtes nécessairement, vous le mâle, en dehors du coup, puisque la femme se fait reluire en dehors de vous, et de façon tellement supérieure à la vôtre, qu'il ne vous reste plus qu'à serrer les dents en pensant à votre percepteur pour éviter de tout lâcher.

Car les hommes ont peut-être appris à ne rien reprocher aux femmes insatisfaites, les pauvres victimes (et en plus, c'est votre faute, ben voyons), mais pour ce qui est d'une défaillance de votre part, vous vous la reprendrez toujours illico, bien à chaud et sans délai sur le coin de la gueule : que voulez-vous, ce n'est tout de même pas aux femmes qu'on a appris à se montrer chevaleresques...

Ce n'est pas le sens de l'humour qui m'étouffe, je sais - quoique - mais ce qui m'ôte l'envie de rire, ce qui ôte par-là même de la force à mon argumentation délirante, ce qui risque même de me faire attaquer pour incitation à la haine sexuelle pour peu qu'il y ait une femme assez stupide pour ne pas distinguer tant de souffrance indissolublement liée à tant de ridicule - mais rassurez-vous, je donne dix ans à la France pour rejoindre comme d'habitude le prêt-à-penser américain, et décréter que de tels écrits tomberont désormais sous le coup de la Loi de Censure.

...Quand je pense que les Américains préfèrent laisser une femme seule dans un ascenseur pour ne pas risquer de poursuite en harcèlement sexuel ! quand je pense que les Américaines, pis encore, se permettent d'accepter, de trouver flatteur un tel comportement comme un hommage qui leur est dû sans crever de honte !

Elles ne crèvent pas de honte !

Quand je pense qu'il est interdit - c'est dans la Loi ! - de les regarder plus de cinq secondes de suite sans être poursuivi !

Quand je pense enfin que dans les entreprises israéliennes - encore plus fort, encore plus con qu'aux Etats-Unis - il est désormais interdit d'inviter une collègue au restaurant ou au cinéma, en raison de la connotation de drague et de sexualité que cela implique ! Et les femmes acceptent tout cela, et elles ne crèvent pas de honte !

Quand tu croises une femme, et que tu la regardes, tu vois se former sur ses lèvres le mot "ta gueule" ; ou encore, elle te regarde d'un air, d'un air ! méprisant au dernier degré, du style "Je te fais bander, connard ?"

Mais qu'on nous les coupe une bonne fois pour toutes, et qu'on n'en parle plus ! Voilà justement où je voulais en venir : j'espère, j'espère de tout cœur, j'espère sincèrement qu'un jour les manipulations génétiques, permettant déjà la parthénogénèse, le clonage entre femelles et autres techniques merveilleuses dont j'espère bien voir avant de mourir les applications techniques étendues à l'humanité entière, permettront un androgynat généralisé, voire une suppression radicale et définitive de tout ce qui de près ou de loin pourrait rappeler un quelconque individu de sexe masculin, qui ne sait que tuer, violer, faire des guerres, massacrer des Indiens, des Arméniens ou des taureaux, parce que toutes ces ignominies, ce sont bien les hommes, et pas les femmes, qui les perpètrent, comme le dit si justement Renaud dans sa chanson sur Mme Thatcher.

Ainsi les femmes pourront-elles enfin s'envoyer en l'air toutes seules ou entre elles, comme elles le pratiquent massivement. Très éventuellement, on pourra envisager de parquer quelques mâles dans des réserves, comme les bisons, pour les quelques femelles dépravées qui apprécient les gros coups de piston barbares - encore cette mesure conservatoire même ne présenterait-elle aucun caractère de nécessité absolue, puisque les femmes pourront toujours se harnacher d'un gode, qui au moins ne débande pas en trois va-et-vient.

Bien sûr, c'est l'homme qui a créé tout le progrès du monde, en matière scientifique et médicale particulièrement, et comme le disait Gramsci, "Si l'on avait attendu les femmes pour faire la révolution, on en serait encore à l'âge de pierre", mais "nous avons changé tout cela", les femmes sont parfaitement capables (voir plus haut) de mener à bien toutes les recherches possibles - mieux vaudrait de toute façon étendre le progrès tel qu'il est à toute la terre au lieu de laisser en rade les 7/8 de la population mondiale - et faites-moi confiance elles ne détourneront pas les objectifs de la recherche scientifique pour fabriquer des bombes H à destination des Etats islamistes. .

En bref, je suis pour l'extinction systématique et progressive PAR VOIE NATURELLE de toute créature de sexe masculin. COMME ÇA LES FEMMES ARRETERONT DE NOUS FAIRE CHIER.

24 dissertations plus une

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C O L L I G N ON

 

VINGT-QUATRE DISSERTATIONS

filles,Onan,dévoyé

plus une

Flamboiements, tableau d'Anne Jalevski

I BRANLOMANIE

Dans les années 2030, en retard déjà sur le bouleversement des mentalités, nous écrivions ce qui suit :

« Toute vocation pédagogique es d’ordre sexuel. Mais si vous éprouvez la moindre velléité de tentation de passage à l’acte, vous n’êtes pas faits pour ce métier, vous y êtes même diamétralement opposés. Fuyez vite, loin, à tout jamais. Nous ne parlons pas des femmes, dont le contact physique, n’en déplaise aux effarouchés ridicules, n’a jamais fait grand mal ni aux garçons, ni encore moins aux filles. C’est aux hommes que nous nous adressons, qui forment la quasi-totalité de ce genre de malades : messieurs, s’il vous est arrivé de glisser dans cette fosse à merde, sachez que vous n’êtes plus, que non seulement ne compterez jamais plus au nombre des hommes au sens plein et viril de ce terme – mais que vous serez tombés au-dessous même de ce qu’il est convenu d’appeler « l’espèce humaine ».

Or, l’éducation sexuelle, obligatoire et jamais assumée (chacun se repassant la patate chaude) est un des seuls moyens légaux et propres dont nous disposons pour cimenter les relations humaines dans le cadre pédagogique. Putain c’est bien dit. Mais con ne vienne pas nous parler d’Autorisation Préalable du Principal ou d’Accord des Parent, car à supposer que nous les obtinssions, ces autorisations, elles seraient assorties de clauses tellement restrictives et tellement comminatoires que pratiquement rien ne serait possible. Terreur latente et l’arme de poing dans la poche. Sans gueulbe. Comme me disait Jeune Sépluqui, « quand je fais l’amour avec mes élèves, je ne tiens pas à ce que n’importe qui puisse venir me prendre par derrière » - eh, c’est de l’humour tas de Cosaques.

Le jour de la Déclaration, il convient d’être au top de son honnêteté, en indiquant ses propres blocages, limites et tout ce qui s’ensuit : les vôtres, et pas celles d’une organisation chapeautante quelconque : « Vous me verrez hésiter, balbutier, rougisser. À chacun les séquelles de sa propre éducation. Mais je dirai toujours ce que je pense personnellement. Vous allez donc tous me rédiger vos questions sur un bout de papier anonyme » - si j’ai fait du bien, du mal ? les deux, sans doute. J’ai fortement soulagé le garçon C. en lui révélant que non, les règles ne coulaient pas « à gros bouillons » ; j’ai révélé au garçon O., très étonné, que oui, les femmes aussi éprouvaient du plaisir. Mais le garçon R. se montra profondément écœuré d’apprendre, à quatorze ans, les gestes exacts de ce fameux « acte sexuel » dont on parlait tant. Et toujours, point capital selon moi, je proclamais à la face du monde que les filles, elles aussi, parfaitement, se masturbaient, et comment. Les jeunes garçons ayant bien trop tendance à « idéaliser » leurs « petites amoureuses » - à les désincarner.

Or, ne trouvant pas dans l’éducation sexuelle proprement dite un exutoire suffisant à ma perversité mentale, je ne le répéterai jamais assez aux punaises de sectes, j’ai exploité le filon du rire. Non pas en me bornant aux histoires de dessous de ceinture dites « drôles », hélas réclamées par les élèves (et accordées par moi) aux dernières heures de l’année scolaire, je me suis saisi de toute occasion dans mes cours, dans mon langage, de sexualiser, ouvertement, la relation professeur-élèves : la langue française, comme toutes les autres je suppose, est ainsi faite, que le moindre déplacement de syllabe ou d’intonation déclenchent aussitôt, dans l’esprit de mes branleurs et surtout leuses, toute une série de connotations marquées au coin (cuneus) de la sexualité.

Pensez seulement aux incongruités qui peuvent résulter de l’intonation d’un groupe de mots comme « l’habitat urbain » ou « le taureau est entré dans l’arène ». Une fois l’attention aspirée par ce terrain, il est impossible de l’en dégager. Au détour d’une phrase sévère de Pascal ou d’un cours sur les participes, le sexe peut même survenir par simple suppression de syllabes : « Il en a pris l’habitude » devient « il en a pris l’ha - üde », suivi ou non d’un fin silence. Se garder, surtout, de prononcer le moindre terme grossier : le sexuel doit venir en quelque sorte s’imprimer en creux dans le discours, au prix d’une certaine attention, d’où une atmosphère constante de complicité dégoûtante.

Bien entendu, ces plaisanteries sont on ne peut plus stupides et dégradantes, ne me faites pas l’injure de me croire inconscient. S’il existe un Dieu, je me présenterai devant lui : « J’ai fait rire mes élèves », et il me sera beaucoup pardonné, car le temps passé à rire n’est jamais perdu. Ils rient, ils se débloquent (en marge, au crayon : moi non ; qui a écrit cela?). Ils écoutent chaque phrase, où peut se glisser à tout instant un sexe baladeur, et retiennent, prétend-il, le sérieux en compagnie du plaisant. Tout rire est sexuel. Toute subversion du langage abat un interdit, tout calembour abat une chaîne de calendos. S’il est vrai d’après Freud que la délivrance n’est que pour l’auditeur, tandis que le locuteur renforce son blocage (il rit peut, mais voit rire) (voyeur, non actif), nous serions volontiers tenté par ce paradoxe de poser au martyr, sacrifiant son épanouissement personnel sur l’autel de l’abnégation libératrice, comble de la mauvaise foi.

 

DU VÉRITABLE OBJET DE MON ENSEIGNEMENT

 

Nous voudrions établir une ligne de démarcation très nette. Creuser avec véhémence un abîme sans fond : il n’est pas question pour moi du sexe masculin. Rien ne nous est plus étranger que les extases sulfureuses d’un Michel Tournier sur les genoux écorchés des garçons, ou le fumet des pissotières d’école, « autel(s) fumant(s) de la garçonnie ». Rien ne me répugne autant qu'un adolescent furonculeux qui se tripote la quéquette derrière la porte entrebâillée des chiottes. Jamais je ne me suis reconnu dans ces individus grossiers, prétentieux, pétant de vulgarité, toujours prêts pour le poing sur la gueule à 5 contre 1 de préférence. Je n'ai jamais voulu, un seul instant, leur ressembler.

Ce sexe malotru qui fut le mien par les hasards de la génétique, entre le dérisoire et le pathétique, ne me semble tout juste supportable que sur mon propre corps, à force d'à bite hude. Et s'il existe paraît-il un "masochisme féminin", j'en verrais volontiers l'illustration la plus consternante dans son attirance pour cette espèce de cornemuse flasque et baveuse qui sert d'organe érotique à mes cons génères. Ce cou de vautour pelé, maladif et malodorant, cet incongru et vaniteux sac à pus. Dispenser cours à une classe de garçons équivaut à faire un plongeon nauséabond de 45 en en arrière dans une espèce de fosse-cloaque où fermentent en cloques de longs tourbillons d'étrons et de résidus de branlette.

La lectrice (les hommes ne lisent pas) comprendra sans difficulté notre particulière attirance pour l'onanisme féminin, si dissemblable, dans son élégance, dans son innocence (car la fille et plus tard la femme se branlent dans la plus parfaite bonne conscience voire inconscience), du trayage cradingue et laborieux qu'effectuent les garçons disgraciés. La masturbation, chez la débutante, n'a pas encore acquis ce stade de fixation qu'il atteint irémédiablement plus tard, quand la femme décide de "choisir" et ne choisit personne.

Donc, tandis que les hommes seraient prêts à se contenter de n'importe quel croûton, les femmes exigent de la brioche. Pour le faire court : le garçon se "tripote" dans la honte la plus totale ; la jeune fille se caresse dans l'incertitude parfois, ce qui est tout de même moins grave, et reste en tout cas entre soi et soi (le garçon fait des taches ; il ne peut rien cacher ; les filles aussi, mais pour d'autres raisons qui n'ont rien à voir). Pour s'absoudre à ses propres yeux, l'homme se trouve ainsi condamné à l'enfournage répétitif et mécanique ; l'adorateur se mue alors s'il le peut en punisseur déespéré, pilant sous ses coups de boutoir ce foutu sexe capable de jouir à lui seul... le plus souvent à lui seul.

L'objectif serait donc, plus modestement, de transformer ces jeunes oies butées, résolues à se faire hacher menu plutôt que d'avouer leurs pratiques (telles ces connes d'avant-guerre qui répétaient en boucle "je ne comprends pas ce que vous dites", ayant le putain de culot d'aller jusqu'à nier la question posée) en femmes révélées, reconnaissant leur plaisir sans réticence, et le pratiquant le plus possible sous nos yeux. Nous n'avons rien trouvé de plus complet, de plus ingénieux, de plus irrévocable, que le vénérable Manuel du Confesseur : pour amener n'importe quelle femme à reconnaître ses masturbations, il faut lui parler en confesseur d'expérience, à qui "on ne la fait pas".

Le questionnaire doit donc porter non pas sur l'existence ou non de l'acte, posé comme indubitable, mais sur sa fréquence. Le qualitatif se trouvant éludé au profit du quantitatif, la femme se débat ainsi non plus sur le oui ou le non, mais sur le combien : "Trois fois par semaine ?... vous ne répondez pas ? serait-ce sept fois ? dix fois ? vous gardez le silence ? mon Dieu ! iriez-vous jusqu'à vingt fois ?""Ne craignez pas, dit le Manuel, "de pousser le nombre aussi loin que possible dans l'absurde.Tôt ou tard il vous sera donné un démenti à partir duquel il sera aisé d'établir la vérité : car si vous ne le faites pas un nombre incalculable de fois, - c'est que vous le faites. C.Q.F.D.

Dans le cas qui nous préoccucupe, il s’agit avant tout de parvenir à l ‘identité mathématique jeune fille ≡ masturbation. La Masturbation est l’essence même de la Jeune Fille. Au premier regard entendu, elle comprend sur-le-champ de quoi il est question. « Se masturber » se dit, entre elles, « le faire ». « Faire » par excellence, c’est « se masturber ». Au premier regard entendu, elle comprend que c’est de sa masturbation, à elle toute seule, que l’on parle. Elle ne nie jamais. Plus jamais. Le contact ainsi établi au plus intime, la confiance est totale, absolue. Les allusions peuvent alors se multiplier, de part et d’autre, et c’est alors que l’Interlocuteur apprend avec délices toute sorte de précisions voilées parfaitement claires, sur la fréquence, la qualité de plaisir ou de frustration.

Autre conséquence extraordinaire : la composante masculine du groupe, jusque là sur la réserve indienne, sur la « touche », acquiert une tendresse inconnue. Eux qui se croyaient sales et méprisés découvrent, ô merveille, ô soleil levant, que ces monstres, ces invraisemblances angéliques, les jeunes filles ! se masturbent tout autant qu’eux, voire plus, en haletant tout aussi fort. Il en résulte une saine complicité – et surtout, surtout : une impossibilité radicale de concevoir une de ces atroces passions sado-maso, ver de terre amoureux d’une étoile. Car, Dieu merci, on ne peut plus envisager de se rouler en suppliant aux pieds d’une jeune fille hautaine et glacée, qui, tout bonnement, se branle comme vous et moi.

Ceux – et surtout celles – qui auront lu jusqu’ici n’auront pas manqué de se répandre en sarcasmes, invectives et menaces. Nous allons leur river leur clou en trois rounds :

  1. a) Les tartufes

On pourrait croire qu’en ce siècle où la sexologie… où Sigmund Freud… où les sex-shops etc. - eh bien non. Pas du tout. La dose d’insecticide n’a pas été assez massive. « Freud, connais pas. Veux pas le savoir » - argument adventice : « on ne plaisante pas de ces choses-là avec des enfants ». Je refuse cette sacralisation aliénatrice. « L’enfant a besoin d’être sécurisé ». Non. Secouez les enfants. Montrez-lui la vanité des choses. Scandalisez-le. C’est à ce prix que s’accroît la Conscience Humaine. Tout est permis à qui ne fait que parler. « Mais alors, vous avouez que votre système a-pédagogique est essentiellement destiné à assouvir vos propres fantasmes ».

Écoutez-moi bien : je n’ai pas envie de débrouiller mon écheveau psychanalytique. Je me comporte exactement comme ceux que je viens de blâmer. Les gens de l’art pataugeront avec des lis dans mes refoulements, transferts et autres. Ils concluront que je suis psychopathe comme tout le monde, attardé comme tout le monde, bref, un pauvre type à remettre dans le droit chemin à grands coups de « projecteurs impitoyables ». Ils me trouveront un Ééédipe gros comme une patate et la bite à papa dans le cul. Tant pis. Ce n’est pas mon boulot. « Qu’est-ce que le moi ? » Je n’en sais rien. Je me suis réveillé (nous nous sommes réveillés) un jour sur cette terre, prisonnier d’un corps, d’un caractère, d’une destinée.

Irais-je (Irions-nous) m’amuser à vouloir les changer, et, en faisant cela, m’abstenir (nous abstenir) de vivre ? Duperie ; je me soumets à leurs défauts » - massacre de Stendhal. Que si d’ailleurs le centième de mes délires se réalisait, je ne bougerais pas d’un cil. Une jeune fille réellement amoureuse me paniquerait, me pétrifierait de respect. Je ne sauterais pas sur l’occasion. Nous parlerions ensemble, nous essaierions l’un et l’autre d’y voir clair. Peut-être que je l’aimerais. Mais ceci est une autre histoire.

 

* * * * * * * * *

 

Un jour, à propos de la surpopulation carcérale, nous avions conclu quel ‘on pouvait bien « s’amuser » dans une cellule, à partir de deux... » - « ...et même tout seul », avais-je renchéri. Une petite fille « chaste et pure » fut la seule à s’étonner en toute bonne fois au milieu des rires gras. « Demandez à votre voisine », lui ai-je dit. « Elle a l’air particulièrement au courant » - de fait, ladite voisine, déjà formée, pulpeuse, portait sur son visage, plein et velouté, voluptueusement sournois, les stigmates mêmes et le masque de la masturbation fréquente et accomplie. Elle s’empressa de renseigner sa camarade à l’oreille tandis que l’Interlocuteur poursuivait son discours. Alors ce dernier fut interrompu par une exclamation dont l’indignation révélait le plus ingénu et le plus intense des émerveillements : « Oh ! Monsieur ! Si je disais ça à maman, je ne sais pas ce qu’elle me ferait ! » (braves parents…) - l’Interlocuteur passa outre, les autres pensant déjà à autre chose.

Je rencontrai ensuite plusieurs fois la même petite jeune fille dans les couloirs. Elle riait, métamorphosée en jeune fille, ouverte, gourmande, heureuse. Tel est le plus grand péché, la plus belle réussite dont l’Intervenant puisse jamais s’accuser...

Si notre vision est fragmentaire, c’est par déformation professionnelle. Mais l’étroitesse du machisme permet, elle aussi, d’approfondir. Pour la connaissance de la véritén reportez-vous à votre hebdomadaire habituel.

 

II

DES AMBIGUÏTÉS DE L’ AMOUR

 

 

 

Les enfants ne se livrent jamais. Leurs chairs y font encore obstacle : opaques, hors-jeu. Nous parlerons donc de la chair des jeunes filles, origine du monde.

Certaines, sur lesquelles je ne m’étendrai pas, possèdent des yeux de vaches, où se lit la vaisselle, l’enfant. Le stade ruminant. Vie faite et cercueil vissé.

D’autres sont des jeunes filles qui s’ignorent. Ont-elles un sexe, rien n’en transpire. « Les jeunes filles bien » travaillent, rient, jouent, mangent. On les rencontre jusqu’à l’âge avancé, sur les bancs de la fac : les « copines », les « chic filles ». Pas un poil d’ambiguïté. Le sexe ? « On n’y pense jamais » disent-elles. Nous éprouvons devant ces absences le même malaise que devant l’abeille, la fourmi, le termite, dépourvus de cerveau sexué. Nos regards se traversent. Castré, je passe outre. En peau de chèvre.

Devient fille d’Onan toutes celles aux yeux faufilés : paupières en biseaux, cils battants, lèvresmordues. Plus flagrant : la chair grasse et luisante comme d’une constante exsudation de cyprine, les yeux frottés et charbonnés. La bouche et le rire lourds – l’onanisme Dieu merci n’est plus chlorotique, mais insolent. Le point crucial n’est plus focalisé, mais diffusé. Nous pensons aux lourdes femmes de notre enfance, lourdes choses blanches et chaudes, couvertes de bas, de culottes, d’arrière-mondes vaguement grouillants de dentelles et d’étoffes imprécises aux finalités floues.

Quant aux adolescentes en fin de course, que dire ? ce sont déjà des femmes, avec leur chevelure, leurs seins, leur pubis, leurs flirts. Elles n’appartiennent plus àl ‘univers fantasmiques – et parfois même, elles baisent.

Ailleurs.

...Nous avons connu des élèves attirantes et tourmentées, supérieures, bourrées de recherches. Nous discutions. Leurs yeux fiévreux traquaient ma vérité, sans y trouver vraiment de quoi m’admirer. Un jour d’exposé où je m’étais assis près d’une fille, nos hanches se sont touchées. Elle s’est vivement décalée, le temps d’un regard de flic fou. L’érotisme des filles est intellectuel. Nous en sommes lassés, à tout âge.

Quelques-unes ont envoyé des lettres, sur leurs élans, leurs vagues confusions… Naïf

est celui qui verrait dans leurs demi-aveux le signe ineffable d’une aspiration au harem, au vivier de nos vieux jours éventuels :

 

 

 

 

 

 

 

L'ANTI-CASANOVA

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C O L L I G N O N (FIER-CLOPORTE)

 

L'ANTICASANOVA

Longtemps j'ai détesté les femmes. Je ne me couchais pas de bonne heure, et je lançais de longs jets de sperme entre les draps en maudissant père et mère. Les femmes fuyaient toutes à mon approche. Tout le contraire des plats froids de Philippe S., qui les tombe toutes, et sarcastise sur leur « chiennerie » et leurs « collages » ; pas question pour moi de cracher dans la soupe, vu que j'en ai eu si peu. Je traiterai donc de ce que je ne connais pas, ou si peu.

échecs,filles,paranoïa

Quant aux rabâchages sur l'infériorité, la supériorité ou non de la couille sur l'ovaire ou vice versa, de leur égalité, complémentarité ou autres ; sur la question de savoir si la femme occupe bien dans la vie sociale ou professionnelle la place qu'elle mérite ; sur l'emploi, les salaires, les responsabilités administratives, directoriales ou politiques, je m'en contrefous : y aurait-il 52 % de femmes aux postes-clés, les choses n'en iraient probablement ni mieux ni pis - ni plus mâle.

Rien de tout cela.

Mon propos, c’est le comportement amoureux, ET sexuel. Pas très nouveau tout ça. Bien sûr que les femmes m’ont déçu. À la niche, le psy ! couché… « Ouais, euh, t’es pas le seul... » - ta gueule. Par les hommes aussi. Vous ne vous imaginez tout de même pas que je vais vous pondre du neuf et de l’objectif – et quoi encore… éviter le sexisme tant qu’on y est, le vulgaire, l’odieux… oui que j’oserais ! évidemment ! Ce n’est pas aujourd’hui que les gens vont me croire ! De toute façon plus moyen d’être fanatique maintenant. Plus moyen de dire quoi que ce soit sans se faire traiter de con (pourquoi pas de bites ?) Les fana font pitié aujourd’hui. Ridicules.

Mais avec la vérité, on ne va jamais bien loin. Bien sûr que si je baisais j’aimerais mieux les femmes. Seulement, je vais vous dire un grand secret : si j’aimais mieux les femmes, je les baiserais. Il est évident, il est lapalissique, il est tautologique, que je deviendrais amoureux, féminise même, des queues j’aurais conquis un nombre de femmes assez con scie des râbles pour me sentir sûr de moi en tant que porte-couilles – mais àpartir de quel nombre de femmes ou de couilles peut-on se sentir sûr de soi comme un sanglier des Ardennes ? Je vois d’ici moutonner à l’infini (tu me chatouilles) le troupeau de culs-terreux bardés jusque dans le cul de « parallèles qualité/quantité », « hêtre ou pas hêtre » (Gotlib) – mais je me les suis déjà faits tout seul, ces trucs-là ! J’ai lu l’Abreuvoir (la Beauvoir, Boris Vian) et son Deuxième Sexe (sous l’homo plate). Adoncques les psy débarquent avec leurs pincettes et leurs grosses pelleteuses : en avant pour la mère castratrice et phallique (au moins), une homosexualité la tante, et tout un arsenal à faire spermer papa Siegmund dans sa barbe. Et voilà pourquoi vote fille est muette. Par ma barbe, nous avons d’habiles gens, et qui se paient le luxe d’avoir raison.

Mais ça ne m’arrange pas. Pas du tout. Ça ne m’explique pas pourquoi les femmes me font chier (stade anal!), pourquoi je les fais chier (tant qu’à être dans la merde…). Ce qui veut dire qu’il me faudra me coltiner mon livre tout seul, dans l’indifférence générale. En route pour le calvaire : prêcher le vrai, en sachant que c’est faux. Plusieurs émollients s’offrent-t-à moi :

  1. a) la synthèse dite « à l’eau tiède » : les deux sexes dos à dos ou « l’infranchissable différence si enrichissante » (cf. « Les garçons et les filles » dans le Journal de Mickey »)
  2. b) « Le mieux » (dira quelque sage cervelle – j’adore cette incise de La Fontaine) « serait que des femmes intervinssent, et pourquoi pas la vôtre » (car je suis marié ne vous en déplaise) « qui vous donnerai(en)t la réplique » (sauce Platon ? non merci), « en dramatisant le discours, mais sans dramatiser n’est-ce pas » - pourquoi ne pas écrire l’histoire d’un couple tant que vous y êtes, le mien par hasard – pour des champions de l’originalité, vous vous posez là…

c), le plus énorme : « J’ai découvert un manuscrit... » - jouer sur le velours de la 3e personne, avec la mauvaise foi du narrateur – bof…

Non. Je parle en mon nom.

Sans croire un mot de ce que je dis

Devant l’autel des lettres - La main sur la braguette - je déclare ici ma sincérité « des larmes coulent ».

...En garde , je baisse la visière... X

 

Ce n’est pas une visière, c’est toute une armure. Surtout qu’on ne me reconnaisse pas – l’Anticasanova, ça se cache. Irrésistible.

...Alors comme ça, les femmes me détestent. Ou l’inverse. Les deux mon adjudant. Des preuves !

D’abord, de simples constatations : ma vie passée vaudra attestation et justification. Vous voilà fixés : qui n’est pas pour moi, est contre moi. Ma rancœur, ou rien. Il aura bien fallu vingt ans pour me permettre de reconstituer l’objectivité des comportements et préparer le terrain du deuil psychanalytique : sous la pellicule, la lave à 400°.

Trois périodes sont à distinguer dans le processus moil’nœud d’éducation pardon de démolition sentimentale. Sans remonter au-delà des pubertés (où les enfants, tant garçons que filles, m’auront rejeté, nous auront rejetés, vous auront rejetés, une belle, une magnifique inadaptation sociale originelle, dont la misogynie ultérieure ne sera qu’un montage en épingle, nous distinguerons la période tangéroise, à dispositif contraignant (1958-1962, soit de 14 à 18 ans) – dite aussi Quatorze-Dix-Huit, la période mussidanaise à dispositif libéral (1962-1966 jusqu’aux noces), et la période bordelaise, à dispositif carcéral, qui nous mène, en première rédaction, début 87. Toujours est-il que peu après mes 14 ans, je débarque à Tanger dans les bagages de mes parents. Lycée mixte, donc décontracté, filles libres à gogo, moi bloqué comme un moine. Mais sans le savoir.

Tout de même, j’ai bien envie d’y goûter, aux filles. Bien mal m’en prend, ou je m’y prends bien mal.

...Lecteurs, et trices (pour les filles, le cas est tout à fait différent ; rien ne ressemble moins à une adolescence de fille qu’une adolescence de garçon) – vous avez tous, ou la plupart, tenu votre journal intime. Il ne vous serait jamais venu à l’idée, par exemple, de le laisser traîner. Moi, si. Avec la mention DÉFENSE D’OUVRIR, autrement dit « prière d’ouvrir ». Ma mère a répondu à mes attentes au-delà de toute espérance. Lisant que j’avais touché le genou de la voisine d’en face, âgée de 13ans, avec l’intention bien arrêtée de ne pas m’arrêter là, ma mère exprima bruyamment le désir de montrer ces insanités au médecin de famille « pour [m]e faire soigner ».

Lorsque ladite voisine est revenue me visiter, elle s’est fait jeter dehors par un père déchaîné. Je me suis rabattu sur une gosse de trois ans. La fille des voisins de palier. Ni exhibition, ni pénétration. Mais quand même. Lorsqu'ils étaient absents, je consultais leur dictionnaire médical, en me branlant sur les croquis médicaux. Rien ne vaut le vif. Merci chers parents. Pour elle et pour moi. Vous aussi, vous avez cru en papa-maman ? "A ton âge, on n'est pas amoureux ! on travaille !" et aussi : "...ça rend fou !" ...ou folle...

...Les filles aussi... dit la rumeur... surtout les filles... Alors je m'accoudais au balcon, Anne-Betty s'accoudait au balcon, je lui voyais le cordon du slip sous la jupe vichy, et je tournais ma langue dans la bouche, "tu sais que tu ne devrais pas te... te... on ne pourrait pas le faire ensemble ? "Cela devait m'ouvrir son coeur et sa culotte. Je ne l'ai jamais dit. Sûr que j'ai raté quelque chose. "Et que ferez-vous, le jour où une jeune fille... vous serez impuissant, mon garçon, impuissant !" Merci, Docteur.

Ce qu'on a besoin d'amour, à 15 ans, ce n'est pas croyable. On idéalise, on diabolise. Celia, Celia shits - la plus belle fille du monde va aux chiottes.

Choeur des cons disciples :

"Fringue-toi mieux !

"Pas d'histoires drôles !

"Pour draguer, y a qu'à... y a qu'à...

"...et envoie chier tes vieux !...

...Il fallait vraiment que je sois con comme un tonneau pour ne pas avoir baisé comme un chef avec tous ces super-conseils ! seulement, mes rires de malade, mes clavicules au niveau des oreilles et ma gueule de catastrophe naturelle, qui est-ce qui allait me les réparer ?

Écoutez celle-là (c'est pas vous qui trinquez, vous pouvez rigoler) : un pote sapé aux cheveux plaqués me glisse dans la poche un petit mot d'amour pas mal ficelé, pour une fille que je dois rencontrer. Moi je me pavane chez les Yappi (ce nom-là ou un autre), avec ma lettre en poche. Tous les autres sont au courant et se regardent avec apitoiement. Moi je paradais au baby-foot avant le rendez-vous. Et vous me disiez tous N’y va pas j’y suis allé. Ma môme était là, splendide, mûre, blonde, au courant de tout, « dans le jeu ». Avec bonté, avec sincérité, fallait le dépuceler ce grand niais, tu vas rire, elle m’a baratiné sur le trottoir, moi je courais à toute vitesse, de plus en plus vite !

J’avais peur. Vous ne pouvez pas comprendre.

Je haletais Est-ce que tu es une bonne élève bonne élève bonne élève

sinon mon père voudra jamais je galopais les couilles en dedans elle a lâché prise on a son honneur vous ne trouvez pas ça drôle Au suivant Au suivant :

J’entre chez ma copine Sarah parfaitement j’avais une copine mais on se touchait pas faut pas déconner On devait réviser le bac. Je trouve Sarah au lit habillée affalée bras ballants cheveux ballants qu’est-ce que tu aurais fait ?

« Facile mon con je l’aurais redressée – nos deux bouches » e tutti quanti – Non. Non.

Écoute Écoute – j’ai pensé ELLE EST ENDORMIE curieux non comme position ? -...elle est évanouie elle est morte je vais appeler quelqu’un alors elle s’est redressée

Tu dormais ?

- Non.

- Pourquoi cette position ?

Pas de réponse les mecs t’es con aussi c’était évident évident quoi tas de cons ça veut dire quoi « évident » ?

Moi je m’étais forgé une théorie tout seul pour expliquer que les femmes n’avaient pas de désir, ne sentaient rien ne pensaient pas à ces choses-là.Vingt ans vingt ans durant je suis passé à côté des signaux sans les voir, énormes les signaux il paraît, la faute aux femmes la faute aux Autres mais oui j’étais pédé mais oui c’était ça l’évidence tu as gagné une boîte de jeux et ce jour-là, Sarah et moi, nous nous sommes assis côte à côte, j’ai voulu effleurer le petit doigt elle l’a retiré vite vite ha très très vite offusquée QU’EST-CE QUE JE DISAIS qu’est-ce que je disais les hommes tous des cochons JE VEUX REVIVRE JE VEUX REVIVRE Chapitre Relief de l’Asie Centrale Everest 8847m ma pine 0,5cm bon Dieu si t’as pas rigolé c’est que tu es coincé branleur de mes deux.

De toute façon avec ces Juives Hispano-Marocaines il faut faire attention disait ma mère on ne se méfie jamais assez ils sont capables de te la faire épouser sous le revolver.

T’as raison la vieille je vais avoir l’œil.

* * * * * * * * *

 

Retour en France Périgord exactement 1962, fin d’un monde. Des filles des flirts partout au bord de l’Isle sous les buissons alors moi voyant ça jedizamamaman devant la mère Gauty qui l’a redit partout ça va être facile ici elles sont pas surveillées comme là-bas t’as vu ta gueule non mais t’avais vu ta gueule d’enfariné d’enflé de client de putes ? …Quand tu t’es présenté dans le Groupe « ber-nard » avec le n entre les dents le sourire con et les « r » dans la gorge tu les as repérés les autres qui pouffaient tandis que celle qui semblait être le chef les calmait de la main, tout le monde s’est mêlé sauf un.Au jeu de la vérité, avec qui aimerais-tu sortir ? - Avec Eustache !

J’étais abasourdi. Une fille voulait de moi ! Je me suis éloigné, j’ai demandé à trois ou quatre « garçons » que je connaissais à peine « ...comment on fait ? » - Débrouille-toi ! » - au fait, croyez-vous que la fille en question se soit hasardée à faire un GESTE envers moi je dis bien UN geste ? - Ah mais non mon pote, elle en a déjà fait beaucoup, c’est à ton tour, t’as rien compris, tu parles d’un con…

...Pourquoi m’avez-vous renfoncé dans mon ridicule ? autre sujet - pourquoi vous êtes-vous foutus de moi parce que j’avais un biclou trop petit sans me dire simplement « tu as un biclou trop petit » ? pourquoi vous êtes-vous payé ma gueule parce que je levais les pieds en rentrant la tête sans me dire « tu lèves les pieds et tu rentres la tête » ? Il a fallu que je me surprenne dans une vitrine pour m’en rende compte. Pourquoi en surboum – un Teppaz et deux planches dans un garage - toutes les filles ont-elles trouvé des genoux pour s’assoir sauf les miens ? Oui, c’est rigolo, oui c’est ridicule. Mais pourquoi toutes ces humiliations, ah que je souffre, ah qué yé souis malhéré mon Dié mon Dié !

C’est alors que j’ai commencé à hhhaïr – tremblez… Quand on m’a traité de prétentieux, d’intel-lectuel (réflexion faite, je l’étais) - de pédé, d’impuissant… la Haine ! la Haine !... tu ne peux pas juger, c’est trop dur pour toi… la haine du pas-comme-tout-le-monde contre les comme-tout-le-monde – Baisers volés j’ai connu ça. Mis à part que chez Truffaut le couillon trouve quelqu’un pour le tirer de là, moi aussi, mais j’aime râler.

Vi-queue-time desfemems, de la paralysie des femmes sans voir la mienne – quand les bras sont tout raides et le reste tout mou – toi en face, l’autre, tu es un baiseur un vrai, tu fais partie des 2 % que les femmes se repassent entre elles au nom de la liberté sexuelle – non pas toi t’as vu ta gueule ? (rires) ...dégage, baiseur… ici c’est un taré qui te parle, un Rescapé du Périgord. Et j’ai fini par la trouver, l’âme sœur : une fille de flic, avec plein de boutons sur la gueule. Et ces mêmes fleurtouillards qui me chambraient à cause de ma solitude se sont empressés de se payer ma gueule parce qu’on me voyait, cette fois, avec une fille oui mais la plus moche. On touche le fond. Pas le con.

Mais je me foutais bien d’eux à présent. J’étais accepté. Nous passions à trois des après-midi chez sa mère, au grand dam de mes parents : une Fille de Flic ! Et si je lui racontais que mon père n’avait pas été résistant pendant la guerre, plutôt de l’autre côté ? Et si je faisais un enfant ? Eh bien non : je suis resté très exactement 32 jours, je dis bien trente-deux, sans branlette ! (rires) mon record absolu.Pour la fille, je ne garantis rien. Puis, hélas ! elle a cru que je me moquais d’elle, que je prenais « de [m]es grands airs » (j’en prenais), que j’ «étalaismon instruction » (j’étalais). « À la rentrée tu connaîtras une étudiante et tu m’oublieras » - exactement Maggie : en octobre 10, j’ai rencontré ma femme…

*

Mes vieux étaient loin. J’habitais Cité Universitaire, je me payais le bordel tous les 11 jours (on tient ses comptes), je tournais autour d’une étudiante ravagée de branlette comme moi, détraquée jusqu’au trognon comme moi, que je ne devais baiser que le 15 février 02, sans compter six mois de liaison homo (rien ne vous sera épargné) (rires). Un jour j‘ai bu un cognac cul-sec pour oser embrasser ma Future – sur la joue.

Et à présent Mesdames et Messieurs, Meine Samen und Spermien (lacht)place au délire. Car, « les paranoïaques ont toujours raison »

 

Auf Reise nach Belgien

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C O L L I G N O N

 

A U F  R E I S E  N A C H  B E L G I E N

 

LE VOYAGE EN B E L G I Q U E

 

Auteurs de Merde voyage,bande,magnétique

Tableau d'Anne Jalevski

 

 

 

J’écris couché sur un chemin.

Je suppose que c’est interdit

 

BERGERAC – ARGENTON

D’abord la voix de mon Père.

Il est curieux de retrouver ainsi la voix de son père, dans cette allée de St-Florent-le-Jeune. Sa voix. Je ne la reconnais pas (sauf à certaines inflexions) (rauques).

Je reconnais aussi ces scrupules d’instituteur, qui détache les syllabes, qui estime indispensable de lire à haute voix un « mode d’emploi » en tête de bande magnétique.

Un enfant comprendrait cela en cinq minutes.

La voix restitue toute une ambiance.

Je par-le dis-tinc-te-ment devant le micro.

Il s’est modelé sur la prononciation de « L’allemand sans peine ».

Il refuse toute connaissance, même élémentaire, de la langue britannique.

« Start » prononcé « star »

« Rewind » prononcé « revinnd ».

 

Je conserve ce document.

 

Plus loin :

Mon père a cru tout effacer mais l’on entend le bruit du moteur, et Sonia, à travers sa main à lui.

Comme un cœur.

Je n’entend ma petite Sonia qu’à travers ce moulinage forcené.

 

Les premiers mots prononcés par ma voix, après celle de mon père :

« Je n’ai rien à dire ».

(sur la bande j’entends ma mère : ses savates qui traînent). La veille au soir j’ai vu ma vie : un volumineux album de bandes dessinées.

Tout ce que j’ai pensé, tout ce que je dirai, dans des petites bulles, et que je peux lire.

Les pages de l’avenir s’imprimeront au fur et à mesure.

Que se passera-t-il si je consulte le volume à l’heure même où je suis ?

Ou si reviens me lire juste après l’action, pour vérifier à chaud ce que j’ai pensé ?

 

Je me souviens des choses effacées.

Elles disent, à peu près – que je vais survivre.

 

Je suis celui qui fait l’album.

Les uns sont immortels, les autres non.

 

*

 

Pouvoir thérapeutique du voyage ? - plutôt ce profond malaise, ce broiement sourd

du moteur en marche au sein duquel reposent les mots enregistrés.

L’homme aux semelles de vent – modeste aux semelles de pneus -

Grégarité : ceux qui s’installent dans le champ, juste et précisément dans mon allée Notre envoyé spécial au Tour de France – il n’y a plus de thérapie au numéro que vous avez demandé c’est toi-même que tu fuis etc.

 

Un vagabond (à cheveux longs) viendrait chez nous, se prendrait pour nous d’une affection subite et débordante, puis ils s’installeront, demandent à garder l’enfant, à parler

le-dia-logue ! Le-dia-logue !

Plus avare de dialogue que de fric

Je préfère le vrai voleur, le franc voleur qui ne parle pas.

Lorsque je rends visite, je pars à l’heure prédite, à la minute près, quand je baise je garde ma montre.

Le vagabond vient à dix heures, à 18h30 il est toujours là je vous éviterai toujours

Pour l’amour venez dans mon antre de telle à telle heure aucune femme ne viendrait elle à qui quatre doigts suffisent Le vagabond dit sous son bec-de-lièvre

« Si je dérange tu préviens

- Tu es le cinquième de ce mois

Mon épouse et moi sommes des bourgeois.

 

"

Dès que possible je m’arrête. Qu’il pleuve ou en rase campagne. Je travaillerai sans sortir. Le voyageur extrait ses documents, consulte son Emploi du Temps, il vit selon lui. Ses lectures le mènent chez Saint-John P.

- Je maudis Saint-John Perse. « Parole de vivant ! » disait ce riche. « Balayez tous les livres ! » - auteur, auteur, le livre est plus sacré que le sang et la peau. Le Voyageur du Temps gifle à toute volée le primitif de l’an Dix Mille qui lui montre, sur une étagère, quatre livres en lambeaux.

Il le gifle.

Autre exemple :

Soit un manœuvre. Il a roulé tout le matin des câbles sur un gros tambour. Il a en lui le vide des brutes.Il se plaint à midi du repas trop long, commente son dernier rouleau, évoque la manière dont il poussera le prochain : angle d’attaque,économie des forces…

Il s’est fait expliquer Racine sur les marches du Muséum. Il éprouvait comme un reproche son absence de diplôme. J’aimais sa tête dure, sa façon de se mettre en boule, son aboiement perpétuel, sa corrosion, son rire.

Il écrivait mal. Il cessa. Sa femme lui disait C’est l’écriture ou moi !

C’est la conditionhumaine que tu nies ô femme de B., manœuvre. Et je lui disais moi, au manœuvre :

« Un jour nous manifesterons contre la mort A BAS LA MORT sur les banderoles » et l’ouvrier B. riait avec moi de ceux qui patiemment comme lui-même empilaient les mots et les virgules : « Du haut de ces littératures... »

Ou bien :

« Le vent jette à la mer les vains feuillets de l’homme » - non, Saint-John le Riche, car Pharaon revit sitôt que tu redis son nom. Bibliothèques niches en étagères vos hypogées exigent l’attentat supplient après le viol : "Versez, versez le sang aux ombres d'Odysseus. Dieu ne reviendra pas juger les vivants et les morts je suis fier de faire partie de ce canular.

Je lance en plein jour des appels de phare - pas de flics - faire l'important "Une nuit me rejoignit la fille de l'hôtelier" - depuis combien de temps ? ...passé à "Charriéras" où nous lirions l'histoire d'un homme qui porterait ce nom...

 

*

 

Eviter de montrer de la reconnaissance. Les dons des autres ne sont qu'une contrepartie à l'emmerdement qu'ils dégagent. Variante au Contrat social : chacun voyant avec horreur l'existence d'autrui conçut par là celle qu'il inspirait lui-même, et voulut s'en racheter par des offrandes : du pain, du lait. En retour il obtint du beurre, des fruits, de la viande. Ou de l'affection. De la guerre. Ainsi, et non autrement, naquirent les rapports sociaux.

...La tête qu'ils feront, les Autres, un jour, en se découvrant !

Un jour nous flemmarderons en attendant la mort.

Déplaisante intuition en lisant Rousseau : sitôt que l'on a reconnu ses torts, quelle fête pour les autres de vous accabler !...

 

*

 

Un jour, le sexe gisant sous toute chose se fit débusquer, nu, sans démonerie, et le beau Verbe vagabond reparut comme le feu qui couve. L'homme dit : Je reproche à la femme (...) - ses onanismes, dont nous la sauverions avec condescendance, et npsu n'éprouverions aucun plaisir, et comme un homme me suivait de près, j'ai décroché de mon tableau de bord un micro, afin qu'il se laissât distancer. Le magnétophone enregistre tous nos écarts, nous lui décrivons, faute de les transmettre, les parfums que nous sentons, "et le cul de cerFF blanc d’un chien haut sur pattes au galop ».

Beauté sauvage des jeunes hommes à cyclomoteur.

De St-Jean à Thiviers par St-Jory. Swann et Guermantes. Ma voix déplorable : « dans quelle mesure une attitude consciente est-elle une attitude vraie ? » La réponse est : « une attitude ».

Masturbation intellectuelle.

« Il se masturbe au volant : un mort » - « il se branle au volant et meurt » - j’hésite. Sans repère ici. Personne. Pas d’auto-stoppeur. Auto-stoppeuse ? tout faussé ; exemple :

« Je vous prends à bord. Sinon vous feriez de mauvaises rencontres » - elle, dubitative.

Variante : « Je n’avais pas vu que vous étiez une femme - au revoir  - (un soir je descendais le cours de l’Intendance, suivant une silhouette à longs cheveux blonds – merde une femme – je l’ai sorti ainsi devant elle après l’avoir doublée – son rengorgement digne m’occupe encore. Je dis :

« Les auto-stoppeuses méprisent ceux qui les acceptent, car elle sont bien décidées à ne rien accepter » - un médecin peu soigner un désargenté, mais à celle qui peut payer, qui ne veut rien donner, il doit refuser ». Le cul des femmes est leur monnaie. Délire. Évaluer les villes en fonction des capacités bordelières. Limoges. Ou la main seule, comme elles font toutes. Cosi fan tutte. « Hôtel du Commerce et des Voyageurs » à Thiviers, pas de putes, les cloches au matin, l’ « impasse de Tombouctou ».

 

* * * * * * * *

 

Plaisir simple glisser dans l’ombre à petite vitesse, sans autre pensée que roues et jeux de bielles. Trajet somnambule. Branches. Ne pas aimer. Rester naturel. Ce dix juillet 1976, joué de l’harmonium à Oradour-sur-Vayres. Transporté l’enregistrement ers le nord, aux environs de Béthune parmi les chaumes, sur fond d’autoroute au soleil couché ; entre les arbres au ras de l’horizon, ultime éclat du ciel formant soucoupe, très effilée.

Notre-Dame de… :

« Je vous demande de vivre en état de perpétuelle exaltation. D’aimer, de trouver toutes mes actions extraordinaires, sans prétention de contrepartie. Que ce vœu soit exaucé ».

Notre-Dame de la Perpétuelle Exaltation…

*

Oradour-sur-Glane n’est signalé que 10km à l’avance.

Le guide pleure dans sa casquette : « Dans toute l’histoire de l’humanité... » - cherche bien, guide : cathédrale d’Urfa, Noël 1895 : mille deux cents Kurdes…

Inscription sur un volet (photographie d’époque) : Fünfzig Mann– invariable, pour « cinquante hommes de troupe » ; il est donc inexact d’écrire que les bourreaux, dans leur mauvaise conscience, ont oublié de former le pluriel Männer. Apprenez l’allemand. Je ne défends aucune barbarie, je dis : « apprenez l’allemand ».

Je me sens mal à l’aise. Mon corps se voûte. Mes coins de bouche s’abaissent. J’entends : « C’en est un, regarde, c’est un Allemand. »

Soleil trop lumineux, trop propre. C’est les vacances. Les ressuscités se promènent. « Recueillez-vous » - « Recueillez-vous ». Au cimetière, je fais les calculs : morts d’Avant, morts d’Après.

Quatre-vingt dix ans après sa naissance :

MANIERAS dit SIMON né à Oradour le 10-7-1877

époux de Marie Gautier, Léonie Baudif

Ancien conseiller municipal d’O./Glane

Ancien garde-chasse et pêche, régisseur pendant vingt ans, assermenté

A reçu trois actes de probité pour avoir trouvé de fortes sommes.

À l’âge de 67 ans a pris un engagement dans la milice patriotique comme caporal.

Il a été bon père et bon époux, a su garder l’estime de tous, passant priez pour nous,

au revoir à tous et merci, c’est Maniéras dit Simon qui vous cause.

« Milice » ?

À part les enfants vivants, je vois parfois de belles têtes d’idiots. Les photos des morts rongées par le temps finissent par ressembler à des crânes.

Au mémorial souterrain, je me laisse émouvoir par les encriers de l’école. Ici, une résonance particulière donne aux voix le ton d’une prière ou d’un gémissement. Je sens les pieds, la sueur (des autres…).

Des Noirs pètent.

*

Bellac. Panneaux « Paris ». Pauvres cons. (Près de Créon (Gironde) cet autre panneau « Espagne ! Pyrénées ! »)

Celui qui a institué les congés payés aurait dû les assortir d’une interdiction de partir en vacances.

Je fais du tourisme.

Je t’en foutrais du bonheur pour tous.

Du tourisme…

Non mais.

*

Visage crispé.

Les gens se paient ma tête.

Se foutent de ma gueule.

C’est plus commode.

J’ai cinquante ans d’âme.

...Arrivée à Bellac.

Je ne prie pas à la Collégiale. Je ne veux prier que moi. Bellac ressemble à ses prospectus. Même la libraire se fout de ma gueule. Même quand je souris. Plus loin :

« Mon Dieu, que fait votre main dans ma culotte ?

- Ça te changera de la tienne.

*

Tous les petits chemins possèdent une personnalité, une Belle au Bois qui n’attendait que vos pieds – comme à Monmadalès – sentier détrempé.

J’écrase un papillon.

Occidental au torse halé que je croise, qui te pousse, qui te force ? ...des moules et pis des frites et du vin de Moselle… nous habitons plus haut, les Belges sont des ventres d’égotisme, grand-maman de mon père – du belge dans mon sang.

*

Sur bande magnétique, je prends des poses. J’imagine que je parle, qu’on m’interroge, avec mon accent belge, je me récoute encore, enfant je me croyais coupable outre mesure et demandais pardon le soir à mes parents à travers le mur, ils me l’accordaient, dans une gêne extrême.

 

 

 

 

 

 

 

 

BLATTES, BLATTES scénario

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C O L L I GN ON

B L A T T E S  , B L A T T E S

LES FILMS DE MERDE

 

PITCH

Deux couples rivaux aménagent une ancienne boucherie en lieu de vente pour travaux de peinture sur soie. L’ambiance tendue, l’isolation du lieu choisi, la sottise humaine généralisée, le manque de motivation, présentent une image déprimante de toute entreprise humaine.

insectes,auberge,Alsacien

 

THÈME

Tout est vain, le monde est con, toute entreprise est vouée à l’échec, se lamenter est le but ultime.

LE HÉROS

1.QUI EST-IL ?

Un homme de 48 ans, professeur profondément pessimiste, dont le seul but est de caricaturer tous ceux qu’il voit. Il déteste toute action et cultive l’inaction, l’imagination languissante.

2. QUE FAIT-IL ?

Il accompagne sa femme et l’amie de celle-ci dans une tentative de se faire reconnaître dans leur activité artisanale. Ses cours n’interviennent pas ici.

3. D’OÙ VIENT-IL ?

De Bordeaux, à 100km. Son activité consiste à transformer ses cours en perpétuel ricanement. Il n’est venu que pour suivre mollement le projet de sa femme, sans s’impliquer réellement, car il ne croit à rien, sauf au caractère victimaire de sa précieuse et inutile personne.

4.OÙ VA-T-IL ?

Absolument nulle part, où le vent le pousse. Sa femme et l’amie de cette dernière lui demandent de transporter su matériel à Fort-St-Jacques, alors il le fait.

 

5. POURQUOI Y VA-T-IL ?

Parce que sa femme Arielle le lui a demandé, sinon il s’en fiche. Il pense que les femmes ont toujours raison, ce qui est une excellente raison pour ne jamais prendre la moindre initiative. Simplement, par la seule force de son observation ironique et morne, il créera des mots et des images à peine moins chiantes que la réalité, qui n’est qu’une toile de fond de sa douleur mineure et narcissique.

 

(« ETC. » : rien de plus. Un vrai sous-Houellebecq, une loque informe et vénéneuse)

 

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CARTON

Tout être qui se sent persécuté

est réellement persécuté.

MONTHERLANT

Le cardinal d’Espagne

 

SEQUENCE 1

INT. JOUR

OFF

 

Les blattes sont de petits insectes dégueulasses,

hétérométaboles et dictyoptères. Ils trottent dans

les lieux obscurs en faisant cra-cra-cra

et se nourrissent de débris variés/

 

1. GP Blattes : longues et brunes

au plafond

2. GP - sur les murs

3. 4. 5. GP Blattes longues et brunes en positions différentes.

6. INSERT : une ampoules à cent watts, éblouissante

7. GP : Blattes aplaties éblouies qui font les mortes

8. GP : Certaines contractent d’un coup leurs six pattes sur le ventre

et se laissent tomber au sol.

9. GP : Blattent qui filent sur le carrelage.

10. GP : Pantoufle rageuse écrasant les blattes

à même les parois et le plafond nus.

11. Quatre pantoufles enfilées par des mains

12. GP Blattes qui tombent.

 

OFF

« La mort la plus simple pour l’organisme le plus simple.

Un petit rectangle simple, qui craque à peine.

13. GP Cadavre écrasé contre le mur, raclé pour le faire tomber.

BRUITAGE TRES ACCENTUÉ PDT TOUTE LA SÉQUENCE

14. PLONG. SUR LES QUATRE BABOUCHES

15. PM Carnage sur le carrelage, en perspective cavalière.

16. GP sur les rescapées se cachant dans des fissures.

17. PA. Deux humains, mâle et femelle au crâne rasé, roux pour la femme.

Baladeurs sur les oreilles.

La femme en tablier bleu.

Ils comptent les cadavres en se courbant.

PASCAL SCHONGAUER dit PAPIER

Vingt-cinq.

MARQUISE DE SCHONGAU

Quarante-quatre.

PASCAL

Soixante-neuf. Quelle coïncidence.

MARQUISE

Va chercher un balai.

TRAV. AV. PASCAL de dos cherche un balai dans un placard très sale

ZOOM AV. Toiles d’araignées, très luisantes.

TRAV. AR. PASCAL charrie les blattes sur la pelle.

18. GP visage de la Marquise, surimpression STOCK : pelleteuses charriant des cadavres à

Auschwitz.

19. PA Ils enlèvent leurs écouteurs et coupent la musique.

MARQUISE JEANNE

C’était quoi pour toi ?

Elle écarte les bords d’un grand sac en plastique.

PASCAL

Schubert comme d’habitude.

COLLIGNON «BLATTES, BLATTES » SCÉNARIO 6

 

 

 

 

PASCAL PAPIER est tout pâle. Il jette les cadavres à la pelle dans le grand sac.

 

SEQUENCE 2

EXT. JOUR

 

Dans une voiture. PASCAL et MARQUISE JEANNE de SCHONGAU côte à côte

 

MARQUISE JEANNE

Maintenant on peut y aller.

PASCAL

...avec le kilo de poudre qu’on leur a foutu dans le coquetier, les blattes…

MARQUISE JEANNE

...elles peuvent crever.

Un temps.

Tu n’as pas oublié les tréteaux ?

PASCAL

Pas de danger.

JEANNE

Tu les as bien calées, mes toiles ? Ventre à ventre, ou dos à dos.

PASCAL, bat :

Tout baigne…

 

SÉQUENCE 3

EXT. JOUR

1. PG Voiture, de dos, débouchant dans une rue étroite.

2. CONT.PLONG. Panonceau défraîchi «BOUCHERIE »

3. PM PASCAL et JEANNE, écouteurs à l’oreille, font plusieurs aller-retours de la voiture à la boucherie, transportant des paquets encombrants (tréteaux, toiles par deux).

4. GP sur des barreaux de vitrine, verticaux, très serrés, à l’ancienne.

5. TGP Intérieur des cannelures des barreaux, maculé de taches brunes indélébiles.

6. GP Visage de PASCAL reniflant.

PASCAL

Ça sent le vieux sang. Séché.

Il mâche dans le vide bouche ouverte, d’un air dégoûté.

7. PG TRAV. GD Arrière-boutique.

TRAV .AV. Cuisine en boyau.

GP Un réchaud vétuste, un tuyau à gaz à date périmée.

 

8. PM JEANNE de dos ouvrant une fenêtre crasseuse qui donne sur une ruelle à ras de caniveau, eaux sales. TRAV. BH Une fenêtre juste en face, rideaux bonne femme et cul de télévision 1992.

9. P.G. PASCAL Schongauer et JEANNE Schongau installant toue sorte de paquets, tréteaux, tableaux, premiers rangements et dispositions.

OFF :

« ...soit pour les époux Schongau-Schongauer en location indivise un bâtiment sis six de la rue des Puniques, sur trois niveaux dont une boucherie désaffectée au rez-de-chaussée plus arrière-boutique attenante, chambre et dégagement plus point d’eau et toilette au premier étage plus chambres et toilettes au deuxième et combles, le tout constituant immeuble de rapport ou hôtel déclassé pour insalubrité (arrêté préfectoral du 20 juillet 1983), chaque chambre pourvue d’une literie, d’un mobilier d’hôtellerie adéquat et de tous tuyaux, robinetterie, lavabo et bidet en bon état de marche, à charge éventuelle pour les époux Schongau-Schongauer de réaménager à leur gré exclusif tout ou partie, intérieur ou extérieur, du bâtiment décrit susdit... »

 

10. P.E. PASCAL et JEANNE remettant une forte liasse de billets entre les mains de LA FEMME AUBERGISTE (MAUD)

 

11. P.E. PASCAL et JEANNE main dans la main, écouteurs pendants, s’engage dans le grand raide escalier de bois noir qui monte à l’étage.

 

INT. JOUR.

12. P.M. PASCAL SCHONGAUER s’arrête net :

«  Douze vingtièmes de ma vie ; quatre ans par marche : 48 ans sur 80 ».

Ils se tiennent par les épaules.

 

13. P.M. Ils débouchent sur le grand palier qui comprend : une pierre à eau, un coin douche. Armoires, coffres, poussière.

 

14. P.M. TRAV. AV.

Couloir tordu ; au bout à droite une chambre en état d’abandon ;

 

LA FEMME AUBERGISTE (MAUD) par derrière. L’HOMME AUBERGISTE. Tous deux très corpulents, l’homme très grand, de type alsacien.

L’HOMME, qui les a suivis :

« C’est la plus belle ».

 

PASCAL

« Sûr ! »

15. PANORAMIQUE GD

Une cheminée sous la poussière gluante. Une table de nuit. Lit. Couvre-pied lourd.

 

16. P.M. JEANNE se tord les pieds sur les tomettes.

17.G.P. PASCAL SCHONGAUER : son visage exprime une grande satisfaction. Il se frotte les mains.

 

18. L’AUBERGISTE MÂLE

« Ça donne juste au-dessus de la porte aux bouchers. Ne vous penchez pas trop » (doctoral) Quatre mètres cinquante.

L’AUBERGISTE FEMELLE (MAUD)

« C’est mon mari qui a installé la pompe. Et des toilettes dans le boyau. V’z’avez pas vu les toilettes ?

 

JEANNE SCHONGAU

« Il y a des blattes.

MAUD

« Vos aurez du produit.

Les deux couples se comparent avec intérêt.

 

MÂLE

« On vous fait un prix parce que c’est insalubre.

 

FEMELLE

« Il faudrait des frais énormes.

 

PASCAL, s’esclaffant niaisement :

« Ha ha ! « Énormes ! »

 

JEANNE le fixe férocement. Il se tait.

 

19. P.M. Int. Jour

Vue sur une chambre désaffectée, volets mi-clos, matelas roulés.

 

AUBERGISTE FEMELLE, soufflant :

Juste au-dessus vous avez une autre chambre, qu’est pas mal non plus.

 

AUBERGISTE MÂLE

Bon, moi je r’tourne bricoler.

 

20. P.M. AUBERGISTE FEMELLE, guide les locataires

Là c’est les cabinets. (Elle tire la chasse)

Surtout vous n’en mettez pas trop. Pour le produit, vous passerez le prendre. On mange à sept heures.

 

21. Travelling avant dans l’escalier

PASCAL

Qu’est-ce qu’il y a sous ç’t’escalier ?

AUBERGISTE FEMELLE

Ben c’est un puits. (Elle dégage, en tirant une planche, un puits intérieur fermé par une grille)

À la fin de la guerre les Résistants ils ont balancé des miliciens. Alors ça remonte ! - moi je suis là que depuis trois ans.

 

SÉQUENCE 3

P.E. INT. JOUR

 

1. Intérieur d’auberge campagnarde. Six tables serrées, nappes « bonne femme ».

Représentants, camionneurs. Seule à une table, imposante, la MARQUISE DE BOUF ET BOILNŒUD. Grande, forte, blonde, 50 ans, se croit bon chic bon genre.

JEANNE SCHONGAU, de dos, attendant qu’on la serve.

PANORAMIQUE BAS DROIT vers HAUT GAUCHE

PASCAL sort des toilettes en haut de l’escalier en se rebraguettant et redescend s’assoir en face de JEANNE SCHONGAU.

 

OFF

JEANNE, à PASCAL

Je ne veux pas manger dans ce trou à rat.

PASCAL

C’est pour se faire bien voir.

JEANNE, sifflante :

Savonnette...

 

2. P.E.

L’AUBERGISTE FEMELLE (« MAUD »)

Vous prendrez bien l’apéro ? (elle fait signe à SA FILLE) Trois Marie Brizard !

 

LA FILLE s’éloigne, escortée par un PETIT AMI soumis aux cheveux d’oreilles d’épagneul.

 

« MAUD »

Il n’y a pas de clients ici. C’est pas des gens intéressants. Et puis avec tous ces putain d’impôts…

La MARQUISE DE BOUF ET BOILNŒUD tique…

 

3. INT. JOUR P.M.

LE PETIT AMI

Vous voulez de la musique ?

 

Il met en route un appareil à musique, constitué d’un corps de buffet et d’un cercle de métal blanc, sous vitre.Ce cercle présente une infinité d’aspérités correspondant au mécanisme d’une boîte à musique.

 

 

LE PETIT AMI glisse une pièce de cinq francs Napoléon III dans la fente, l’appareil se met en marche sous les yeux attentifs et dans le silence de tous ; il joue La marche des petits Pierrots.

 

SÉQUENCE 4

 

1. CUT – P. M.

CARLOS, SOPHIE LA BLATTE

Couples de touristes, lui : corpulent, type latino-américain, barbe de zapatero. Bagues, lunettes noires de comédie.

SOPHIE LA BLATTE en robe légère et très démodée.

 

CARLOS, sur le pas de la porte, écoutant :

C’est vraiment chouette !

 

SOPHIE, voix très aiguë :

Patronne ! Deux menus très simples…

 

MAUD

Ici Madame, y a que du très simple.

 

SOPHIE & CARLOS s’installent au milieu d’une attention respectueuse. Ils sont disposés de face avec PASCAL et JEANNE , légèrement décalés.

Musique. On voit CARLOS s’enfiler trois ou quatre apéritifs, faire rigoler toute l’assistance avec de grands gestes ;

 

2. GP visage de SOPHIE

 

3. P.M.

PASCAL SCHÖNGAUER - JEANNE SCHÖNGAU, CARLOS ET SOPHIE LA BLATTE parlent ensemble avec animation, la glace est rompue.

 

4. P.M.

JEANNE SCHÖNGAU, naïve, à CARLOS

Ah ? Ils ont aussi des néonazis en Norvège ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


BLATTES, BLATTES scénario

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C O L L I GN ON

 

B L A T T E S  , B L A T T E S

LES FILMS DE MERDE

PITCH

Deux couples rivaux aménagent une ancienne boucherie en lieu de vente pour travaux de peinture sur soie. L’ambiance tendue, l’isolation du lieu choisi, la sottise humaine généralisée, le manque de motivation, présentent une image déprimante de toute entreprise humaine.

Alsacien,auberge,musique

THÈME

Tout est vain, le monde est con, toute entreprise est vouée à l’échec, se lamenter est le but ultime.

LE HÉROS

1.QUI EST-IL ?

Un homme de 48 ans, professeur profondément pessimiste, dont le seul but est de caricaturer tous ceux qu’il voit. Il déteste toute action et cultive l’inaction, l’imagination languissante.

2. QUE FAIT-IL ?

Il accompagne sa femme et l’amie de celle-ci dans une tentative de se faire reconnaître dans leur activité artisanale. Ses cours n’interviennent pas ici.

3. D’OÙ VIENT-IL ?

De Bordeaux, à 100km. Son activité consiste à transformer ses cours en perpétuel ricanement. Il n’est venu que pour suivre mollement le projet de sa femme, sans s’impliquerréellement, car il ne croit à rien, sauf au caractère victimaire de sa précieuse et inutile personne.

4.OÙ VA-T-IL ?

 

Absolument nulle part, où le vent le pousse. Sa femme et l’amie de cette dernière lui demandent de transporter su matériel à Fort-St-Jacques, alors il le fait.

 

5. POURQUOI Y VA-T-IL ?

Parce que sa femme Arielle le lui a demandé, sinon il s’en fiche. Il pense que les femmes ont toujours raison, ce qui est une excellente raison pour ne jamais prendre la moindre initiative. Simplement, par la seule force de son observation ironique et morne, il créera des mots et des images à peine moins chiantes que la réalité, qui n’est qu’une toile de fond de sa douleur mineure et narcissique.

 

(« ETC. » : rien de plus. Un vrai sous-Houellebecq, une loque informe et vénéneuse)

 

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CARTON

Tout être qui se sent persécuté

est réellement persécuté.

MONTHERLANT

Le cardinal d’Espagne

 

SEQUENCE 1

INT. JOUR

OFF

 

Les blattes sont de petits insectes dégueulasses,

hétérométaboles et dictyoptères. Ils trottent dans

les lieux obscurs en faisant cra-cra-cra

et se nourrissent de débris variés/

 

1. GP Blattes : longues et brunes

au plafond

2. GP - sur les murs

3. 4. 5. GP Blattes longues et brunes en positions différentes.

6. INSERT : une ampoules à cent watts, éblouissante

7. GP : Blattes aplaties éblouies qui font les mortes

8. GP : Certaines contractent d’un coup leurs six pattes sur le ventre

et se laissent tomber au sol.

9. GP : Blattent qui filent sur le carrelage.

10. GP : Pantoufle rageuse écrasant les blattes

à même les parois et le plafond nus.

11. Quatre pantoufles enfilées par des mains

12. GP Blattes qui tombent.

 

OFF

« La mort la plus simple pour l’organisme le plus simple.

Un petit rectangle simple, qui craque à peine.

13. GP Cadavre écrasé contre le mur, raclé pour le faire tomber.

BRUITAGE TRES ACCENTUÉ PDT TOUTE LA SÉQUENCE

14. PLONG. SUR LES QUATRE BABOUCHES

15. PM Carnage sur le carrelage, en perspective cavalière.

16. GP sur les rescapées se cachant dans des fissures.

17. PA. Deux humains, mâle et femelle au crâne rasé, roux pour la femme.

Baladeurs sur les oreilles.

La femme en tablier bleu.

Ils comptent les cadavres en se courbant.

PASCAL SCHONGAUER dit PAPIER

Vingt-cinq.

MARQUISE DE SCHONGAU

Quarante-quatre.

PASCAL

Soixante-neuf. Quelle coïncidence.

MARQUISE

Va chercher un balai.

TRAV. AV. PASCAL de dos cherche un balai dans un placard très sale

ZOOM AV. Toiles d’araignées, très luisantes.

TRAV. AR. PASCAL charrie les blattes sur la pelle.

18. GP visage de la Marquise, surimpression STOCK : pelleteuses charriant des cadavres à

Auschwitz.

19. PA Ils enlèvent leurs écouteurs et coupent la musique.

MARQUISE JEANNE

C’était quoi pour toi ?

Elle écarte les bords d’un grand sac en plastique.

PASCAL

Schubert comme d’habitude.

COLLIGNON «BLATTES, BLATTES » SCÉNARIO 6

 

 

 

 

PASCAL PAPIER est tout pâle. Il jette les cadavres à la pelle dans le grand sac.

 

SEQUENCE 2

EXT. JOUR

 

Dans une voiture. PASCAL et MARQUISE JEANNE de SCHONGAU côte à côte

 

MARQUISE JEANNE

Maintenant on peut y aller.

PASCAL

...avec le kilo de poudre qu’on leur a foutu dans le coquetier, les blattes…

MARQUISE JEANNE

...elles peuvent crever.

Un temps.

Tu n’as pas oublié les tréteaux ?

PASCAL

Pas de danger.

JEANNE

Tu les as bien calées, mes toiles ? Ventre à ventre, ou dos à dos.

PASCAL, bat :

Tout baigne…

 

SÉQUENCE 3

EXT. JOUR

1. PG Voiture, de dos, débouchant dans une rue étroite.

2. CONT.PLONG. Panonceau défraîchi «BOUCHERIE »

3. PM PASCAL et JEANNE, écouteurs à l’oreille, font plusieurs aller-retours de la voiture à la boucherie, transportant des paquets encombrants (tréteaux, toiles par deux).

4. GP sur des barreaux de vitrine, verticaux, très serrés, à l’ancienne.

5. TGP Intérieur des cannelures des barreaux, maculé de taches brunes indélébiles.

6. GP Visage de PASCAL reniflant.

PASCAL

Ça sent le vieux sang. Séché.

Il mâche dans le vide bouche ouverte, d’un air dégoûté.

7. PG TRAV. GD Arrière-boutique.

TRAV .AV. Cuisine en boyau.

GP Un réchaud vétuste, un tuyau à gaz à date périmée.

 

8. PM JEANNE de dos ouvrant une fenêtre crasseuse qui donne sur une ruelle à ras de caniveau, eaux sales. TRAV. BH Une fenêtre juste en face, rideaux bonne femme et cul de télévision 1992.

9. P.G. PASCAL Schongauer et JEANNE Schongau installant toue sorte de paquets, tréteaux, tableaux, premiers rangements et dispositions.

OFF :

« ...soit pour les époux Schongau-Schongauer en location indivise un bâtiment sis six de la rue des Puniques, sur trois niveaux dont une boucherie désaffectée au rez-de-chaussée plus arrière-boutique attenante, chambre et dégagement plus point d’eau et toilette au premier étage plus chambres et toilettes au deuxième et combles, le tout constituant immeuble de rapport ou hôtel déclassé pour insalubrité (arrêté préfectoral du 20 juillet 1983), chaque chambre pourvue d’une literie, d’un mobilier d’hôtellerie adéquat et de tous tuyaux, robinetterie, lavabo et bidet en bon état de marche, à charge éventuelle pour les époux Schongau-Schongauer de réaménager à leur gré exclusif tout ou partie, intérieur ou extérieur, du bâtiment décrit susdit... »

 

10. P.E. PASCAL et JEANNE remettant une forte liasse de billets entre les mains de LA FEMME AUBERGISTE (MAUD)

 

11. P.E. PASCAL et JEANNE main dans la main, écouteurs pendants, s’engage dans le grand raide escalier de bois noir qui monte à l’étage.

 

INT. JOUR.

12. P.M. PASCAL SCHONGAUER s’arrête net :

«  Douze vingtièmes de ma vie ; quatre ans par marche : 48 ans sur 80 ».

Ils se tiennent par les épaules.

 

13. P.M. Ils débouchent sur le grand palier qui comprend : une pierre à eau, un coin douche. Armoires, coffres, poussière.

 

14. P.M. TRAV. AV.

Couloir tordu ; au bout à droite une chambre en état d’abandon ;

 

LA FEMME AUBERGISTE (MAUD) par derrière. L’HOMME AUBERGISTE. Tous deux très corpulents, l’homme très grand, de type alsacien.

L’HOMME, qui les a suivis :

« C’est la plus belle ».

 

PASCAL

« Sûr ! »

15. PANORAMIQUE GD

Une cheminée sous la poussière gluante. Une table de nuit. Lit. Couvre-pied lourd.

 

16. P.M. JEANNE se tord les pieds sur les tomettes.

17.G.P. PASCAL SCHONGAUER : son visage exprime une grande satisfaction. Il se frotte les mains.

 

18. L’AUBERGISTE MÂLE

« Ça donne juste au-dessus de la porte aux bouchers. Ne vous penchez pas trop » (doctoral) Quatre mètres cinquante.

L’AUBERGISTE FEMELLE (MAUD)

« C’est mon mari qui a installé la pompe. Et des toilettes dans le boyau. V’z’avez pas vu les toilettes ?

 

JEANNE SCHONGAU

« Il y a des blattes.

MAUD

« Vos aurez du produit.

Les deux couples se comparent avec intérêt.

 

MÂLE

« On vous fait un prix parce que c’est insalubre.

 

FEMELLE

« Il faudrait des frais énormes.

 

PASCAL, s’esclaffant niaisement :

« Ha ha ! « Énormes ! »

 

JEANNE le fixe férocement. Il se tait.

 

19. P.M. Int. Jour

Vue sur une chambre désaffectée, volets mi-clos, matelas roulés.

 

AUBERGISTE FEMELLE, soufflant :

Juste au-dessus vous avez une autre chambre, qu’est pas mal non plus.

 

AUBERGISTE MÂLE

Bon, moi je r’tourne bricoler.

 

20. P.M. AUBERGISTE FEMELLE, guide les locataires

Là c’est les cabinets. (Elle tire la chasse)

Surtout vous n’en mettez pas trop. Pour le produit, vous passerez le prendre. On mange à sept heures.

 

21. Travelling avant dans l’escalier

PASCAL

Qu’est-ce qu’il y a sous ç’t’escalier ?

AUBERGISTE FEMELLE

Ben c’est un puits. (Elle dégage, en tirant une planche, un puits intérieur fermé par une grille)

À la fin de la guerre les Résistants ils ont balancé des miliciens. Alors ça remonte ! - moi je suis là que depuis trois ans.

 

SÉQUENCE 3

P.E. INT. JOUR

 

1. Intérieur d’auberge campagnarde. Six tables serrées, nappes « bonne femme ».

Représentants, camionneurs. Seule à une table, imposante, la MARQUISE DE BOUF ET BOILNŒUD. Grande, forte, blonde, 50 ans, se croit bon chic bon genre.

JEANNE SCHONGAU, de dos, attendant qu’on la serve.

PANORAMIQUE BAS DROIT vers HAUT GAUCHE

PASCAL sort des toilettes en haut de l’escalier en se rebraguettant et redescend s’assoir en face de JEANNE SCHONGAU.

 

OFF

JEANNE, à PASCAL

Je ne veux pas manger dans ce trou à rat.

PASCAL

C’est pour se faire bien voir.

JEANNE, sifflante :

Savonnette...

 

2. P.E.

L’AUBERGISTE FEMELLE (« MAUD »)

Vous prendrez bien l’apéro ? (elle fait signe à SA FILLE) Trois Marie Brizard !

 

LA FILLE s’éloigne, escortée par un PETIT AMI soumis aux cheveux d’oreilles d’épagneul.

 

« MAUD »

Il n’y a pas de clients ici. C’est pas des gens intéressants. Et puis avec tous ces putain d’impôts…

La MARQUISE DE BOUF ET BOILNŒUD tique…

 

3. INT. JOUR P.M.

LE PETIT AMI

Vous voulez de la musique ?

 

Il met en route un appareil à musique, constitué d’un corps de buffet et d’un cercle de métal blanc, sous vitre.Ce cercle présente une infinité d’aspérités correspondant au mécanisme d’une boîte à musique.

 

 

LE PETIT AMI glisse une pièce de cinq francs Napoléon III dans la fente, l’appareil se met en marche sous les yeux attentifs et dans le silence de tous ; il joue La marche des petits Pierrots.

 

SÉQUENCE 4

 

1. CUT – P. M.

CARLOS, SOPHIE LA BLATTE

Couples de touristes, lui : corpulent, type latino-américain, barbe de zapatero. Bagues, lunettes noires de comédie.

SOPHIE LA BLATTE en robe légère et très démodée.

 

CARLOS, sur le pas de la porte, écoutant :

C’est vraiment chouette !

 

SOPHIE, voix très aiguë :

Patronne ! Deux menus très simples…

 

MAUD

Ici Madame, y a que du très simple.

 

SOPHIE & CARLOS s’installent au milieu d’une attention respectueuse. Ils sont disposés de face avec PASCAL et JEANNE , légèrement décalés.

Musique. On voit CARLOS s’enfiler trois ou quatre apéritifs, faire rigoler toute l’assistance avec de grands gestes ;

 

2. GP visage de SOPHIE

 

3. P.M.

PASCAL SCHÖNGAUER - JEANNE SCHÖNGAU, CARLOS ET SOPHIE LA BLATTE parlent ensemble avec animation, la glace est rompue.

 

4. P.M.

JEANNE SCHÖNGAU, naïve, à CARLOS

Ah ? Ils ont aussi des néonazis en Norvège ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Carré de dames - théâtre

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C O L L I G N O N

C A R R É  D E  D A M E S

dédié à Anne Sylvestre

 

 

ACTE UN, Tableau unique

 

Une cuisine traditionnelle, avec cheminée. Une grande table sur le devant, un buffet au fond à jardin. TROIS VIEILLES DAMES debout ou assises tout autour. UN REPRÉSENTANT, UNE AUTRE VIEILLE DAME dans un fauteuil roulant, près d’une fenêtre côté cour, sous un amoncellement de couvertures.

Prévoir un écran, un prompteur. vieilles,savoir,représentant

PREMIÈRE VIEILLE DAME (JEANNE)

WATSON’S INTERNATIONAL ENCYCLOPEDY…

 

DEUXIÈME VIEILLE DAME (FITZELLE), accent naturel de Toulouse

Tell on… Very exciting…

 

LE REPRÉSENTANT, petit brun frisé, style taurillon. Les paumes écartées bien à plat sur la table

Alors ? Décidées ?

JEANNE

C’est dit !

FITZELLE

Un petit whisky !

LE REPRÉSENTANT

Si vous le dites…

JEANNE ouvre le buffet, sert un verre de whisky ; FITZELLE verse deux verres de Porto.

C’est du porto.

 

DEUXIÈME VIEILLE

Et du bon .

Le Représentant boit posément. Les deux vieilles avalent ensemble, côte à côte, cul sec (éclairage:soleil couchant)

LE REPRÉSENTANT, grimaçant

L’Encyclopédie Watson, chef-d’œuvre de la conscience professionnelle anglo-saxonne...

JEANNE

Aryenne…

LE REPRÉSENTANT se choque

JEANNE

Vous n’êtes pas spécialement nordique, non ?

LE REPRÉSENTANT

Niçois.

FITZELLE

Arabe ?

LE REPRÉSENTANT

Tout de même pas.

Silence. Le tas decouverturesur le fauteuil respire doucement.

LE REPRÉSENTANT

Dites-moi…

JEANNE

Oui ?

LE REPRÉSENTANT

Il va où, cet escalier ?

FITZELLE

Il ne va nulle part cet escalier.

JEANNE

Il reste ici.

LE REPRÉSENTANT

Ah bon.

FITZELLE

Porto ?

Elle le ressert d’office.

LE REPRÉSENTANT, la main sur le volume

Une somme incomparable…

JEANNE

Il est bon le Porto ?

FITZELLE

Nous sommes l’Encyclopédie.

LE REPRÉSENTANT

Tout est là-dedans.

JEANNE ET FITZELLE lui tendent la bouteille

Là-dedans.

Il empoigne la bouteille et la vide en roulant des yeux.

De l’âtre surgit la TROISIÈME VIEILLE,accroupie, tisonnant le foyer

LA TROISIÈME VIEILLE, MARCIAU

Pas d’accord !

Un coup de pétard dans le feu, éclairant les visages dans les mouves rougeoyants ; une lueur inquiétante, au-dessous de l’escalier.

MARCIAU, brandissant son tisonnier :

Je ne veux pas acheter L’Encyclopédie Watson.

LE REPRÉSENTANT, tourné vers les deux autres :

Vous étiez d’accord, vous deux. Ça fait trois quarts d’heure qu’on discute.

FITZELLE

Au moinsse…

 

LE REPRÉSENTANT

Ah tout de même…

Il se dirige en titubant vers la sortie, heurte du genou sur la chaise le tas de couverture qui pousse un cri.

Affolé :

Y a quelqu’un ?

 

LA QUATRIÈME VIEILLE, SOUPOV, de sous ses couvertures

Imbécile !

 

LE REPRÉSENTANT se retourne lentement. Il hausse le front, passe son index recourbé sur ses lèvres. Ton doctoral :

« Imbécile » ? Soit. Mais comment l’entendez-vous ?

Il referme le tome sur son doigt. Il en appuie fortement le dos sur la table.

Vous pensez que j’en suis la parfaite illustration.

Les quatre vieilles approuvent vigoureusement de la tête.

Vous n’avez pas de miroir ?

Elles se regardent en ricanant ; MARCIAU, tournée vers la flamme, essuie ses lunettes de fer.

 

SOUPOV

Tί δ’ἂν αὐτῷ χρώμεθα ; [ti dann autô khrôméta] ?

 

LE REPRÉSENTANT

Ce que vous en feriez ? Ô courte sagesse, ô sexe imbécile ! c’est folie de courir aux miroirs ; bien plus grande encore de les avoir brisés !

 

JEANNE

Proxima mors mox auferet nos (sur un prompteur : « Une mort proche bientôt nous emportera ».)

 

MARCIAU

Sind wir mal noch Frauen ? (Prompteur : Sommes-nous seulement toujours des femmes?)

 

JEANNE

Noli deridere. (Prompteur : ne te moque pas de nous).

 

LE REPRÉSENTANT les considère et se rassied lentement(à part) Pas de pitié… (déclamant) « On a vu la vieillesse la plus décrépite et l’enfance la plus imbécile courir à la mort comme à l’honneur du triomphe ».

 

MARCIAU

Je prends ce tome-là.

 

SOUPOV, à MARCIAU

Crève.

 

LE REPRÉSENTANT, se rengorgeant

Georges Bénigne Bossuet...

 

FITZELLE

On sait.

 

LE REPRÉSENTANT

...qui n’était pas un imbécile…

 

JEANNE

Une ganache.

 

SOUPOV

Et qui puait du cul.

 

LE REPRÉSENTANT

Que de science !

 

FITZELLE, très vite

Une buse.

 

JEANNE, même jeu

Une couenne.

MARCIAU, même jeu

Une croûte.

 

SOUPOV, même jeu

Un fourneau, une gourde

 

FITZELLE, accélérant

Manche.

 

JEANNE, même jeu

Moule.

 

MARCIAU, même jeu

Noix.

 

SOUPOV, même jeu

Une tourte

 

LE REPRÉSENTANT, fouillant dans sa mallette

J’ai là aussi une estampe. À vendre.

Du plat de la main il la déroule sur la table et se recule vivement. Les têtes des vieilles (sauf SOUPOV) se rejoignent. Ces dernières soulèvent l’estampe.

 

FITZELLE

Je vois une faux.

 

JEANNE

C’est faux.

 

SOUPOV, qui a rapproché son fauteuil

C’est une huître.

 

JEANNE

Je vois un texte en vers.

 

MARCIAU

On ne voit rien.

 

LE REPRÉSENTANT

Facile. (Il se lève pour tourner l’interrupteur. Debout près de la porte à Jardin, la main sur le commutateur, il les considère toutes l’une après l’autre en ricanant silencieusement)

C’est la gravure, Mesdames, qu’il faut examiner.

 

SOUPOV

Nous avez-vous suffisamment détaillées ?

 

MARCIAU

Rasseyez-vous.

 

LE REPRÉSENTANT baisse le bras, tire sur les plis de son pantalon en se rasseyant

La gravure a pour titre « Der Tod und der Tor ».

 

Elle représente en effet, traitée dans le style de Holbein, un évêque assis, coiffé d’une immense mitre en bonnet d’âne, disputant avec la Mort une partie d’échecs. La Mort est représentée de façon traditionnelle sous la forme d’un écorché assis de profil. L’immense faux qu’elle tient s’incline juste par-dessus la mitre. À son pagne grotesquement déchiqueté pend une riche aumônière, vers laquelle, par-dessous la table, l’évêque tend une main gantée toute garnie de bagues).

 

LE REPRÉSENTANT, prêchant

« Il est sûr que s’il y a un sou à gagner, l’imbécile l’emportera sur le philosophe » (Voltaire).

Voyez comme il sourit, l’évêque, voyez comme il croit couillonner son adversaire.

 

MARCIAU

Tout dépend de comment on le regarde.

 

LE REPRÉSENTANT

La Mort étend le bras. Elle va gagner la partie !

 

SOUPOV

Sûr ?

 

MARCIAU

...et certaine. Regarde l’échiquier. (Elle lit)

« Cil cuide engeigner la Mort

Par lui desrobber sa bource

L’imbecille doute encor

S’il a terminé sa course »

 

LE REPRÉSENTANT

Savez-vous que cette gravure a failli brûler ? (Il montre des taches brunâtres) Plus des coups d’épingle (il lève lagravure) autour du fer de faux… sur l’échiquier aussi, en forme de croix.

 

JEANNE, qui ne voit rien

En effet.

 

LE REPRÉSENTANT

C’était pour un exorcisme.

 

JEANNE

Curieux, ces déchirures.

 

MARCIAU

Je dirais plutôt que vous l’avez arrachée.

 

JEANNE, qui examine réellement l’image

Je vois des caractères en transparence.

 

LE REPRÉSENTANT

Un pa-limp-seste. Rien de plus courant.

 

MARCIAU

Comment ceci est-il tombé entre vos mains ?

 

LE REPRÉSENTANT

Après l’incendie de 1614…

 

FITZELLE

Mais encore ?

 

LE REPRÉSENTANT

Chocolats Bouinbouin. Complétez votre collection (d’un coup, doctoral) Savez-vous que cette estampe pa-limp-ses-tique s’est trouvée mêlée à l’une des plus fameuses a-nec-dotes de la période révolutionnaire ? (Il appuie sur un bouton dans la paroi, qui débite un enregistrement)

VOIX OFF

« Le 5 thermidor an II, le chevalier de Pierrefonds jouant aux échecs s’aperçut que la main de son partenaire, posée sur un cavalier devant lui, n’était plus qu’un assemblage infect d’os et de tendons. Levant les yeux, horrifié, il sursauta : son adversaire avait pris l’aspect d’une momie suintante. Dans le sursaut qu’il fit, l’échiquier se renversa. Par-dessous se trouvait cette gravure. Le chevalier s’enfuit aussitôt pour l’exil, sans avoir pu réunir ses biens, jusqu’à Brighton en Angleterre. L’autre se retira précipitamment par la fenêtre, en dégageant une odeur pestilentielle. Les domestiques affirmèrent sous serment que dans la rue, l’homme avait repris un aspect naturel, la perruque de travers toutefois. C’était lui que le Tribunal du Peuple avait chargé d’arrêter le Chevalier. »

 

SOUPOV

C’est combien ?

 

LE REPRÉSENTANT écrit une somme sur un papier qu’il pousse vers elle.

 

JEANNE

Trop cher.

 

LE REPRÉSENTANT

Comment ?

 

JEANNE, en russe

Slichkom daragoïé.

 

LE REPRÉSENTANT se

carre sur son siège

À prendre ou à laisser.

 

JEANNE

Est-ce votre compagnie qui vous demande de vendre ?

 

LE REPRÉSENTANT, burlesque et solennel

Certains membres de notre compagnie.

 

LES QUATRE VIEILLES ÉCLATENT DE RIRE

MARCIAU s’empare de la gravure et la scrute. Elle tire de sa poche un crayon et du papier, commence à prendre des notes.

SOUPOV, renfrognée, fait un signe de croix orthodoxe en direction de la table.

FITZELLE, accoudée au dossier de MARCIAU, lit distraitement par-dessus son épaule et bâille.

LE REPRÉSENTANT sursaute.

JEANNE, précipitamment

Dieu vous bénisse !

LES TROIS AUTRES, mécaniquement

Et vous fasse le nez comme j’ai la cuisse.

 

LE REPRÉSENTANT

Quelle heure est-il ?

 

SOUPOV

Ah que ça va être censément dans les huit heures-z-et demie.

 

MARCIAU sans lever le nez

L’heure que tu dégages.

 

FITZELLE

Ma montre s’est arrêtée.

 

LE REPRÉSENTANT

C’est un effet de la gravure.

 

MARCIAU

Ça fait tard.

 

LE REPRÉSENTANT

Oui, quoi-t-est-ce qu’on bouffe ? (en hébreu) Mayèsh lé-êhhol ?

 

FITZELLE, hargneuse

Y’a pas de chambre.

 

JEANNE

T’as vu ta tronche ?

 

SOUPOV regarde ses compagnes

Vous êtes ici chez moi (regardant le REPRÉSENTANT) Vous êtes ici chez vous.

 

FITZELLE

Ce sera des gaufres et rien d’autre.

LE REPRÉSENTANT fait signe que ça ne le dérange pas. SOUPOV roule son fauteuil contre la table, près de l’âtre, où son visage apparaît en pleine lumière. MARCIAU, sur la pointe des pieds, place la gravure de chant sur la table, légèrement enroulée.

 

SOUPOV

Personne ne vous attend ?

 

LE REPRÉSENTANT

Pas même vous.

 

JEANNE lui tend son assiette vide à bout de bras

Tiens, Azraël.

 

FITZELLE farfouille rageusement dans le haut du buffet ; les verres s’entrechoquent.

Il va nous taper l’incruste ce blaireau (plus haut) C’est vrai, ça, que tu es représentant de commerce ?

 

LE REPRÉSENTANT se fouille, se met à poil

J’ai oublié ma carte… J’ai une femme… Deux enfants… J’ai une bi- euh, une sexualité normale…

 

JEANNE rappuie dessus pour le rassoir.

Assis.

 

MARCIAU allume deux chandeliers

LE REPRÉSENTANT

Ne vous mettez pas en frais…

 

MARCIAU désigne la gravure magique, encadrée à présent de chandelles à la façon d’un tabernacle. La gravure doit être de biais par rapport à la salle ;

FITZELLE, désignant la gravure

Ça me brouille l’estomac.

 

 

 

 

 

 

CE MACCHABEE DISAIT...

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Ce macchabée disait

Couché dans mon cercueil, reprenant peu à peu mes esprits, sentant les quatre planches, n'étouffant pas - comme j'aurais dû les entendre, ces battements de mon coeur, et comme il est étrange de ne rien entendre...

Impossible. Tétra. Plus la tête. Par la fente la lueur d'un cierge - défaut de capitonnage - mes héritiers ne m'ont pas très bien encapitonné - un tic de ma bouche a fait glisser le linceul de mon visage - j'ai chaud, très chaud - soudain je me sens soulevé: le coup discret du Chef de Marche sur le bois près de l'oreille, les six hommes au pas lent, de vagues pleurs chuchotés troublés de temps à autre par un sanglot plus perçant - ils s'imaginent nous transporter doucement. Dignement. C'est faux.
Ils nous heurtent aux portes. Ils jurent dans l'escalier en colimaçon par-dessus la boule de rampe - j'ai le mal de terre. Puis le corridor, le perron râpé (je reconnais chaque marche, passager cette fois de mon véhicule) - trottoir. Ma boîte enfournée dans une autre boîte, déposée sur la plate-forme. Pas de grand air, pas de cheval, pas de dais : à présent, les héritiers veulent poser le cul sur des coussins pour suivre leurs morts.

Je sentais les relents de pétrole, j'entendais les hoquets du moteur qui s'étouffe en seconde. Puis un ronron fade mêlé à la chaleur distillée par les vitres du corbillard, étalant sur le cercueil une rosace diaprée. Enfin je suppose. Si j'avais réduit ma consommation de clopes, je me serais prolongé de trois mois ; je ne serais pas mort en plein mois d'août... Revivre ? je tords le nez. Le corbillard s'arrête devant Saint-Firmin. La porte arrière bascule, je suis tiré, hissé. A la résonance, j'ai reconnu l'église.

Un piétinement de moutons derrière moi. Des chaises qui raclent, des nez qui reniflent. Mes nausées reprennent : un boiteux pour le tangage, et un pédé qui tortille - proportion d'homos dans la profession ? Un cierge se renverse. Petit affolement sous le plancher, puis - mouvement d'ascenseur - le catafalque - un requiem chanté ! Je n'en crois pas mes oreilles. Ils doivent être drôlement débarrassés... Allez donc "prodiguer des largesses"' à des héritiers. On va me laisser longtemps là-dedans?

Je vais attraper un chaud et froid. Il ne faut pas éternuer. Collecte. Qui peut être venu ? Au bruit, une cinquantaine de personnes. C'est peu. C'est beaucoup. Bon Dieu ce que cet enfant de choeur chante faux. C'est le petit Haffreddi. Sale Juif. J'espère bien que ma femme, ma fille et les trois frères Fiouse auront de la peine un jour - allez au trou le Bernard ! et bloum, bloum, les mottes de terre... "Il est mieux où il est" - pourquoi pas. Un Dies Iraeà présent ! C'est qu'ils réussiraient à m'effrayer, ces cons. Surtout que la voix de l'enfant de chœur filerait la colique à un squelette. Mon prof de biolo disait : "On porte son squelette à l'intérieur de soi. ..."Mes os sont liquéfiés par ta -colère ô Seigneur... - Psaume CIII et des poussières... "Devant ce cher cercueil..." Je crois bien. Plus cher que ce qu'il y a dedans - eh! Père Monnard, tu doist'en foutre éperdument : une âme en plus pour le serial killer, là-haut ! "Douloureuses circonstances...""Coup imprévu..." - j'ai dit : « Faites-le entrer, si ça ne me fait pas de bien, ça ne me fera toujours pas de mal !" Alors ils m'ont foutu l'Extrême Onction.
mort,cercueil,survieAh curé, curé, qu'est-ce qu'on aura rigolé ensemble, avec tes putains de bondieuseries Mais aujourd'hui je n'ai plus le cœur à rire, un Kyrie, un Pater, c'est le Paradis garanti sur facture, que je sois damné si j'y coupe ! Mais alors pourquoi suis-je toujours allongé là-dedans, 2m x 0,60 - même que malgré le rembourrage ça commence à devenir dur ... Au lieu de répondre il m'encense la charogne - pense-t-il "Fichu métier", ou pense-t-il vraiment "Au pouvoir de l'Enfer arrachez son âme, Seigneur"? Trajet jusqu'au cimetière. Ils enlèvent la femme de sur ma caisse. Elle m'étouffait. Puis on m'enterre. Je regrette les funérailles d'antan, les vraies grandes bouffes grecques, le chant XXIV de l' Iliade, on donnait des jeux, on savait rigoler à l'époque.
Puis plus rien. Les petits éboulis de terre qui se tasse. Des chuintements. Le calme plat. Je suis vraiment coupé du monde. Je suis mort, à présent, véritablement mort. Enfant, ma mère m'emmenait choisir le tissu d'un nouveau costume ; à peine sorties des lèvres, les voix s'étouffaient dans les rames d'étoffe - des voix voilées - à présent c'est la terre qui pèse sur mes lèvres, le tissu de la terre sur le couvercle, il le défoncerait, m'envahirait comme une trombe, emplirait ma bouche et mes yeux. Un jour le marbrier me chargera de ses quintaux de pierre...

Combien de quintaux pour un tombeau ? Un tombal, des tombeaux. Je voudrais crier. Fuir. Quelle folie ! Que peut-il m'arriver de plus, à moi mort ? Quelque chose me dit que des risques subsistent... Je frissonne. La terre, la terre... Oh ! comme je regrette d' être mort! Et je pensai : « Peut-être que je suis vivant. Qu'on m'a enterré vivant.

Pourtant mes muscles ne répondent plus. Peut-être vais-je mourir vraiment. Je perds connaissance. Un bruit de voix qui me réveille. La voix vient d'en haut.

Ma tatie, au Paradis ? Dialogue animé : "Personne n'en saura rien ! - Il n'en est pas question Madame. - Il est bien là, j'en suis certaine ! voyons, quelques coups de bêche... - Le règlement... - Je ne vais tout de même pas perdre un chapeau de ce prix-là! - Je ne peux pas rouvrir une fosse... - Et qu'est-ce que je vais mettre pour la communion de sa fille ? »Je devine le geste impuissant du fossoyeur. ...Vais-je passer l'éternité sous le chapeau de ma tante ? Long silence. Puis un grattement sur le bois. J'essaie de me tourner - " il est sous la terre une taupe géante qui fore les cercueils..." - un chuchotement indicible : « Eh... a... an... ou...? » Je m'entends dire :

- Qui êtes-vous ? - Etes-vous bien ? Vous - sen - tez - vous - bien?" Une voix sépulcrale, encombrée de parasites - la mienne, un bourdonnement : "Le satin m'étouffe. » - Remuez légèrement. Vous êtes nouveau. Un mort de fraîche date - vous ne tarderez pas à vous habituer. C'est le mort d'à côté qui vous parle. Je vous ai entendu enterrer. Vous verrez, c'est sympa ici, on sait s'organiser - il y a des cimetières où on s'emmerde, mais pas ici. Il y a de l'animation. - Quel âge avez-vous ? - Je suis mort à quarante-cinq ans.

« Mais ça fait dix ans que j'habite le caveau treize. On compte dix ans d'âge. Mon nom, c’est Michel Parmentier - je reviendrai plus tard. Pour l'instant, dormez. Les jeunes morts ont besoin de beaucoup de sommeil." ...Ou plutôt je m'enfonce dans une

sorte de glaire onirique, une longue coulée de rêves emmêlés. Ma femme se penche sur moi. Le souvenir des derniers coups d'artères au fond de mes tympans "...j'entends des pas dans l'ombre" - puis des vagues, des roulis de songes - une musique poignante et lancinante de requiems mêlés, de Mozart, de Jean Gilles, de Cherubini (I et II) pour la mort de Louis XVI ; des éclairs glauques, une sourde douleur dans la nuque.

Des gargouillis en bulles à la surface de mon cerveau. Et, au milieu de déchirants points d'orgue , une voix qui me transperce : « Bernard! Bernard ! Je te verrai la nuit prochaine !" et la face de Dieu m'éblouissait, et mon corps amoindri me semblait voltiger entre les murs de mon cercueil - je m'éveillai trempé de sueur : « Voisin ! Michel Parmentier ! » La voix me semble douce : « Vous m'avez fait peur, dit-il. Comment vous appelez-vous ? - Le Rêve ! Le Rêve ! - Quel rêve ? Comment vous appelez-vous ? - Collignon ! Bernard Collignon ! - J'aurais dû vous prévenir. Ne vous tracassez pas. Dieu n'est pas si terrible. Vous vous en tirerez avec un sermon et quelques rêves de purgatoire."

Ce jour-là, j'eus tout le temps de penser - à ma vie, ni plus ratée ni plus perdue qu'une autre. C'était ma petite fille de sept ans que je tenais dans mes bras. C'était ma femme qui me baisait tendrement la joue avant de s'endormir - nous faisions cela religieusement. C'était le terrible accident du 18 juin 40 où mon père avait laissé la vie. Le fleuve à nouveau se déroulait sans fin, avec de longues échappées ensoleillées sur ce qui aurait pu être, des paysages inconnus où mon corps s'ébattait, de voluptueuses reptations subaquatiques dans l'Aisne, mon corps ruisselant, et, à mon côté, la Fiancée me tenant par la main.

La prairie inondée, les grenouilles, une de nos maisons au dos si large contre la crue épanchée de la Vesle... Quelques heures plus tard, une lueur s'infiltra par le couvercle soulevé. « Salut ! » La tête hideuse et sympathique de Parmentier : "C'est le terrain qui conserve par ici". Il inspecte le cercueil : « Ce n'est pas grand, chez vous. On ne vous a pas gâté. Nous ne pouvons pas tenir à deux, je reste sur le bord. Mais plus vous vous décomposerez, plus vous aurez de liberté de mouvements. Quand vous serez bien décharné, vous pourrez commencer à sortir.

« En attendant je vous amènerai du monde. - Arrangez-moi les plis du linceul sous le pantalon, c'est insupportable. » Il le fit. "Je suis venu vous réconforter un peu avant la visite à Dieu. C'est le trac, non ? - Plutôt. » Je lui révèle que j’ai touché » ma petite fille, que j'ai sodomisé ma femme, que je me suis prostitué quelque temps, lorsque j'étais étudiant... « Diable ! fait-il en se grattant précautionneusement la tête. Avez-vous tué ? - Oui, sur une barricade. - Ecoutez - je ne veux pas être pessimiste, mais vous en aurez lourd.

« Je connais un abbé, dans l'allée, en face, qui doit subir toutes les nuits des cauchemars de remords. Parce qu'il faut que je vous explique : l'enfer, le purgatoire, ce n'est pas du tout comme vous vous le figurez là-haut. Il n'y a pas d'enfer, juste le purgatoire, et même pas à jet continu, parce que le Patron sait bien que nous ne pourrions pas tenir." Il hoche la tête en soupirant : « Croyez-moi, le purgatoire, c'est infernal. Et tout le monde y passe. Le ratichon, en face, ça fait vingt ans qu'il tire. Il appréhende les nuits, il réveille ses voisins.

« Enfin un conseil, soyez bien calme, bien humble, et il vous sera beaucoup pardonné. Je vous quitte, ma femme m'appelle" (je n'entendis rien) "elle ne m'a rejoint que depuis deux ans, elle est encore très... tourmentée." Je m'étonne de l'entendre parler avec cette crudité. "Oh vous savez, ici, on ne fait plus attention. Au revoir !" Je le retiens, anxieux. « Allez du courage. Tout le monde doit y passer. » Après quelques instants d'angoisse, je me sentis plongé dans un profond sommeil. Une voix me déchirait les oreilles en criant mon nom, avec les inflexions écrasées d'un haut-parleur mal réglé : « Bernard ! Bernard ! » - et il me semblait que le couvercle appuyait sur moi de toutes ses forces, comme pour expulser mon âme de mon corps. En outre, pour autant que j'en pusse juger, je sentis que j'étais sorti de ma tombe, et qu'une part de moi flottait bien au-dessus, dans un espace d'une autre nature. Je ne pouvais voir ni mon corps ni mes membres, mais je sentais, loin sous moi, ma poitrine et mes os broyés à suffoquer, tandis que, distinctement et simultanément, une espèce d'autre corps, projeté et immobilisé "en l'air"à une distance incommensurable, se trouvait maintenu là en position repliée, la tête sur les genoux, les mains derrière le dos. Osant à peine relever les yeux, je vis une immense estrade de bois nu, où trônaient des anges noirs, drapés dans leurs ailes. Je compris que ce qui me ligotait

ainsi, ce qui me forçait à rester immobile, c'était la présence, l'essence même de Dieu. Je me trouvais englobé en Lui, et Sa force me pressait de toutes parts. Un Souffle Ardent me parcourut, qui intimait compréhension, sans qu'il fût besoin de mots.

Il m'accusait d'inceste, et du meurtre d'un flic. Alors le Souffle m'enserrait plus âprement. Et je baissais la tête en murmurant. Et je sentais mon corps, celui d'en bas, pressés entre deux grils rougis. Je voulus regarder au moins les Anges en face! Ils se tenaient fort droit, comme il est juste : Juges, et Témoins. Ils me semblèrent ridicules, et Dieu lut en mon coeur. Je m'inventai de nouveaux crimes, et chaque aveu me courbait un peu plus : n'avoir plus assisté à la messe depuis... « Je m'en fous ! » tonna DIEU, et les Anges éclatèrent de rire, en découvrant leurs dents aiguës comme des poignards.

Tranchant enfin mon sexe avec mes propres dents je le tendis à l'Ange le plus proche, qui l'enfouit sous ses plumes. Enfin je murmurai, écrasé de repentir et d'amour : « Seigneur, je ne suis que poussière. - TEL EST TON REVE, ECOUTE, dit le Seigneur.

TU SENTIRAS TON AME COMBLEE DE REMORDS. ET CE REMORDS TE SERA VOLUPTE, ET CETTE VOLUPTÉ TE SERA PLUS GRAND HONTE ENCORE. ET DE LA HONTE MÊME TU TIRERAS TA VOLUPTÉ. Retourne dans ta tombe, et crois en Ma Miséricorde." Tel fut Son ordre. Et les anges s'envolèrent, agitant leurs ailes noires en poussant des cris rauques. Je me trouvai d'un coup les yeux ouverts, Michel Parmentier près de moi : « Ça va mieux ? ...Je vous ai regardé, ce n'était pas beau à voir. - Pourquoi êtes-vous venu ? En quoi puis-je vous intéresser ? - Entre morts, il faut bien s'entraider. Tenez - il s'écarta - je vous présente ma femme. » Ses yeux bleu pervenche pendaient de leurs orbites. ELLE PUAIT. C'était la première fois que l'odeur m'incommodait.

Elle commença à m'embrasser, me fixant avec des lueurs éloquentes. « Excusez-la, dit Michel, vous lui faites envie, vous êtes encore tout frais. » Elle tourna vers son mari un regard interrogateur. Il acquiesça. Elle glissa une main sous mon linceul et me fit bander comme un mort. Mais pris de pudeur je les renvoyai tous les deux. Après quoi je restai longtemps de mauvaise humeur.

Quelques jours, quelques nuits s'écoulèrent - moi aussi (j'appellerai "jour" l'intervalle inégal séparant deux temps de sommeil - intervalle plus court apparemment que sur la terre - pour qu'on s'ennuyât moins sans doute ? Je n'ose penser pour que les rêves reviennent plus souvent... La nuit surtout est dure à supporter. On dort un peu - très peu - puis le sommeil survient, très lourd, puis s'effondre lui-même, comme défoncé par-dessus.

Puis tranchant la nécrose, taillant son manchon, chutant de plus en plus bas, le cylindre pestilentiel et lumineux du SONGE - non pas à proprement parler une vision, mais une sensation qui se propagerait au corps entier : chaque pore comme un

œil, aussi autonome qu'un organe entier : une boule au ventre, une boule derrière l'os du front, le Remords comme une matière lumineuse et pourpre, ou le rubis au front de LUCIFER.
Et aussitôt, infecte, la jouissance, l'ignoble complaisance, l'atroce volupté de l'avilissement. ...Je me réveillai en sursaut, lèvres bourdonnantes. Je passai mon doigt sur mon ventre. Il s'enfonça. Un peu de sanie s'écoula. Des bouts de vêtements sombrent dans la chair liquide ; du bout des doigts je les repêche et les projette, comme des mucosités nasales, sur les parois. Mes mouvements deviennent moins gourds, je suis très fier de cette nouvelle agilité de mes index... Le sommeil me reprit et de nouveau, terrible, le cauchemar m'envahit. Ce n'était pas une histoire vécue, ni des visions, mais une horrible sensation, physique, de remords. Rien de plus terrible que ces rêves d'aveugle. Parfois le sommeil calme revenait, parfois non. Les jours et les nuits avaient perdu leurs repères. Mais sommeils et veilles se succédaient rapidement.
J'eus envie de la femme. J'appelai. Elle vint. Elle me fit l'amour en riant : « Excusez-moi, j'étais privée depuis si longtemps ! » Elle me vida, et je constatai avec plaisir qu'au moins, sous terre, l'avantage était que les femmes jouissaient aussi vite avec un homme que seules en surface. Au moment ou l'orgasme commençait à venir, survint le mari : "Ne vous dérangez pas pour moi !" Il nous regarda jusqu'au bout et respecta notre postlude. "Elle vous rend service, dit-il.

« En vous secouant, elle vous aide à vous décomposer davantage... Françoise, tu pourrais rester plus longtemps, par politesse. « J'ai hâte de retrouver le violoniste, au bout de l'allée. » Et je constatai avec non moins de plaisir que les femmes mortes montraient beaucoup plus de chaleur et de spontanéité. « Ne croyez pas cela de toutes, me confia Michel Parmentier. Vous avez de la chance avec la mienne. »Mais ce qui me préoccupait le plus, c'était le Temps. L'ennui. "Michel, comment faites-vous, ici, pour compter le temps ? - Compter le temps ? - Calculer les jours... Michel rit doucement. "Que vous êtes jeune! ma femme posait les mêmes questions... Eh bien, nous pouvons toujours nous régler sur les "bruits d'en haut". Quelque chose de précis, par exemple, les rondes du gardien, et des jardiniers. On les entend marcher, pousser la brouette, parler... - On comprend ce qu'ils disent ? - Bien sûr, avec un peu d'entraînement. Il y a une ronde à 11 heures, et une à 17 heures, avant la fermeture... Mais vous verrez, on cesse vite de s'y intéresser.
« On s'habitue vite à l'éternité. On s'installe.. . - Il doit bien y avoir quelques marchands de pantoufles, ici ? - Au bout de l'allée, oui... Que voulez-vous dire ? » Je laisse tomber la question dans le vide. "Tenez, reprend-il, je me souviens de la visite des deux beaux-frères, il y a de ça... trois mois, peut-être ? Ils étaient là à discuter au pied de ma dalle, et le premier se met à dire : "Il est toujours là-dessous ce vieux con..." Je l'entendais gratter la terre avec son pied. Et l'autre lui répond quelque chose dans le genre : "C'est ce qui pouvait lui arriver de mieux.

« De toute façon il était condamné. Et puis qui est-ce qui pouvait bien l'aimer? - Vous avez pourtant l'air bien aimable... » Il hausse les épaules, secoue ses orbites d'un air fataliste. Sa mâchoire s'allonge et pendille, il la reclaque en frappant du carpe, avec un bruit de cigogne. Soudain je m'avise d'une étrangeté singulière : « Mais dites-moi... - Oui ? - Comment se fait-il donc que nous puissions nous voir, l'un et l'autre ? ...D'où vient la lumière? - Tiens ? D'où vient la lumière ? c'est ma foi vrai ; nous n'y avions jamais pensé…

Je hasarde l'expression de "perception extra-sensorielle". Il reste dans le vague. "Et nous, reprends-je, on ne nous entend pas ? - Non. La plupart du temps, ils n'ont pas l'oreille assez fine. - "La plupart du temps" ? - Ici, nous avons le silence ambiant, nous ne respirons pas, notre coeur ne bat plus... - C'est beaucoup plus facile ? Vous êtes sûr ? » A ce moment mon jéjunum miné laisse échapper, entre cuir et sanie, un doux phrasé bulleux. De tous les coins du cimetière, par le couvercle à demi soulevé, me parvient, semble-t-il, proche ou lointain, toute une rumeur concertante de chuintements, de sifflements, de craquements indéfinissables, ce qui remit fortement en question pour moi l'existence de ce fameux Peuple Souterrain auquel il me faudrait peut-être bien bien croire, peut-être même à quelque sauterie ou danse macabre.

De la terre se coula à l'intérieur de mon habitacle, formant sur le satin de lourdes traînées grasses. Ca n'a pas d'importance, ce truc ; pour ce que vous allez en faire, du satin... » Il est vrai que les visites - une, surtout - ont singulièrement terni le lustré de

mon étui. "On peut nous entendre, de à-haut, reprend-il encore, si nous projetons notre volonté. - Les médiums ?- Pas seulement. Finalement, nous pensons très fort, et cela suffit. - Tiens, c'est vrai ; je ne me sens pas remuer les lèvres, quand je parle. - Vous comprendrez vite les paroles d'en haut, répète-t-il. En revanche, pour voir, il vous faudra du temps. »

Je restai silencieux.. Ma première visite d' "en haut" ne fut pas, comme j'avais la faiblesse de l'espérer, celle de ma femme et de ma fille. C'étaient des pas lourds, de grosses voix masculines, indiscrètes et cependant indistinctes. Michel Parmentier traduisit : "Ce sont les marbriers. Ils prennent les mesures." Je m'inquiétai : "Si le cercueil est solide, ça ne vous écrasera pas. Autrement, si ça vous diminue l'espace vital, vous en serez quitte pour émigrer. - On peut donc sortir de là-dedans ? - Et moi donc ? « ... Quand vous serez bien décharné." Il passa son doigt sur mes yeux, d'où coula une sanie repoussante.

"Pour vous, ce sera assez rapide." Plusieurs semaines passèrent ainsi. Je restais de longues heures allongé. Michel Parmentier venait souvent m'entretenir. J'appris ainsi un grand nombre de choses. Je l'interrogeai par exemple sur des points de hiérarchie. Cependant je m'ennuyai beaucoup. Je me disais que ce n'était pas la peine d'être mort. Parmentier m'apprit que l'ennui faisait aussi partie du "purgatoire".

Quant à sa femme, elle -préférait visiblement le jeune pianiste du bout de l'allée.


Qu'y a-t-il en dessous de nous ? demandai-je. - C'est un cimetière du XVIIIe s. Ils mènent une mort totalement indépendante. - Et plus en dessous ? Il fit un signe d'ignorance. Mais il me désigna la direction de la fosse commune : «Il est très difficile d'y vivre », dit-il. Quant à mes périodes de sommeil, elles étaient troublées de songes atroces, dont rien ne venait atténuer le caractère horrible. Seuls étaient animés les jours de fête.Deux mois et demi après ma mort, je perçus une grande agitation à l'étage au-dessus. Des enfants couraient parmi les tombes. L'un d'eux m'écrasa l'estomac en passant sur ma dalle, qu'on avait installée entre temps. J'entendis le bruit d'une gifle. "C'est la Toussaint", me dit Parmentier. J'étais scandalisé, de mon vivant, par tous ces gens endimanchés poursuivant leurs conversations sur eux-mêmes, leurs impôts, leurs tiercés, insoucieux du sort qui les guettait. On riait, on rotait, on s'interpellait. Je fus partagé entre l'assentiment et l’indignation, voire le désir de surgir, comme j'étais, à la surface, bien que cela me fût encore impossible, pour les accabler d'horreur et de reproches.
Mais non, dit Parmentier. Laissez-les donc. Ils nous rappellent un autre temps, ils se croient heureux, ils nous font marrer, c'est maintenant, le bon temps. Écoutez-moi ce raffut ! Je ne reconnus pas ma femme ni ma fille. « Elles viendront un autre jour. Aujourd'hui, c'est la grande foire des vivants, qui veulent oublier qu'ils seront morts demain. » Elles vinrent en effet le trois novembre, jour de la Saint Hubert, et leurs douces voix incongrues récitant le "Notre Père" me parurent incomparablement fades

en comparaison du joyeux tohu-bohu de la Toussaint. Ému cependant, j'envoyai du fond de ma tombe un "Je vous aime encore" appliqué. Je sentis qu'elles en eurent l'intuition, car ma femme du moins m'adressa sur la dalle un baiser et des mercis précipités. Je fus un instant attendri par ma petite Nadine. Les pensées m'étaient plus accessibles que les paroles ; mais je me désintéressais de plus en plus de ma vie passée.

En fait, je m'ennuyais à mourir. Pour me distraire, j'étudiais les progrès de ma décomposition. Les intestins n'étaient plus qu'une bouillie, où le sexe avait disparu. Un jour une autre mort vint me rendre visite : son cercueil s'était effondré, il cherchait un autre gîte. "Excusez-moi, dit-il ; ce n'est pas drôle de devoir jouer les pique-cercueil." Je dois mentionner aussi les cérémonies du Onze Novembre, la musique épaisse, les garde-à-vous. "Curieux, dis-je à Parmentier. Il me semble que les piétinements proviennent de notre niveau« Devant, sur la gauche. - C'est le carré des soldats, me dit Parmentier. Leurs squelettes marquent le pas sous la direction d'un grand colonel décharné. Vous avez dû déjà les entendre. C'est leur punition d'avoir été soldats." Et comme je m'étonne : « En compensation, précise-t-il, leurs rêves sont plus doux. »

Trois coups sur la paroi. Je m'éveille avec peine. « Visite médicale ! » Je me dressai sur mon séant, rejetant mon couvercle. Un grand squelette chauve se tenait là, un caducée gravée sur son front jaune. "Vous allez pouvoir quitter la chambre", ricana-t-il. - Mais je ne suis pas encore... Il haussa les clavicules :


"Vous dites tous ça, me dit-il. On dirait tous que vous avez peur. Pourtant vous vous emmerdez assez, dans ce cercueil. Vous n'allez
pas me refaire le coup de l'utérus. Ce disant, il avait tiré de sa fosse iliaque un assortiment de pinces et de scalpels. "Tendez un peu le bras droit ? « Vous n'avez pas peur, j'espère ? Un grand mort comme vous ! " Il sectionna quelques ligaments. "Ça fait mal ?" Je ne sentais rien du tout. Il gratta mon radius sur toute sa longueur. "Du vrai poulet bouilli, déclara-t-il. Laissez ça au fond de la marmite, ça pourrira sur place, vous n'en êtes plus à ça près." Il me gratta de même toute la jambe. La chair se détachait en aiguillettes baveuses. Ma rotule lui glissa des métacarpes, il la remit en place. "Comment vais-je faire pour sortir, si mes os se détachent ?

- Ils l'auraient fait de toute façon. Ca ne tient plus, tout ça." Il jeta derrière lui un fragment de ménisque, puis tira d'entre ses côtes une provision d'agrafes et de fils de fer. Je n'osai lui demander d'où pouvait provenir la matière première : ferrures de cercueils ? chirurgiens enterrés avec leurs instruments ? "Ça c'est du solide, fit-il en posant les premières agrafes. C'est pour la mâchoire surtout que c'est primordial. - Et vous ? - Moi, je tiens tout seul. " Je n'insistai pas. Lorsqu'il m'eut ligaturé, proprement agrafé du haut en bas, il me demanda :« Vous ne connaissez personne dans le quartier?

- Si, Michel Parmentier. - Il faudra qu'il vous aide pour les exercices de concentration. Vous vous déplacerez par influx magnétiques, mais il faut vous apprendre à les développer. » Il replaça ses instruments dans ses cavités, puis me serra les phalanges à les briser. « Je reviendrai dans un an, pour vous enlever toute cette ferraille. Adieu !» Aujourd'hui, à travers terre, le garde a conversé avec moi. J’ai rencontré aussi des fantômes, j’ai constaté qu'ils avaient beaucoup de force. J'acquis des connaissances diverses : sur une guerre passée entre les morts, dont Parmentier ne put me donner que des détails confus. Je reçus également la visite de la joyeuse bande du caveau vingt-trois : toute la famille, et certains amis, fumaient du pissenlit séché. Certaines séances se déroulaient dans la loge du gardien de nuit, en surface.

Un jour, on a enterré en face, dans le quartier des caveaux. J'ai entendu la lourde porte se refermer, puis le curé, puis le corbillard. Ils sont repassés devant moi en disant pis que pendre de la défunte. Mes journées se règlent sur les tournées des jardiniers, qui sifflotent, ou des gardiens, qui ne sifflotent pas. Je reconnais chacun à son pas, et à ses soliloques. Ma femme vient moins souvent. J'ai appris qu'elle se masturbe avec le volant de ma voiture. Le jour où j'ai obtenu du médecin-chef la permission de sortir, je me suis affolé : « Mes os vont se détacher ! - Concentrez-vous! » J'ai appris à nager dans la terre, à repousser les mottes souterraines, sans muscles, mais en bandant ma volonté. Parfois je reviens sur mes pas à la recherche d'un os. Une fois j'eus une altercation et nous nous réconciliâmes après avoir essayé chacun l'os (mais elle (c'était une femme) se l'était essayé à l'emplacement du vagin) (on jouit

comme le reste, par volonté). On circule sous l'allée, ou bien on franchit les cercueils. Je peux rendre des visites, voir enfin les soldats. Pour ne pas m'égarer, il a fallut d'abord me promener avec Michel Parmentier. Les points de repère souterrains sont peu nombreux. Il y a quelques pierres indicatrices. Il existe aussi des couloirs d'une tombe à l'autre, mais ce réseau demeure encore assez anarchique : la terre, àforce d'avoir été remuée, est devenue plus meuble. Dans certains quartiers, les morts ont réalisé un beau réseau de tunnels. Avec mon voisin je suis allé voir une jeune fille morte récemment. Nous l'avons beaucoup surprise.

Elle est encore très belle et son odeur modérée. D'ailleurs je me suis habitué, je ne sens moi-même presque plus rien. Nous avons parlé à la jeune fille. Elle a raconté sa mort, j'ai voulu la faire sortir, mais Michel est intervenu : « Vous allez l'abîmer : ses muscles ne répondent plus, et elle n'a pas encore fait les exercices de volonté. » Je voulus la posséder, mais ma tête décharnée l'effrayait. Nous avons poursuivi notre promenade. Nous nous heurtions parfois à des parois de ciment: les caveaux de famille. Ils sont très utiles pour se repérer. Dans le quartier riche du cimetière, ils se touchent. Un jour, nous parvenons au mur extérieur. Je propose l'aventure, mais Parmentier me le déconseille : nous risquerions de tomber dans les égouts ; une fois, un camarade à lui y fut retrouvé, la police l'a pris pour un clochard mort, elle a fait des recherches, elle a cru découvrir une identité, et un vivant a été classé mort. On a réenterré le camarade, bien content de retrouver, après quelques errances, son domicile fixe.

J'assistai un jour à une séance du Tribunal d'Accès. Elle se tenait dans un souterrain voûté. Il s'agissait de savoir si tel ou tel mort était devenu, véritablement ou non, un squelette viable. Ces derniers, rangés derrière un grand couvercle en guise de bureau, huaient le candidat, par trois claquements de mâchoires, ou les applaudissaient (quatre claquements, deux fois deux). Ayant été récemment intronisé, je m'essayai aux claquements, mais cela fit rire: squelette de fraîche date, mes os résonnaient de façon molle et novice. C'était un tribunal d'une propreté éblouissante. Solennels, ils jugeaient une dizaine d'autres morts dans le même état, mais d'aspect bien plus noir.

Un autre squelette, devant la barre, témoignait que chacun s’était bien débarrassé de toute trace de chair. L'un d'eux, appelé, se présenta muni d'un dernier lambeau mal placé, qu'il essaya de dissimuler entre ses cuisses. Ce furent des huées (trois claquements de mâchoires). Je récidivai. Les regards se tournèren de nouveau vers moi, et l'assistance éclata en huées de quatre claquements (deux fois deux), car j'avais encore, malgré tout, de nombreux lambeaux de chair.

Je m'enfuis. Moi aussi je passai plus tard devant ce tribunal et m'en tirai fort bien, et même, certains de mes os tombaient en poussière. Dans la fosse commune, la situation est presque avantageuse, on vous fout dans la chaux vive, et après quelques jours de bousculade, les morts passent sans transition à l'état d'esprits. On peut se faufiler à travers pierres. On devient immatériel. On peut même remonter à l'air libre. Nous avons taillé quelques bavettes avec le gardien, qui nous assoit tous sur des sièges de paille et nous donne de quoi fumer.
Enfin prendre l'air et ses ébats parmi les tombes, se prélasser ! Mais de nuit seulement. Nous nous allongeons parmi les sépultures, nous faisons des danses macabres grâce aux musiciens enterrés avec leur instrument.

A l'issue du bal, nous finissons la soirée dans un caveau. Les propriétaires nous y offrent de l'encens. Sur différentes étagères, des cercueils, où les cadavres présentent leurs degrés de décomposition. Les plus jeunes, en se soulevant, peuvent participer aux réjouissances. Grâce au gardien, l'encens est complété par de l'opium. Je fais des promenades avec la jeune fille que j'ai vue, et que j'aime. Demain, nous serons mariés. La vie continue. Nous irons en voyage de noces à l'étage au-dessous. ...Le macchabée fait ses ultimes découvertes. Tout a duré un ou deux ans dans son temps à lui, mais un million d'années sur terre. ..La bataille d'Azincourt est figée comme une gelée et se passe éternellement. On la retrouvera telle quelle. Pourra-t-on y toucher ? Les événements du passé sont ceux qu'ont imaginés les hommes de l'an 8000.

Je suis persuadé qu'on voyagera dans le temps. A la limite, l'espace se recourbe sur lui-même comme une sphère. Nous sommes à sept milliards d'années-lumière et ici à la fois, mais ces deux points de l'espace se recouvrent : comme une vibration (tels les électrons qui bougent tant, qu'ils en restent immobiles. Il en est de même pour le temps.

Mais je crains fort, cher Houellebecq, d'avoir abusé de votre patience.

 

Cette rue-là

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C O L L I G N O N

C E T T E   R U E – L À

 

 

 

 

Cette rue-là : ma rue. Je n'y habite pas mais l'emprunte à peu près chaque jour. Elle commence à cinquante pas de ma maison, bicoque irréparable, pour s'achever place Capeyron, rebaptisée "Jean Jaurès", moins pour honorer le grand homme que par conformisme, comme on a une rue Jeanne d'Arc ou Victor Hugo. Là se trouvent les petits services ou commerces (poste, café, boulangerie). J'entreprends à mon âge ce que la société jointe à ma flemme ne publiera pas.

Il semblera peu indiqué d'introduire ici, sans lien avec ce qui précède ou suit, un vademecum de toute une vie envieuse, suintant de haine recuite et de mauvaise foi. Le but poursuivi est de fournir un efficace contre-poison à toutes ces Lettres à un jeune poète plus ou moins bien recyclées que l'on assène en début de carrière à tous ceux qui postulent à la gloire ou plus modestement à la reconnaissance, et dont le souci essentiel semble de conserver entre les mains avides d'auteur tout le bénéfice de notoriété, en submergeant le néophyte de toutes espèces de considérations sur la difficulté extrême d'entreprise, et les conditions de grandeur et de modestie qu'il faut avoir patiemment cultivées, ce que l'auteur a fait, mais dont toi, pauvre larve destinataire, tu ne parviendras jamais à te rendre digne.

La gloire en définitive, c'est comme l'argent ou l'érection : ne pas en avoir, ce n'est pas si important.

Rompez.

Apprenez ceci, et faites comme il vous chante : resservir les Conseils de Rilke à un jeune poète relève d'Aa mahonnêteté intellectuelle, tant ces époques semblent désormais préhistoriques... Je dirais : décidez-vous vite, virez dans le book-business, un emploi vite n'importe lequel, soyez pute-pute-pute, le pied dans la porte, pour les filles vous couchez on vous le publiera votre manuscrit et même on vous l'écrira pourvu que vous écartiez bien les cuisses sous le stand du Salon, n'importe quel fond de tiroir les sujets bien bidon sana vagues – solitude cancer bons immigrés c'est vendeur – mais si vous vous êtes un instant figuré que vos sentiments meurtris et votre timidité de couille sèche vous ouvriront l'accès Allah Publication retournez donc vous branler sur votre tas de paille tout est complet occupé comme une chiotte tu ne vas pas t'amener comme ça devant l'usine à yaourts avec ton petit pot perso dont tout le monde se tape. Le coup du "comité de lecture" et du "manuscrit envoyé par la poste" dire qu'il y a encore des cons pour le croire et des salopards pour le faire croire jusque dans les livres scolaires c'est à désespérer de l'intelligence humaine MOI j'ai assisté aux comités de lecture, le mec sort la première phrase avec l'accent belge au suivant avec l'accent arabe suivant japonais pédé bègue suivant suivant suivant qu'est-ce que t'attends pauvre con de timide va te jeter dans la Seine et ne remonte jamais. maison,vieille,marrons

Ce qu'il vous faut jeunes gens just what you need c'est d'être superbien dans sa peau bonjour à tous et sourire, "l'écriture y a pas que ça qui compte", "l'important c'est de parler avec les Gens, les Aûûtres", si excitants. Laissés-pour-compte, timides, authentiques – allez vous faire foutre. Le milieu, on vous dit, se faire bien voir et bien se faire voir, ne pas dépasser ne pas se dépasser, avoir bien négocié le virage 20-25 ans, choix du métier choix du partenaire – mais qu'est-ce qu'il qu'est-ce qu'elle lui trouve – c'est mon choix qu'ils disent et quel que soit leur "niveau d'études"– ô chers couillons de profs, chers boy-scouts si sottement persuadés de votre influence -

- jeunes ! jeunes ! si vous n'avez pas intégré la profession du livre ou du baveux, d'Aa télé ou du ciné, ce sera jamais à tout jamais pour vous, si vous n'avez jamais connu Un d'Aa Mafia intimement et avant – car le premier commandement qui leur est fait aux mafieux, dès leur intronisation, c'est de ne jamais, plus jamais accorder leur amitié, exactement comme les femmes mariées d'Aa bourgeoisie se seraient crues déshonorées si elles avaient révélé si peu que ce fût sur la sacro-sainte Nuit de Noces, à savoir une grosse bite fourrageant sauvagement dans un pauvre petit sexe de femme tout meurtri. Et aucune jeune fille de ce temps-là n'en a jamais rien su. De même, le réseau des maisons d'édition, soigneusement verrouillé, s'obstine-t-il plus que jamais à répandre auprès des jeunes lycé-huns et haines des informations fausses, telle cette ignoble légende du "manuscrit-envoyé-par-la-poste" qui fait se boyauter jusqu'au dernier sous-directeur de collection – pauvres, pauvres élèves... Bref, je ne me suis pas fait admettre parmi les milieux littéraires, je n'ai pas rencontré André Breton (il n'avait que ça à foutre, André Breton : se balader comme ça sur les trottoirs pour pistonner les débutants) – "mon succès, je le dois à mes rencontres !" - soigneusement arrachées, lesdites rencontres, même au sein d'Aa Mafia, au terme d'Aongues, farouches et tortueuses négociations - "il rencontre Marcel Bénabou, il devient documentaliste au CNRS"– alors voilà : on va dire du mal, je ne dis pas de mal de Pérec, je dis du mal de toutes les réussites en général.

Il n'y a que ce sujet pour enflammer la conversation. Liste des maisons dignes du souvenir :

- les Blot – la Doctoresse – le bourrier – le Six, ex-Mousquet, la mère Bourret juste en face – le vieil Arménien du pressing et son fils – l'ancien garage des Birnbaum – la bicoque rénovée en fausse meulière ; chez Barcelo – la pharmacie – le petit labo : encore la rue Mazaryk (nous étions deux vieux dans l'histoire, la femme et moi – autant dire que la rue d'Allégresse proprement dite ne montre que des pavillons totalement dépourvus d'intérêt.

 

* * *

 

La rue d'Allégresse rejoint l'avenue Gindrac à la rue du Niveau. Gindrac est un stade tout vert, où parfois les Minimes de Cingeosse affrontent SPTT Junior à grand renfort de projecteurs et de haut-parleurs. Le Niveau, c'est l'emplacement d'A'octroi, d'une grande bascule au ras du sol où s'effectuait la pesée des fardiers, tirés par leurs grands limoniers. La rue d'Allégresse monte en pente imperceptible. Fier-Cloporte habite plus à l'est, après la place triangulaire toute malcommode : au 5 Avenue François-Joseph, "Empereur d'Autriche et roi de Hongrie" (c'est sur le panneau) – 1830-1916 – pourquoi ici une Avenue François-Joseph ? pourquoi rue d'Allégresse ? une de ces dénominations d'A'ancien temps, le temps naïf et grandiose où les faubouriens de Liège s'en jetaient un petit au zinc "du Commerce et de l'Industrie", au coin pourquoi pas "'Impasse de la Fraternité.

Dès les premiers pas le piéton passe au droit des panneaux "Résidence Allégresse", "Propriété privée", "Voie sans issue", superposés. Je n'entre jamais. Prenons tous les jours ou presque, seuls ou en couples,la direction de ces petits commerces Place Pérignon ou "Jean Jaurès" puisque "Jean Jaurès" il y a mort en 1914. Trottoirs de terre battue, perspectives plates et pavillons sans grâce. Les Mousquet s'y sont promenés jusqu'en 97 où le mari mourut chez lui d'une chute au réveil ; lorsque les secours ont passé la civière entre les battants d'Aa fenêtre un jeune infirmier répétait en boucle faut pas vous en faire PAPY ce n'est rien puis ce fut le tour d'Aa survivante aller-retour sur ses jambes en poteaux, octogénaire et chaloupant son abdomen sans une plainte. Ils ont bite au fond du jardin une bicoque insalubre, vue imprenable sur la clôture, télé à fond je l'allume pour avoir du bruit loyé payé ponctuellement bouclant les fins de mois du proprio, visite mensuelle de prélèvement, vingt-cinq minutes de conneries appelées "bavardage". Dernières déclarations du Mari Papy n'oublie pas le gros lapin pinpin dans son clapier rue d'Allégresse au bout à gauche et pis t'es mort, imbécile et grandiose. Le pinpin vaut bien Du haut de ces Pyramides jamais jamais dit par Buonaparte.

On trouve rue d'Allégresse des renfoncements secrets avec des lapins tout au bout, des couloirs extérieurs sous voûte s'élargissant soudain en cours, en sentier, en prairie de ville ou petits carrés bien bêchés dans l'herbe dite "folle".Derrière des façades fades une porte en bois de passages dérobés d'une rue l'autre ; pour aller chez la Veuve Mousquet il faut passer par un sentier de ciment sous les glycines au sécateur une servitude en langage foncier, pousser la claie du jardinet puis marcher sur l'herbe jusqu'au mur moisi : la bande dessinée – nettoyage obligatoire irrégulier des branchages, feuillages, excréments félins, cailloux et noyaux de pêche sinon SINON le proprio devra payer pour le col du fémur, payer pour le fauteuil payer pour l'hosto payer pour les zobsèques. .

Beaucoup reste à construire. Les prix s'envolent mais qui achètera la parcelle où vivote et végète une mère et grand-mère de nonante ans ? Non, la rue d'Allégresse n'émet pas d'atmosphère étrange pas même originale. Une rue vide tout au plus avant travaux, sans parfum ni densité. Tel ce triangle de trottoir aux de tiers de longueur devant paraît-il un ancien garage, d'où déboulent sur trois tricycles trois gosses têtes à claques en dérapant sur le sable-et-gravier non coulé – juste ce fragment de rêve : à cinquante ans d'ici c'était les ploucs.

Oui les passants sont nonchalants. "Chez Grigou, escaliers, menuiseries" allée privée (trois maisons cossues, laquelle est "Chez Grigou" ? Le proprio du "terrain Mousquet" pense un jour demander aux trois gendres de remplacer, faire sauter, la petite claie à claire-voie entre sa plate-bande à lui et le terrain vague herbeux qui rampe jusqu'au mur de la bicoque-à-vieille "un certain charme"– pourvu mon Dieu qu'elle ne se casse pas la binette un jour "ou peut-être une nuit" sur ces 18 débris de bois spongieux désassemblés tout verdâtres qui ne ferment plus, qui se dandinent en grinçant dans les coups de vent. La Nonamousquet dit qu'elle tiendra "bien autant que moi""mais peut-être bien madame Mousquet (jamais "Mamy" ni "Mémé") vous nous enterrerez tous avec vot' portillon"– rue d'Allégresse qui ne sait rien des habitants ne sait rien de la rue, mais justement ! les habitants n'intéressent personne...

Jamais. Je n'ai que des maisons. Rien à foutre des gens. Sauf quand ils habitent au fond du jardin. Un effort à faire, c'est tout. Nous n'allons pas imaginer une histoire par bicoque. Ce n'est pas du Perec ici. La rue de l'Allégresse ne rappelle rien. Rien du tout. Un passage ; impersonnel jusqu'au délire. Les morts y passent. Il s'appelait Margolis. Avec ses bretelles, sa ceinture, son chef-d'œuvre Jardin Public rebaptisé, imprononçablement, Les îles Faults. De la prétention, un bon lainage, un bon roman, la mort - Véra F., aussi. Qui est morte. Passer devant sa boutique en se disant Pourvu qu'elle ne me voie pas ou j'en ai pour une heure. Plus de problème. Prochain bavardage de l'autre côté. Sur sa tombe, une gerbe rouge éclatant, toute rectangulaire, àplat sur le sol, ces derniers temps elle n'avait plus que la peau et les os. Je lui ai parlé de moi au-dessus de la gerbe et du bon côté de la terre, et sur les bouquets de côté on lisaitÀ Nicole – Tu savais, toi, qu'elle s'appelait Nicole?

Sur des rubans roses. On dirait une pâtisserie, qu'est-ce que je disais des gens tout à l'heure ? À gauche donc "Cité de l'Allégresse", brèche incongrue dans la rue à l'ancienne seventie's tout le confort puis la vraie rue démarre : entre ses rebords de trottoir, mollement, comme un alignement de molaires qui trébuchent (les gosses ne jouent "à l'équilibre" que sur des bords bien nets, piétinage et radotage sont les deux mamelles du grand âge. Sur ces pierres déambulait le père Mousquet, grand, ilstable. Un jour des petits cons l'ont bombardé de marrons il a gueulé des syllabes édentées tous les gamins ont détalé. Je ne réagis jamais. Une volée de pétards dans les jambes sans tressaillir d'une ligne. Parole il est sourd ! Haïr tout ce qui est jeune avec la même conscience que je haïssais totu ce qui dépassait 35 ans.

Elle a beaucoup frappé la nouvelle de Buzzati où les vitelloni trucident leurs pères avant de se regarder dans le miroir à présent son père c'était lui. Le père Mousquet fut enterré avec drapeaux parce qu'il avait été pompier. Ses deux petits-enfants concoctèrent une petite oraison avec une faute énorme religieusement conservée par l'abbé, qui ne s'est pas rendu compte que sa démagogie correspondait exactement à du mépris faire peuple, c'est mépriser le peuple. L'Église crève d'avoir voulu "faire peuple". Madame Veuve Mousquet écoute la messe télévisée. Tous les étés par la fenêtre ouverte d'avril à mi-novembre bon pied bon œil. Toujours riante et souriante, ravaudant les vêtements des vieux : ça repart, ça revient...

À 8h chaque jour, heure d'hiver, heure d'été, ses volets contre le mur que de maigres moyens ne permettent pas de retaper.Souvent lui téléphoner pour ne pas retrouver unbeau jour son corps "en décomposition avancée" disent les journaux. Qui gagne sous son béret,clopin-clopan, le bout de la rue d'allégresse. Ne pas prendre chaud. Ne pas prendre froid. Revenir. Le jeu consiste à éviter la mère Mousquet. Sans la bombarder de marrons. Du plus loin qu'on l'aperçoit venant à sa rencontre, trapue et vacillante, s'interdire tout changement de trottoir, histoire de ne pas froisser. Échanger des bonjours, des météorologies sur un ton enjoué, poursuivre chacun sa route. Elle a pris l'habitude de ces manières peu causantes. Mon mari était comme lui. Je mène (c'est son mot) une vie "retirée".

Exact. À la dérobée je regarde ma montre sitôt la visite arrivée. La plus grande satisfaction est de passer tout le jour sans l'avoir vue sortir ou entrer. L'essentiel en tout cas est de ne plus croiser personne :judicieux traversements de rue du plus loin qu'on aperçoit quelqu'un. Quelle autre conduite à tenir ? ...détourner le regard, saluer au dernier moment ? Lâcher "Bonjour !" ? Voici l'endroit précis où se situe la moitié de la rue : cela se passe en biais, sur un angle de vingt degrés. Le côté gauche présente à cet endroit une propriété avec de l'herbe, un balcon où l'on monte par de larges marches, une plaque cuivrée : "Le Scouarnec"

 

 

 

Le chemin parcouru

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COLLIGNON LE CHEMIN PARCOURU

L'EFFONDREMENT DE ROSSENBERG

 

1) Nuit à Rossenberg

a) les lieux (trois pages)

1) le bâtiment et ses entours (une page)

2) chambre blanche, petit lit de camp, portrait d'Henri V de Chambord. (une page)

3) ma compagne à côté (une page)? et l'impression étrange des volets hermétiquement clos. (une page)

canada,fillette,séisme

b) les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons,

c) élargissement de l'espace, sorte de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'I. à l'horizontale.

DIX PAGES (EN FAIT, SIX SEULEMENT)

2) L'effondrement

a) alors que je me balade, effondrement d'une aile, je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, cf. une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

b) les hommes vont sur le terrain (torchis, colombages), (laine de verre, masques) - moi, je suis méprisé, on ne me confie que le nettoyage de la vaisselle, aidé par des fillettes, puits à chadouf, bien préciser à ce moment la situation d'humiliation et d'infériorisation dont je suis l'objet dans ce groupe de merde.

c) Evocation effectivement d'O. qui me traite de Gugusse et de L. qui me remet le moteur en marche. Ne pas hésiter à dévoiler alors leur peu glorieux avenir (digeridoo, Uruguay)

 

3) Mes lectures, destinées à bien montrer combien je suis supérieur (Musset aux chiotttes à la caserne, chapitre sur Ulysse dans "Si c'est un homme", ceci avec l'une des fillettes. Mais, "après-midi vaseux".

a) mon bouquin, sa découverte dans les décombres, mon rafistolage, ce que je m'en promets

b) un commentaire là-dessus

c) ma transmission, très chaste, pendant la nuit à la petite fille, cf. Nuit de Mai, "Que c'est beau !"

 

 

4) Ma soûlographie en mémoire de l'ermite

a) le menu pantagruélique "Au Paléolithique", "Au Grand Béarnais"à Sarlat, les sauveteurs se restaurent

b) Je suis ridicule et hargneux, cf. le barak hongrois, les cinq litres de vin avec L.

c) Une agressivité sauvage, ma paranoïa n'ayant cessé de croître

 

5) Le voyage du retour

a) Le trajet à travers le Bocage, avec la petite fille dont nous ne savons pas tous les deux qui est le père ; petite route et cimetière de G., pélerinage ultra-lent car nous n'y reviendrons plus.

b) le peintre Manolo, les adieux à tous.

c) engueulade magistrale devant la petite fille pour savoir qui de nous deux est le père.

 

6) Il faut pourtant larguer la fillette chez sa mère

a) l'accueil plus que mitigé, cf. Machinchose à Kekpar.

b) accueil dégueulasse de la fillette, cf. fille de V. à Villaras, écoeurant.

c) elle nous annonce qu'elle va l'abandonner chez une autre copine

 

 

7) Achat de bouffe cours Dr Lambert

a) je médite ma vengeance en achetant des produits avariés

b) je me lamente sur ma vie ratée, en retraçant la vie antérieure de mon compagnon et de moi

c) le repas est dégueulasse, avec la radio qui hurle sur le jambon d'York

 

8) Toujours la soirée studieuse

a) Je reviens sur Musset

b) je fais le tour de tous mes bouquins

c) je fais effondrer à mon tour toute ma cabane

 

9) Coincé dans ma poche d'air, j'attends les sauveteurs.

a) je me sortirai de là, j'irai à St-Flour

b) je ne pourrai jamais, jamais vivre seul

c) j'entends la voix de mon compagnon qui demande qu'on arrête les recherches, on m'arrose de créosote avant de mettre le feu.

Pendant ce temps-là je creuse, pour m'évader, deux cents mètres plus loin.

 

 

JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE

 

I, 1, a (une page)

Il est sur une bosse un lieu nommé « Calvitie  de Vénus », avec dans la clairière une maison de bois: trois étages haussés par-dessus les cimes, en tous points comparable aux maisons fermières de l’Ouest canadien (Calgary, Mouse Jaw) – où croissent à l’infini les beaux blés de printemps. Juste devant l’entrée règne une calvitie d’herbe sans trace de jardinage : le propriétaire, Stoffer Jyves, poussant de plus en plus, assis sur sa tondeuse, la machine à débroussailler, a dégagé le sous-bois, couragé le feu.

Sec et décharné, le tondeur utilitaire et monotone poursuit à travers les âges son apocalypse - remise en fin de journée son engin sous son appentis. Sa femme Jamie au contraire entraîne dans son cercle tous ceux qui l’approchent, dans un sourire où s’évanouit toute disgrâce, accueillante aux visiteurs sans issue.

L'extérieur consiste en ces ingénieux recouvrements de lattes goudronnées plus enchevronnées vers les vent du nord-ouest : volants de Gitane biblique figée grise et verticale, pâtisserie de bois badigeonnée d’enduits dont l’entêtant parfum bitumineux redouble à chaque réfection. De rares ouvertures s’étagent sous leurs auvents, prolongées jusqu'au sol par ces raides volées de marches métalliques imposées par la législation contre l’incendie.

L'intérieur présente aussi ses raides échelles de meunier, trappes et rampes vernies, où se déclinent les couleurs de miel : il fait toujours bien chaud dans les étages.

I, a, 2

 

Le couple cependant évite les visites, les "intrusions". Jeanne et moi bénéficions seuls de leur hospitalité ; ils nous logent alors dans une chambre du rez-de-chaussée, à gauche, donnant de plain-pied sur la pelouse. Il y règne un froid glacial, à moins que nous n'y transportions un de ces chauffages d'appoint, aux résistances électriques rougeoyantes, à l'odeur entêtante : rien qui s'épuise plus vite que ces minuscules bouteilles de gaz compact, riches d'explosions absolument impossibles. Nous dormons dans un petit lit de fer luthérien qui grince lorsque nous y sautons, pour nous rejoindre et nous réfugier sous l'édredon. Les deux panneaux du lit, à la tête et au pied, présentent des ferronneries industrielles remarquablement conçues ; il n'y manque pas une volute, apparenté sans doute au mot volupté : le creux du matelas forme une étroite gouttière, et nulle nuit ne me revient en mémoire sans que je ne l'associe à d'intenses courbatures érotiques dues à l'emmêlement obligé des membres, tant supérieurs qu'inférieurs.

Mais nous aimons bien notre lit, qui fleure bon le puritanisme et ses douilletteries. Ce n'est cependant pas un crucifix qui le domine, mais un portrait de Napoléon par David, avec tout ce qu'on peut imaginer de plâtreux, ce profil gauche empâté, au menton engagé dans la graisse, majestueux mais déjà déchéant, le jaune cru, "gros jaune", et les écaillures lézardant l'esquisse. Rien d'officiel. Que du cruel, malgré le projet de "portrait équestre". Dormir sous le portrait de Napoléon deviendrait obsédant, si nous ne nous endormions tout de suite elle et moi, sous son poids justement.

Nos nuits sont encombrées de lourdeurs impériales propices aux infarctus. Le matin, lorsque sont enlevées les lourdes barres de fer qui closent le volet, nos regards se posent sur une affiche décharnée, occupant cette fois le verso de la porte : un horrible Christ aux Souffrances, chantourné par la douleur, ce qui veut dire creusé du dedans. Sur sa peau friable coulent des larmes de sang, comme autant de rubis malsains. Les couleurs sont donc : jaune impérial, rouge christique, gris d'agonie, et nous.

Puis la clairière, dégagée juste sous nos fenêtres, dont il nous suffirait d'enjamber les bords pour fouler l'herbe des Rocheuses. Les volets de bois lourd résonnent en s'ouvrant sur les bardeaux superposés, comme autant de volants d'une lourde gitane noire et goudronnée, figée dans une verticalité digne d'Edith, femme de Loth : une figure de bitume.

L'odeur stagne. Celle d'un bateau calfaté poupe en terre, comme un bloc de goudron fissuré.

1 a 3 Ma compagne

La femme qui est dans mon lit devrait être un homme. Un maigre à moustache, qu'il ne peut ni couper ni tailler. C'est bien plus facile de se faire enculer : comme une femme, rien à foutre et se laisser faire. On sait qu'on jouira plus tard, toute seule, tranquille, à la branlette. En attendant que le mec ait fini de se secouer comme un porc, on se sent utile, on sait où l'on va. Pourquoi n'ai-je jamais été de force à concevoir ce que c'est qu'une femme ? La mienne a des besoins tellement plus énormes que moi, tant en sexe qu'en sommeil, que je puis aussi bien me promener dans les sentiers de prairie pendant plus d'une heure, dans la rosée, avant qu'elle ait songé à s'éveiller.

La femme qui est dans mon lit est une femme. Elle ne dort, en vérité, jamais vraiment : du sein de sa torpeur et quelles que soit les questions que je lui pose, elle sera capable d'émettre un soupir ou une opinion pertinente. Je ne sens plus son odeur. Nous emmêlons nos membres au petit matin, au début de notre liaison je m'étouffais sous le poids de ses jambes, puis j'en ai redemandé, ce jour-là j'ai compris à quel point nous formions un vieux couple comme on dit d'un cheval de retour.

Je me suis plaint d'elle, c'était mon sujet de conversation : preuve d'amour, de même qu'un blasphème prouve l'existence de Dieu. Il n'y a pas de crucifix dans la chambre, mais tout un rite matinal est respecté, petits baisers sur la bouche et les yeux, frôlements de joue, expirations tendres, ma barbe grattant encore à peine, car je me suis rasé la veille au soir.

Nous n'y avons jamais froid dans le lit ni la pièce malgré les - 25 au dehors, il y règne toujours une transpiration, une buée de la lèvre supérieure de ma compagne délicieusement semblable à un loir au corps grassouillet, et Dieu me préserve de trouver un jour emmêlé à mes jambes les raides tibias d'un mâle moustachu plus rassurant mais sec. Je me suis toujours demandé comment la femme peut porter le corps de l'homme, à voir combien nous sommes démunis, taillés comme des bœufs, bâtis en barre à mine ou mous comme des poires avec des érections défaillantes - elles me disent, les femmes, du moins la seule que je connaisse et qui les a remplacées toutes, "vous êtes attendrissants", "nous vous portons dans notre ventre", ceci bien que l'une d'entre elles ait osé proférer (je l'ai lu) qu'elle refusait d'être enceinte d'un garçon pour ne pas avoir un sexe mâle dans le ventre, mon Dieu...

Puis nous passons au petit déjeuner, et là, d'un coup, c'est le silence : les corps ne se touchent plus. Ni mots, ni caresses, juste l'air abruti de qui a trop dormi, au-dessus d'un bol chaud. XXX 62 02 02 SV 92 XXX

ICI SINGE VERT N° 107

 

b) les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons, et

1) ceux qui nous hébergent,

2)nous leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années,

3)je n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas homosexuel, nous nous débrouillons chacun de notre côté) couche ou non avec le mâle, cf. aussi le bossu d'Issigeac et cet hôtel abandonné.

 

I, b, 1) ceux qui nous hébergent.

 

Soixante-dix, quatre-vingts fois, nous aurons débouché dans cette salle sentant la cendre été comme hiver, frissonnant le matin sous nos peignoirs troués, retrouvant sur la table invariablement les toasts saisis à point, ou ramenant sur nous les pans inusités de nos habits de vie, car nous couchons nus et ne nous rajustons que pour la décence. L'été, la porte intérieure s'entr'ouvre, et déjà nos hôtes sont là, souriants, prévisibles, humains. Comme nous sortons de nos tendresses personnelles, cet accueil agissait jadis comme un viol : d'autres êtres que nous peuvent donc s'aimer aussi bien que nous, avec leurs secrets à confier ou taire.

L'hôte, grand maigre taciturne, ouvre et ferme ses longues mâchoires. Il mange salement, avec des claquements. Je voudrais voir les pluvians nilotiques picorer ses interstices interdentaires. Je hais ces gens et leur suis attaché si viscéralement que je ne sais pas ce que je pense. La boulette de graisse qui lui sert de femme tourbillonne autour de nous en imitant, à la lettre, la chouette: c’est-à-dire non pas ce doux hululement du hibou,mais cette criaillerie obscène du nocturne dépeçant sa proie. Depuis, à mon compagnon comme à moi, il n’est croissant si chaud ni si moelleux qui ne nous rappelle le goût du rongeur mort.

Parfois lui et moi partons dans ces bois, à nuit tombante, fusils cassés à la main, bien que cela soit strictement interdit par les autorités de Regina ou Saskatoon : tout est loin. Nous feignons d'imiter le hibou qui bouboule ; il nous est répondu par familles entières sous le long ciel arctique de septembre. Et en vérité combien nous sommes désappointés, même atteints d’une sombre colère, de ne point voir sur la silhouette des branches à peine distinctes à présent ne fût-ce qu’une ombre géante et tutélaire de rapace. Nous rentrons seuls, la mort délicieuse dans l’âme ; en vue de la haute tour hantée par le vieux couple (réflexe guerrier, comme une porte qu’on pousse à regret), nous refermons d’un déclic sec nos deux fusils.

Décidément, celui avec lequel je dors est un homme. Mais nous ne nous touchons pas de la nuit. Il est des obscénités qu’on ne commet pas entre hommes. Casqués et bottés. Ce lit de fer, c’est une tranchée. Il y a eu beaucoup de viols entre hommes et de tentatives dans les tranchées d'Europe. Nos fusils devant nous sur le râtelier, vue sur nos virilités au clou, nous sentons s'appesantir nos paupières, et nous sombrons dans le plomb jusqu’au petit matin. J’ouvre le volet qui bat lourdement la paroi, je sens monter d’en bas les effluves d’une chicorée amère, déjà la chouette féminine nous informe que le petit-déjeuner est prêt, ajoutant quelques crouacs qu’elle croit de très bon augure. Alors éclatent entre les deux hommes que nous sommes, renfilant sans nous laver nos habits pour la décence, des scènes de ménage entre les dents.

 

Nous leur devons de l'argent, des services. Voilà pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années. Nous venons d’Edmonton, 326 miles. C’est sans originalité. Nous ne devrions pas appeler réellement cette ville « Edmonton », car « Edmonton » existe réellement. Disons que la nôtre est perdue au milieu d’un désert glacé, soudain truffé de hauts gratte-ciel où il ne viendrait à personne l’idée de précipiter un avion, avec des silos à grains d’une hauteur démesurée, où tout fermente sous la paupière obtuse des thermostats lumineux. Mais tous les étés, tous les automnes, tous les hivers aussi (les scooters des neiges déblaient tout) nous ramènent chez Jywes et Holly, son épouse.

Nous leur devons cela. Ils ont acheté pour nous cette haute baraque, « la Masure », alors que rien, strictement rien ne les y obligeait. Mais comme ils ont bien vu que rien ni personne ne nous ferait mettre « la main à la pâte », que décidément nous n’étions pas dignes de ce somptueux cadeau, ne sachant ni bricoler quoi que ce fût ni passer une couche de lasure tant soit peu régulière ni quelque fongicide que ce soit, ils se sont sentis obligés d’occuper notre maison, de l’entretenir, d’y passer couche de pinceau sur couche de pinceau, goudron sur goudron, de clouer bardeau sur bardeau. Ils avaient eux aussi leur petite maison bien cernée de pelouse, en banlieue, ils partaient à la pêche au Lac des Esclaves, la température descendait à des degrés inimaginables - mais ici, à la Masure, c’étaient eux qui entretenaient cette maison qu’ils nous avaient offerte.

Est-ce qu’il ne s’était pas agi à un moment donné de Dieu savait quel billet de loto gagnant que nous aurions partagé, est-ce que nous ne nous serions pas bien mieux entendus jadis qu’à présent, est-ce que nous n’avions pas échangé nos femmes ou nos maris, n’y avait-il pas entre nous de ces secrets qui traînent depuis des décennies à l’intérieur des sectes et des communautés qui se sont faites, toutes, ne vous y trompez pas, à l’époque des Guerres du Viet-Nam ? canadiens ou pas... Ceux qui sont passés par ces épisodes confus peuvent seuls savoir - et nous sommes loin d’être justement les seuls - le caractère irréfragable que peuvent prendre alors les liens qui se tissent entre les gens, le fait d’avoir senti subrepticement se glisser en vous une queue qui ne vous était pas destinée, qu’on soit mâle ou femelle - ceux-là seuls peuvent comprendre l’impossibilité archi-absolue de toute rupture, le silence qui s’abat sur vous pendant des années, les folies aux visages variés qui vous font ou pousser des cris de chouettes ou des bubulements de hiboux, les culpabilités molles, les traînassements d’habitudes, et les jouissances de désespoir, de dérisions, lorsque le vent qui se faufile entre les cimes vient se heurter à nos volets.

Ici les nuits comptent plus que les jours, elles ont une épaisseur révélatrice, elles vous révèlent incomparablement plus que les jours ce que c’est que le Pays de Moose Jaw, de Poughkeepsie, de tous ces lieux imaginaires auxquels il est formellement interdit de donner des noms vrais : une épaisseur qui vous plombe aussitôt dans un sommeil où l’on ne sait pas ce qui rampe entre vos jambes si c’est une femme (une lourde cuisse grasse) ou ce qui reste obstinément raidi sous le tissu sale et roide d’un pantalon insensible et désastreusement immobile, lorsqu’il s’agit d’un homme. Ce qui précède en sv 107 XXX 63 07 03

 

1 b) 3 3)je n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas homosexuel, nous nous débrouillons chacun de notre côté) couche ou non avec le mâle, cf. aussi le bossu d'Issigeac et cet hôtel abandonné.

 

 

De notre chambre à coucher fermée par des barrières à la salle du petit-déjeuner, il n’y a qu’une échelle-de-meunier, ce genre d’escalier qui provoque lamort de tant de bambins qu’on doit clore le haut par une petite barrière dont seuls les adultes possèdent la clé. Mais nous explorons les étages supérieurs. C’est comme dans un rêve. Nous ne nous sommes pas déshabillés, nous portons nos fusils cassés le long de notre hanche, nous montons les yeux fixes dans le noir, où nous acquérons la vue puissante et nyctalope des oiseaux que nous trouvons pas. Ce sont des chambres vides, à l’infini, en hauteur, comme si en vérité le bâtiment se rehaussait à mesure que nous le parcourions, comme s’il s’érigeait, à mesure que nous découvrions les chambres abandonnées, lavabos orphelins gouttant dans la nuit, draps roulés et défaits, les matelas mêlants leurs rayures ; ampoules mouchetées chiures, blafardes et grésillantes, bien plus propres à effrayer qu’à éclairer, tandis que s’ébranlent dans notre dos, plus effrayants que s’ils étaient là tout proches à nous toucher, des lourds usufruitiers qui nous demandent ce que nous pouvons bien foutre là-haut, à gaspiller de l’électricité, à voir quoi, bon Dieu, à moins qu’ils ne nous pressent de les payer enfin en travaux d’entretien auxquels nous ne condescendrons jamais.

Nous savons qu’ils entrent avec nous, dans la chasse aux escaliers, cette créature qu’ils relâchent la nuit et hante les bas-fonds de leur cave, non point Ligéia ici enterrée vive, mais ce bossu par-devant, bossu par-derrière, bitord, qu'ils ont ramené de banlieue - cet homme, Vercassis, exerce la profession de modèle; il teint son nez et ses pommettes en vermillon. Il se fait photographier dans les postures les plus difformes. Puis il est revendu sous forme de figurines. Se faire poursuivre de nuit par lui dans les étages nous flanque à tous les deux mon chasseur et moi, des terreurs atroces ; et quanddans notre épuisement sur nos talons parfois son nez passe la spirale, nous explosons le pas et l'étage s'ajoute aux étages.

Que va-t-il advenir de nous ? Mon chasseur et moi ne savons planter un clou. C’est tout le bâtiment de bois qui s’ébranle ainsi au milieu de la nuit. Nous savons qu’après la mort de nos protecteurs ce bâtiment restera quelque temps plus ou moins entretenu, puis qu’il s’affaissera sur nous sous ses poutres et nos sciures. Nous reviendrons à Edmonton au printemps. Nous y suivrons des cours de charpente. Nous rétablirons le courant pour que les lampes sans abat-jour cessent enfin de tressauter comme des paupières.

 

c) élargissement de l'espace, sorte de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'Issigeac à l'horizontale.

 

Cette partie est devenue inutile, car tout a déjà été développé dans les paragraphes précédents, avec force détails.

2) L'effondrement

alors que je me balade, effondrement d'une aile,

2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

 

je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments,

 

I, 2, a : une page

 

 

X

 

Deux chemins partent de la clairière où Jywes traîne incessamment sa silhouette chevaline sur sa tondeuse ; deux sentiers raides dévalent raidement de part et d’autre de la haute calvitie que couronne la tour. Il faut avec entêtement lutter contre la descente avec autant d’obstination qu’on l'a gravie, tant les buissons, les ronces, les végétaux piquants vous agrippent au passage, vous protègent de la chute ; c’est le chemin du sud qui vous retient le plus. Celui du Nord plus doux mène au Lac Travey ; il caresse d’abord l’épaule par de hautes fougères arborescentes. Il se dégage alors de ces petits champignons éclatants (lorsqu’on les foule) un parfum pénétrant de spores, éjaculation végétale, poussière balsamique.

Et je les parcourais, alternativement, déplorant le peu d’espace offert par ces bois ancestraux, tandis que mon compagnon le chasseur gisait vivant tout raide auprès de son fusil. Je songeais à cette arme entre nos corps placée. C’était la pente sud ou femelle, et mes nombreux passages à pied dans ses broussailles rendaient chaque fois moins piquants mes agrippements, lorsqu’il me sembla ouïr un craquement sourd et lointain ; la terre ondula sous mes pieds, des éboulements se distinguèrent au sein des fourrés. Remontant la pente avec essoufflement, parfois m'accrochant des deux mains à terre, je pressentis que le Bouclier Hercynien Canadien, qui se pensait à l’abri des séismes, subissait une secousse bien réelle.

Tout le monde a déjà ressenti un séisme : sensation de nausée, perte d’équilibre et de tout repère, angoissante question de sa propre existence (un point, une poussière) : il y a dans cet abandon une douceur infinie, des endormissements. Je voulus courir vers la cabane, dont plusieurs tournants montants me séparaient au plus épais des fourrés. Les arbres autour de moi craquaient sans s'abattre ; ils fourniraient le bois de mon cercueil, car ils m'enseveliraient dans leur chute imminente. Il existe ici de ces espèces balsamiques remontant à des millénaires. Peut-être des gisements de houille hantent-ils le sol où je me débats, mais qui planterait des chevalets d’extraction parmi les bavures de lianes argentées ? Je remontais péniblement la pente. Pourtant c’était comme un jeu. Le creux de mes mains s'écorchait. Les branches basses m’entraînaient dans une valse infernale et facétieuse.

Puis le sol recouvrait sa stabilité. Je courais sur les aiguilles de conifères, bien rangées, bien sèches. Puis tout se remettait à onduler comme la peau d’un serpent dans les parfums, de nouveaux tournants se précisaient entre les buissons bas. Acte d'amour terrifiant et merveilleux avec Nature, à la fois dangereux et affectueux, car elle est capable de délicatesses. Je ne risquais rien, à moine que le démon n’ouvrît sous moi une de ces crevasses d’engloutissement, aussi facilement refermées qu’ouvertes.

2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

Une page

Le bâtiment, quand je le vis enfin, m’offrit l’image d’une invraisemblance absolue. Comment avait-il pu se faire qu’une surface aussi réduite n’eût pas provoqué un effondrement « en château de cartes » ? Les convulsions du chat ou de la tortue (disent les Japonais) sur lesquels nous vivons, vermine humaine, sont imprévisibles : une partie du bâtiment restait intacte ; c’était la moitié sud-est. Les volants étagés du bois, en jupe géante, restaient fixés l’un sur l’autre comme un grand pan d'écailles. Et d'un coup, au-delà d’une flèche de bois que la secousse avait propulsée à la verticale, toute l'habitation de Mont Shaïle s’était affalée au nord-ouest, en direction de l’Alaska. C’était comme un épine dorsale brisée, un long chevauchement de chevalets d’échine, un espadon mille fois rompu et rerompu, un léviathan fossile mal classé encore par les paléontologues, comme si le tremblement de terre s’était produit vingt millions d’années avant notre ère, et que les morceaux d’un ichthyosaure - les mots m’échappent, comme la terre sous mes pieds. La sciure planait par-dessus tout cela. L’odeur était merveilleuse, les particules demeuraient suspendues à deux mètre ou trois au-dessus du sol, et répandaient cette saveur de bois qui détermine les vocations de forestiers for ever, quel que soit le bas salaire qu’on obtienne dans ces professions déshéritées, loin de tout.

Un journaliste pressé -j’aurais pu vendre très cher mon reportage, mes clichés si j’avais eu l’esprit de porter sur moi un Nikon 400 E - « Je devrais me barder d’appareils photographiques, ces deux sentiers sont si riches que je rapporterais au poins de quoi garnir deux albums » - et puis j’oubliais - aurait alors mitraillé cette scierie bombardée,ce chaos d’éclatures où subsistait le grand dessein d’un architecte. Nulle fumée ne s’élevait encore, à l’exception de cette écharpe odorante et blonde, et c’était merveilleux, en vérité, que nul incendie ne se fût déclaré, ni ne menaçât, car mon odorat était aux aguets. Tous les sens jouissaient e la perspective eshétique offerte à moi. Les oreilles jouissaient d’une sorte d’écho : de là où j’étais, les arbres bienveillants m’avaient masqu » le bruit de l’effondrement, qui avait dû se produire très lentement, comme un froissement de vent dans les feuilles. Je me penchai pour cueillir au bout de mes doigts de cette matière merveilleuse, et je pensais qu’ainsi s’effondrent les empires, il n’en reste plus que le parfum qui pour toujours entête les civilisation à venir.

Des champignons, des insectes, se repaîtraient de cette sciure. J’étais subjuguée, transformé en femme, ouverte à toutes les sensations. Enfin, pensais-je, notre prison n’existe plus. Je ne pensais pas : « Comment vais-je réapprendre à vivre désormais ? » Non, la destruction, préalable à toute renaissance, m’apparaissait dans toute sa bienfaisance. Je longeais ces « poutrelles désaxées », ces planchers désormais verticaux, j’évaluais en connaisseuse ‘désormais j’étais femme, pour un certain temps, je priais l’intérieur de moi-même pour que cet état divin se prolongeât, car la femme est proche du divin autant que le sommet s’affale à terre et en épouse les contours) l’angle, techniquement parlant, 25° ? 45 ° ? où tous ces enchevêtrements se présentaient.

Et rien, Dieu merci, n’était reconnaissable, ni la chambre, où trônaient les hideuses images, ni la chambre des deux monstres, l’homme et la femme encore condamnés à leur sexe respectif, seule peut-être la tondeuse à gazon osait montrer son large siège de cuir en forme de cul : je voyais les deux étroites ellipses dessinant sur le cuir la marque des fesses d’un certain Jywes.

je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, une page

Alors seulement j’acceptai de penser aux humains. Qui était vivant, qui était mort ? Le cheval maudit, l’homme à la tondeuse ? Notre hôtesse, la graisseuse, toujours à virevolter au milieu de ses tartines ? Mon compagnon le chasseur, sale et raide dans ses pantalons militaires, et qui ne me touchait jamais pendant la nuit ? Je ne l’aurais pas suporté : qu’il se lavât, d’abord. C’était vraiment, j’y revenais toujours, l’odeur qui m’emplissait tout entière, du poumon à ces cavités que je sentais, nouvelles et palpitantes, désormais vivre en moi - mais pour combien de temps ? Mon Dieu, faites que mon changement de sexe se confirme ! La sciure me pénètre par tous les pores. A la moindre odeurde cadavre, d’ici quarante-huit heures je suppose au plus tard, je sens que je redeviendrais un homme.

En même temps, quelque chose s’agitait dans mon esprit : « Tu n’es pas raisonnable. Tu es monstrueuse. Tu jouis du spectacle, tu palpes le bois frais, sans t’inquiéter de ceux qui vivaient là, qui se préparaient à vivre une de ces merveilleuses matinées solitaires. Tu aimerais, n’est-il pas vrai, qu’ils revécussent, qu’ils revinssent à la vie, afin de reprendre cette histoire qui ne t’avait jamais appartenu...

Tout est trop calme. Il ne règne absolument pas d’atmosphère de mort. Une heureuse coïncidence a fait que tous auront survécu. Je me fais peur. Il n’y a pas de mal. Ils sortiront de leur cage de bois, soit de la partie miraculeusement restée intacte, soit de cette longue avancée disloquée. Et c’est d’abord le cheval funèbre, le chevaucheur de tondeuse à gazon, qui s’ébroue de sa sciure, tout près de la base, où le poids a pesé le moins. Il me regarde hébété, les bras ballants. Il ne trouve rien à me dire, ses lèvres sont retroussées exactement comme celles d’un cheval sur le mort, je vois ses dents jaunes dont je détourne toujoiurs le regard pendant les petits-déjeuners si copieux.

A mon grand désespoir, à mon grand soulagement - comment définir ces deux choses, là, juxaposées ? - je vois la boulette sortant par la demi-porte restante, car la catastrophe l’a surprise au milieu des étages. Elle était en train de manger, les lèvres lui dégoulinent encore de sirop d’érable. Pourquoi les tremblements de terre n’éliminent-ils jamais ceux envers lesquels nous sommes redevables ? Pourquoi me trouvais-je si proche, dans un chemin creux, encombré de buissons ? Où est mon chasseur ? Il étire son long cou de l’autre côté du bâtiment, il revient lui aussi de promenade, il a pris le second sentier, vers le nord, il ramène par les ouïes une carpe à demi morte, que l’affolement a jetée sur sa ligne,

 

 

 

TEXTE DU CHEMIN PARCOURU

 

COLLIGNON LE CHEMIN PARCOURU

 

L'EFFONDREMENT DE ROSSENBERG TEXTES

 

 

 

 

1) Nuit à Rossenberg

a) les lieux (trois pages)

1) le bâtiment et ses entours (une page)

2) la chambre blanche, le petit lit de fer, le portrait de Henri V comte de Chambord. (une page)

3) ma compagne à côté (une page)

b) les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons,

c) élargissement de l'espace, sorte de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'I. à l'horizontale.

DIX PAGES (EN FAIT, SIX SEULEMENT)

2) L'effondrement

a) alors que je me balade, effondrement d'une aile, je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, cf. une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

b) les hommes vont sur le terrain (torchis, colombages), (laine de verre, masques) - moi, je suis méprisé, on ne me confie que le nettoyage de la vaisselle, aidé par des fillettes, puits à chadouf, bien préciser à ce moment la situation d'humiliation et d'infériorisation dont je suis l'objet dans ce groupe de merde.

c) Evocation effectivement d'O. qui me traite de Gugusse et de L. qui me remet le moteur en marche. Ne pas hésiter à dévoiler alors leur peu glorieux avenir (digeridoo, Uruguay)

 

3) Mes lectures, destinées à bien montrer combien je suis supérieur (Musset aux chiotttes à la caserne, chapitre sur Ulysse dans "Si c'est un homme", ceci avec l'une des fillettes. Mais, "après-midi vaseux".

a) mon bouquin, sa découverte dans les décombres, mon rafistolage, ce que je m'en promets

b) un commentaire là-dessus

c) ma transmission, très chaste, pendant la nuit à la petite fille, cf. Nuit de Mai, "Que c'est beau !"

 

 

4) Ma soûlographie en mémoire de l'ermite

a) le menu pantagruélique "Aux chasseurs", "A l'auberge basque"à Sarlat, les sauveteurs se restaurent, O.K.

b) Je suis ridicule et hargneux, cf. le barak hongrois, les cinq litres de vin avec L.

c) Une agressivité sauvage, ma paranoïa n'ayant cessé de monter.

 

5) Le voyage du retour

a) Le trajet à travers le Bocage, avec la petite fille dont nous ne savons pas tous les deux qui est le père ; petite route et cimetière de G., pélerinage ultra-lent car nous n'y reviendrons plus.

b) le peintre Manolo, les adieux à tous.

c) engueulade magistrale devant la petite fille pour savoir qui de nous deux est le père.

 

6) Il faut pourtant larguer la fillette chez sa mère

a) l'accueil plus que mitigé, cf. Machinchose à Kekpar.

b) accueil dégueulasse de la fillette, cf. fille de V. à Villaras, écoeurant.

c) elle nous annonce qu'elle va la larguer chez une autre copine

 

 

7) Achat de bouffe cours Dr Lambert

a) je médite ma vengeance en achetant des produits avariés

b) je me lamente sur ma vie ratée, en retraçant la vie antérieure de mon compagnon et de moi

c) le repas est dégueulasse, avec la radio qui hurle sur le jambon d'York

 

8) Toujours la soirée studieuse

a) Je reviens sur Musset

b) je fais le tour de tous mes bouquins

c) je fais effondrer à mon tour toute ma cabane

 

9) Coincé dans ma poche d'air, j'attends les sauveteurs.

a) je me sortirai de là, j'irai à St-Flour

b) je ne pourrai jamais, jamais vivre seul

c) j'entends la voix de mon compagnon qui demande qu'on arrête les recherches, on m'arrose de créosote avant de mettre le feu.

Pendant ce temps-là je creuse, pour m'évader, deux cents mètres plus loin.

 

XXX61 04 23XXX

rossenberg 3

I) Nuit à ROSSENBERG

a) lieux

1) le bâtiment et ses entours (une page)

2) la chambre blanche, le petit lit de fer, le portrait de Henri V comte de Chambord. (une page)

3) ma compagne à côté, et l'impression étrange des volets hermétiquement clos. (une page)

I, 1, a (une page)

Il est au sommet d'une montagne un lieu étrange et pénétrant, nommé la Calvie de Vénus, où se dresse un des plus étranges chalets. C'est au centre d'une clairière une haute maison de bois, correspond pourtant aux normes architecturales de ces contrées : trois étages dont le dernier jette juste un coup d'oeil par-dessus les cimes, et semble un fenil aménagé. Comparable en tous points à ces hautes maisons de fermiers, dans l'Ouest canadien (près de Calgary, ou de Mouse Jaw) - là où s'étendent de si vastes arpents de blé de printemps.

Pourtant il ne règne au rez-de-chaussée qu'un rond de prairie, comme une calvitie de verge (d'où le nom "Calvi[ti]e de Vénus"), sans aucune culture ni trace d'aucune sorte de jardinage. Le propriétaire du lieu, Stoffer Jywes, passe de plus en plus loin sa tondeuse à gazon, sur laquelle il s'asseoit, et pousse entre les arbres des débroussaillages de plus en plus lointains, si bien que les sous-bois du sommet du Mont Chauve se trouvent parfaitement dégagés, bien propres à décourager les incendies.

Sec et décharné sur sa tondeuse, il semble en vérité quelque cavalier dégénéré de l'Apocalypse de Dürer, motorisé, utilitaire et monotone. Il la remise sous un appentis, en lisière des hauts feuillus qui délimitent sa clairière. Sa femme est tout le contraire : une joyeuse boule de graisse, dont le sourire efface la disgrâce, et qui accueille le mieux possible les visiteurs, à l'endroit où parvient la route tortueuse et sans issue menant à cet ermitage conjugal.

L'extérieur du bâtiment consiste en un savant assemblage, tout simple en réalité, commun encore en ces régions, de lattes goudronnées se recouvrant l'une l'autre, mieux ajustées encore vers le Nord-Ouest. Le tout, recouvert de divers enduits, présente l'aspect d'un gâteau de bois indigeste et revêche, aux rares ouvertures disposées sous les auvents, toutes munies de raides escaliers externes imposés par la législation anti-incendies.

L'intérieur retrace l'histoire d'une lutte contre la verticalité : ce ne sont qu'échelles de meunier, trappes périlleuses et rampes vernies, où règnent cependant des teintes blond clair, presque miel : il fait toujours bien chaud passé le premier étage. xxx61 05 04 XXX

rossenberg 4

I, a, 2

la chambre blanche et son décor (le petit lit de fer, le portrait de Henri V comte de Chambord). (cf. aussi l'affiche de Saratov)

 

Les deux êtres décrits plus hauts détestent autant qu'il se peut les visites, qu'ils appellent "intrusions". Ma femme Jeanne et moi bénéficions seuls de leur hospitalité ; ils nous logent alors dans une chambre du rez-de-chaussée, à gauche, donnant de plain-pied sur la pelouse. Il y règne un froid glacial, à moins que nous n'y transportions un de ces chauffages d'appoint, aux résistances rougeoyantes, à l'odeur entêtante : rien qui s'épuise plus vite que ces minuscules bouteilles de gaz compact, riches sans doute en émanations de Co².

Nous dormons dans un petit lit de fer protestant, qui grince allègrement lorsque nous y sautons, pour nous abriter sous l'épais édredon. Les deux panneaux du lit présentent des ferronneries courantes à la fois et remarquablement exécutées, il n'y manque pas une volute, ce mot rappelle "volupté", ce que nous nous efforçons d'atteindre, souvent avec succès : le centre du matelas forme une étroite gouttière, et nulle nuit ne me revient en mémoire sans que je ne l'associe à d'intenses courbatures dues à l'emmêlement obligé des membres, tant supérieurs qu'inférieurs.

Mais nous aimons bien notre lit, qui fleure bon le faux puritanisme et ses ferreuses douilletteries conjugales. Ce n'est cependant pas un crucifix qui le domine, mais un portrait de Napoléon, Neumeier, Nicolas Ier ou II, le Maréchal Ney... en rapport avec une commémoration). Je crois qu'il s'agit fort banalement d'un portrait de Napoléon par David, avec tout ce qu'on peut d'imaginer de plâtreux, ce profil gauche empâté, au menton engagé dans la graisse, majestueux mais déjà déchéant, le jaune cru, "gros jaune", et les écaillures déjà lézardant l'esquisse. Rien d'officiel. Que du cruel, malgré le projet de "portrait équestre". Dormir sous le portrait de Napoléon devientdrait obsédant, si nous ne nous endormions tout de suite elle et moi, par son poids justement.

Nos nuits sont encombrées de lourdeurs impériales, de jaunes d'oeufs mal digérés, propices aux infarctus. Le matin, lorsque sont enlevées les lourdes barres de fer qui closent le volet, nos regards se posent sur une affiche décharnée, occupant le verso de la porte : un horrible Christ aux Souffrances, le visage chantourné par la douleur, ce qui veut dire creusé de l'intérieur. Sur sa peau friable coulent de voluptueuses larmes de sang, comem autant de rubis malsains. Les couleurs sont donc : jaune impérial, rouge christique, gris poreux d'une chair d'agonie, et nous.

Puis la clairière, qui se dégage à un mètre sous nos fenêtres mêmes, qu'il nous suffirait d'enjamber pour fouler toutes ces herbes des Rocheuses du Nord... Les volets de bois lourd résonnent en se rabattant sur les bardeaux superposés comme autant de volants d'une lourde, noire, goudronnée, improbable gitane, qui danserait sur place, dans une verticalité aussi figée que celle de la femme de Loth : une statue de bitume.

L'odeur est là. La maison est un effroyable bateau fiché poupe en terre, comme un bloc de goudron fissuré. XXX61 05 04XXX

1 a 3 Ma compagne

Cette femme qui est dans mon lit est un homme. Je le vois comme un mâle maigre, affublé d'une moustache qu'il ne veut jamais couper ni tailler. Il est beaucoup plus facile de se faire enculer. On se sent utile, on sait où l'on va. Pourquoi n'ai-je jamais été de force à concevoir ce que c'est qu'une femme ? Elle a des besoins tellement plus énormes que moi en sommeil que je puis aussi bien me promener dans les sentiers alentour une heure,batifolant dans la rosée, avant qu'elle ait ouvert l'oeil. La femme qui est dans mon lit est une femme. Je ne parviens pas à me décider. Elle ne dort jamais. Au sein du plus profond sommeil et quelle que soit la question que je pose, elle sera capable d'émettre une opinion ou un soupir, tout cela très pertinent. Nous nous connaissons depuis si longtemps qu'elle change de sexe à volonté de mes fantasmes. Je ne sens plus son odeur. Nous emmêlons nos membres au petit matin, au début de notr eliaison je m'étouffais sous le pids de ses jambes, puis j'en ai redemandé, ce jour-là j'ai compris à quel point nous formions un vieux couple de vieux chevaux. De retour.

Je me suis plaint d'elle, car c'est mon principal sujet de conversation : dire du mal de sa femme est la preuve même de son amour, de même que le blasphème est preuve de l'existence de Dieu. Il n'y a pas de crucifix dans la chambre, mais mon Dieu il faut toujours que tout un rite soit respecté, de petits baisers sur la bouche et les yeux, de frôlements de joue, de soupirs tendres, et c'est malgré la misogynie la sortie du four même du sommeil de je ne sais quelle pâtisserie moëlleuse, ma barbe ne gratte pas trop car mon rasage date de la veille au soir.

Cette chambre en vérité est un étouffoir, nous n'y avons jamais froid malgré les moins trente du dehors, il y règne toujours au moment une tranpiration, une buée moite sur la lèvre supérieure de ma compagne délicieusement semblable à un loir, par le grassouillet de son corps, et Dieu me préserve de trouver un jour emmêlé à mes jambes les raides bâtons squelettiques d'un mâle moustachu, rassurant mais sec, sec, sec. Qu'est-ce qui fait qu'une femme puisse supporter le corps d'un homme ? Combien nous sommes désagréables, taillés comme des charpentiers, bâtis en barre à mine, avec des érections défaillantes - elles me disent, les femmes, du moins la seule que je connaisse et qui les a remplacées toutes, "Vous êtes attendrissants", "nous pouvons vous porter dans notre ventre", mon Dieu se peut-il qu'une d'entre elles ait osé proférer qu'elle refusait d'être enceinte d'un garçon pour ne pas avoir un sexe mâle dans le ventre, mon Dieu once more n'importe quoi.

Puis nous passons au petit déjeuner, et là, d'un coup, c'est le silence : les corps ne se touchent plus. Ni mots, ni caresses, juste l'air abruti de qui a trop dormi, au-dessus d'un bol chaud. XXX 62 02 02 SV 92 XXX

 

b) les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons, et

1) invariablement les connards qui nous hébergent,

2)nous leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années,

3)je n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas homosexuel, nous nous débrouillons chacun de notre côté) couche ou non avec le mâle, cf. aussi le bossu d'Issigeac et cet hôtel abandonné.

 

I, b, 1) invariablement les connards qui nous hébergent.

 

Soixante-dix, quatre-vingts fois que s ais-je, nous avons débouché dans cette salle sentant la cendre hiver comme été, frissonnant sous nos longues robes de chambre et invariablement trouvant les toasts juste saisis à point, ou ramenant sur nous les pans inusités de nos habits de vie, car nous couchons nus et ne noue réajustons que pour des besoins de décence. L'été, la porte s'entr'ouvre, et déjà, quelle que soit l'heure, nos hôtes sont là, invariablement souriants et humains, et comme nous sortons de notre tendresse personnelle, ce petit-déjeuner agit invariablement comme un viol : comment d'autres êtres que nous peuvent-ils s'aimer et avoir croupi au lit, le leur, comme nous, avec d'autres choses à se dire ou à ne se point dire ?

Le grand maigre, taciturne, ouvre et ferme ses longues mâchoires de crocodile, non si bien endentées cependant. Il mange salement, avec des claquements, je guette invariablement les pluvians nilotiques picoreursde canines. Je hais ces gens et leur suis attaché si viscéralement que je ne sais plus que penser : ainsi de l'homme, ou de la femme, qui partage ma couche. La boulette de graisse qui sert de femme à notre hôte tourbillonne autour de nous en imitant, à la lettre, la chouette: c’est-à-dire non pas ce doux ululement du hibou,mais cette criaillerie de l’oiseau nocturne dépeçant sa proie. Depuis, à mon compagnon comme à moi, il n’est croissant si chaud ni moelleux qui ne rappelle un goût de rongeur mort.

Parfois lui et moi partons dans ces bois, à la tombée de la nuit, nos fusils cassés à la main, malgré l'interdiction formelle des autorités du Saskatchewan : tout est si isolé ici. Nous feignons de pousser les cris du hibou, il nous est répondu par nichées entières alignées sous le long ciel arctique. En vérité nous sommes surpris, même rageurs, de ne point voir sur la branche à peine distincte ne fût-ce qu’une ombre tutélaire de rapace. Nous rentrons seuls, une mort délicieuse dans l’âme, et dès la haute tour hantée par le vieux couple, comme une porte refermée, nous refermons d’un seul déclic nos deux fusils.

Décidément, mon compagnon de nuit est un homme. Mais nous ne nous touchons pas de la nuit. Il est des obscénités qu’on ne commet pas. Nous couchons casqués et bottés. Ce lit de fer, c’est une tranchée. Il y a eu beaucoup de viols, réussis ou tentés, entre hommes, devant Verdun ou sur le front de Somme. Ici, contemplant devant nous nos virilités sur le râtelier de bois, nous appesantissons nos paupières, et sombrons dans le plomb jusqu’au petit matin. J’ouvre alors le volet qui bat sur le mur, je sens monter les effluves de chicorée amère, déjà la chouette humaine nous informe que tout est près, ajoutant quelques crouacs qu’elle croit de très bon augure. Alors éclatent entre les deux hommes que nous sommes, renfilant nos pantalons sans nous laver pour descendre décents, de sourdes scènes entre nos dents rentrées.

 

2)nous leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années,

 

(une page)

Nous venons d’Edmonton, au sud. C’est sans originalité. Nous ne devrions pas appeler réellement cette ville « Edmonton », qui existe réellement. La nôtre se perd au milieu d’un désert froid, touffe de gratte-ciel où personne n'aurait la moindre idée de précipiter un avion. Les silos qui la cernent atteignent en perspective une hauteur extrême, l'ensemble fermentant sous le regard obtus des thermostats lumineux. Mais tous les étés, tous les automnes, tous les hivers aussi (les déneigeuses du cru démontrent leur efficacité) (il n’y a qu’au printemps que la boue empêche tout) - nous ramènent chez Jywes et Holly, son épouse.

Nous nous y sentons obligés. Nous sommes leurs obligés. C'est pour nous qu'ils ont acheté cette haute maison, qu’ils appellent entre eux « la Masure », alors que rien, strictement rien ne les y obligeait.

Mais comme ils ont bien vu que rien ni personne ne nous ferait mettre « la main à la pâte », que décidément nous n’étions pas dignes de ce somptueux cadeau injustifié, ne sachant ni l'un ni l'autre bricoler quoi que ce fût ni passer une couche de lasure ou de fongicide, ils se sont sentis obligés d’occuper la masure, de l’entretenir, d’y passer couche de brosse sur couche de brosse, goudron sur goudron, de clouer bardeau sur bardeau, volant sur volant. Ils avaient eux aussi leur petite maison bien cernée de pelouse, en banlieue, ils partaient à la pêche au Lac des Esclaves, la température descendait - mais ici, c’étaient eux qui entretenaient la Masure qu’ils nous avaient offerte.

Est-ce qu’il ne s’était pas agi, à un moment donné, de Dieu sait quel billet de loto gagnant que nous aurions partagé, est-ce que nous n’avions pas jadis échangé nos femmes ou nos maris, n’y avait-il pas entre nous de ces secrets de sectes et de communautés toutes antérieures à janvier 73, Canadiennes ou pas... Seuls les survivants de ces temps confus peuvent se figurer correctement le caractère indissoluble de tels liens – ainsi, sentir se glisser en vous une queue subreptice – d'où l’inconcevable éventualité de toute rupture ; le silence qui tombe sur vous pendant les années de l'après-vie ; les folies qui vous font soudain chuinter comme une chouette ou boubouler comme un hibou ; culpabilités molles, traînasseries, désespoirs jouissifs qui s'immiscent à l'heure où le vent faufilé dans les cimes redescend heurter les volets.

Ce sont les nuits qui comptent ici, d'une épaisseur bien plus révélatrice que ce jour court, au pays de Moose Jaw et de Poughkeepsie, de tous ces lieux sans véritables noms. Une densité morne qui vous plombe d'un coup dans un sommeil où l’on ignore qui rampe entre vos jambes : si c’est un homme une obstination raide sous le tissu sale d’un falze désastreusement immobile.

 

 

De notre chambre à la salle à manger d'en bas, il n’y a qu’une échelle-de-meunier, trompe-la-mort pour chiards, barrée d'une sécurité dont seuls les prétendus adultes possèdent la clé. Nous explorons aussi les étages supérieurs. C’est comme dans un rêve. Nous ne sommes pas déshabillés. Nous portons nos flingues cassés le long de la hanche, nous montons les yeux fixes dans le noir, où nous avons acquis le regard nyctalope des rapaces que nous échouons à trouver. Ce sont des chambres vides deux par deux superposées, comme si en vérité le bâtiment se haussait à mesure, s’érigeait tandis que nous découvrions les pièces délaissées, les lavabos gouttant dans la nuit, les draps roulés là ou défaits, les matelas entoilés croisant leurs rayures, les ampoules salies de chiures que nous allumons, blafardes et grésillantes, bien plus propres à effrayer qu’à éclairer, tandis que s’ébranlent dans nos dos, loin au dessous de nous mais d’autant plus effrayants je le répète en vérité que s’ils étaient là tout proches à nous toucher, des lourds usufruitiers qui nous demandent ce que nous pouvons bien foutre là-haut, à gaspiller de l’électricité, à voir quoi, bon Dieu, puisqu’il y a longtemps qu’il n’y a rien à voir depuis le temps que ce foutu hôtel est abandonné, à moins qu’ils ne nous demandent de les payer enfin pour tous les travaux d’entretien qu’iils voudraient que nous fissions, auxquels nous autres chasseurs nous ne condescendrons jamais, jamais.

Nous savons qu’ils entraîent avec nous, dans la chasse aux escaliers, cette créature qu’ils relâchent la nuit et hante les bas-fonds deleur cave, non point l’exquise Ligéia enterrée vive, mais ce bossu par-devant, bossu par-derrière, bitord en termes techniques, ramené de leur infecte banlieue proprette... Cet homme, Vercassis, exerce en banlieue la profession suivante : modèle pour nain de jardin. Il teint son nez, son visage, de vermillon. Iil prend lesp ostures lesp lus difformes et se fait ainsi photographier. Puis les plasticiens prennent modèle sur lui, reconstituent son image par ordinateur (« D.A.O. ») et le revendent sous forme de figurines.

Se voir poursuivi dans l’escalier de nuit par un tel monstre nous flanque à touts les deux, mon chasseur et moi, des terreurs indicibles : car parfois, dans notre essoufflement, nous voyons son nez de grotesque polichinelle passer le tournant du colimaçon, et nous accélérons, et les étages s’élèvent toujours. Que va-t-il advenir de nous ? Ni mon Chasseur ni moi ne savons planter un clou. Jywes et son épouse suivent à grand bruit trois étages plus bas. C’est tout le bâtiment de style norvégien qui s’ébranle ainsi au milieu de la nuit. Nous savons qu’après la mort de nosp rotecteurs, le bâtiment restera quelque temps à peu près bien entretenu, puis qu’il s’affaissera sur nous, peu à peu avec les années, puis tous, hommes de chair et bâtiments de bois, rentreront sous forme de sciure dans le vaste cycle de la nature.

Nous reviendrons à Edmonton (Saskatchewan) pour le printemps. Nous prendrons des cours de bricolage et de charpente. Nous rétablirons le courant électrique de façon satisfaisante, pour que les lampes sans abat-jour cessent enfin de trembloter comme autant de paupières.

 

c) élargissement de l'espace, sorte de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'Issigeac à l'horizontale.

 

Cette partie est devenue inutile, car tout a déjà été développé dans les paragraphes précédents, avec force détails.

2) L'effondrement

alors que je me balade, effondrement d'une aile,

2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

 

je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments,

 

I, 2, a : une page

D

·0 eux chemins s’échappent de la clairière où Juwes incessamment promène sa silhouette chevaline sur sa tondeuse ; les deux chemins descendent raidement, de part et d’autre à peu près de la haute calvitie que surmonte la bâtisse. Il faut avec entêtement lutter contre la descente avec autant d’obstination qu’on en mettrait à gravir, tant les buissons, les ronces, les végétaux piquants en général vous retiennent au passage, vous protègent de la chute, ainsi qu’une mère abusive, agrippante. C’est le chemin du sud qui vous retient le plus. Au Nord, la pente plus douce menant au Grand Lac des Esclaves caresse d’abord l’épaule à travers le tissu, au point qu’on souhaiterait être nu, par de hautes fougères arborescentes ; il se dégage alors de ces petits champignons éclatants (qui éclatent lorsqu’on les foule) un parfum pénétrant de spores, éjaculation végétale, poussière balsamique : la voix mâle, opposée à la voie femelle ?

·1 Et je les parcourais, alternativement, déplorant le peu d’espace offert par ces bois ancestraux, tandis que mon compagnon le chasseur reposait tout raide auprès de son fusil. Je songeais à cette arme entre nos corps placée comme à l’épée qui sépare Tristan d’Yseut dans la légende du Morrois. C’était la pente sud ou « femelle », et mes nombreux passages rendaient chaque fois moins piquants mes agrippements, lorsqu’il me sembla ouïr un craquement sourd et proche à la fois et lointain ; la terre ondulait sous mes pieds, des éboulements se distinguaient dans les impénétrables fourrés qui m’enclosaient.

Remontant alors avec essoufflement, parfois les deux mains à terre, je pressentis que le Bouclier Hercynien, qui se croyait à l’abri des séismes, subissait une secousse improbable et réelle. Tout le monde a déjà ressenti cela : sensations de nausée, êrte d’équilibre, perte de tout repère, l’angoissante question métaphysique de sa propre existence (« Je ne suis qu’un point,, une poussière près de l’engloutissement ») - il y a dans cet abandon à l’infini une douceur elle aussi infinie, comme celle qui vous prend lors des endormissements. Je voulais courir vers la cabane, dont plusieurs tournants me séparaient au plus épais des fourrés.

Les arbres craquaient, ils ne s’abattaient pas. Ils fourniraient le bois de mon cercueil, je serais enseveli parmi eux. Il existe au Canada de ces espèces balsamiques, remontant à des siècles, et de génération en génération, à des millénaires. Peut-être des gisements de houille hantent-ils ces sous-sols, mais qui planterait des chevalets d’extraction au milieu de ces arbres millénaires, tout chenus de bavures de lianes argentées ? Je regrimpais péniblement la pente. C’était comme un jeu. Les forsythias de là-bas m’écorchaient le creux des mains. Les branches basses se dérobaient à mon étreinte, semblaient voulori m’entraîner dans une valse infernale et facétieuse.

Puis le sol recouvrait sa stabilité. Je courais sur les aiguilles de pins ou d’épicéas, bien rangées et bien sèches. Puis tout réondulait comme la peau d’un serpent, le perfum était pénétrant, un nouveau tournant se précisait entre les buissons bas. C’était un amour merveilleux avec la nature, quelque chose de dangereux et d’affectueux, comme d’uen mère éléphant avec un chaton. Mais ces gros animaux sont capables de délicatetsses inimaginables. Je ne risquais rien, à moine que le démon n’ouvrît sous moi une de ces crevasses d’engloutissement, aussi vite refermées qu’ouvertes.

2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

Une page

Le bâtiment, quand je le vis, m’offrit l’image d’une invraisemblance absolue. Comment avait-il pu se faire qu’une surface aussi réduite au sol n’eût pas provoqué un effondrement « en château de cartes » ? Les mouvemets du chat, ou de l’éléphant, ou de la tortue (disent les Japonais) sur lesquels nous vivons, vermine humaine, sont rigoureusement imprévisible. Une partie du bâtiment restait vigoureusement intacte. C’était la moitié sud-est. Les étagements de bois, les volants de jupe ligneuse restaient fix »s l’un sur l’autre comme autant d’écailles intactes. D’un coup, au-delà d’une flèche de bois plus capricisues, que la secousse avait amené à la verticale, toute la maison du sommet de Mount Shyle s’était affalée au nord-ouest, en direction de l’Alaska. C’était comme un épine dorsale brisée, un long chevauchement de chevalets d’échine, un espadon mille fois rompu et rerompu, un léviathan fossile mal classé encore par les paléontologues, comme si le tremblement de terre s’était produit vingt millions d’années avant notre ère, et que les morceaux d’un ichthyosaure - les mots m’échappent, comme la terre sous mes pieds. La sciure planait par-dessus tout cela. L’odeur était merveilleuse, les particules demeuraient suspendues à deux mètre ou trois au-dessus du sol, et répandaient cette saveur de bois qui détermine les vocations de forestiers for ever, quel que soit le bas salaire qu’on obtienne dans ces professions déshéritées, loin de tout.

Un journaliste pressé -j’aurais pu vendre très cher mon reportage, mes clichés si j’avais eu l’esprit de porter sur moi un Nikon 400 E - « Je devrais me barder d’appareils photographiques, ces deux sentiers sont si riches que je rapporterais au poins de quoi garnir deux albums » - et puis j’oubliais - aurait alors mitraillé cette scierie bombardée,ce chaos d’éclatures où subsistait le grand dessein d’un architecte. Nulle fumée ne s’élevait encore, à l’exception de cette écharpe odorante et blonde, et c’était merveilleux, en vérité, que nul incendie ne se fût déclaré, ni ne menaçât, car mon odorat était aux aguets. Tous les sens jouissaient e la perspective eshétique offerte à moi. Les oreilles jouissaient d’une sorte d’écho : de là où j’étais, les arbres bienveillants m’avaient masqu » le bruit de l’effondrement, qui avait dû se produire très lentement, comme un froissement de vent dans les feuilles. Je me penchai pour cueillir au bout de mes doigts de cette matière merveilleuse, et je pensais qu’ainsi s’effondrent les empires, il n’en reste plus que le parfum qui pour toujours entête les civilisation à venir.

Des champignons, des insectes, se repaîtraient de cette sciure. J’étais subjuguée, transformé en femme, ouverte à toutes les sensations. Enfin, pensais-je, notre prison n’existe plus. Je ne pensais pas : « Comment vais-je réapprendre à vivre désormais ? » Non, la destruction, préalable à toute renaissance, m’apparaissait dans toute sa bienfaisance. Je longeais ces « poutrelles désaxées », ces planchers désormais verticaux, j’évaluais en connaisseuse ‘désormais j’étais femme, pour un certain temps, je priais l’intérieur de moi-même pour que cet état divin se prolongeât, car la femme est proche du divin autant que le sommet s’affale à terre et en épouse les contours) l’angle, techniquement parlant, 25° ? 45 ° ? où tous ces enchevêtrements se présentaient.

Et rien, Dieu merci, n’était reconnaissable, ni la chambre, où trônaient les hideuses images, ni la chambre des deux monstres, l’homme et la femme encore condamnés à leur sexe respectif, seule peut-être la tondeuse à gazon osait montrer son large siège de cuir en forme de cul : je voyais les deux étroites ellipses dessinant sur le cuir la marque des fesses d’un certain Jywes.

je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, une page

Alors seulement j’acceptai de penser aux humains. Qui était vivant, qui était mort ? Le cheval maudit, l’homme à la tondeuse ? Notre hôtesse, la graisseuse, toujours à virevolter au milieu de ses tartines ? Mon compagnon le chasseur, sale et raide dans ses pantalons militaires, et qui ne me touchait jamais pendant la nuit ? Je ne l’aurais pas suporté : qu’il se lavât, d’abord. C’était vraiment, j’y revenais toujours, l’odeur qui m’emplissait tout entière, du poumon à ces cavités que je sentais, nouvelles et palpitantes, désormais vivre en moi - mais pour combien de temps ? Mon Dieu, faites que mon changement de sexe se confirme ! La sciure me pénètre par tous les pores. A la moindre odeurde cadavre, d’ici quarante-huit heures je suppose au plus tard, je sens que je redeviendrais un homme.

En même temps, quelque chose s’agitait dans mon esprit : « Tu n’es pas raisonnable. Tu es monstrueuse. Tu jouis du spectacle, tu palpes le bois frais, sans t’inquiéter de ceux qui vivaient là, qui se préparaient à vivre une de ces merveilleuses matinées solitaires. Tu aimerais, n’est-il pas vrai, qu’ils revécussent, qu’ils revinssent à la vie, afin de reprendre cette histoire qui ne t’avait jamais appartenu...

Tout est trop calme. Il ne règne absolument pas d’atmosphère de mort. Une heureuse coïncidence a fait que tous auront survécu. Je me fais peur. Il n’y a pas de mal. Ils sortiront de leur cage de bois, soit de la partie miraculeusement restée intacte, soit de cette longue avancée disloquée. Et c’est d’abord le cheval funèbre, le chevaucheur de tondeuse à gazon, qui s’ébroue de sa sciure, tout près de la base, où le poids a pesé le moins. Il me regarde hébété, les bras ballants. Il ne trouve rien à me dire, ses lèvres sont retroussées exactement comme celles d’un cheval sur le mort, je vois ses dents jaunes dont je détourne toujoiurs le regard pendant les petits-déjeuners si copieux.

A mon grand désespoir, à mon grand soulagement - comment définir ces deux choses, là, juxtaposées ? - je vois la boulette sortant par la demi-porte restante, car la catastrophe l’a surprise au milieu des étages. Elle était en train de manger, les lèvres lui dégoulinent encore de sirop d’érable. Pourquoi les tremblements de terre n’éliminent-ils jamais ceux envers lesquels nous sommes redevables ? Pourquoi me trouvais-je si proche, dans un chemin creux, encombré de buissons ? Où est mon chasseur ? Il étire son long cou de l’autre côté du bâtiment, il revient lui aussi de promenade, il a pris le second sentier, vers le nord, il ramène par les ouïes une carpe à demi morte, que l’affolement a jetée sur sa ligne,

 

 

 

 

 

 

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