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Résurrecion d'un blaireau

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Andocide est un vieil orateur athénien peu recommandable. Toujours soupçonné de ceci ou de cela, il a essayé à grand renfort d'arguties de démontrer qu'il n'a pas pu faire ceci ou cela. La principale affaire où il fut mêlé reste celle des Hermékopides. Il existait aux carrefours d'Athènes des statues très expressives, représentant un buste d'Hermès sur un piédouche, c'est-à-dire un piédestal en hauteur. De ce piédestal dépassait un phallus en pierre, bien proéminent. Un soir où certains jeunes gens de bonne famille s'étaient quelque peu éméchés, ils coupèrent tout ce qui dépassait de ces bornes d'un genre particulier. Ce fut un énorme scandale, car la profanation de ces petites bornes ou autels intervenait juste la veille du départ de l'expédition d'Alcibiade contre la Sicile.

Deux violoncellistes floues.JPG

Cela sonnait comme un porte-malheur pour la flotte toute entière. De lourdes peines étaient encourues. Andocide fut plus que soupçonné, et il plaida. Un volume de la collection Budé « Les Belles Lettres » rassemble, en grec et en français, la totalité des discours de ce personnage mouvementé, qui était classé parmi les dix premiers orateurs attiques. Plusieurs discours sont dits « de circonstance », devant servir à d'autres personnes, et ne concernant pas Andocide lui-même : il dit « je », mais c'est un autre qui prononcera ce discours tout préparé par un professionnel, Andocide. L'éloquence attique fut l'une des premières manifestations de la littérature en prose de la Grèce.

  1. Les Grecs étaient et sont restés extrêmement procéduriers, au point de marchander leurs notes aux professeurs contemporains. C'est agaçant. Ce sont des balancements, des arguments qui n'en sont pas, qui semblent cependant irréfutables, et Andocide procure l'impression embarrassante de quelqu'un qui est toujours à se fourrer dans des coups pas possibles, sans avoir commis grand-chose – du moins peut-être – soi-même, mais suffisamment mêlé de près à toutes ces histoires louches qu'on a toujours envie de le soupçonner. C'en est au point que plus il se défend, plus il est convaincant, plus on se dit que les choses s'arrangent trop bien, plus on le soupçonne d'astuce et de mensonge ; son discours présente exactement les caractéristiques d'une plaidoirie d'avocat : le coupable est désigné par l'opinion publique, mais ce n'est pas une preuve, n'est-ce pas, et indignations de se succéder par périodes ronflantes.

  2. Tout coupable a droit à son défenseur, assurément ; mais à un moment donné, l'accumulation des preuves est telle qu'elles procurent un sentiment de malaise : comment se fait-il, puisque

  1. l'accusé est si blanc et pur, qu'il se soit trouvé quelqu'un d'assez stupide ou impudent pour oser l'accuser ? Cela ressemble également à un discours politique : étant donné tel discours sur telle situation, on peut être assuré que l'adversaire tiendra un discours systématiquement opposé ; voyez le rapport de la cour des Comptes, qualifié de très favorable par une partie de la classe politique, et d'accablant par les opposants, alors qu'il s'agit tout de même, sacré nom de Dieu, de chiffres ! Comme il s'agit à l 'époque d'Andocide d'une situation politique intérieure et extérieure assez complexe, nous nous contenterons d'examiner certains fragments des discours d'Andocide, de les élucider.

  2. Les introductions, comme il arrive souvent pour les ouvrages d'un certain âge, fournissent toutes précisions, et se révèlent bien plus intéressantes pour le profane que je suis toujours resté, malgré mes efforts mous, en histoire grecque. A l'intérieur des discours d'Andocide figurent des textes de lois que cet avocat rappelait. Elles pourraient nous renseigner, or elles sont malheureusement souvent retouchées par les commentateurs ultérieurs, qui ont comblé une lacune de façon maladroite, ou sciemment astucieuse. Certains textes ont été ainsi remaniés pour cadrer avec les propos d'Andocide ; ou bien le glosateur a eu recours à des textes visiblement postérieurs à l'époque où le discours a été prononcé.

    1. Loi. Décision du Conseil et du Peuple. La tribu Aiantide avait la prytanie, Cleigénès était secrétaire et Boéthos épistathe.

Précisons que la prytanie est la durée pendant laquelle à Athènes une tribu fournissait des prytanes, c'est sur le Robert. Et un prytane, c'est un des cinquante sénateurs appartenant aux dix tribus d'Athènes et qui avaient successivement le droit de préséance au Sénat. Reportez-vous à une espèce de présidence tournante en quelque sorte. L'un des discours d'Andocide s'appelle « Sur la Paix ». Le cas des différents alliés ou adversaires d'Athènes y est évoqué, nous sommes en pleine guerre du Péloponnèse, et les Corinthiens, pour l'instant, sont les amis d'Athènes. Je dis pour l'instant, car les renversements d'alliances ont été fréquents pendant la guerre du Péloponnèse. Andocide nous dit :

Commençons par Corinthe. Si les Béotiens ne combattent plus à nos côtés et font la paix avec les Lacédémoniens, que vaut pour nous Corinthe ? Rappelez-vous, Athéniens, le jour où nous conclûmes l'alliance avec les Béotiens : dans quel dessein le faisions-nous ? Plus haut, Andocide proclamait :

Et voici qu'après cela nous faisons alliance avec les Béotiens et les Corinthiens que nous détachons d'eux, nous renouons avec les Argiens l'amitié d'autrefois, et nous mettons les Lacédémoniens dans la nécessité de livrer la bataille de Corinthe. Le premier qui comprend quelque chose lève le doigt. Voilà pourquoi je n'ai jamais eu tellement envie de me perfectionner dans ma connaissance de l'histoire grecque : rien de grand, de noble et de précis comme dans l'histoire romaine, même si les Romains ont trafiqué leur histoire, quoique naïvement : les ficelles des Romains sont trop grosses, on les dénoue aisément.

Mais ces Grecs qui se crêpent le chignon à l'intérieur d'un même peuple pour mener leurs querelles de clocher dépourvues de toute sincérité, renversant leurs alliances, tapant sur leurs alliés de la veille et embrassant leurs adversaires, le tout dans un dessein tout simplement d'hégémonie, de domination, m'écœurent. Les Romains semblaient combattre pour imposer une certaine organisation, au nom de certains concepts. Les Grecs se battent pour le plaisir de la chicane, pour la cruauté. C 'est d'ailleurs en cela que la guerre du Péloponnèse est si parente de nos excès à nous. La gratuité et l'horreur de la guerre y paraissent bien plus à plein... Avec Thucydide, historien de cette guerre du Péloponnèse, nous pénétrons toute cette horreur à froid.

Mais Andocide n'a pas le dixième du talent de Thucydide. Nous apercevons à travers lui la guerre cruelle sous l'aspect de désagréables et puantes luttes fratricides, de négociations politiciennes pleines d'arrière-pensées et de traîtrises, nous voyons le dessous mesquin des cartes, et surtout, surtout, le souci de se tirer, soi, du guêpier, en affirmant la main sur le cœur que l'on est innocent, soi, comme le crocodile qui vient de naître. Au beau milieu de la catastrophe de la civilisation grecque, nous voyons un magouilleur médiocre se soucier avant tout de ce que pourra bien être son avenir politique à soi. Et quelles que soient les qualités de la langue, pure et banale, nous demeurons indifférents aux agitations de ce gougnafier aux mains propres.


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