Le baroque, dont le théâtre, instable par définition, et donnant le spectacle d'une incessante comédie, est le support privilégié, agite ainsi les problématiques de l'être et du paraître, des identités flottantes (ce perpétuel balancement entre le comédien et son personnage dans Shakespeare), des doubles, des miroirs : le deux en un dans le miroir, l'un en deux par le double. Il n'est pas jusqu'au bouffon de Calderón, Clarín, qui ne soit pris, paradoxe, pour son seigneur et maître, et qui n'en périsse, d'ailleurs, pris pour lui, donc, marquant bien par là l'équivalence du valet et du maître : le maître est le valet de ses ambitions... Et l'on arrive à l'inévitable fin du fin en matière de baroque et de théâtre – car le baroque est l'apogée du théâtre – c'est-à-dire de la représentation en pleine comédie : Hamlet nous en présente l'exemple le plus connu, mais également Le songe d'une nuit d'été, dont un des ressort de l'intrigue on le sait consiste en une représentation de Pyrame et Thisbé que les comédiens répètent, également aussi La vie est un songe, puisque le roi Basyle met en scène, en quelque sorte, la libération conditionnelle de son fils, tirant les ficelles de la destinée de ce dernier.
Reste un ouvrage riche, et touffu, truffé comme il se doit de références et de notes en bas de pages, suivant un plan très ramifié où le profane se perd quelque peu, car il faut avoir l'esprit analytique à la fois et de synthèse, bref posséder un cerveau d'universitaire pour suivre l'auteur, Pierre Brunel, à travers les méandres d'un sujet dont il est très familier.
Reste aussi l'impression que l'on peut dire n'importe quoi sur n'importe quoi d'autre en matière littéraire, matière fluctuante s'il en fut, et où s'affirme précisément la nécessité de recourir à des notions extrêmement précise si l'on veut éviter l'impression de vagabondage : le baroque est une de ces notions justement victimes d'un effet de mode, et qu'il fallait réancrer dans une typologie sans concession, comme l'a fait Pierre Brunel dans Formes baroques au théâtre, en limitant volontairement le débat. Car le baroque est essentiellement une question de forme, et de théâtre. Parcourons-le rapidement, page 47 tout d'abord, où il est question de Claudel :
« Il est frappant que Claudel, quand il a voulu représenter dans Le soulier de satin, en le comprimant, l'âge baroque, a choisi, lui aussi, ce moment qui n'en finit pas, cette construction de Saint-Pierre du Vatican, dont il ne retient pas la forme achevée, mais les formes naissantes en attente. Dans la scèe 5 de la Deuxième Journée, nous voyons le Vice-Roi de Naples et sa suite dans la Campagne romaine, sur la Voie Appienne et on découvre « dans le lointain […] la basillique Saint-Pierre qui est en construction, tout entourée d'échafaudages » (p. 152). »
Inachèvement et références : que les universitaires sont baroques, eux qui demandent, pour être suivis, que l'on ait entre les mains l'œuvre de référence pour s'y reporter en éternels étudiants... Un appendice abondant permet tout de même, bien que l'auteur ait pourfendu ceux qui voulaient voir du baroque partout et à toutes les époques, de discerner sa permanence à travers des œuvres plus contemporaines : Pasolini a écrit une pièce intitulée Calderón : Brunet parle de la présence de l'auteur lui-même dans cet écrit peu connu. Qu'il en reste quelque chose, « on peut le soupçonner, quand, au début de l'épisode 10, Basilio se demande s'il n'est pas proche de lui, autre reflet dans le miroir
sono qui solo,
riflesso nello specchio. Forse, anch'egli riflesso
qui dentro, c'è con me l'autore.
« Je suis seul ici,
reflet dans le miroir. A moins que l'auteur ne soit ici avec moi,
reflet, lui aussi. (pp. 111-75). »
La pièce reste, comme toutes les œuvres de Pasolini, le déploiement de ses fantasmes (en particulier du ragazzo, représenté par le rôle important et nouveau de Pablo). Elle est le lieu d'un duellum entre fascisme et antifascisme, bourgeoisie et révolution, mais aussi entre la foi révolutionnaire et le doute qu'il n'a pu s'empêcher de s'installer. »
Quant à la note 4, elle évoque en italien son Manifeste pour un nouveau théâtre. Ainsi jamais la scène, art de l'éphémère, ne pourra-t-elle jamais se déprendre de ses amours baroques. C'est pourquoi, amateurs de théorie théâtrale illustrée, vous lirez avec profit Formes baroques au théâtre, dans la « Bibliothèque d'Histoire du Théâtre », chez Klincksieck.