Sur la comparaison de la vie à un jeu de dés, voy. Platon, République 604 C. Mais oui coco j'y cours ; je n'ai que ça à foutre. L'ennui est que ce refus de la débauche mythologique aboutit au refus du corps, à la stoïcienne, ce qui est très exactement l'opposé du principe même du christianisme : pour le croyant, Dieu s'est fait chair, s'est fait Christ, pour racheter la chair justement, et ses activités. Et c'est ainsi que des siècles durant, l'Eglise a prêché la haine du corps, la détestation de l'incarnation, le refus de l'essence même du christianisme, qui réside dans le mystère de la jonction du charnel et du divin. Les ariens, hérétiques professant que le Fils n'était qu'une créature du Père, le dédivinisaient donc.
Bien la peine de s'être cassé la gueule pendant des siècles comme de vulgaires militants politiques pour en arriver là : Dieu n'a pas pu descendre dans la chair. Et le Christ alors, qu'est-ce que c'est, abruti ? Qui a dit que le corps humain et surtout, surtout le zizi et la zézette, étaient l'abomination de la désolation de la saloperie ? Eh bien, tous les prêtres jusqu'à une époque ridiculement récente. Il y a des religions, il y a des partis politiques, prétendant avoir changé, avoir revêtu des habits présentables, mais qui par-dessous, quand on soulève un tout petit peu la chasuble ou le beau manteau bleu marine, sont restés exactement les mêmes : « pas de bronzés » disent les uns, « pas de baise » disent les autres. Méfiez-vous, jeunes gens ! Le texte qui va suivre ne concerne que l'Eglise de ce temps-là, mais les problèmes sont restés équivalents. Pour bien comprendre les passions qui agitaient les chrétiens de ce temps-là, vous vous rappellerez qu'il y avait autant de tumulte dans les esprits en ce temps-là que sur les places Maïdan de Kiev, Tahrir du Caire ou Taksim d'Istamboul, agitations qui sembleront bien dérisoires à nos descendants.
Trois citations pour la route, la première de Lampedusa, Le guépard : « Il faut que tout change afin que rien ne change ». La deuxième de je ne sais plus qui : « Un jour nous nous étonnerons que l'on ait pu confier les affaires publiques aux policitiens autant que nous nous stupéfions que l'on ait pu confier la chirurgie à des barbiers ». Et la troisième, de Julien l'Apostat, qu'il n'y a pas de « fauves plus redoutables pour les hommes que les chrétiens ne le sont souvent les uns pour les autres ». C'est ainsi que naguère encore on se bastonnait dans les rues entre trotskistes et maoïstes, ou aujourd'hui entre sunnites et chiites, ou en Turquie même, dans les anciens diocèses chrétiens, entre islamistes de Redjep Erdogan et laïcistes musulmans.
Nous n'avons toujours pas résolu la question des frontières entre religieux et politique, ne nous gaussons donc pas de ces religieux d'autrefois : Basile, lui, est un bon curé pacifiste, endormant comme un prêche. Ecoutons l'abbé Boulenger avec un e, Docteur ès-Lettres, au sujet des jeunes gens de ce IVe siècle :
« Le danger était plus grand peut-être pour leurs mœurs. Les légendes de la mythologie, les scandales dont les dieux de l'Olympe donnent le spectacle, et avant tous les autres, Zeus, le maître du chœur comme dira saint Basile …), comment veut-on que ces vilaines histoires n'aient point troublé des âmes « jeunes et tendres », pour nous servir de l'expression de Platon (…). Le péril était manifeste, et d'ailleurs il sautait aux yeux des païens eux-mêmes, à commencer par Platon » dans La république,lequel (…) «revient à maintes reprises sur ce sujet. Dans » ce même ouvrage, « il cite quelques-uns des épisodes de la mythologie, tels qu'il les trouve dans Homère ou dans Hésiode ; et d'abord, il n'hésite pas à les taxer de mensonges : ensuite, il estime en tout cas que ce ne sont pas des choses à dire devant des enfants, lors même qu'il y aurait des allégories cachées sous ces récits, car, dit-il, très justement, « l'enfant n'est pas capable de juger ce qui est allégorie et ce qui ne l'est pas. » Et bien d'autres auteurs païens font écho à ces grandes voix » (saint Grégoire de Nazianze par exemple, meilleur ami de Basile).
« Mais, en admettant que ces légendes fussent en elles-mêmes sans danger pour des oreilles chrétiennes, elles pouvaient devenir périlleuses sous des maîtres païens, enclins à accompagner la lecture des textes d'un commentaire indiscret, ou plus soucieux de propager leurs propres croyances que de ménager celles de leurs auditeurs. Avec le temps les chrétiens ouvrirent eux-mêmes des écoles ; nous avons conservé les noms de quelques-uns des maîtres qui y enseignèrent : l'un à Athènes, Prohaerésios, à qui Julien » l'Apostat c'est-à-dire le renégat « fit des avances » professionnelles, « notamment dans une lettre que nous avons conservée, et qui refusa les présents de l'empereur ; » - avec l'indignation interne que l'on devine ; un autre, Hécébole qui, si l'on en croit Socrate » le Scolastique, un autre, dans son Histoire ecclésiastique,« (…) montra moins de constance » et accepta le fric et la promotion. « D'autre part à Rome, » le chrétien « Victorinus, dont la conversion nous est racontée par saint Augustin » dans ses Confessions. «Mais le cas » (ouverture d'une école chrétienne) « ne dut pas être fréquent. Il y avait lieu de le regretter, car les écoles païennes n'étaient pas exemptes de reproches, il s'en fallait même de beaucoup. Sur ce point, les Pères de l'Eglise sont d'un avis unanime. » - le contraire eût été étonnant. « Saint Grégoire de Nazianze, dans son Eloge funèbre de Basile, rappelle le temps de leur séjour à l'Université d'Athènes, et il n'hésite pas à dire (…) : « Athènes est funeste pour les choses de l'âme... ; car elle est riche de la mauvaise richesse, les idoles, plus que le reste de la Grèce, et il est difficile de ne pas se laisser entraîner par leurs panégyristes » - qui enseignaient sans doute que les païens n'adoraient pas les dieux de bois et de pierre, mais que les statues (comme plus tard les crucifix évidemment) n'étaient que des symboles, ce en quoi ils avaient tout à fait raison. « Il faut croire que sur ce point » (l'influence néfaste des écoles païennes) « on n'avait guère réalisé de progrès sensibles depuis cent ans ; car, au siècle précédent, Origène » (mort vers 253, du zizi duquel chacun loua la petitesse au moment de sa toilette funèbre) « exprimait déjà des plaintes analogues : « Pour plus d'un » dit-il « c'est un malheur d'entrer en relation avec les Egyptiens » - il entendait par là les écoles païennes - « après avoir fait connaissance avec la loi de Dieu ». Et Minucius Félix » poursuit notre abbé « était plus formel encore (…), ainsi que Tertullien » mort en 202. « On essaya bien de parer à ces dangers ; et comme on ne supprime que ce que l'on remplace, les deux Apollinaires mirent leur virtuosité au service de leur foi » (le père et le fils, contemporains de Basile au IVe siècle) : « ils réduisirent l'histoire Hébraïque en vingt-quatre parties sur le modèle des poèmes homériques, » l'Iliade et l'Odyssée, « et prirent dans les Saintes Ecritures des sujets à mettre en vers, tragédies, comédies ou odes, de façon à pouvoir opposer, dans chacun des grands genres littéraires, des œuvres d'inspiration chrétienne » soigneusement pompées sur les « œuvres païennes, qui jusque-là avaient été en possession de former la jeunesse. Entreprise généreuse, mais téméraire, et qui n'eut point de succès. » Nous continuerions encore bien volontiers, mais je recommande la consultation et la lecture de saint Basile le Grand, Aux jeunes gens sur la manière de tirer profit des lettres helléniques. Editions bilingues Budé.
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