Tendresse envers les personnages, oui, humanisme, pas un poil de glu. Un peu comme la Chronique d'une mort annoncée. Puis il y a une chasse aux fauve, un ocelot, 65 cm de long, alors mettons un jaguar, auquel des viandards ont tué les petits, ce qui a rendu la femelle féroce et assoiffée de sang humain. Des moustiques, des pagaies, toute la sauce. Et lui, le vieux, est trop âgé à mon avis pour participer à la chasse, seulement, ayant été indien, mis à l'écart de la population, ilpeut fournir des conseils, et je ne me souviens plus si c'est lui, qui, à la fin, lors d'une partie de traque au fauve, parvient à descendre l'animal, mais noblement, après lui avoir parlé, après avoir désactivé son fantôme à venir. Il y a ça aussi dans Le vieil homme et la mer, ou dans Moby Dick. A travers tous les détails d'une poursuite sous les arbres géants, parmi les lianes infestées de fourmis, c'est la poursuite d'une destinée, avec tout son courage, tout son investissement vital, qui se trouve ici exposé. Tenez, savez-vous comment les shuars, ces Indiens, rendent les devoirs à leurs anciens ?
Ces derniers décident du jour où ils doivent mourir. Le village se livre à une fête très, très arrosée. Le vieux de la vieille se bourre soigneusement, se fait enduire de miel et conduire, définitivement inconscient, en pleine forêt. Deux jours après, les villageois viennent récupérer les os bien propres, grâce à nos amies les fourmis. Ça d'ailleurs, le lecteur de romans d'amour ne pourrait l'envisager. Il garde dans sa cahute un portrait jauni de sa femme, au nom à rallonge, très aristo, mais avec en plein milieu le patronyme stupide d'Estupinyo. Et pendant que j'y pense, ne pas oublier que déjà en 1960 et de poussières, il y avait non seulement des chasseurs stupides qui tuaient les petits des bêtes pacifiques, les transformant en véritables monstres de vengeance, mais aussi des pétroliers, qui sévissent encore en Equateur et au Pérou. Image may be NSFW.
Clik here to view.Vous voyez que même les écolos peuvent se passionner pour un tel roman plein de verdure et d'insectes. Même les anthropologues. Un véritable petit Lévi-Strauss accessible à tous. Voyez-vous, un jour, le volume de mes éjaculations critiques diminuera, et je ne pourrai plus que lire des extraits : ma foi, c'est peut-être ce que je fais de mieux. Voyons ce que vous penserez de cette inéluctable disparition des espèces animales :
« Mais les animaux se faisaient rares. Les espèces survivantes se faisaient plus rusées et, à l'exemple des Shuars et d'autres cultures amazoniennes, les bêtes s'enfonçaient à leur tour dans les profondeurs de la forêt, en un irrésistible exode vers l'orient.
« Antonio José Bolivar ProaÑo, » - vous avez le nom complet du vieux éponyme - « qui avait désormais tout son temps pour lui, découvrit qu'il savait lire au moment où ses dents se mirent à gâter.
« Ce dernier point commença à le préoccuper lorsqu'il se rendit compte que sa bouche exhalait une haleine fétide et qu'il ressentait des douleurs persistantes dans lesmaxillaires. » - il y aura mis le temps ; mais quelle burlesquerie, cette coïncidence, tout de même. Et quelle compassion pour la misère.
« Il avait souvent assisté aux séances semestrielles du docteur Loachamin, mais il ne s'était jamais imaginé assis dans son fauteuil, jusqu'au jour où les douleurs devinrent insupportables, et où il ne put faire autrement que de monter à son tour sur la « consultation » - c'est le nom qu'a fini par prendre le siège de l'arracheur de dents itinérant. Il y a tout le confort en Amazonie !