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C'est pas flaux, Bert

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Sonia en vert.JPG

Après avoir bien longtemps disparu, revoici Flaubert, jadis encensé par feu Bruneau (fils du grammairien ?) désormais voué au décortiquage de maints et maints grimoires, soigneusement rangés par ordre alphabétique. La correspondance de Flaubert, comme l'innombrable monnaie d'un énorme billet. Nous voici au début de 1876, notre Flaubert n'a plus cinq ans à vivre, et George Sand mourra dans l'année, d'un cancer intestinal. Aussi ses lettres vénérées figurent-elles dans le volume en réponse à celles de Flaubert. Cependant il a dû souffrir de l'incompréhension : la vache de Nohant prétend que l'impersonnalité d'une œuvre doit rebuter le lecteur, que celui-ci accusera l'écrivain de froideur, ne sachant pas exactement quelle leçon de morale lui aura été dictée...
    C'est au contraire pour nous autres un gage précieux de liberté d'interprétation. Seulement, nous ne sommes que l'élite. Le peuple préfère se vautrer dans le signifiant. Il lui faut absolument qu'un auteur ait voulu moraliser, morigéner ses contemporains. Or c'est tout autre chose que la leçon de morale « il faut se contenter de ce que l'on a » que nous allons rechercher dans Madame Bovary.  La littérature est bien évidemment amorale. Nous n'écrivons plus de comédie pour améliorer ou fustiger qui que ce soit. Et Flaubert a bien dû soupirer de cette confusion entre l'art et la... morale... A présent le poheuple veut que tout « serve » à quelque chose, ou relate du vrai, du vérifiable. Nous sommes à nouveau submergés de vertu. George Sand écrit : « Donne-lui son représentant, fais passer l'honnête et le fort à travers ces fous et ces idiots dont tu aimes à te moquer ».
    Or Flaubert, avec des personnages vertueux, n'est plus Flaubert. L'humain est ambigu, tirant sur le mauvais. C'est bien de George Sand de s'attendrir sur ses Fadette et ses Champi. Et « l'honnête et le fort », c'est Flaubert, qui transparaît sans cesse malgré lui. Il est le seul corps sain, c'est-à-dire non pas vertueux, mais parfaitement conscient de son imperfection et de ses composants terrestres. « Montre ce qui est solide au fond de ces avortements intellectuels ». Eh bien, Flaubert encore. Et la grandiose, noble et pitoyable figure de Frédéric Moreau. En vérité, Sand assaillant Flaubert (qui la révérait fortement) ressemble à une mère poule dont le poussin est devenu un aigle, mais qui poursuit son discours d'un ton protecteur, indulgent, gourmandant.
    Quant à moi, je préfère m'en remettre aux anciens, car je ne vois plus leur cuisine. L'éducation sentimentale reste ainsi mon phare. Elle fut mal accueillie, ainsi que Les Misérables (mais combien le père Hugo s'y entendait-il davantage en pub et en harcèlement de pub !) Je vois trop la magouille autour des livres d'aujourd'hui. Ils seront tous à nouveau disponibles, un jour, aux seules élites intellectuelles. « Enfin, quitte le convenu des réalistes et reviens à la vraie réalité, qui est mêlée de beau et de laid, de terne et de brillant, » - hélas, Georgie, tout est irrémédiablement laid à quiconque a franchi une certaine limite en deçà de laquelle il est impensable de rebrousser chemin, de même qu'après certaines découvertes sur soi de la psychanalyse - « mais où la volonté du bien trouve quand même sa place et son emploi. » Or il n'y a ni bien ni mal, la transcendance de la littérature est la littérature elle-même.
    Il n'y a rien en dehors du tableau. Il n'y a, nous le répétons, ni bien ni mal. C'est Flaubert qui a raison, c'est Flaubert qui a remporté la victoire.


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