Quantcast
Channel: der grüne Affe
Viewing all articles
Browse latest Browse all 1402

Mes parents, ma femme et mon cynisme

$
0
0

 

 

Etranges circonstances, d'un hôtel frisquet à venir et d'un carnet à spirales “J'écris pour la gloire” offert par Martine. Dans deux mois c'est Noël. Je dois écrire 25 mn. Journal du voyage. Nous avons déposé Sonia en gare pour 13 h 11. Elle a peur d'être abandonnée. Attention, ceci est une recomposition, un travail de littérature. Si je dis du mal de toi, ce ne sera plus toi. David était avec nous, il avait emporté un livre avec lui. Anne et moi surgîmes du petit tunnel, puis gagnâmes le pont de Bergerac. Nous roulâmes à travers nos souvenirs. La route de Branne est connue par cœur, j'en ai fait un roman.

 

Les romans que je fais sont toujours trop courts. Des digressions me viennent, que j'abandonne (Sonia n'est pas une digression). Anne dormait sur le siège. Son buste retombait, se redressait, ligoté. Nous avons passé Ste-Foy sans qu'elle reprît véritablement conscience. Le lycée de cette ville est désormais défiguré par son avant-corps, qui se veut moderne. Est-il banal ? Ne dois-je pas accepter les évolutions de l'architecture ? Puis nous sommes parvenus à l'entrée de Bergerac, défigurée cette fois, et depuis longtemps, par des panneaux publicitaires et des bâtiments sans âme : “Zone industrielle”, ou “commerciale”.

 

Je n'ai pas reconnu l'embranchement qui menait chez mes parents. Les feux rouges, les haricots directionnels : trop modernes ! La Rue Neuve en sens unique : tant mieux ! Les signes du temps sont le vieillissement de mon visage et l'inexorable rajeunissement des équipements urbains. Nosu avons voulu consommer au Tortoni, établissement bergeracois. Deux hommes en bleu de travail accoudés au bar des filles, et des femmes partout, en couples ou en trios. Mes conclusions sont vite faites ; elles sont stupides. Difficile de se faire servir un chocolat. Enfin je poursuis une fille de 17 ans qui vient de se rasseoir et lui commande pour ma table “deux petits chocolats”.

 

Petit chat en carton.JPGElle est épuisée, une autre plus âgée prend le relais et nous sert immédiatement avec un grand sourire. Parenthèse : ce sont pourtant de tels incidents qui furent édités sur la Toile pour “L'Abeille d'Alger”. Ainsi, du courage. Moi je m'imaginais que ma tête stupide – du moins, étrange - était cause de quelque refus de servir. Je ne dois pas sombrer dans la paranoïa. Puis nous sommes allés nous promener, passant devant le cinéma où se joue le film de Marie Trintignant sur Joplin ; devant le tribunal en réfection où mon père m'a fait propriétaire de ses biens : la donation entre vifs. Nous nous entendions, lui et moi, très bien. Et nous avons tourné, Anne et moi, rue de la résistance, que j'appelle rue des Tondeurs, car il n'y a pas eu la moindre Résistance à Bergerac, juste des bandes rivales qui attendait que l'autre attaque. “Nous n'avons pas reçu d'ordres”, disaient les Résistants. La Maison de la Presse fait librairie. C'est toujours l'occasion pour nous d'une grande exploration. L'accès à l'étage supérieur est privé. Il y a moins de choix qu'auparavant. Les rayons sont tout embrouillés, resserrés. Le présentoir des “Librio” ne présente ni “Pompée” de Corneille ni “paroles d'étoiles”, ouvrage collectif. Le gros livre sur Cocteau ne se trouve pas non plus dans cette librairie. Nous aurions bien acheté le Petit Larousse 2051 à Victoret, mais à quoi bon charrier ça dans notre coffre alors que nous l'aurions aussi bien au bout de notre rue, à Mérignac ? Il est aussi beaucoup question d'avarice stupide : autant retarder, dit l'avare, l'instant de l'achat. Puis nous avons retrouvé notre voiture sur le parking, où un flic bleu ciel scrutait le tableau de bord pour sévir contre les stationneurs abusifs...

 

Nous l'avions échappé belle ! Avant de prendre place sur nos sièges, nous avons constaté que nous faisions connaissance, voici 40 ans, à trois jours près, le 28 octobre 1963. De quoi prendre un frisson de vieux, de quoi aussi se serrer les doigts tendrement, en se promettant de tenir les 40 ans à venir (nonante-huit et nonante-neuf ans). Je me retiens d'écrire depuis quelques lignes que ma femme attire les regards par son visage douloureusement bouffi, d'une pâleur maladive, et sa démarche titubante. J'espère encore la conserver longtemps, car elle est seule à me faire parvenir sur le plan métaphysique.

 


Viewing all articles
Browse latest Browse all 1402

Trending Articles