Je ne pense pas que l'on ait pénétré si loin dans l'âme de ces Antiques. “C'est ainsi, dans sa tenue habituelle, qu'elle traversa l'éther limpide et gagna le tiède séjour où naît Hypérion” - et je me souviens bien que le texte latin, en regard, me fécondait davantage : “Ergo, sicut erat, liquidam transvecta per aethram” - belle chute du “e”, comme “éthré” pour “éthéré” - “nascentis petit tepidos Hyperionis ortus”. Merveille mécanique du vers latins, où le lecteur doit se livrer à tout un travail de reconstruction syntagmatique. Ajoutons à cela cette désorganisation des accents toniques, ceux des mots ne coïncidant pas avec ceux des hexamètres, si bien que la poésie latine devait présenter un aspect vocal assez semblable à celui du rap d'aujourd'hui. Ou du slam. En infiniment moins vulgaire ("vulgus", le peuple) (vulgum pecus ne veut rien dire ; c'est vulgare pecus). La poésie latine, dès l'origine (dès l'abandon, plutôt, des anciennes formes de Naevius), est donc désordre, nouvel ordre et règlementation, anarchie divine, renversement des barrières de la phonologie : imposition d'une métrique étrangère, plus précisément grecque, viol (rape) de Rome par Athènes.
...Cette déesse Rome (Rhômè, la force) ainsi donc transvectée "par éthers", “per aethra” (nous sommes en plein "Ecolier limousin" de Rabelais) vole depuis Homère, depuis Lucain, depuis Virgile, qui est la plus douce violence qu'ait subi la langue latine. Or ce panégyrique d'Anthémius où nous errons en commentant serait de beaucoup le moins bon des trois. Du pathos, du convenu. Du plat froid, entendez : le séjour de l'Aurore. "Décrivez le séjour de l'Aurore”. Thème de potache 1860. Elle a des doigts de rose ; son époux obtint le don d'éternité, oubliant de mentionner la jeunesse : aussi s'est-il desséché aux dimensions finales d'une cigale, même chitine ratatinée, momifiée. “...Sous le soleil levant, tendu vers l'Eurus nabathéen” Note 57 : c'est-à-dire vers l'Est - la Nabathée est une partie de l'Arabie Pétrée. (Ici me viennent, rêveusement, les lieux communs de l'aventure orientale : pourquoi les soldats d'Alexandre ont exigé le retour ; pourquoi personne n'avait-il envie de franchir les limites de l'écoumène ; pourquoi vouloir si raisonnablement, so vernünftig, rebrousser chemin chez soi, éternelles mêmes têtes et mêmes famille – n'y avait-il donc pas des têtes brûlées parmi tous ces héros couverts de buffleteries ?) - (si, mais trop peu) (- Je rebrousserais chemin, si j'étais Alexandre. - Moi aussi, si j'étais Parménion »).
Suivent chez Sidoine les sempiternels colmatages d'oiseaux et de fleurs : “Interpellata nec ulla frigoribus pallescit humus” : “aucune terre”, “aucun humus”. “Interpellata – pallescit”, belle allitération - je me contrefous de ce pays de cocagne. Rien de grand dans Sidoine, sinon son arrivisme. Juste des vers qui ne dérangent personne. “Les prés émaillés de fleurs immortelles” - émaillés ! cela ne veut plus rien dire. Les pires poétailleries de Chateaubriand – pas le meilleur : genre synodes d'angéliques s'affrontant aux troupes de démons, pour décider du sort de Chactas et alii, ce que les éditeurs contemporains se sont bien gardé de rééditer. François-René qui d'ailleurs admirait Sidoine - ou pis, de Millevoye. Qui donc peut bien encore se figurer de l'émail... comparant plus flou que le comparé - ...“ignorent les gelées des autres climats”. Pourquoi cette haine de la gelée ? Parlez-moi d'un bon hiver bien froid, bien sec, bien interminable. Périgord 1963. Un bon cru d'hiver. Chez les Nénets de Iakoutie, l'intrus, c'est l'été ; avec ces maringouins géants qui vous percent la peau - vivement qu'il regèle. Ces Nénets éleveurs de rennes transportent leurs chariots, leurs “plaustra”, sur le cours gelé de la Léna. Ainsi les Goths sur le Danube, avec femmes et enfants. Lisez Dieu est né en exil, deVintila Horia (encore un suspect de fascisme, c'et fou le nombre de fachos qui regorgent de talent) - vous aurez le sentiment d'un double exil pour le prix d'un, le géographique, le temporel.