La Reine-Mère s'adresse à Hüls en dialecte (Mundart), ce qui l'humilie. Quant au souvenir de s amère, il le touche peu. "Mais on ne l'a plus retrouvée. poursuit Wilhelmina. Pouvait-on d'ailleurs s'attendre à autre chose de la part de la maîtresse d'un Gitan ?" Ainsi, pense Hüls, c'est sur ce ton que les Grands lui parleront désormais. Il soutient par-dessous le regard de la Reine-Mère, sans desserrer les lèvres. "Eh bien, Monsieur... Sans doute est-on bien fier d'avoir volé un cheval ? Une bête qui erre, à la nuit tombante – je saurai qui néglige ainsi son service. Il vous tente - personne - on l'enfourche – et l'on se prend déjà pour Cartouche ?" (...) "Apparemment Monsieur Hüls se croirait déshonoré d'adresser désormais la parole à d'autres qu'à des vauriens ?" Et comme Hüls s'obstine à se taire : "Moritz !" Le laquais se présente à la porte; "Conduis ce manant à la garde-robe. Choisis une livrée à sa taille." Les deux hommes disparaissent, l'un guidant l'autre. "Madame, y songez-vous ? souffle Elisa ; il a le mauvais œil. - Sornettes." Lorsqu'il revient, Wilhelmina, assise, réfléchit. Son visage s'éclaire : "Fort bien ! Voici notre détrousseur ! La tête droite, bien dégagée : le voilà joliment attifé ! N'est-ce pas, Elisa ? Les cheveux poudrés, le museau sec... Gilet un peu cintré, mais belle taille !" Michel, empesé, s'incline.
Sous l'ironie, ses traits font alterner la bile et la franchise, si bien que Wilhelmina ne peut se décider. "Comment as-tu échappé aux gendarmes ? - En me débattant, votre Altesse. - Mais tu portait des menottes... - Oui. - Et le cheval ? ccmment... " Hüls, par sa mimique, exprime son indifférence : parti, Dieu sait où, le cheval... Wilhelmina s'abstient de dire qu'il aurait pu s'en acheter un en gagnant honnêtement sa vie. Faut pas déconner. Michel aurait eu beau jeu en effet de répliquer "ce sont les riches qui font la morale", Wilhelmina se fût échauffée, s'exclamant qu'elle était ici aussi mal logée que la dernière baronne du royaume.
"Je ne suis pas un paresseux, Majesté ; j'aide autant qu'un autre dans les fermes depuis que mon père est mort. Mais parfois un carrosse passe [aux armes de Wintzheim und Prantz] , en grand équipage, et ses laquais – il désignerait son habit neuf – sont mieux vêtus que les paysans Devoir trimer toute l'année, et savoir qu'ici...
- "Ici" ? achève !
Hüls balbutia : "On mange dans de la vaisselle d'or, dont le moindre plat aurait suffi...
-
...A payer un cheval ?
-
...à acheter les juges de mon père.
Parfait,maître Hüls, parfait ! Mon Dieu...
Une telle expression de lassitude se serait peinte sur le visage de Hüls que la Reine-Mère se fût interrompue. Hüls n'aurait plus regardé en face. Wilhelmina n'aurait su poursuivre l'entretien.
- Avais-tu des complices ? dit-elle au hasard. Le silence de tous, pensa Hüls.Mais à haute voix, il dit que non. Wilhelmina fit signe à Moritz : "Qu'il dîne à l'office. Vous serez de mes gens, Michel. Puisse cela vous détourner des mauvaises voies. Nous nous reverrons."