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Quelque chose de Tennessee

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Charlotte Chandler, Américaine, s'est plusieurs fois entretenue avec le grand Tennessee Williams, très connu en France grâce à Johnny Halliday : « Quelque chose en nous de Tennessee... » - y aurait-il donc de l'homosexualité en Johnny ? Quoi ? même le chef indien ? Voyez comme je suis stupide, d'emblée, à réduire Tennesse Williams à son homosexualité ; un peu ce que faisait mon gendre à propos de Jean-Claude Brialy : « C'te fiotte » - seule oraison funèbre de sa part. Pour lui, qu'on soit Jean-Claude Brialy ou n'importe qui, on n'est qu'une fiotte quand on est homo. Charmant. Eh bien puisque c'est ça qui tourmente, qui « titille » le public, selon ces Confessions d'un rossignol, Tennesse Williams y va franchement.

Il commence par affirmer avec force que les tendances sexuelles d'un auteur n'ont rigoureusement aucune influence sur son art, et que ce n'est pas cela, vraiment, qui importe. Il fut d'abord très coincé. « Ensuite, j'ai eu la vie sexuelle de Catherine de Russie ». Mais, tout jeune, il a fréquenté de vieilles prostituées syphilitiques », pas très ragoûtantes en effet. Il a vécu avec des femmes, « il sait comment ça marche », il a été hétérosexuel. Il en parle avec humour : une femme l'a plaqué pour un étalon, le trouvant insuffisamment performant. Une autre, dont il a été amoureux de onze à dix-huit ans, le faisait exprès tartir : deux baisers par an, le jour de Noël et le jour de son anniversaire à elle. Il pense qu'elle l'agaçait pour le stimuler.

Un jour, elle a soulevé une feuille de vigne ans un musée (il n'y a qu'en Amérique du Nord qu'on peut voir cela : une feuille de vigne qu'on peut soulever) en lui demandant : « Est-ce que la tienne est comme ça ? » La seule réponse de Tennessee fut une rougeur virginale. De telles confidences occupent suffisamment d'espace dans les Confessions d'un rossignol pour en faire un livre amusant : soixante-douze pages, avalées gaiment comme une lampée de whisky. Tennesse parle aussi du whisky, de rhum, de vin blanc (« mais ça ne compte pas »), il se démène sur scène parmi les meubles de rotin du Deep South (« Sud profond » pour les anglophobes), il ôte sa veste, allume une cigarette, remonte vers le fond de la scène ou redescend vers le public, mais ces notions-là, je les ai supprimées (je dis « je » parce que c'est moi, et nul autre, qui me suis attelé à la traduction, pour le modique salaire de zéro euro), parce que nous voulions, l'éditeur et moi, gommer ce qui rappelait trop l'adaptation théâtrale de cet recueils d'interviews.

Rappelons que Charlotte Chandler, donc, a rassemblé ces entretiens qu'elle a eues avec Mr Williams pour en faire une pièce de théâtre : un seul en scène (in english : an one-man-show),

représenté en 1985 aux Etats-Unis pour la première fois. Et pourtant, je me souviens parfaitement l'avoir vue représenté sur une chaîne du genre « Paris-Première », avec Burt Lancaster en vedette (qui pourtant ne ressemble absolument pas à Tennesse Williams, brun râblé), avec des scènes, ma chère, plus piquantes encore. En particulier celle où il reconnaît dans son décor de rotin qu'il lui faut une sodomie par jour, comme un diabétique a besoin de sa piqûre d'insuline. Comment se fait-il que ces propos n'apparaissent plus dans le texte ? Nous aurait-on fait parvenir, en France, un texte censuré, tronqué ?

Ma mémoire télévisuelle est bien nette. En tout cas, selon mon aide traducteur, dont je ne compromettrai pas le nom ici, Mme Chandler semble avoir désormais pour préoccupation unique d'entraver la représentation en français de sa reconstitution. A chaque fois qu'une compagnie théâtrale émet le souhait de la monter, notre intermédiaire allemand (c'est un Allemand) se met à glapir « Oh mais, Mme Chandler s'y opposera ! » Alors, de deux choses l'une, l'une n'excluant pas l'autre : ou bien il tient absolument que le rôle soit joué par John Malkovitch (« Ce sera John Malkovitch ou personne ! »), ou bien il voudrait signer la traduction à ma place (il m'a en effet ôté quelques contresens de mon texte comme autant d'épines dans le pied), ou bien il aimerait devenir la cheville ouvrière indispensable et très très intéressante, bien plus que moi-même et que Tennessee Williams, de cetteopération spectaculaire : ce qu'on appelle un pique-assiette.

Bref ! Il n'y a pas que l'homosexualité mais on y revient tout le temps, parce que tout le temps les autres vous y ramènent, en particulier lorsqu'on s'est épris de son compagnon de voyage, c'est-à-dire de vie, que les gosses vous poursuivent dans la rue à coups d'insultes et de pierres. Le plus poignant est atteint lorsque Tennesse Williams vous raconte l'agonie de son compagnon devenu cancéreux, et vous pique les yeux de larmes rentrées : « quelque chose en nous de Tennessee », c'est cette pudeur, ces rires forcés cachant une détresse, une solitude dont rien ne peut sonder le fond, « des pièces sur la vie », comme il disait lorsqu'on lui en demandait le sujet, comme si toutes les pièces justement n'étaient pas « des pièces sur la vie ».

 


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