En revanche, pour les fils de bourgeois, pas d'excuse de type héréditaire : eux, ils ont fait exprès d'être les fils de leurs parents. C'est eux qu'il faut rééduquer, les délinquants de naissance, et non les délinquants victimes. Vous me suivez ? ...Soljenitsyne restitue donc à ses lecteurs le produit de ses analyses anthropologiques, et même ethnologiques : les zeks, nous dit-il (abréviation connue pour les prisonniers d'Etat) se reconnaissent à leurs structures communes, mentales, comportementales. Ils sont devenus des blaireaux ou des taupes, le loup ayant été utilisé au-delà du raisonnable dans la métaphore. D'un seul coup ils ont basculé, tantôt pour rien, tantôt pour un délit – ce serait trop simple de postuler un arbitraire, un simple coup du sort qui peut arriver à n'importe qui.
Non ! Il y a la plupart du temps une dénonciation pour une peccadille (avoir chié dans une statue creuse de la tête de Staline, ceci est véridique, et la femme qui avait fait cela réussissait toujours, en protestant, à se faire libérer, avant d'être reprise pour une autre raison) ; il ne s'agit pas uniquement du hasard, ou d'un lien de parenté, ou d'un fâcheux homonymat, car cela pourrait encore se supporter, tout le monde pourrait se retrouver au goulag pour rien du tout, après tout, nous sommes tous plus ou moins des condamnés à mort. Non ! Le plus grave est que l'on peut se faire condamner à un doublement de peine (deux fois dix ans) pour être arrivé en retard une fois au rassemblement, ou bien, plus vicieux encore, pour avoir refusé de servir l'Etat comme espion.
Nombreux sont en effet ceux qui ont été sollicités pour cette sale besogne, d'abord un peu, puis de façon insistante, et si vous acceptez, il vous est demandé de plus en plus de lâchetés et de dénonciation, il faut "faire du chiffre". Et si l'on refuse, direction goulag ! Autre motif : n'avoir pas déménagé quand les adversaires de la Révolution sont venus occuper sa ville, ou bien les Allemands, accueillis les premiers temps comme des libérateurs, dans les pays baltes par exemple ou en Ukraine ; même, les gens du cru aidaient les nazis à exterminer leurs juifs : divin renfort mutuel ! Eh bien, dix ans de camp pour collaboration avec l'ennemi, même si l'on s'est contenté de rester simplement sur place. Toutes ces anecdotes, entremêlées de considérations sociologiques et littéraires assez profondes (les écrivains qui ne voulaient pas louer le régime en prose mécanique se retrouvaient broyés, tués, par le système du camp : torse nu à couper du bois toute la journée, l'écrivain, le prétentieux intellectuel ! six mois de survie environ) – finissent par former une gigantesque danse macabre. Et c'est à ces esclaves légaux que l'URSS a dû sa croissance économique.
Staline, par exemple, du tuyau de sa pipe, indiquait le trajet d'un canal sur une carte (Mer Blanche – Baltique, par exemple) : "Tout doit être fini dans six mois !" - mais, pas un rond, matériel, néant. Donc, recours à de l'outillage du Moyen Âge, à des cabestans d'élévation de l'Antiquité, plus, fraude généralisée. En effet, pour faire croire que les objectifs du plan étaient atteints, chacun trafiquait les statistiques. De plus chacun se servait au passage, du bas en haut de la pyramide hiérarchique. Et le travail supplémentaire retombait toujours sur les détenus. Et toutes les statistiques étaient faussées du haut en bas également. Après quoi, le gouvernement claironnait ses victoires. Les forces vives de la nation, c'étaient des millions de personnes renouvelées par un roulement rapide, car on crevait vite.
Soljénitsyne invite d'ailleurs les touristes qui empruntent actuellement les bateaux de plaisance sur le canal Baltique – Mer Blanche de se souvenir des dizaines de milliers de victimes qui en jonchent le fond, sous la vase. Car personne n'a pu creuser le canal suffisamment profond pour que les gros tonnages puissent y naviguer. Sur le papier, tout avait fonctionné très vite ! Mais le tirant d'eau, en réalité, ne permettait que le passage d'embarcations légères. Et voilà comment on devient une grande puissance industrielle. Soljenitsyne, lui-même victime de détentions punitives de cet ordre, présente les échecs. Il y eut des réussites, et du peuple pour assister aux cérémonies. Les haut-parleurs diffusaient la propagande, les musiciens venaient jouer pour les travailleurs, sans toujours éviter les quolibets et les projectiles. A propos d'artistes, aussi, savez-vous qu'il existait des sections artistiques à l'intérieur, souvent, des goulags ? A condition de chanter les louanges du régime, de subir la censure des moindres sergents du peuple, et de se tenir prêts à monter un spectacle médiocre en dix minutes, comme ça, à l'improviste, et hop ! Mais on pouvait rencontrer des personnes de l'autre sexe. Alors, on y allait. Plus, un couvre-feu retardé de cent vingt minutes pour les artistes. Mais au prix de vexations et d'affronts supplémentaires. Image may be NSFW.
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Trop facile, camarade, de taper sur Staline...
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