Me fussè-je d'ailleurs hasardé balourdement sur ces fondrières de la relation sociale, que ma défiance instinctive, mon dédain pour ceux que les Espagnols, avec une extraordinaire et percutante grossièreté, qualifient de los demàs, “ceux qui sont de trop”, “les autres”, leur eût éclaté au nez avec bien plus d'aigreur ; ma désinvolture burlesque, du moins, pouvait se répertorier, s'étiqueter sous l'écriteau « tronche de clown ». Exemple : telle matheuse Bitterroise s'étant un jour souciée de quelque grave déprime de telle anglolâtre collègue, je m'étonnai qu'elles pussent avoir à ce point partie liée. « Mais c'est qu'en deux ans, me fut-il rétorqué, il s'en est passé, des choses ! » - deux ans ! moi qui depuis cent vingt mois n'avais pas dépassé le stade des saluts bruyantes, des calembours de remplissage ! un si bref laps de temps, deux années, qui m'eût à peine fourni l'occasion de faire connaissance, suffisait donc à l'épanouissement d'une telle amitié, que ces deux-là se soient trouvées sur le pied de confidences privées ? quant à la réplique bitterroise, son insolence, sa vivacité, m'avaient appris pour ma gouverne mon incurable incapacité à me faire des amis parmi – mon Dieu ! - parmi mes « conlègues »...!
A vrai dire je n'en souffris pas, voyant à quel niveau de complaisances il fallait plonger pour s'attirer les bonnes grâces d'autrui, tout juste bon n'est-ce pas à m'admirer. C'est ainsi que toute une carrière je me suis contenté du superficiel, avant que nous nous nous séparions chacun pour officier dans sa chapelle attitrée ; mais, je le répète, les introduire dans ma destinée ordinaire, hors situation, hors représentation, ne m'effleura jamais l'esprit - ce fut mon épouse qui en souffrit - mais ceci est une autre histoire.
Et que se disaient-ils ?
...Les conversations de salle des profs, lorsqu'il m'arrivait d'en surprendre, me transmettaient de mystérieux, de chaleureux conciliabules de mémères de tout âge (65% du personnel), la bouche et les yeux tout emplis de ces Sylvie, Jérôme ou Carole – jamais de patronymes, assimilés sans doute par ces braves femmes aux brutalités vexatoires des militaires. Je confondais, ma foi ! la Julie de 4e C avec celle de 5e B ; ce n'étaient qu'élèves en difficultés, tous invariablement « mignons » ou “infects”pour les garçons, « pestes » ou “mignonnes” (décidément) pour les fifilles. Ficelles pédagogiques, mérites comparés des manuels (qui pour moi se valent tous, selon ce qu'on en fait), si bien que le travail ma foi se poursuit jusqu'en récréation de profs, jusqu'à la ménopause café, jusqu'au réfectoire, jusqu'aux chiottes par-dessus les cloisons – consciencieux, scrupuleux, méticuleux, boy-scouts, non, je ne les aimais pas, les collègues. Trop de pédagogues qui se prennent au sérieux, trop de mémères qui balancent sur les élèves leurs tonnes de couënne mammifère, comme si c'étaient là leurs propres fils, leurs propres filles...