La Belle au Bois dormant n'est pas de Charles Perrault, lequel fut courtisan de Louis XIV et prétendit que ces histoires lui étaient inspirées par son fils, alors très jeune. Il a édulcoré des légendes primitives, sans les prendre au sérieux. Nous ne connaissons d'ailleurs pas souvent les vers qu'il a composés, mais le conte vient à nous sous forme d'adaptations llibres, car il arrive du fond des âges. Résumons : un roi et une reine échouent à procréer un enfant, mais un jour, la reine tombe enceinte et met au monde une mignonne petite princesse à sa mémère. Des fées sont invitées au mariage, mais l'une d'entre elle, très laide et très méchante, est oubliée. Alors que toutes les autres fées accordent à la nouveau-née tous les dons possibles, la vilaine prédit qu'elle se piquera à un fuseau et en mourra.
Heureusement, la dernière fée transforme la malédiction comme suit : la jeune fille ne mourra pas, mais s'endormira pour une durée de cent ans, avec tous ses serviteurs, dans son château. Vous connaissez la suite, un Prince Charmant vient la réveiller au bout de cent ans, toujours fraîche et charmante, et ils eurent deux enfants, aussi beaux et aussi bons qu'eux-mêmes. Fernand Nathan publia en 1973 un beau petit livre cartonné illustré conformément au goût foisonnant de cette époque, dans la collection « Belles histoires belles images », catalogué de lecture « très facile ». Nul doute que la chose a dû plaire, puisqu'elle n'a pas été restituée à la bibliothèque de l'école primaire à St-Germain-lès-Corbeil.
Ce livre convient parfaitement à de jeunes lecteurs et -trices, car nous avons déjà précisé voici deux semaines, à propos du livre de Bettelheim concernant la Psychanalyse des contes de fées, que ces légendes concernaient aussi bien les petits garçons que les petites filles – une note nous signale qu' « en allemand, la plupart des personnages principaux sont du genre neutre, comme l'est lui-même le mot enfant (Das Kind). Nous avons ainsi Das Schneewittchen (Blanche-Neige), Das Dornröschen (la Belle au Bois Dormant), Das Rotkäppchen (Le Petit Chaperon Rouge), et Das Aschenputtel (Cendrillon) » : le héros donc, fille ou garçon, court un grave danger, parce que c'est comme ça, parce que c'est son destin. Et ce grave danger, c'est de grandir, chose que l'on redoute mais que l'on espère.
Grandir, cela veut dire en premier lieu devenir pubère : époque de tous les dangers (le Petit Chaperon rouge y succombe), de toutes les remises en question. Le Belle au bois dormant s'appelle en anglais Sleeping Beauty mais en allemand Dornröschen, soit « petite rose à l'épine ». Allusion est faite ainsi non seulement aux buissons qui croissent autour du château pendant cent ans, et le rendent inaccessible, mais à la piqûre que la jeune fille, à l'âge de quinze ans, se fait au doigt. Du sang apparaît (en général, trois gouttes), ce qui s'interprète aisément comme la première menstruation ; certains sont même allés jusqu'à identifier le fuseau de la fileuse rencontrée par hasard à cet organe que les jeunes filles ne doivent pas toucher du doigt ; mais le fuseau est animé de mouvements assez vifs entre les mains de la vieille fileuse initiatrice enfin découverte par la jeune fille fouineuse, et peut très bien faire penser à un autre organe, bien masculin. Quoi qu'il en soit, la puberté, ici féminine, est une époque de grande inquiétude.
Il paraît, nous dit Bettelheim, que les mois qui précèdent et qui suivent les premières règles s'accompagnent chez la jeune fille d'une certaine torpeur, pour ne pas dire léthargie. Ce qui coïnciderait avec le sommeil de cent années. J'ai bien dit « coïnciderait avec» et non pas « expliquerait », car bien entendu les inventeurs inconnus de ce conte n'avaient pas conscience de ces interprétations futures. Ce laps de temps semblerait signifier que l'éveil du corps ne doit pas être immédiaement suivi par l'union sexuelle ; qu'il faut aussi replonger en soi-même, se concentrer (cent ans n'est qu'une façon de parler ; Perrault croit bon de préciser que la Belle est vêtue de façon démodée à son réveil, et d'ironiser à ce sujet ; mais il n'y a pas de mode dans les contes de fées ! ...le temps est absolu!) - bref : la maturité sexuelle, ou mieux sentimentale, ou mieux la maturité tout court, ne s'obtient qu'à la suite d'une longue période de latence, où l'esprit de l'adolescent(e) mûrit patiemment.
Il y a eu d'autres princes qui ont essayé de pénétrer la forêt magique : ils ont péri dans les buissons d'épines, il était trop tôt ! Lorsque ce fut le bon Prince, les buissons impénétrables se sont écartés tout seuls devant lui, devenant autant de belles fleurs bien souples ! Et la jeune fille se réveille de son sommeil en quelque sorte narcissique, de même que Blanche-Neige échappant à son cercueil de verre ! A propos de cercueils, le roi et la reine sont morts depuis longtemps, car ils n'ont pas été endormis pour cent ans. Ainsi, la voie est libre, et l'union maritale peut se célébrer ! Tout cela, le jeune lecteur, la jeune lectrice, en fait son profit sans avoir besoin de passer par des explications lourdement psychanalytique