J'avais retrouvé ce vertige et ce jeu de dupes / voir sous les jupes / des filles – autre exemple ? Ce sexe à la feuille d'or si volontiers imaginé plaqué aimantant le regard de cet amant près de moi (le même) qui perdit si souvent contenance s'il la regardait ; sous tant d'afféteries (second masque, seconde poupée), d'innocence et raffinement mêlés, la vitalité même de cet homme se dissolvait, naufrageant amoureusement sous les yeux de cette autre femme l'accompagnant égarée au sein d'un magma de gros potes, ivrognes, aveugles, avec la volupté cuisante du réprouvé.
Mon ami fusillé du regard et d'une certaine moue, indécelable à nul autre que lui, faveur insigne de l'amour (certaines figurines féminines ainsi, sous leur feuille d'or, trouveraient-elles matière à jouir sans y toucher de tant de sang et de semence puisés dans la candeur grossière de l'homme ; l'amour que j'ai voué à Sylvie Nerval se justifierait alors, dans sa forme la plus archaïque, par cette adoration courtoise de la femme que cette dernière à présent eindrait de rejeter comme fardeau, paralysie, ligotage, aliénation – sachant ce que recèle une telle malsaine adoration). Ni femme-enfant ni félin, la femme contemplée diffuserait sans y participer ce charme poignant fait d'une amère et tendre inaccessibilité, de cette sensation de transparence inviolable, de cette sourde et poignante montée de larmes cérébrales joignant la faiblesse et l'inextinguible désir de vaincre et de protéger, d'être dissous et englobé aussi bien que d'inclure à son tour en soi.
Ou en sens inverse de se déprécier, de se scinder de soi au point de tenter le viol ou la mort qu'on se donne à soi-même - tant il peut être inconcevable d'approcher un jour si peu que ce soit le féminin. Inimaginable d'approcher la violence comme un désespoir, quoique ce soit pourtant de cette infranchissable distance que surgissent ces intuitions d'élimination de l'objet interdit - soit qu'on l'englobe, soit qu'on l'annihile ; devenir l'autre, et la fusion s'opère vers le haut, ou devenir soi, et déjà le tuant.
Etourdissant jeu de balance et de rétablissement, de tromperie et de dérobade en succès, toujours en question, bascule perpétuelle de toute une vie – suspendue à quelques gestes, déhanchement, clin d'œil, irrégularités d'un bras, duvet de la peau sous lumière rasante - ou quelque intonation, tournure de pied, froncement de narine – au choix - désespérant celles qui n'ont rien découvert.
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Sylvie Nerval (ma femme) est une artiste. Sans péjoratisme, tous éléments de charme confondus et surpassés. C'est le Bateleur du Tarot. Inextinguible argument d'amour. Artiste non pas débraillée, virago d'atelier à plâtre, mais soignée, peignée, avec simples pinceaux et toiles, et technique accessible à tous : des traits réguliers dans des faces de cauchemar. Juste le doute, un détachement du monde sans mignardises – la blouse modérément maculée, la palette aux piles de couleurs séchées, une tache dans les cheveux (pas maçonne, pas plâtrière). A vingt-huit ans tous deux nous habitions, jadis, la maison de famile ; sous les combles s'étendait le paradis de l'Atelier où nous devions mûrir et grisonner, destin tracé.
Ne pas grandir, sous la mesure (à présent je le sais) de nos rêves (pas à la hauteur disent-ils). Toute une vie : pas à la hauteur. Sept mètres sur quatre, plus réserve et point d'eau. J'étouffais. Je donnerais tout pour y retourner. Avec ce que je sais maintenant. Si j'étais resté ; si je n'avais pas plus de dix ans lutté à toute force pour m'enfuir. Je serais devenu moi, moi et cadavre. Vrai, authentique, unitaire, fort et mort. Avec mes tristes souvenirs d'enfance, qui ne m'ont pas quitté mais sont allés survivre ailleurs. Sylvie Nerval au comble du bonheur et de l'angoisse sans issue peignait, nous écoutions des 33 tours rayés tachés de cadmium sous les soupirs puants et répétés du radiateur à gaz – nous vivions, nous rêvions, nous lisions, nul ne nous soupçonnait, nous les meilleurs du monde, nous paraîtrons et le monde s'étonnera.