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Limoges

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Puis j'ai lu, dans ma chambre, jambes ouvertes, sur le lit. Je suis reparti. Je suis revenu, j'ai repris mon livre. Ces choses si banales. Si empreintes, dans les moindres secondes de leur déroulement, de cette dimension de liberté que seuls les prisonniers de fraîche date, peut-être, doivent éprouver. Je n'étais plus obligé de rien. Imaginez cela : ne plus jamais devoir prouver à quiconque, ni à père ni à mère ni à maître, que je suis une vedette, que mon imaginaire surpasse le leur à supposer qu'ils en aient, que mon génie me place au-dessus de l'humanité - je suis ici chez moi, plus que chez moi, plus qu'avec mon épouse - rester au lit, ne plus faire le ménage, bouffer tout nu avec une serviette de toilette sur les genoux pour éviter les miettes, m'endormir nu à même la chaise dont le paillage s'imprime sur mes fesses - voilà ce que je fais, moi l'homme libre.

Vous ne pouvez pas comprendre.

Si j'étouffe – ici ce mot n'a qu'un sens physique : j'étouffe, simplement parce que le chauffage à travers la moquette monte à la tête ; il ne s'agit plus de cette sensation de mort à petit feu – dès que j'étouffe donc, je ressors dans les rues noires soufflant le gel – puis je reviens, je me renferme. J'obéis enfin à mes rythmes corporels, sans être obligé de justifier quoi que ce soit. Ma vie consiste à lire. Trois livres apportés au hasard, dont "Allah n'est pas obligé"- lui non plus- d'Ahmadou Kourouma ; une histoire amusante au début, grâce au  petit-nègre  employé par le narrateur, un enfant noir faussement couillon – puis très vite angoissante. Des soldats de douze ans, féroces, racketteurs, violeurs.

Dans ce livre il est dit que toutes les factions politiques ne sont en fait que des bandes de mercenaires qui s'affrontent pour la possession de mines d'or et de diamants : ce qu'on ne dit jamais à la télévision. Il y a aussi une fillette, qui se fait respecter, avec sa mitraillette. Les petits chefs sont à ses genoux, se trahissent, se massacrent. Elle s'envoie tout ce qui passe, se tripote frénétiquement le gnassou-gnassou (c'est dans le livre). J'aime bien qu'on insiste sur les branlettes de petites filles.?a m'a excité jusqu'à 50 ans. Puis c'est parti. Je ne me touche plus dès que je suis seul, dans une chambre d'hôtel.

Avant, oui. Plus maintenant. Je ne sais plus ce qui se passe. CXa me semblerait déplacé. La masturbation fait aussi partie à présent de toutes ces choses que je ne suis plus obligé de faire pour me prouver que j'existe. Mes parents sont morts : ça aide ; plus tard à mon tour je soulagerai ma fille. Peut-être. Je ne compte plus retourner au cimetière. Celui de Limoges se rangera dans ma tête, avec les autres. Je visite tout de même la cathédrale. Toujours de même : l'âme des villes. Sur ce parvis, en 44, la foule s'est entassée après le massacre d'Oradour, malgré les rumeurs de minages. L'évêque a tonné en chaire. Les Alsaciens – pardon les Boches - étaient allés trop loin. Vers Bellac, vers Montmorillon...

Sous le buffet d'orgue, dans la pénombre, je découvre des bas-reliefs païens : les Travaux d'Hercule. Je les photographie au flash rasant ; voilà qui n'est pas mentionné dans l'excellent guide du Père Bourghus ! Revenant de nuit rôder autour de la cathédrale illuminée‚ je surprends les confidences d'une Noire à une amie : "C'est encore lui ? disait-elle ? qui m'aura le plus aimée ; et, ajoutait-elle, même pas pour le plaisir" - la suite de la confidence se perdit dans le crissement des pas sur le gravier. C'est à tort que l'on considère les jeunes gens comme d'impénitents érotomanes. Flaubert se vante dans sa correspondance d'être demeuré trois années, entre 22 et 25 ans, dans la chasteté la plus complète. ? Par orgueil ?, dit-il.

Je suis resté moi-même dans l'abstinence, plus modestement, 32 jours, l'année de mes dix-neuf ans, pendant mon premier flirt. C'était la fille d'un gendarme, je ne lui touchais que les seins et les fesses, elle ne m'embrassait qu'à bouche fermée. La mère encourageait vivement notre fréquentation; je n'ai compris que bien longtemps après qu'elle souhaitait que je l'engrossasse, afin que le mariage fût inévitable : la pauvre fille était défigurée par la varicelle, dont elle avait jadis furieusement gratté les boutons. Voilà à quoi vous penseriez, par exemple, à Limoges, le temps d'un détour, d'une inépuisable impasse.

Petit à petit cependant les rues et froides me deviennnt familières. Limoges ne prétend pas à l'originalité. Peut-être à la fidélité. Je reste fidèle à la Grand-Poste, au Supermarché du Centre, en haut d'une place inclinée modérément modernisée. Ce qui est curieux par exemple, c'est que – Dieu merci – je ne retrouve plus le Limoges des années 70, j'entends la disposition topographique, ni la stupidité agressive des gens que j'y avais ressentie ; je me souviens m'être fait cuisamment virer d'une chapelle où je jouais de l'orgue. Il me semble que je l'ai retrouvée : la tribune n'est plus accessible ; il faut prier Dieu de façon traditionnelle.

Sans accompagnement. Et puis trop d'amateurs peut-être ont voulu manier les claviers. Trop d'antiquaires ont pillé les Vierges Noires, qui à l'origine n'étaient pas des Vierges Mariales. Je m'installe inconfortablement sur un prie-Dieu, où je m'exerce à prier Dieu, jusqu'à ce que des touristes fassent une entrée joyeuse dans mon dos d'orant. J'entends crier une petite fille. Du temps où j'avais une petite fille, je lui avais appris à ne pas élever la voix, à ne pas courir dans les églises, dans les cimetières. Les intrus s'en vont, mais ma prière est brisée. Le public n'est pas bon. . Dans une poste annexe, face à l'Hôtel de Ville, j'envoie des confiseries à un ennemi savoyard, pour réconciliation ; ce colis me sera retourné, parce que j'ai mis dessus la véritable identité de l'expéditeur.


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