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L'HISTOIRE D'AMOUR

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BERNARD COLLIGNON

L'HISTOIRED'AMOUR

Qu'est-ce que l'amour, et qu'est-ce qu'une histoire ?

 

Elledemandeunjourpourquoijen'aijamaissuécrireunebellehistoired'amour;messeulesallusions:sarcasmes,burlesqueoupéchéàvraidire,l'amourhorssujet.Déjàtoutenfantjenepuisentendreunechansond'amoursanslatrouverridicule,déplacée.N'estimantriendeplusniaisquelesamoureux,quis'bécotentsurlesbancspublics,bancspublics,bancspublics-cettechanson-là,jel'adore.Jelachantevolontierssansbiencomprendre.AuxreprésentationsdeSylvieNervalj'objectequ'ilm'estimpossibled'écrireunetellehistoired'amour.C'estmanature.

Danslestableauxqu'ellepeint,lespectateurlambdaregrettelessujetsplaisants,lesfleurs,leschatsetlesenfants;ilvoitdesnuschlorotiques,hagardset(circonstanceaggravante)masculins,errantdenuitparmilesruines.Sylvierevientàlacharge:liresousmaplumeunebellehistoire,mêmerebattue,difficilepourcelamême,etquinesoitpas,précise-t-elle,entrehommesjenementionnepourtantnullepart,quejesache,depassageàl'acte.

J'aisoixanteanscetteannée;mamèrejadisfaisaitobserverquefêtantson20èou40èanniversaireonentraitdanssa21èou41èannée-mortdanssa60èannéedisaientlesvieuxtombeauxquineladépassaientguère.Pratiquermoinsdésormaisl'acted'amourmedonne-t-illedroitd'enparler?...sansvouloirtoutefoisrivaliseravecRolandBarthes(Fragmentsd'undiscoursamoureux)ouStendhal(Del'Amour),oubienDenisdeRougemont(L'Amouretl'Occident)-cederniersurclassantdéfinitivementtoutexégèteparsonassimilationdelamortàl'orgasmesuprême,quiestjouissancedelafusion;lemondeluivoueuneadmiration,unereconnaissanceuniverselles.

 

De la tiédeur

 

Curieusementlessentimentsquenousnousportonsl'unàl'autreSylvieNervaletmoiencetteannée66(deGaulleregnante)nesemanifestentqueparnosdéfiances,tantnoussommesinadéquatsàlaviecommune,lemariage,quenousvenonsdeperpétrer;Sylvieréclamederesterseuleuneheureavantquejelarejoigneaulit,pourjouiràl'aise;laviolencedemaréactionladissuade;maiscommeellen'ajamaisconnud'autrehommeavantmoi,elleobtientquejelaconfiedeuxdéfonceursasiatiques,tandisquejemefaisplumer(sanspassageauplumard)pardeuxentraîneusessuédoises.SylvieNervalestensuiterevenuemerapporter,aupetitmatin,commentcelas'étaitpassé:mal.Puisnousachevonsnotreséjournuptialau-dessusdel'égliserussedeNice;

 

hantons le Centre Hightower de Cannes, fréquentons Michel, danseur à l'Opéra, mort en 93 sans nous faire avertir. Michel accepte de se faire tirer le portrait, sur un balcon dominant la mer. Il dit “Vous ne ressemblez pas aux amoureux ; jamais un baiser dans le cou, jamais un mot gentil, toujours des piques.” Je ne me rappelle plus comment nous vivions cela. Crevant de malsaine honte mais épris sans doute - quarante années passées en compagnie par pure névrose ? simplicité – naïveté! - de la psychanalyse ! Force nous est d'appeler cela “amour”, car nos parents sont morts, bien morts ; je revois cet angle sombre du Jardin Public, ce banc sous l'arbre d'où l'intense circulation du Cours de Verdun tout proche dissuade les flâneurs.

Paradigme des scènes de ménage. De ce qui revient à elle, à moi. Je suis un homme, c'est marqué sur ma fiche d'Etat-civil ; donc c'est à moi de raison garder, de former ma femme, et de ne pas donner dans les chiffons rouges - or il n'en est aucun où je ne me

point rué ; même devant témoins. Mais pourquoi vouloir aussi, et de façon obstinée, me traîner à l'encontre de ma volonté explicitement exprimée. Le féminisme, sans doute : l'homme doit céder. Deuxième cause de scène : se voir soudain repris, tout à trac, brutalement, comme lait sur le feu, pour un mot décrété de travers, une plaisanterie prétendue de trop d'un coup, telle attitude parfaitement involontaire - ne pas luiavoir laissé placer un mot de toute une soirée par exemple ; avoir désobligé négligemment telle ou telle connaissance dont je me contrefous – bref c'est toute une typologie de la scène de ménage qui serait à établir. Est-il vraiment indispensable de préciser que tout s'achève immanquablement par ma défaite. Je cède aux criailleries : c'est ma foi bien vrai que je suis un homme. Pas tapette,non,nilopette,maislavette(hommemou,veule,sansénergie).Cen'estquecesjours-ciquejemesuisavisédelajouissancequej'éprouvaisàcéder:voluptédel'apaisement;d'avoirfaitlebonheurdel'autre,dem'êtresacrifiéfût-ceauprixdemespropresmoellesetdemadignité.

En dépit de notre constant état de gêne matérielle, je savais cependant que là, juste au-dessus de ma belle-mère, se vivaient nos plus belles années, d'amour, de rêve et d'inefficacité – connaissance confuse toutefois, plombée par d'obsédantes interrogations : savoir si je n'étais-je pas plutôt en train de tout gâcher. Ce n'est que trente ans plus tard que je puis parler d'un certain accomplissement ; prétendre (à juste titre ? je ne le saurai jamais) n'avoir jamais été autant maître du monde, aussi bien qu'au faîte exact de la plus totale impuissance... Mes déplorations, mes doutes et mes angoisses, ne peuvent pas, ne pourront jamais se flanquer à la poubelle, comme ça, hop, par la grâce et le hasard divins d'une tardive et tarabiscotée prise de conscience.

Il est étrange qu'on puisse ainsi s'accomplir tout en se prenant pour une merde onze années durant. Je me souviens très bien, moi, qu'il n'y avait-il strictement aucun moyen d'obtenir la moindre concession de la part de Sylvie Nerval, qui décidait de tout, de rigoureusement tout. Facile de se moquer à celui qui n'est pas dans la merde jusqu'au cou. L'autorité sur sa femme était pour moi le comble de la déchéance machiste, le dernier degré de ce que l'on peut imaginer de plus méprisable. Je fonctionnais, nous fonctionnions ainsi. J'ai bousillé mon couple et mon propre respect au nom d'une idéologie qui a mené à cette ignoble guerre des sexes à présent déchaînée, où la moindre érection non désirée sera bientôt passible des tribunaux.

Pourneparlerquedupointdevuefinancier,jemesouviensparfaitementdudépartdecetteétroitedépendance;ils'agissait(etj'enfusdésolé,pressentantquelatoutepremièredéfectionpréfiguranttouteslesd'autres)(j'escomptaisdoncunetotaleabsencedescènespournotrevieconjugale)d'unestatuettedecornalinerougereprésentantÇivasurunpied,inscritdanslacirconférencedesmondes:quatre-vingtshuitfrancs,unesommeen1966.Jeduscapituler:Monpèrenousdépannera.Imparable.Je m'étais pourtant bien marié, que je susse, pour affirmer notre indépendance ; non pour passer d'une famille à l'autre.

Encore eût-il fallu que mon épouse, pour cette indépendance, se mît au travail, j'entends le vrai travail, celui qui fait chier, mais qui permet de manger. Quarante ans plus tard, nous payons encore cette pétition de principe d'un autre âge (“une femme ne doit point travailler”)(“[elle]affirme qu'elle n'est pas du tout féministe, elle dit qu'elle veut des enfants, un mari quipuisseluipermettredenepastravailler)(Fillesdemai,LeBorddel'Eau2004)-voilàquiàlalettremerépugne.Demafemmeetdemoij'étaisbieneneffetleplusféministe.

Monmédecindebeau-père,lui,avaitinterditàsafemmedechercherdutravail:Dequoiaurais-jel'air?D'unpauvre,Docteur,d'unpauvre...Ma retraite à présent suffit tout juste à vivre dans la gêne - “comment”, s'emporte-t-on; “avectoutcequevousgagnez?- l'argent est un sujet tabou en France, non pas tant en raison de l'envie qu'on se porte les uns aux autres en ce charmant pays, mais de cette propension des Français a toujours se croire autorisé aux commentaires, les plus méprisants possible. mortifiants ; que dis-je, il se fera un devoir de vous expliquer ce que vous devriez faire.

Les Français sont imbattables en effet pour gérer le budget des autres. Surtoutquandl'autreestunfonctionnaire.Jenesuispasundémerdard,moi.J'ai-eu-ma-paye-à-la-fin-du-mois.Jen'aijamaissucommentgagnerlemoindrecentimedeplusquemapaye.Partantj'eusseeubienbesoind'uneépousequitravaillât,parfaitement.L'amours'éteintditàpeuprèsBalzacdanslelivredecompteduménage.IlditaussiLaviedesgenssansmoyensn'estqu'unlongrefusdansunlongdélire.Nousnepouvonsdoncenvisagerd'acheter ni la moitié de cette statuette, ni même le modèle au-dessous. “Mon père payera”.

Nous ne pouvons pas davantage habiter “à demi” hors de la maison héréditaire : “Et le loyer ?”. Imparable, bis. Ma femme ne peut tout de même s'abaisser à travailler pour payer un loyer, alors que le gîte nous est offert. Quel bourreau je serais. La femme est victime, alors même qu'elle vous victimise, justement par la raison même qu'elle vous victimise : souvenons-nous, toutes proportions gardées, de ces braves SS traumatisés par l'éprouvant métier d'expédier une balle dans la nuque des juifs. A la limite de la dépression nerveuse. Le pire en effet, quand je me fais anéantir, c'est que je proteste.

Au lieu de sourire. Et c'est parce que je râle comme un putois que je suis agressif. Bien sûr il y a eu des rémissions, du bonheur : jeunesse, amour, exaltation. Illusion que les choses finiraient bien par s'arranger” . Il ne s'agit pas ici de “se plaindre”, comme disent les je-sais-tout, les psychologues de salon, ceux qui viennent insolemment vous corner sous le nez leurs avis et commentaires sans que vous leur ayez surtout rien demandé (et j'en connais ! mon Dieu ce que j'en connais !) - mais d'expliquer – pas même : d'exposer. De raconter. De faire mon petit numéro. Mon petit intéressant. C'est tout.

 

X

Evelyne, à dix ans, fut mon premier amour. Blonde et pâle. Comme nous discutions à petit bruit sur le perron, à trois ou quatre, elle s'est tournée vers moi pour me tendre un coquillage de la taille d'un ongle : “Tiens, je ne t'ai encore jamais rien donné. Je répondis que si ; qu'elle m'avait déjà beaucoup donné. Ce fut la seule fois que j'eus de l'à propos avec une fille. Nous nous sommes promenés main dans la main derrière l'immeuble. Je me souviens – cela n'est-il pas étrange – d'avoir convenu avec elle, en cas de mariage, que je commanderais les jours pairs, et elle les jours impairs. “Tu auras l'avantage, grâce aux mois de 31 jours.” Cela nous faisait rire.

Cela se passait chez mon oncle, qui m'hébergeait pour les vacances. Il écrivit sur-le-champ à mes parents que “c'[était] une honte”, qu' “à dix ans [leur] fils a[vait] déjà unepoule. Il m'inventait des exercices d'algèbre – voilà bien pour aimer les maths ! - afin de m'empêcher de rejoindre Evelyne, et je répétais à mi-voix en pissant dans la cuvette de H.L.M. (un luxe à l'époque) : “Je t'aime, et rien ne pourra nous séparer”, juste pour m'en souvenir plus tard. Retors, non ?

Et je m'en souviens encore. Tonton m'a dit : “Elle est cloche, ton Evelyne ; attends que Marion revienne de colonie, tu verras !” Une petite brune en effet, piquante, jamais à court de répartie, qui se savait déjà admirée, et qui commençait à se foutre de ma gueule ; je suis retourné auprès de ma blonde. Je n'ai plus revu personne, vous pensez. Curieux tout de même. Quivacommanderdansleménage. Que ç'ait été là ma première préoccupation. Cequifaitsurtoutenrager,d'aprèsRolandBarthes,c'estquandl'êtreaiméprétenddevoirobéiràd'autres,alorsqu'ilnevousobéitpasàvous,qu'ilnetientpascomptedevotresouffranceàvous,quivalezdoncmoinsquel'autre.

J'aivérifiéàmaintesrepriseseneffetquelafaçonlaplusefficace,lapluscloue-le-bec,desesoumettreunpartenairerécalcitrantestdeseprétendresoi-mêmeligoté,garrotté,parunengagement,depréférenceprofessionnel,unepromesseantérieure,auprèsd'uneautrepersonne,qu'ilimportebienplusdenepasvexerquevous-est-ceainsivraimentquel'onaime? auprès d'une belle-mère par exemple, bien efficace ; je la hais à mort ; puis lorsqu'elle est morte, la pauvre - rienn'estarrangé.Dixansdeperdus.Ettoujourslafautedesautres.Lapersonneaiméeseréclameratoujoursdesapropresoumission,del'impossibilitédefaireautrement,pourvoussoumettreàcequevousdétestezleplus.Jeconnaisuncoupledecons,dontl'épouseasuconvaincrelemaridefréquentersasœurelle)(ilfautsuivre).

Depuisplusdequaranteans(c'estirrémédiabledésormais)leMariCon(enespagnol:maricón)setrouvecontraintdefréquenterlabelle-sœur,chef-d'œuvredeternitudedépourvuedetouteconversationdépassantlesliensdefamille,etlebeauf,boursouflédemachisme,deracismeetd'homophobie-antichômeurs,antifonctionnaires,riennemanqueàlapanoplie....Quaranteansàsecognercesspécimensd'humanitéderemplissageetleurtribu,àtâcherdenepasentendrelesconversationsderéveillon(quaranteréveillons!)surlaflemmerespectivedesVietsetdesBédouins-jen'inventerien.

Déménager?Rompre?avecdesgenssisotsquelerefusdel'unentraîneraitnécessairementl'éloignementoffusquédel'autre?etqueferait-il,cefameuxmari,d'uneépousedépressive,quil'agoniseraitdereprochesmuetsàlongueurdesemaines,jusqu'àsombrerdansunedecesdépressionsquel'onsefaitàsoi-même,etquitrouvetoujoursunebrochetted'éminentspsychiatrespourlaconfirmer?Autantgagnerquelquesannéesdesoinsintensifs,etaccepter,deguerrelasse,quedis-je,avantmêmeladéclarationd'unedecesguerreleplusmaladeestimmanquablementvainqueurducouple,d'habiterdésormaisà1500mètresdedistanceducouplehonniquin'estpassimal,voyons!voyons!àlalongue!C'étaitbienlapeined'enfairetouteunehistoire!-lesinvitationssesontraréfiées,lemariyamisleholà.

Maisledrame,voyez-vous,c'estquenotrehérosafiniparsesentiràl'aiseencompagniedesonennemi,envertuduproverbeàforcedesefaireenculer,onyprendgoût,maispisencore,pardesaffinitéssecrètes.C'estpourquoi,ayanttoujoursdevantlesyeuxcetexempleédifiant,notrehommeatoujoursàcœur,becetongle,denejamaisreprocheràquiconquesafaiblessedecaractère;onestmou,commenoir,juif,asiatique.Simafemmeestattaquéelanuit,quejemesentetoutsoudainsupposer)toutparalysé,sansaucunepossibilitéphysiquedecasserlagueuleàl'agresseur-queltribunal,jevousledemande,oseramecondamnerpournon-assistanceàpersonneendanger?(réponsehélas:tous.)Jesouhaiteparconséquentnejamaisêtredansunesituationjedevraisfairepreuvedesang-froid,devirilité,voiredesimpleespritdedécision. J'éprouvetoujourslaplusvéhémenterancœuràl'égarddecesjugesquiduhautdeleurbiteenbarrecondamnenttimorésettrouillards-etqu'auraientdoncfait,ceslâches?Ilfautprendresursoi.Connards-commencezdoncparcesserdefumer.Cequej'aifait.Etdeboire.Neverexplain,nevercomplain.Nepasseplaindre,nepassejustifier-belledevise!Maissimoi,moij'aitoujoursfaitl'unetl'autre,avecpassion.avecconviction?Jesuisuncon,c'estcela?Sansrémission?Lesautres,lesmauditsautres,quimedisaient:Tumetsl'accessoireavantl'essentiel.Ilnefautpastenircomptedesautrespontifientlessagesautoproclamés,individualistescommetouslesfameuxTout-le-Mondeetgrospleinsdecouilles,ceuxquivontrépétanttoutcequitraînedansleslivresdemoralesoit!soit!maiss'ilsetrouvequ'ilsvouscherchent,lesautres?...qu'ilsviennentd'eux-mêmesvousglapirdanslenezsansquevousleurayezdemandéquoiquecesoit-quenon,vraiment,vousnefaitespascequ'ilfautpourleurplaire,etceci,etcela,etquevousêtesunvéritablescandalepublic?touscespetitsZorrodequartier,cesSalomondechef-lieudecanton!...faudra-t-ilvraimentlesenvoyerchiersansrelâche,vivreenpermanencedanslapolémiqueetl'engueulade?

Les Autres. Les encensés Autres. Les sacrosaints Autres. “Comment se faire des amis” : rendez-vous compte, il y a même des ouvrages pour cela ! Dire que le rapport au conjoint représente une application particulière du rapport avec l'autre ! Hélas ! Céder pour être aimé ! ...Qu'est-il d'ailleurs besoin d'être aimé. Incommensurable faiblesse, ignoble défaite, révoltante prédestination - en être réduit à réclamer des amis, des amours, comme un chien qui lèche sa gamelle vide, qui pourlèche la main qui le bat ? J'ai cédé sur tout. J'ai fréquenté des blaireaux, et j'y ai pris goût (quarante ans de batailles tout de même) ; crêché d'avril 68 à juillet 78 au-dessus de chez ma belle-mère précisément parce que je n'offrais pas, pour Sylvie, ou de quelque nom qu'il vous plaira de la nommer, les garanties suffisantes de l'amour. Je prenais donc les autres à témoin. J'ai toujours pris les autres à témoin. C'est pour cela qu'ils venaient toujours me baver leur avis en pleine gueule.

Seulementvoilà:tesmalheursconjugaux...toutlemondes'enfout.Toutjustesiturencontres,unefoistouslesdixans,unefemellecompatissantequit'arracherait,ôcombienvolontiers!àcetenferdeservitudeconjugale-àconditionquetupasses,bienentendu,soussadominationàelle.Lachoseestévidente,ellevadesoi!toutestdelafauted'Eve.JesoupçonnemêmelespremiersrédacteursdelaGenèseden'avoirinventélafemmequepourenfinrejetersurelletoutescesfunestesresponsabilitésquinoustuentdepuislefonddesâges.EtlesAutresderépéter:Tuconfondsl'accessoireavecl'essentiel-c'étaitdéjàbeaucoup,qu'ilsmefournissentcetteindication;puisqu'ilss'enfoutaient-fallait-ilmonDieuquejelesbassinasse...

SylvieNervalm'aditrécemment:Tumereprochesd'avoirfaçonnétaviemaisc'estquetunem'asjamaisrienproposéd'autre.Riendeplusexact.Cequ'apréditJean-Flins'estrévéléfaux:jenesuispasdevenupédé;maisparuneabsoluedépréciationdemapersonne,sansimaginerunseulinstantqu'uneimaginationdemoipûtavoirlamoindrevaleuroulégitimité,jemesuismis,demonproprechef,souslacoupe,souslejougbien-aiméd'unefemme,lamienne.Assurément,cequejeproposais,dansunpremiertemps,n'étaitrien:déménagersanstrêve,voyager,changerdefemme,traînerlesputesaprèslasodomie,etboire.

Vousvoyezbienquej'enavaisun,deprogramme.C'estmoncousinquil'arempli: gaspillage de ses deux pensions à pinter, fumer, régaler des clodos finalement trop soûls pour assister à son enterrement à 57 ans : cancer de l'œsophage. Mon griefessentiel?l'immobilisme.Unimmobilismeféroce.Anejamaisavoircoupélecordonombilical.Seretrouverdanslamêmeville,danslesmêmesruesqu'àdix-neufans.Asedemandervraimentàquoiçasertd'avoirvécu.Puisqu'onesttoujourslà.Puisqu'onenesttoujourslà.Mamèredonnaittoujourslesignaldudépart:Jeneveuxpasresterdansunemaisonjemourrai.

SylvieNervalatoujourseubeaujeudeprétexterquejevoulaisimitermamère,cequiprouvaitmonmanquedematurité.JeluirétorquaisTunousforcesàdemeurerjusteau-dessusdetamèreàtoi.Unefoisparjour;endixans,3560fois.Ping,pong.Ping,pong.Renvoid'arguments,d'ascenseurs.Efficaciténéant.Douzeansdebanlieue,mêmebarre,mêmeappartement.DixàMérignac,banlieue,cettefoisbordelaise.Enattendantplus.Rienn'yafaitdereprésenterl'horrible,lafunèbre,lagluanteetengloutissantechosequeceseradesesentirvieilliretdécrépirdanscesmêmesespacesétroitsdéjànousnousheurtons:riennenousdécolleraplus.

Ilfautvivrecommetupenses,monfils,outufinirasparpensercommetuvis.Rienquisevérifieplusépouvantablementquecetaphorismerebattu(RudyardKipling?FrancisJammes?).Jemesuistroisfoistrahi.Cesbassessesjemesuisvautréconstituaientd'ailleurs,jadis!-lesalimentsindispensablesdemonénergieàtrompermafemme.Aprèstoutcequ'ellem'afait?pensais-je,etj'enfonçaismaqueue. ...Si j'avais tout accepté tout de suite ? Si je n'avais pas lutté ? (puisque c'était pour rien...) (je m'évadais par l'excellence de mon œuvre, sans rire !) - si j'avais cédé sur tout - n'en aurais-je pas tiré malgré tout quelque bénéfice ? Tout m'eût-il été accordé, et plus encore ? ...en compensation à ma soumission, à mon amour extrême ?

J'en doute - à voir ce qui se passe lorsqu'on renonce – partout - toujours... mais ... alors... c'est que j'ai bien agi. Protestant, ergotant, souffrant sans cesse. Fût-ce puérilement. Sinon je n'eusse été que l'ombre de la reine ! ce sont plutôt les femmes, paraît-il, qui souffrent de cela... Il m'a fallu bagarrer ferme afin d'arracher quelques bribes de libertés, au pluriel. Jour après jour, minute après minute de mon emploi du temps... Domicile imposé... Profession toujours considérée avec la plus totale indifférence... Eventualité d'un emploi pour elle repoussée avec la plus extrême indignation, d'année en année - toujours un obstacle, toujours une incompatibilité, toujours une impossibilité sur-le-champ exploitée – c'esttropdur!disait-ellebenetnous,alors?protestèrentunjourmescollèguesféminines.

...Celui qui travaille, c'est l'homme. Difficile pour moi, aujourd'hui encore, de prendre mes distances envers cette question, si simple à résoudre pour autrui, qui me hantera jusqu'au bout. Mes griefs sont intacts. A ce moment même où j'écris mon Histoired'amour.Combiendefois,excédéparmesgeignardises,lesautrestousenchœurnem'ont-ilspascriéderompre!...Moij'ai cédé. A quoi bon traîner après soi une femme récalcitrante, à quoi cela sert-il d'être unis, si c'est pour vivre dans un perpétuel climat de revendications, de récriminations, d'hostilité, pour la simple raison qu'il convient de se conformer à “ce que doit être un couple”, chapitre tant, paragraphe tant... Mon histoire d'amour est la seule à traiter. Peut-être que j'ai honte d'avoir été heureux de cette façon. Ou malheureux. Pourriez-vousrépéterlaquestion. Rienobtenu.Adapté.Lafacultéd'adaptationest-elleuneliberté?...lecombledelaliberté-pardon:del'intelligence,d'aprèsleszoologues...Ilm'estdonctoutàfaitloisibled'imaginerquec'estenraisondemonexceptionnelleintelligencequejemesuislemieuxadaptéenmilieudéfavorable...Siçapeutmefaireplaisir...J'ignoresinousnousaimons.Sinousaurionsétéàlahauteurdenosviesrêvées.

Sylvie Nerval m'a fasciné. Ma mythologie portait qu'il fallait se prosterner devant la Femme ; ce n'est pas, semble-t-il, ce qu'elles attendent. Je pensais, moi, qu'il fallait conquérir une femme. Comme une forteresse. C'était dans les livres. Ça devait marcher. Au lieu de me faire valoir, de frimer, je les suppliais. Ce qu'il ne faut jamais faire (« supplie-t-on des montagnes ? »). Finalement on ne sait rien du tout, de ce qu'il faut faire.

Je tombe amoureux sans bouger, sans procédé, sur simple photo. L'une d'elle représente deux jumelles l'une près de l'autre les yeux baissés, ineffable communion récusant d'emblée toute connotation sexuelle. Sans nul besoin de se toucher pour jouir ensemble, d'être. La deuxième photographie renvoie au masculin : cinq jeunes gens très élégamment mis, mannequins professionnels dont l'homosexualité se déduit aisément ; mouvements suspendus, comme d'une conjuration, regards francs, trop clairs ou par-dessous. Offre et dérobade, attirance et réserve.

Les tiendrais-tu, les battrais-tu, qu'ils ne révèleraient pas leur secret, dont ils sont inconscients. Ou dépourvus. Le troisième cliché montre un Noir vêtu d'un complet gris classique, d'un chic où je ne saurais prétendre ; sa braguette entrouverte laisse passer un sexe au repos d'un satiné prolongeant, incarnant charnellement la douceur du tissu dont il est issu, organiquement désirable - à condition expresse que ces trois photos désignées ne se meuvent pas, ne parlent pas. Que tout demeure figé dans la bouche de l'œil , en éternité qui ne fond pas.

C'est de photos, de représentations, que je tombe amoureux, petitement, imperceptiblement, par suspension de l'œil et du souffle, à portée de mes mains et hors de ma vie (grain chaud, glacé, de la pellicule). Mais rares sont les plus belles filles du monde qui sitôt qu'elles ouvrent la bouche ne profèrent immédiatement quelque irrémédiable rebuffade ; que l'image s'anime, s'épaississe de mots, de sueurs, de gestes, elle sort à jamais de nos bras . Je trouve aussi très doux de fixer dans le rétroviseur les traits des conductrices qui me suivent, s'arrêtent au feu juste dans mon sillage, se parlant à elles seules pâles et glabres comme un cul sans se croire observées malgré nos convergences de regards au fond de mon miroir.

Jeleurdisjevousaimesanstournersipeuquecesoitlatête,afinquemonâgeoumesadorationsnerévèlentriendemonridicule.Jepeuxenfinfixerlapremièrequipasseetpouréviterlesiautomatiquequ'est-cequ'ym'veutc'connarddelafemmemoderne-monprocédéconsisteàravaler,àl'intérieurdemapaupièresurfonddemuqueuseardente(capoteinternedesseprojettentlespersistancesrétiniennes)troissecondesdevisionsijemaintienslesyeuxfermés,éphémèreimaged'amourentraperçu.Jem'arrêtealorsprenantgardeden'êtrepointheurté,murmureàmavisiondesmotstendres,luiproposantdespratiquesprécises,justeavantqu'elles'efface.¨Plaisirdepuceau,jesais.Danscesfugitivesfixationssubsisteainsiquesurphotol'endeçàdel'émoi,premierpincementdecœuréternel.

 

X

 

Ce mois dernier soixantième année de mon âge enfin s'est découverte à moi - révoltante particularité (désespérante caractéristique) de ces apocalypses de la vieillesse, d'intervenir toujours aux temps précis où ils deviennent inopérants – la clef de l'obsédante compulsion dont je suis victime : il faut nécessairement qu'une femme prétendant m'attirer (elle n'en peut mais) souffre, soit en difficulté, mélancolique, languissante – dolente – au plus éloigné possible de ces copines actives, musclées, halées, “battantes”, que je ne puis admirer ni aimer en aucune façon.

Ilmefautchezellesdesvirtualitésd'attendrissements,d'apitoiementssurelleetsurmoi-jusqu'aubeauxdésespoirs,auxlarmesàl'aspectdunéantjusteeffleurés.Quemefontàmoicesbeautésrayonnantes?qu'importeeneffetàcesfemmesquejelesaimeounon?sic'estellequim'aime,sansquej'yrépondesupposer),n'aura-t-ellepastoutloisirdeseconsoler?Quiplaindracesfemmeséclatantes?Nousn'avonspasapprisencoreàaimerunefemmesemblable,uncopainavecdesnichonscommeditlecomique.Ilm'enfautuneàcompléter,quimecomplète.Construitecommemoiautourd'unefaille.

Aconsoler,àprotéger-protéger:voilàlegrandmotlâché,fécondensarcasmes:Nousn'avonspasbesoind'êtreprotégées!ouRetournecheztamère!-maisunefemmequejecaresseetquejeberce.Compatissantstousdeux,auxpremiersetsecondsdegrés,mêmesitoutparaîtfrelaté,sansquenulautrelesache.Quenousretrouvionsjoieetsantél'unparl'autre.IlestassezdésarçonnantdeconstaterquenousavonsSylvieNervaletmoisuivicesexcellentspréceptesdelafaçonlaplusinvolontairementperversequisoit,puisquejadis(nouscomptonsdésormaispardizainesd'années)pourpeuquel'und'entrenousfûttriste,l'autrebrillait,etréciproquement:jamaisnousn'étionsd'humeurégale;SylvieNervalétantjoyeuseetprèsd'agir,jenemanquaisjamaisdeluireprésentertouslesobstaclesjusqu'àcequ'ellesefûtassombrie,pouroffrirànouveaumaculpabilité.Dilapiderainsidanscesmanègestantd'annéescommunes,gâchersisottement,sivainement,nosénergiesainsisoustraitesàlavéritableactiondelavievéritableextérieurequelleénigme!...nousaurionsdoncpréféréparcourir,piétinerenrondcevieuxmanège?Jedevraisbiendésespérerdecetteprisedeconsciencesitardive.C'estdonccelaqu'onappellesagesse.Apprendreenfincequ'ileûtfallufaire(pourdominer[c'estunexemple]sansl'être?carladouleurdel'autretedomine.Autredécouvertedecederniermois:nejamaisdésirerlafemmedésirée. Laregardersimplementdanslesyeux.Aveclaplustotaleindifférence(etcequel'onfeintdevientsivitecequel'onest).Commesitun'avaispasdefemmedevanttoi,quenon,décidément,ladifférencesexuelle,tunelavoyaispas-unefemme!qu'est-cedonc?-riennedélectepluslafemmeden'êtreconsidéréequepourleurscharmesd'espritpasmême:unefoisdévêtuesdeleurscaractéristiquessexuelles;unebonnefoisévacuélesexe.Cettechiennerie,ditlafilleGaududansleBonheurdesDames.Labonnecamaraderie.Soutienssansfaillirleregardfrancdelavierge:tuvois,là,c'estl'amitiéquis'installe.

Pour moi c'en restait là. Quant à pouvoir un jour montrer son désir, dévoiler sa vulnérabilité, sans courbettes de chien savant, ou battu – quelle paire de manches ! ...il paraît que cela se peut. Je l'ai lu dans les livres. Vu au cinéma. Le peu que je sais, c'est que les femmes apprécient beaucoup le naturel en effet – tant qu'il ne s'agit pas de sexe. Telle est mon expérience. (Et comme le double jeu des femmes n'a jamais manifesté le moindre signe d'essoufflement, il est non moins évident que la moindre lueur d'hésitation ou de doute au fond de votre œil vous vaudra les sarcasmes les plus vils – passons) - je ne puis en vérité me résoudre à ces nouveaux usages égalitaires, de regarder d'abord une femme dans les yeux “comme un pote”.

Ce marchepied d'égalité n'est pas moins ardu à franchir en définitive que les codes ancestraux de pudeur, d'atermoiements, voire de bigoterie. Que celle que j'aime puisse me retenir sur la pente des petits abîmes. Femme-nounours, petite fille, juste le petit chagrin, gonflable et dégonflable à volonté. Sylviem'esttombéedanslesbraspleurantsurelle-même,etj'aifaitdemême.Victoire!Défaite!Consolationmutuelle.Persuasiondelafemmedésirée(dontondésirel'amour)surlabasemalsainedesafaiblesse.Pitiéréciproquedontondittantdemal,quiparaît-ilrabaissequil'éprouveetquilareçoit.

Puisjouerleconsolateurafinderécolterlefruit.Faireàsontourlavictime,profondémentléséeparuneprotectionsicoûteuse.Decedoublesystèmedebasculeentreprotecteuretobligédéduireundoublesystèmedeculpabilitésmutuelles.Indissolubleetsansrecours.Unefemmeplaintiveetconsolatriceàquij'aiepumeplaindre,telsfurentnotrepainbénietnosabandons(roulerdanslaboue,jouirdelaboue).Malsainementhululerdeconcert,s'engloutirdansnostrous;ainsijouissentlesenfantsinsuffisammentconsolés.Dontlamèrefutlaplusàplaindredetoutessoitchezsapropremèrelaplusgrandeobscénité.Alternonsparconséquentl'admiration,laprotection,lasoumission-l'attendrissementsurlessotsgâchis,leplaisirdesdoublesfaiblessesetdeséternelsinaccomplissements.Ornousavonsbienlu,distinctement,chezGoncourt,quelaconsciencedesasupérioritéjointeàl'attendrissementquel'onéprouvefaceàl'injusticeouvreunevoieroyaleàlafolie.S'ensuiventeneffetdelancinanteslamentations,renforcéescarmutuelles,sursoi,surl'autre,lapremièreinjusticeoufolieconsistantbiensûrencetteliaisonquenousavonseueaveccelle,oucelui,quinesauraits'approcherdelaperfection.D'oùtentationpérennededésignerl'autreousoi-mêmeàl'accusationdeboucémissaire.Lapromiscuité,lefusionnisme,aiguisantchaquetrait.

 

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Corollaire

 

Unetelledispositionducouples'apparenteàl'adorationdelafemme-enfantouplusprécisémentdudouble-enfant.Riendeplusexaspérantd'autantplusattachant,d'autantplusligotant-quecesagaceries,sautesd'humeurs,fantasqueries,riendeplusfascinantquecesnarcissismescroisés,ceséchostoujoursmalvenus.

 

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Fascination, suite

. Uneblonden'ayantpourcouvrirsonintimitésurlaplaged'étangqu'untissueffilésansreliefsurunsexepressentilisseetglabregénérantsurmoiquiluifaisfaceunefascinationbridéeparcetroppleind'humains,savulveàtroislargeursdemainsdemoi,lemariàdeuxpaslisantsurlesableetl'enfantgambadantpardiablepassé,sansqu'ilfûtuninstantpossiblequ'ellenem'eûtpointvu-absoluesuspensiondusouffleetdusentiment,lapétrificationdevantlevidesachantques'étendsouscemincepontdecotonblancunsexevéritableexactementconfiguré.J'avaisretrouvécevertigeetcejeudedupesautreexemple?Ceconàfeuilled'orsivolontiersconçuplaquémagnétisantleregarddecetautreassisprèsdemoi(lemême)quiperditsisouventcontenances'illaregardait;soustantd'afféteries,d'innocenceetraffinementmêlés,lavitalitémêmedel'hommesedissolvant,naufrageantsouslesyeuxdecetteautrefemmequil'accompagnemuetteégaréeréprobatriceausein d' ivrognes et d'aveugles, avec la volupté cuisante du réprouvé.

Mon ami fusillé du regard et d'une moue, indécelable à nul autre que lui - certaines figurinesfémininesainsi,sousleurfeuilled'or,trouveraient-ellesmatièreàjouirsansytoucherdetantdesangetdesemencepuisésdanslacandeurgrossièredel'homme;l'amourquej'aivouéàSylvieNervalsejustifieraitalors,danssaformelaplusarchaïque,parcetteadorationcourtoisedelafemmequecettedernièreàprésentfeindraitderejetercommefardeau,paralysie,ligotage,aliénationsachantcequerecèleunetellemalsaineadoration).

 

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L'androgyneessentielestd'abordunenfant,volontiersnommélacréature,avectoutcequecetermeévoquederéprobationautournantdesdeuxdernierssiècles:réchappéd'unecatastropheguerrière,poursuivijusquedanssonexil,l'enfant-prêtreseprostitue;recueilliparunvieuxmusicienquis'éprenddelui,l'Androgyneselivreàdessurenchèredecomportementsincompréhensiblesoucapricieux-cerésuméfragmentairetendancieux-échouevolontairementàrendreuntelmonde.S'avise-t-onenrevanchequetantd'agissements,tantdemanègespeuvents'entendred'unetrèsjeunefille,quiécrit,cesigrandmythes'évanouirait,s'ysubstituanthélasuneirritationd'adultelecteurcontreunegossetête-à-claques(l'amourainsidécritdevantdèslorssedéfinircommeenfantin,puéril,immature)(oucéleste).Aussil'accèsleplusdirectàcescontréesrestelapeinture,Sylvieexcelle;cefiltreassurémentmoinsexpliciteadoucitlesprécisionsdesinlassablesretrouvaillesetautresaventuresd'Ayrtonditl'AndrogyneetdesondoubleténébreuxR.auxcheveuxd'encre...

Surceterraindoncsejoueunefoisdeplusl'increvableproblématiquedel'ascendant(del'Unsurl'Autre,quid'Elleoudemoi),problématiqueréductrice,fâcheuse,pitoyable.Triviale.Pathétique.Dontmesamoursultérieuressetrouvèrentirrémédiablementperverties(pagesaprèspagesnoirciessurmonmartyremarital-inépuisablesdoléances,larmes,enfantillages).Rameutagedegriefséculés,incommensurablesdéplorations:d'avoirfréquentertantd'amisquin'étaientpaslesmiens(quisefussentàcoupsûravérésivrognesetputassiers)(maisjen'auraispaseud'amis). Pasunseul.Tandisqu'ellem'atiréparexempled'unehumiliationpubliqueimminente,devantcettegrappehumaineunjouragglutinéeplacedel'Horloge(Avignon)psalmodiant(desbeaux,desdéguisés,deszalapaj)quatrenotesrépétitivesdansunmantrarigolo,quejevoulaisdiriger,pauvrecon,aupassage,guiderversunebelleimpropolyphoniquedemoncru-qu'est-cequ'ilsecroitcelui-là?d'oùysortcecon?-envérité,jel'avaiséchappébelle;Sylviem'entraînajusteavantlacata,jeluiinfligeaiunescèneépouvantable:ellemebrimait,ellemecoupaitdumonde-cegadin,cettegamelle,cerâteauquejemeseraispris!c'estàl'échelledetoutemaviequ'ellem'asauvédemaconnerie,demoninadaptationfoncièreàlarelationhumaine.

Et si ma femme ne m'eût pas instinctivement pris de court, à chaque fois, des années durant... si je n'avais pas cédé, sans cesse, en braillant, parce que je reprenais à mon propre compte ce maudit schéma crétin élaboré par les propagandistes – d'une femme nécessairement piétinée, avilie par le mâle - si une telle ineptie ne se fût imposée à ma timidité invalidante, arrogante, c'est moi qui l'aurais soumise, au contraire, à ma propre loi. Je me suis posé en victime du féminisme : et si j'avais simplement cédé au bon sens ? Si j'avais tout bêtement reconnu que l'essentiel est de suivre la raison, peu importe qui des deux ait raison ?

Nousappellerionscelatoutbonnementlalucidité.CelledeLouisXIIIsereconnaissanttributairedesexcellentesraisonsdeRichelieu.Cequineveutpasdirequeleroiselaissaitmener.C'eûtététoutl'un,outoutl'autre:j'auraisimposémesspectaclesdemerde,imposémesamisdemerdecommej'enavaistantconnu,d'incessantsdéménagements,matyranniedomestique.Nepassedésolerdoncd'avoiraimé,cédé.Eleversespensées.Considéreràquelpointlaquestiondeconnaîtrelechefs'apparenteàlaplacedumoidanslecouple,ouparmileshommes(voiredansleseindeDieu?)IlfautêtredisaitTalleyrandaigleouserpent” – dévorantoudévoré?...parhonte,incapacité-illégitimitédupremier-jemesuisjetéàlasoumission,dévoréparlaperte,parmadévorationfaisantmaperte;dévotion,révolteettrouble.

On ne résiste pas à Dieu, fusionnel, exclusif comme il est ; mais la femme ne nous étant nullement supérieure - le seul - l'unique moyen de ne pas céder à la dévoration sera de célébrer sa propre volonté, sa propre adhésion – comme tant d'autres femmes se le sont vu imposer par tant de curés, pasteurs et notaires à travers siècles : “Je cède, je me fais aimer, je règne” - à présent soyons clair : Edipe s'étant vu barrer la voie rebroussa chemin, vit une femme en larmes et l'admira. Question : Sylvie Nerval s'en montra-t-elle au moins reconnaissante ? peut-on parler de son bonheur ?

...Oui,àsupposerquel'adorateur,lesacrifié,s'acquittesansmotdiredecetteabnégation(quetamaingaucheignorecequefaittamaindroite).Ortout se passe au contraire comme si je devais rendre des comptes à quelque Instance ( Laïos ? Jocaste ?) au profond de moi : cédant certes, mais toujours, toujours à contrecœur (j'aitoujoursvécuàcontrecœur).Siunsacrificevouspèse,ditRomainRolland(Jean-Christophe),nelefaitespas,vousn'enêtespointdigne.Jet'emmerde,RomainRolland.Jevoudraisbient'yvoir.Commesionlefaisaitexprès.Commesil'onfaisaitexprèsquoiquecesoit.

...Grommelant, regrettant – Léon Bloy, parlant de Dieu, affirme que l'analyse psychologique prit un jour hélas le relais de l'adoration, de la fusion – que l'analyse absorbe en son propre nombril. Pas un sacrifice en effet, pas une attention dont je ne me sois empressé de faire payer tout le poids. Pas une faveur qui ne fût lestée d'une plainte gâtant, moisissant tout. Tel Christian V., expéditeur polaire, détruit tout son mérite, exhalant dans les termes les plus orduriers, à chaque plan filmé, toute sa rancœur contre les obstacles d'une entreprise que personne ne lui avait demandée.

Il entre dans ces abnégations trop de rabaissements. Sous le sucre et l'encens tant de fiel embusqué. Chevalier servant, souffrant pour sa Dame, renonçant à ses volontés propres (existent-elles ?) - prétendant que ce n'est rien, me dépouillant à grand bruit de tout désir alors précisément que cette fois c'est l'autre qui cède à ma détresse... Si malgré moi je remportelavictoiredansmonchampderuines,d'uncoupjen'enfaisplusdecas,n'entienspluscompte,etjereplaideensensinverse,versmonmartyre.Aprèstout...Jetrouveautantdeplaisiràl'inversedemondésir.LesdépressionssombraSylvieNervalfurentprovoquéessansêtrelemoinsdumondeatténuées.Chacunrivalisantd'abaissement,tyrannisantl'autredel'obscénitédesafaiblesse.Nulnes'estretirédujeu.Cesdécenniesdeprisonmefonthurlerderage.

Exemple : rien de moi sur les murs ; me contenter de la pièce la plus malcommode (une heure de lumière par jour) - comment l'amour peut-il s'accommoder à tant de petitesses ; à supposer même qu'il suffise d'invoquer mes goûts artistiques nuls... Puce à l'oreille : l'indignation d'un couple de visiteurs : “On dirait” s'exclamèrent-ils “que Bernard n'habite pas ici ; aucune trace de sa présence nulle part”. Autre et bien plus profonde, sinistre, funèbre sonnerie d'alarme, cet oncle – raisonnant sur la présence, à proximité, d'un Lycée, suggérant donc avec satisfaction qu'il me suffirait d'obtenir cette nomination à cinquante mètres de chez moi, pépère, pour le restant de ma carrière ; j'ai grogné qu'il ne m'aurait plus manqué qu'une laisse : “boulot-gamelle-boulot”.

Letontonn'yrevintplus,maisj'avaissentimescheveuxsedressersurmatête. Il ne me restait plus de toute façon, en ce temps-là (renoncement, admiration) qu'un infime noyau d'honneur avant extinction finale. Ne voir que ridicule dans ces hurlements de détresse témoigne d'une méprisable férocité. On meurt sous les coups d'épingle, tas de cons. Dix années pleines de telles minuscules avanies ne sauraient en aucun cas se compenser, quoi qu'en déblatèrent les psys et autres pontes, par les prétendus avantages qu'y trouveraient à foison, paraît-il, les opprimés, qu'on aurait bien tort de plaindre, puisqu'il paraît que la pitié, tas d'enculés, avilit...

Il faut tout de même bien balancer cette grosse claque dans la gueule que jamais, au grand jamais, ces prétendus avantages, ces mirifiques “compensations”, n'effleurent le moins du monde la conscience de celui qui souffre. C'est bien beau, l'inconscient. Mais sensoriellement, ça n'existe pas. Ce qui est pourri est pourri, ce qui est foutu est foutu. C'est replâtrage et replâtrage, à tour de bras ! Les femmes de l'émir, ses chameaux, ses chiens, se laissent mener. Et certes, assurément, je n'en disconviens pas, j'ai découvert, aux hasards poétiques de la soumission, tant de merveilles - que l'Initiative, la Volonté, la Force et autres hideuses idoles ne m'eussent jamais obtenues ! il se développe en effet, il se fortifie au fil de la passivité un tel sens poétique, un à vau-l'eau, un voluptueux abandon semblable à celui du Roi Arthur, lequel tout roi qu'il fût descendait tout communément, tout couramment, à la rivière “pour voir s'il n'était point survenu quelque adventure” ; alors au fil du fleuve se présentait immanquablement telle barque pontée où repose le corps d'une pucelle, et c'est l'incipit – in- ssi – pitt, blats bâtards, quand on veut faire son latiniste, on se renseigne - de la quête du Graal !

Au lieu donc sottement de me gendarmer comme eussent fait tant de ceux qui savent si bien ce qu'ils veulent et ne découvrent que ce qu'ils ont décidé de découvrir, et encore, après coup, je suis descendu où il plaisait à Sylvie N. de m'emmener, c'est-à-dire sur place. Guidée qu'elle fut plus, à mon sens, par fantaisie que par sa décision, alors que ma pente sans doute ne m'eût entraîné que vers ma propre catastrophe. Les rares fois où elle me céda, je me fâchai fort, lui reprochant la moindre réserve de sa part, tandis que j'acquiesçais, moi, toujours, et par grincheuse courtoisie. Il m'a toujours paru qu'elle savait mieux que moi ce qui me grandissait, me nourrissait : découverte comme je l'ai dit du ballet, que je pensais disparu, de la peinture à l'huile, que je pensais engloutie - de quoi m'eût servi en revanche de connaître avec elle les joies rustaudes du stock-car ou de l'ivrognerie populaire ?

Si la femme cède, se rend à mes raisons, ma jouissance s'en trouve annulée de ce fait même ; Simone de Beauvoir évoque à merveille ces faux débats où l'époux, l'homme, veut qu'on lui cède, mais non sans avoir longuement résisté : la femme doit feindre l'opinion contraire, pour lui fournir l'occasion d'une victoire, qui ne s'entend pas sans quelque lutte... A l'inverse exact je cédais, moi l'homme, mais non sans m'être défendu, sachant que c'était en vain, jouissant de ma capitulation annoncée (quoique je me contrefoutisse d'augmenter son supposé plaisir). Voilà pourquoi j'estime qu'il n'est pas vrai, peut-être, que les femmes du temps jadis n'aient jamais pu connaître, disent-elles, que le plus profond malheur, et la victimarisation des femmes, vous comprenez que tout le monde a fini par en avoir plein le cul.

Or de tout cela, Docteur F., j'étais inconscient, et peut-il exister des choses sans qu'on les ait personnellement, consciemment vécues ? J'étais dans mon esprit celui qui apaise, le grand réconciliateur, à la façon des femmes de jadis. Mais j'y mis tant d'aigreur, comme certaines d'ailleurs, que Sylvie Nerval ne pouvait que conserver, cristalliser au sein même de sa victoire (qui n'était pas vécue comme telle, puisqu'à son sens il s'agissait d'un dû, résultant d'un raisonnement, d'un comportement logiques, affectivement neutres) cette culpabilité qui gâte toute chose, et fut cause assurément de tant de mollesses dépressives dont je n'ai cessé de lui faire grief, en étant moi-même la cause.

Puis-jeajoutercependantqueceperpétueldécouragementnefutpasmoinslacausedemadésenviedevivre.Ainsilafemmecèdeàl'hommeetlesapedanstoutessesénergies,parsonsacrificeexhibé.Etréciproquement.Onenjouitsemble-t-ildanssoninconscient.Autrementditonn'enjouitpas.Jepuisassurémentmerebâtirtoutmonpassé,sansrienomettredespreuves,maiscequifutsouffertfutbeletbiensouffert.Sansvouloirjouerlesvictimes...Mesvoyagessesontbornésauxcapacitésdemonporte-monnaie,monpetitsalairedepeigne-cul,commemelerappelaitobligeammentunecorrespondante.LibreauxdoubleursdeCapHornd'estimersansselmesdécouvertescreusoisesouberrichonnes.Melimiteaussidansletempsl'abandonjem'imaginequesombre,sombreparfoisréellementSylvieNervaltroplongtempsseule.Jepourraisprolongercesquatreàsixjoursquimesontaccordés,étirercefilàmapatte;maisilmeplaîtsansdoutedem'imaginerattendu,indispensable.

J'obéisdumoinsàdesrites;rouleruncertainnombredeminutesetvisiter,marcher,quejemetrouve,quelquesoitlemanquedepittoresque;jemedétournesouventpourunchâteau.Maisjepeuxégalementfoncertoutdroitverslesud/sanspresque[m']arrêter,Cordouelematin,Sévillel'après-midi,cequiestscandaleusementinsuffisant,maispermetdeparlerauretour;SylvieNervalenvoyageflânedèslepremierjour,découvrantouredécouvrantmaintsetmaintssitusculesetsitouilletssansenvergure.Sonplaisir(sijeluilâchelabride,sijemelaissemener!)consisteàreplacersespassanscessedanslessiens:nostalgiesdupetitespacemaisplusencoredésirs,envies,besoins,motsenfantins,d'uneexaspéranteinnocence-mesdésirsàmoisetrouvanttoujoursàl'exacteintersectiondesdésirsinverses,aussibienquedeleurabsence;obéiràSylvieNervalseraitdoncobéiràlavieetm'yabreuver,alorsdemoi-mêmejeprévoistout,j'endiguetoutquoiquemonvoyagetienneaussibiendeceluidupèrePerrichon:découvrir!nefût-cequ'ungrosbourg,pourvuquejen'yaiejamaismislespieds.

 

 

X

 

Nouséprouvonstousdeuxunesacro-saintehorreurpourtoutlematériel,encorequ'ellepeignedesamain,cequimesembleparfaitementincongru,hors-norme,exceptionconfirmantlarèglecommedisenttouslesracistes;nousaimerionsSylvieetmoin'êtrequetoutidées,toutart.Nousn'auronsvéritablementvécueneffetqueparetsouslesimpressionsd'unfilm,d'unlivre,d'unemusiqueoud'unedanse.AjoutonspourSylvieNervalcemondecérébralrévéléplushaut-leréel?ilseseratoujoursrefuséànous,àmoinsquecenesoitl'inverse.Nousnesauronssupporterlemoindrerefus;nousnousdétournonsalors,préférantnousfairerouler,ledéplorantaussi,conscientsdenotreinférioritésansremèdedansleschosesinférieuresquandlesœuvresd'espritjamaisnenousaurontdéçus.

...Ainsinoushaïssonslebricolage.Grandepassiondel'hommedepeu.Est-iljevousledemandequoiquecesoitdeplusvulgaireetdeplusbasdegammequelabéatitudeinfinimentcreusedubricoloquivoustanneavecsonportailinstallésoi-mêmeousonrafistolageautomobilemaison.Atousceuxquim'objectent,lesyeuxinjectésdehaineetdebonneconscience,quejesuistoutdemêmebiencontentdelestrouverpourmetirerd'embarraas,jerépondsquejesuisbiencontentassurémentd'allerchiertouslesjours,maisquejen'eninviteraispaspourautantmamerdeàtable. Ilfautàmonsensposséderl'âmevideetviledelapopulacerésolumentréfractaireàtoutespéculationintellectuellepours'abaisseràsesouillerlesmainsparquelquemanipulationquecesoit,debricolage...peindresurtoileassurément(voirplushaut)débouchesurl'éternel;déboucherleschiottes:non. Jesais,Dieusaitsionmelerépète,quelamainestintelligente.Maisnulnem'enpourrajamaisconvaincre.Unsillon,unechaussure,n'égalerontjamaisenintention(jeneparlepasdelaréalisation)l'Œuvred'Art,consacréeparl'éternitédesDivinsPréjugés.Ilexiste,siarbitrairequ'ellesoitpeut-être,unehiérarchiedesvaleursquenousrespecteronstoujoursSylvieNervaletmoi,quellesquesoientlesviolencesdespropagandeségalitaristes.

Nous tordons le cou aux démagogues alléguant l'égalité du boulanger et de Mozart ; pour des milliers de boulangers, quelque compétents, quelque vertueux (voilà bien la répugnante faille de raisonnement) qu'ils puissent être, il n'existe et n'existera qu'un seul Mozart. Ajoutez à cet intolérable fascisme (n'est-ce pas !) qui est le nôtre une farouche défense des valeurs passées, mais aussi, de façon douillette sans doute et parfaitement incohérente, l'attachement aux grandioses adoucissements de la condition humaine : le progrès matériel justement, permis par les techniciens, les bricolos, les “hommes matériels” si vilipendés au paragraphe précédent. Plus encore de notre part un viscéral cramponnement à l'Athéisme, à la Liberté Sexuelle, qui nous semblent découler non pas de la démocratie, mais directement de la sainte et laïque raison bourgeoise et cultivée. Ce n'est pas en effet pour avoir souscrit aux suffrages de quelques bouseux incultes que nous avons conquis toutes ces belles choses, comme les découvertes médicales, mais en luttant de toutes nos forces, justement, contre leurs préjugés et leurs hargneuses sottises.

Lepeupleestméchant,écrivaitVoltaire;maisilestencoreplussot.Cesontlesétudesquiformentl'élite,etparlà-mêmel'arrachentaupeupleetàsonétouffanteconnerie.Soyezbienassuréquesil'onredonnaitlaparoleaupeuple,sonpremiersoinseraitderétablirpeinedemort,tortureenpublicetpersécutiondespédés.Ilbrûlerait,oulaisseraitpérirlesmusées,lepeuple,ilselivreraitaufanatisme.Enadmettanttantquevousvoudrezquecelasoitfaux-iln'enestpasmoinsvrai,regrettableounon,quelasaintehorreurdupopuloestl'undesplusfermescimentsdenotreunion;nousnefréquentonspointcetteengeancerenégatedel'âmeetdelaraison.Aristocratesdesbuissons,nousneméritonspointdevivreassurément,selonladoxadujour;c'estainsiqueMonsieurdesEsseintesexigeaitdesonpersonneld'avoirachevélestravauxdejardinavantonzeheures,afinqu'ilpûtjouirdesalléesdebuisparfaitementrâtisséessansrisquerd'entr'apercevoirlemoindrefragmentdebleudetravail...S'ilesteneffetquelqueindividuavecquipourmapartjesoisrigoureusementincapabled'échangeruneparole,cesontbienlesgensdupeuple,justecapables,sitôtqu'onleurlaisseouvrirlagueule,deproférerdeshorreurssurlesarabes,lesjuifsetlesfonctionnaires(auxdernièresnouvellesc'estnous,SylvieNervaletmoi,quisommeslesfascistes).

...Nousaimonspourtantbienjoueràlabelote(alexandrin).Seconddegré?Nouspossédonshuitouneufjeuxdecartes,trèsoriginaux(Aprésentjetombedesommeiletj'aibudelabière,ettantd'ostentationdeseigneuriemefatigue,moiquinesuisqu'uncon.Quandjemesuisréveillé,uneprofondetristessem'aétreintdemarchandises.J'aitrophaïetméprisédansleslignesprécédentes.)Jevoudraiscependantajouterqu'ilexisteunautrejeuappeléTrivialPursuit,quisignifieDivertissementbanal,populaire,formédequestionsetréponsessurcartesréversibles.

L'unedesformulesdecejeuconcernantl'histoiredel'art,nousyjouonsparfoisavecnosmeilleursamis,dépourvuspourtantdecequis'appelleinstructionbourgeoise(bellecontradiction,preuveparneufdemauvaisefoi:nousnepensonspascequenouspensons).Silepremier,autodidacte,faitjouersesrouagesdéductifs,noussouffronsprofondémentdevoirl'autresefairerépéterlesquestions,travestissantsonignoranceenanxiété,prenantsontempspourpermettreàsonpartenaireamoureuxdeluisoufflerlaréponse(c'estbienplusplaisantentreinitiés,SylvieNervaletmoi,àarmeségales);dirai-jequecetteamietientabsolumentànousentraînerdansl'orbecrasseuxdeDieusaitquellesépavesquils'agitderepêcherdansjenesaisquelleassociation;orendépitdetoutel'affectionquenouséprouvonspourelleàtitreprivé,nousrefusonsetrefuseronstoujoursdetoutesnosforcesdeparticiperàquelquesactivitésquecesoientpourcessemi-clochardsetdéglinguésdiversextirpéstoutdégoulinantsdeleurscaniveaux;j'aisuffisammenttrimétoutemavieàtenterdem'éleverau-dessusduvulgaire,etàhisserau-dessusduruisseautantd'innombrablesfilsetfillesdeblaireauxincultes(pléonasme,parfaitement,pléonasme)pourrefuserd'envisagerlemoindrerefrottementàcetteengeance,àcetissuconjonctif,àcettehumanitéderemplissagequivousdégoûteraitbientôtdel'humanité.Jusqu'àcequemaproprefilleneréintroduisîthélasdansmafamilledesindividusdecetteraced'ignorantsfiersdel'être,j'avaisétéjusqu'àl'aveuglementdepenserqu'enfin,ouf,ilsn'existaientplushélas!...

Le troisième jeu est celui des échecs, où je parviens toujours par étourderie à me faire écraser non sans en concevoir quelque dépit - les échecs sont une activité d'homme responsable. Je ne les aime pas beaucoup. Tels sont les jeux qui entretiennent l'amour. Je m'efforce d'y multiplier les plaisants propos – outre les annonces, commentaires de capotes ou de carrés d'as – ainsi le dernier jeu de cartes (nous en avons dix) s'appelle-t-il “Reptiles et Batraciens du monde ; ce sont chaque fois des récriements de part et d'autre sur la beauté des reproductions - car ces jeux signalent un certain ennui, une faillite de communication, et je ne les refuse jamais, sachant que Sylvie m'est reconnaissante de mes saillies - en bon français de prolo : on joue ensemble pour se raconter enfin des conneries.

Qu'est-ce que vous croyez. J'en ai ma claque de cette honnêteté intellectuelle et de cette logique sans cesse réclamées. Toujours se justifier. C'est pénible à la fin. Nous préservons donc à tout jamais, Sylvie Nerval et moi, notre adolescence. Les mêmes histoires drôles depuis plus de 35 ans. Un bon vieux stock d'allusions, de discours rebattus, parfois lassants, entretenant notre amitié, et notre lamentable auto-apitoiement - ça va les sartriens ? ...heureux ? Pensant à tant de couples enfouis sous les tombes, j'aimerais savoir de combien d'éclats de rires ne résonneraient pas les allées s'il leur était donné à tous de ressusciter, sous forme de bons vivants comme ils furent tous. Mêmes enthousiasmes, mêmes exaspérations, mêmes raisonnements. Même indécrottable prétention. Eût-il fallu, pour plaire, que j'animasse tant soit peu notre duo, que je le parasse des atours narratifs ? Voici encore, justement, l'un de nos ciments les plus solides : nous avons estimé, notre vie durant, Sylvie et moi, inébranlablement, que de la prime enfance à ce jour ce sont les autres, dans leur ensemble et séparément, un par un, qui nous ont fait obstacle, entravant nos inestimables dons naturels avec la plus bornée, la plus féroce intransigeance.

Méprisd'autruiàNotreEgard,dénégationd'embléedenostalents,dédainsdenosairspoétaillons.Nousavonstoujourscultivélescuisantssouvenirsdechacunedenoshumiliations:ainsidecesracluresdenoixdecococédéesàmoitiéprixparunemarchandeambulante:Tunevoispasquec'estdesmiteux?s'était-elleexclaméeàlacantonade-maisbienévidemmentquec'étaitnotrefaute,yavaitqu'à,fallaitjuste,naturellementquenousaurionsgueuler,prendredesairsmoinsconsvoicibienencoreunsolideliendenotreunion,unevéritablecordeànœuds:l'aircon.

...Changer de tronche - ne pas se laisser faire – soupçonnez-vous seulement, sartriens de mes deux, qu'il y faut une de ces lucidité, un de ces sangs-froids ; une étude approfondie dont quelques-uns seulement ne parviennent à tirer profit, à l'extrême rigueur, juste au seuil de la décrépitude ? suite à je ne sais quel lent processus de rationalisation, de déduction – bien plutôt par à-coups rigoureusement imprévisibles ? ...tant il est vrai que l'intelligence n'est rien... Ma foi non que vous n'en savez rien, vous n'en concevez pas le plus petit soupçon d'idée, bande d'épais.

 

X

 

Nous avons usé peu de lits : ...trois, quatre... douze peut-être ? sans compter les hôtels. Nous avons toujours vécu l'un sur l'autre. La chose était fréquente au siècle dernier (toujours, pour moi, le XIXe). Certaines années nous chevillaient trois cent soixante-cinq journées, mille quatre-vingt quinze même une fois trois ans tout entiers faute d'argent (quatre-vngt cinq, six, sept) d'un effrayant corps à corps. faute d'argent. Sylvie Nerval contestant tout cela n'y saura rien changer – sachant pertinemment en mon âme et conscience que le 15 08 85, ayant eu le front d'accomplir un modeste pélerinage sur une tombe de Bigorre, je fus taxé à mon retour d'ignoble cruauté pour abandon de grande malade.

Troisannées,dis-je,l'éventualitédumoindrevoyage,visanttantsoitpeuàdénouernefût-cequethérapeutiquementlelienfusionnel,s'estvuâprementettriomphalementcontestée.Mêmeàprésentgagnel'arthrose,jesaisqu'ilmeseraitimpossibledemelivreràquelqueescapadequecefûtau-delàd'unnombredejourstoujourstropcourts:lefilàlapatte.C'estainsiquesisouvents'achève(j'yreviens)l'histoired'unamour:enrèglementdecomptes.Combiend'écrivainsdontjesoupèseàl'éditionlespesantsmanuscritsnesesont-ilspasainsiconsacrésàtantd'inepties?

Tantdesincérité,tantdepoignance,tantdeticsaussi,tantd'impardonnableamateurismepostésàl'éditeur! lalittératureestparfaiteoun'estrien.Nosexhaustitivités constituentleplusgrosbataillondel'ennui.Onsefaitchieràvouslire,mespauvreschoux.Vousvousimaginezsansdoutequelemoindreméandre,leplusinfimediverticule intestinal devostourmentsimporteaulecteurvictime.Orilsetrouvequechacundenouspossède,justement,etàfoison,à volonté, audétailprèsjusqu'àlanausée,desemblablesrévélationsetrebutsd'hôpitaux.AinsicetteeffrayantecontinuitédesnuitsdecoupleévoquéedansCetteNuit-là,milleobservationsmerveilleuses,etcettecertitudelentequedanslenoir,rejoignantlecorpsténébreuxdel'épouse,jegagnelacoucheetlanuitinfiniesenveloppantlaviedupremieràmonderniersouffle (musique).

Celanem'effraiepas.D'aucuns prétendentquelesdrapsconjugauxsontdéjà ceux dutombeau;etqu'iln'est siparfaiteépousequienpréserve.Juliette,nousserionsseulsdansnoscercueils,séparésparlesplanches,sur la mêmeétagère.Imaginonsseulementladélicatesseàbienplacer,judicieusement,sanslamoindresuperposition,sansleplusminimeempiétementsusceptibled'engendrercourbatures,écrasements,nifriction,ankylose,fourmisniobstructiondesang-lesabattisdechacundansuneseuleetmêmecouche,jamaisleslitsmatrimoniauxnedoublantexactementlesmesures humaines :ilesttoujourseneffettenucomptedeschevauchements;commentfaisaient-ilsdoncàMontaillou,villageoccitan,touscesbergersdegrandetranshumance,pours'empileràcinqousixparcouchedansleursboriespyrénéennes,sansmêmeimaginerqu'onpûtsesodomiseràcouillesrabattues?

L'innocencedecestemps-là...Assurémentl'onétaitloindenosfétidesimaginations;c'estmêmeunedesplusinsolublesénigmes:commentfaisaient-ilsdonctouspournepointsongeràmal,pourquerien,fût-celeplusmincesoupçon,lamoindrevelléitéd'érection,nepûtseglisser?quellespouvaientbienêtreleursassociationsd'idées?D'autrepart,c'est-à-diredefaçondiamétralementopposée,commentdonc leurs membres, dépourvus de tout attrait, de toute charge érotique fût-elle infinitésimale, ne se révélaient-ils pas enfin non plus pour ce qu'ils étaient, des appendices cruraux velus ou glabres, osseux ou adipeux, crasseux jusqu'aux croûtes, écrasant et broyant jusqu'à la folie tout espace vital, toute tentative de sommeil ?

...Leslitsjumeaux?pureabomination,pourlaquelleoneûtdûtréclamerlesplusrigoureusessanctionspénales.Nepouvantdoncnonplus,siépineuxqu'onsesentel'unetl'autreaumomentdesemettreaulit,nousfuirsanscesse,saufànousretrouverenéquilibredeprofilsurlesrebordsdumatelas,forceestdenousrésoudreàlapromiscuitédelachair,lardettibiasmêlés.Nosbergersariégeoisdetreizecentdouzeétaientsansdouteplusprochesdelachaircollective,delaviandeanimaleindistincte;maisnous,coupleoccidentalfinvingtième,sommesbienforcésdenousencastrer,danslesaffres,puisdanslesdélices(toutdemême)del'emmêle-pattes.

Mais qu'il est dur de jouir du simple sommeil, fonction première après tout du lit. (Je crains de trouver un jour, au réveil, ma partenaire morte, raide, et qu'il faille rompre les os pour nous dégager de l'étreinte ; la cocotte de Félix Faure vécut au soir du 18 novembre 1899 cet atroce délire hystérique - horreur ! terreur !) je reprends : autant j'aime trouver au creux de mon ventre l'empreinte et la pression intime des fesses, autant je regrette de n'avoir aucun corps pesant sur le dos pour m'en recouvrir. Une telle irremplaçable sensation ne peut m'être donnée que par un homme (ici placer un sarcasme).Nous aimons cependant, homme et femme, nous endormir à l'intérieur l'un de l'autre.

Quelques mots sur l'éjaculationprécoce.Quatre-vingtspourcentdeshommesdetrente

souffriraient de ce trouble. A vrai dire ils n'en souffrent pas. Rien de plus satisfaisant pour l'homme que cette giclaison précipitée. La chose en soi ne m'a jamais autrement tourmenté lorsque j'allais aux putes. Tout au plus l'orgasme ratait-il de temps en temps : la pute avait bougé un poil de trop, ou j'avais mal pris la corde dans le virage - mais après tout, il arrive aussi bien de rater sa branlette. Aux regrets de n'avoir pas joui s'additionne alors, avec les putes, celui du pognon. ...Perte sèche... Mais à se retenir sans cesse modelé sur l'infinie lenteur d'une femme (bien plus rapide quand elle est seule) (décidément, on gêne) l'homme peut aussi bien tout manquer. On pense donner du plaisir en se privant du sien. Résultat : des deux... Ce sont les femmes une fois de plus qui ont le mieux résolu tout cela : quatre mille ans de bonnes branlettes bien solidement torchées en témoignent. L'amant qui veut baiser en paix s'adonnera donc passionnément au broute-minet, qui permet la plupart du temps de se débarrasser de la jouissance féminine pour mieux s'expédier ensuite.

Attention : certaines réclament du rab. Vaginal. Désolé. Je ne suis pas coureur de fond. Fourreurdecon,soit.Cequejeveuxdireentoutcas,ettransmettresansrelâchejusqu'àlalimitedesterreshabitables,c'estquelapsychiatrie,j'entendslaconsultationpsychiatrique,sirépétitivementetsiindéfinimentqu'onyfasseappel,asurabondammentdémontrésonabsolue,sarhédibitoireimpuissance.Peut-êtrenotrecivilisationnepeut-ellemourirqu'avecledernierpsychanalyste.Lespsychiatresnepeuventrien.Surtoutlesenvahissantscomportementalistes,quisontàlapsychanalysecequelesboulangeriesindustriellessontaufouràbois.

Quenousdisent-ilseneffet?Ilfautprendresursoi.J'aieumaintesfoisrecoursauxservicesdespsys,quellesquefussentleurstendances,obédiences,mouvances.Etsansdoutecertainspatientséprouvent-ilslebesoind'êtreaccompagnés.Encoursdevie,enfindevie.Maispourcequiestdusexe,ilssontnuls.Mêmepasmauvais:sanspertinence,im-pertinents,inopérants.C'estainsiquepourledireabruptementlemanquededésirneprovientpasnécessairemen,parexemple,d'unepulsionhomosexuelle.Lespsychiatresfemellesenparticuliertiennentabsolumentàvoirenchacundenousunhomosexuel,fût-cerefoulé;ellesengloussentderrièreleursbureaux.

A soixante ans de toute façon, d'un seul coup, tout ce qui est sexuel opère un véritable bond en arrière, passant de la première à la dix-septième place du boxon-office...

 

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Naguère(sinistresannéessoixante!)ilétaitinenvisageabledebaiserhorsmariageouputes.Nousnoussommesdonctrouvés,SylvieNervaletmoi,nonparmiraculeuxdécretdusort(parcequec'étaitelle...parcequec'étaitmoi)maisparimpossibilitédetrouverquiquecefûtd'autre.L'actesexuelparaît-il(ditmapsy)(paraît-ilestdemoi)estquelquechosedesimpleetvousenavezfaitducompliqué....Ineffablessexologues!Inestimablespraticiens!vosgueules.Considérezplutôtjevouspriel'extraordinaireapaisement,parlemariage,detoujoursavoirquelqu'unsouslamain!justetendrelebrasdanslelit,àcôtédesoi!...pourtrouverlà,transpirantougelantsouslesmêmesdraps,uncorpsdefemmequienfin,enfin!consente-dumoins,allongéssurlamêmecouche,dansunemêmesuperpositiondemembres,est-ildurderésisterlongtempsauxcaresses,étreintes,suggestions-mêmelesfemmes!c'estdire...

SaintPauladitmieuxvautpécherdanslemariagequebrûlerdansl'abstinence.Etilfallutsilongtempsavantd'éprouverlamoindremonotoniedanslacoucheconjugale,quejen'enaipourmapartjamaissouffert,chacundenosactestoujourssidifférentduprécédent,sanslivres,nimanuels-j'aimeraispourtant,unefois,pénétrerdanscesboîtesexiguësdeReykjavikl'onestparaît-ilcontraintdesefrotterpourdanseroujustesemouvoiront-ilsprévudesboîtesàvieux?(Conferceschiottesdecollègeen85s'entassaientcesdemoisellesdetroisièmeàdixoudouzepoursebranlermutuellementdanslepluspuranonymatcollecti-àquelpointilestmerveilleuxd'êtrefille- et dire qu'il faut crever - jesaiscommevoustousquel'amouraugmentelajouissance

faitespaschier).

Maisàseregardervoyez-vous-danslesyeuxpourlastimulation,outrelerire(jetetiens,tumetiens...)survientunetelletensionquel'onsesentimmédiatementconfrontéàcetteatroceimpossibilitédesefondre,departetd'autrecetimperméableépiderme,cequeseulapaiserait(dit-on)lemeurtremutuel(suicideHeinrichKleist/HenrietteVogel1811).Etpuisl'amoureuxcraintquetoutnesubsiste,nes'imprimedansnotreextasesurnosgueuleségaréeslivréesauxrailleries,carilfautbiensortirdelachambrefût-ceauboutdetroisjoursdebaise.

Contemplantl'autrejourdeboutdansmabaignoirecebideinexercédontjeprévoyaisjadisl'épanchement,l'effondrement,jesurprendsaujourd'hui,commeunécoulementdemauvaisplomb,cemanchon,cefûtdegraisseautourdemataille.J'envisageaisabstraitement,versmestrenteans,uneinsensibleetharmonieusedéchéance,épousantlesabdominaleslangueursdequelqueadipeuseodalisque;jedevaisdésormaisenrabattreàcoupsdebourrelets.Aujourd'huiSylviepousselaporteavantdes'habiller.Nousneregardonsplusnosnuditéssisurprenantesjadisenl'hôtelclandestindecertainesperspectivesarrièrem'avaienttransporté,commeladécouverted'unsexeinconnu.Lorsquejepasseàpoildanslacuisine,jeredeviensrisible,inoffensif,aimé:monsexedérisoiren'ajamaisblessé.Celafaitbienlongtempsaussiquejen'aivulesexedeSylvieNerval.

 

 

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D'une différente appréciable d'aperception

 

 

Ilmefallutattendrelestrois-quartsdemaviepoursavoirquej'avaisnuiàmapartenaireaumoinsautantqu'ellenem'avaitfait;lespremièressemainesdenotreviecommuneàpeineécouléesqu'ellesuppliaitmamère-impuissante-defairecessermesrâleries.(Apparentedigression)jemesouviensqu'àlapizzeria(rueMonge)c'étaitmoiquisoumettaismapartenaire(uneautre)àladestruction:émettantd'abordsesvœuxdelongsvoyages(Inde,Chine,Japon)elletrouvaitcontradiction(C'estnul!),puismeconfiantsonsincèreprojetd'initiationàl'artphotographique-inutiledécrétais-je,etlorsqu'ellesedemandaenfins'ilneseraitpasmieuxpourelledepoursuivresesétudesleplusloinqu'ilseraitpossible,jememisàricaner.

Alorselleéclata:Quoiquejedise-tumecharries?Riendeplusvrai.Quetoutfûtpiétiné.Illefallait.Quellequefûtlafemme. A plus forte raison SylvieNervalfemmequotidienneauprèsdemoidansunperpétueldénigrement.C'estrécemmentquesedécouvritàelle,infinimenttroptard.,cemécanismequej'imposais,cessarcasmes,trente-cinqans,toujourssurlesujetcommentmedébarrasserdecettemauvaisefemmequej'ai?Pourquoi,d'oùprovenaientmescraintes,etqu'attendais-jedetouscesautres?Aidez-moi,aidez-moi-quin'enpouvaientmais...Ensonabsence,ensaprésence,jedéversaissurellemessatires,mesgrimaces,évoquantsestravers,lesavaniesethumiliationsdetoutordredontellem'eûtabreuvé,n'ayantdecessequejenemefusseattiréparcesmanègestantdeplaintesetdeconseilsinapplicables.

Mais d'autres auditeurs, à vrai dire les plus nombreux, tant l'espèce humaine se voit

moins pourvue de sottise qu'on le croit, me renvoyaient avec une lassitude embarrassée à mes “contradictions”, refusant mes dérobades. Je ne voyais pas, moi, où il y avait “dérobades” ou “contradictions”. Et en dépit d'innombrables expériences - j'attends toujours des autres qu'ils me dictent ma conduite ; leur réclame des solutions pour mieux les leur jeter à la gueule. Et s'aviseraient-ils de m'arracher Sylvie Nerval ma conquête, je les en empêcherais. Les autres ont tort, tort, tort.

Mes parents furent mes premiers autres – eux-mêmes disant pis que pendre des autres. Je les ai calomniés à mon tour auprès des autres. Mes parents : stade infranchissable. C'est de ce palais des glaces de haines que j'ai affublé Sylvie N., toutes les femmes - vous verrez : c'est très commode. Il faut que les autres me contemplent, me jugent. Telle est leur Fonction. Leur seule adoration, leur adulation, seules admises, afin de pouvoir en outre me parer de modestie. Objectif : les autres ne sont pas mes parents, Sylvie N. pas ma mère. Le risque : passer inaperçu. Pour l'instant : les autres s'écartent de moi, c'est sainement.

J'exigeuntraitementcruel,quej'obtenaisjadis.Pourquoilesautresautresrefusent-ilsdem'obéir?jeforçaisdesclassesentièresàjouermonjeu,parlecharmemortelduridicule.Meconspueràl'instantprécisilsypensent,avantmêmequ'ilsn'ypensentprendrel'initiative-vaincre.Dansmonmétierj'ysuisparvenu.Uniquementdansunesalledeclasse.D'oùmarancuneàl'égarddetousceux,parents,épouse,quimerefusent,lessots,lavictoire.Jedécouvreaujourd'huiledénominateurcommun.Youpii!Chercherencore.Sivraimentlejeuenvautlachandelle.

C'estSylvieN.quicourtlesrisques;arrivélepremieràV.,jem'empressed'informerchacundesaprétendusehystérie:elledéchiremeslivresparjalousie-jeneveuxpas,déclareleproviseur,decettefille-làdansmonétablissement-dixansplustardjevoisquecesdéchiruresproviennentdel'excessivecompressiondeslivressurlesrayonnages,c'estmoiquilesprovoqueenlestiranttropviolemment.Jenesaispasmedit-oncequevousaveztouslesdeux,sic'estunjeuouquoi,maisquandvousêtesensemble-suspensiondephrase,j'aitoujoursignorécequeONvoulaitàtouteforcelaisserensuspens,ensous-entendu,bourréderancuneproposàrapprocherdel'attitudedeceZorrodesalonquirefusademerevoir,tantmafaçondetraiterunefemme(lamienne)l'avaitpositivementoutrésansqu'ilfûtintervenu,bienentendu.

Renvoi donc, ping-pong perpétuel de l'autre à l'autre par-dessus ma tête, ma femme en pâture aux autres et les autres à moi-même, et voilà sur quels échafaudages, nul ne trouvant grâce à

nos yeux, brinqueballent nos misérables vies... Un absent toutefois dans cette jonglerie : moi. C'est donc ainsi que j'ai perpétué dans ma vie dite conjugale toutes ces encombrures du passé, désastreuses frivolités qui m'épouvanteront bientôt, devant l'abîme des années englouties. Je n'absoudrai jamais la vie, je ne pardonnerai jamais, ni de m'en être avisé qu'infiniment trop tard...

 

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Impossibleeneffetdereconsidérercesquarantedernièresannéessansquejem'ymêle,sansquejem'yheurteàSylvieNerval.Mesbrefsvoyageseux-mêmes,oumesfuites,sesonttoujoursdéfinisetdéterminésenfonctiond'elleetdesesdisponibilités,fixantladuréeducongédecafardaccordéparelle.Etjusquedanslesmoindresdétails.En1967,alorsquetoutParissemetàbruiredemanifestationsenfaveurd'Israël,j'attendsSylvieNervalqu'ilm'afalluaccompagneràlaPiscineMolitor,n'ayantobtenuquelafaveurdenepasm'ybaignermoi-même.Leventrésonnedanslesarbres,pasunsoufledel'émotionuniversellenemeparvient.

L'année suivante, je manifeste avec mes camarades étudiants. Pas un ne m'aurait accordé un regard si je me fusse écarté tant soit peu du Krédo Revolüzionär. Je l'ignorais alors, mais j'aurais bien aimé, tout de même, un petit os d'histoire à ronger, du moins quelque jour à venir, dans un petit recoin de mes souvenirs. Refus. C'est encore elle, Sylvie Nerval, qui me fait regagner mes pénates et le rang à heure fixe, afin de voir danser Noureïev, qui ne dansa pas ce soir-là.

Même chose en 86 contre la loi Devacquet, même chose en 2002 contre Le Pen.

Note : Mon but ici, mon devoir, est de me persuader ainsi que chacun de vous que nous n'avons ni perdu notre temps ni vécu en vain. J'offre ma vie. Jamais je n'aurai pu vivre sans les autres, réels ou fantasmés, récusés ou sollicités. Jamais je naurai pu rompre avec Sylvie Nerval. Tel doit être, je me le rappelle, le point de départ de toute ma réflexion. Je m'adresse à tous les humains qui en dépit de leurs résolutions ne sont jamais parvenus à rompre.

 

SylvieNervalnevitnidansletempsnidansl'histoirenidansl'immédiat;maisdansunehistoireinterne,quidésormaisirrémédiablement,définitivement,l'aenvahie.Etcependantcesextraordinaires,visionnaires,irrattrapablesAnnéesSoixante-Dix;lesmodesflamboyantes,lesaffleurementsd'unelibérationsexuellejamaisaboutie,j'aivécutoutcela,toutescesaspirationsd'encens,cesmagnifiqueséchecs,toutel'histoiredumonde,jel'aivécue,dumoinscotoyée,avecelle,SylvieNerval.Pantinsmousenmargedel'Histoire,flairantlesplatsqued'autres.engouffraientenbroyantlesos,nousavonsnousaussiparticipéàl'immenseéruption.Enspectateurs,certes,enpetits-bourgeoisindignescommenemanquaient jamais de nous le rappeler tous ceux qui profitaient de l'Idéal des Communautés pour nous soutirer notre petit blé, mais tout de même : nous étions le nez sur l'Epoque, tout plein d'odeurs; nous avions un pied dedans, et de ça, personne n'a jamais guéri, sauf 90% decyniques, que j'emmerde. PourSylvieNerval,c'étaitenfinl'accomplissementdesonmondeintérieur,seulvéritable,seuldigned'émergeràlasurfacedumon

Sijedisdélivrez-moid'elle,ilsmeregardenttousetsemettentàrire.(L'Avare).L'Histoire,celledesautres,lanôtre,nousaligotésl'unàl'autre,nouspouvonsbiennousrejeterlafauteàl'infini(revenirsurcemondeintérieurdeSylvieNerval).

 

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Nousavonstousdeuxsubilesmêmeséchecs,lesmêmeshumiliations,lesmêmesattentesdevantlesgrillescloses.(Exemple,dèslapremièreannéequenousavonsvécueensemble:cecriminelDirecteurdesBeaux-ArtsdeTours,l'incompétencecriminelledesarecommandationàSylvieNerval:Vousallezvousennuyer:nosélèvesnedépassentpas17ans.Elleenavait22.Cen'estqu'en1975,huitansplustard,qu'elleaétéadmiseàBordeaux,pardérogation.Criminel.Salopard.Sadique.Sous-merde.Touteuneviegâchée.Deuxvies..Vousauriezfaitci,vousauriezfaitça:vousn'auriezrienfaitdutout.Cestmoiquiécris,c'estmoiquiinsulte.

Jamais nous ne nous sommes séparés. “Scier nos chaînes”, comme vous dites, c'eût été retrouver , de l'autre côté, tous ces paquets de mâles vulgaires au lit, de gonzesses inquisitrices et crampons, tous et toutes dépourvus du moindre vernis cérébral, de la moindre folie. Toutes et tous exclusifs, exigeant tout sans restriction, conformistes jusqu'à la moëlle comme tout révolutionnaire qui se respecte, ayant bien su depuis virer de bord. J'aimerais, j'aimerais encore à vingt-cinq ans de distance pouvoir péter la gueule de cet Egyptien qui s'est permis, le pignouf, de faire éclater Sylvie Nerval en sanglots en plein café, au vu et au su de tout le monde, avec supplications

J'ensouffreencorecommed'unaffrontpersonnel.Vousauriezfaitci,vousauriezfaitça.Vosgueules.C'estenraisondecettefidélité.quejen'aijamaispuévoluerBaudelairenonplusn'asuévoluer,cedontl'ablâméM.Sartre,ProfesseurdephilosophieauLycéeduHavre.Etcequenousremarquonsencore,SylvieNerval,chezlesAutres,lesConnards,c'estl'inimaginable,l'immondeetrépugnantecruautéaveclesquelsilsrompent,sedéchiquètentl'undel'autre,sanslamoindrenilaplusélémentairepitié,lamoindrenotiondelaplusminimehumanité,fût-cedusimplerespectdesoi-même.Aunomdel'illusoiregrandeuretbouffissureduDestinAmoureux,etdesamystiqueetignobleirresponsabilitéJesuisamoureuxj'aitouslesdroits;jepiétine,jeconchie.Mortàl'aimé.Répudiationenpleinedéprime,risquedesuicideinclus;viragedemecsousprétextequ'ilatrouvésonpetitrythmedebaisequotidienne-veinarde!-etqu'ilsecroitchezluietautres,etmaintsautres.

Onn'apasledroit,pasledroitdefairedumal,pasledroitderompre.Tantd'atrocitésquiravalentl'humainauniveaudelacourtilièreoudelamantereligieuse.Jenevoulais,moi,confiermafemmequ'àdessuccesseurdûmentapprouvés,j'allaisdireéprouvésavantelle.Voilàcequ'estl'amour.Nepasfairesouffrir,nejamaisinfligerlapluslégèresouffrance.Tunetueraspoint.Tunemourraspoint. Plutôt millefoisnerompreavecrien,riendutout,traînantavecmoitousmespetitssacsdesaletés,pourassimiler,comprendreenfin,digérer,ruminer,incorporer.Revivresansfin.

Au rebours exact de ce que vont prêchi-prêchant tous ces ravaudeurs de morale à deux balles, “savoir tourner la page”, “dépasser son passé, autrement il vous saute à la gueule”, que j'ai entendus toute ma vie. Tous ces moralistes. Tous ces étouffoirs, avec leurs formules inapplicables. J'ai conservé, absorbé, stratifié, j'immobilise, j'étouffe le temps et ma vie, momifiant, pétrifiant tout vivant, tordant le cou aux lieux commun et autres petits ragoûts de bonheur précuit.Constance, renaissance, éternité.

 

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ToutmonemploidutempsserègleenfonctiondeSylvie.Qu'elleselève,jesuisdéjàdeboutdepuisuneheure.Deuxheuresc'estmieux.Jemesuisassisauxchiottes(jeneconservepastout).J'aientr'ouvertlesvolets,lu,regardédeuxminuteslachaînesuivantedetélévision,ouvertunpeupluslesvolets,mesuislavé.Faitchaufferlethé,ditlesquelquesmotsquiréveillentsansbrusquerie,ouvertengrand.Auparavant,j'auraijetél'œilsurl'Agendapourprendrenotedescorvées,projets,visitesetspectaclesdepuislongtempsprévues-sansquecelapuissememettreàl'abrid'exaspérantessurprises-jecoulemontempsautourdusiencommeunbrassurunetaille;horsdemoi,enrevanche,sipeuqu'elles'accordedevivresanstenircomptedemespropresobligations,passagesàl'antenne,cocktailsàvenir.Jenesaispourquoij'aimissilongtempsàvivreenfinheureuxàsescôtés,àmoinsquenemetransperceunjourl'épouvantableévidence(maisjelesaisdéjà)quel'onmettouteunevieàtransformerdesinconvénientsenavantages,destorturesendouceurs...J'aipensé,assurément,qu'ilétaithonteuxdeparaîtreamoureux,afindem'imaginerdisponibleàtouteslesdestinées,àtouteslesfemmesquipassent.J'aiditàSylvieNervalTuasmodifiétoutemavie.

Mais qu'ai-je proposé d'autre ? Bordel, soûlographies, flippers ? Que pouvais-je vivre d'autre ? “On peut transformer sa propre vie, encore faut-il en avoir la volonté” : de telles assertions, fusssent-elles signées Alice Miller, me font hurler de rire.

 

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Direàprésentcombiennoussommesl'unetl'autreengagéssurlesvoiesdelamort.AcetteheurequejesuisengagéditMontaignedanslesavenuesdelavieillesseaucommencementdesesEssais.Certainssententvenirlamortdeloin.Ils'esttoujourscultivéenmoiunsentimentdemort.L'unedemesamiesayantapprisparvoiedepressel'accidentmorteldesonamant(lesecondqu'elleperdait)meconsulta:lecurén'avaitpuluirépondre-maisest-il?monsieurlecuré,est-il?jefustrouvéleplusqualifiévumagrandeconnaissance(dit-elle)delamort.

Comment pouvais-je bien connaître la mort ?... Ce fut à d'autres que Juliette (elle s'appelait Juliette) confia sa déception. De mes propos convenus. L'accès à la mort ne m'est pas plus ouvert qu'à quiconque. L'absurdité de la vie assurément. Comme aux autres. Cette irrémédiable dépréciation de l'être humain pour moi, cette misanthropie par dégoût d'un être, l'homme, instantanément déclassé par la mort, voire plus bas que les reptiles qui ne savent pas qu'ils vont mourir (mais les lézards détalent sous mes pas dans l'allée de mon jardin) peut-être cela, en dernière analyse, m'appartient-il en propre, peut-être...

Il s'est produit un énorme, un double décrochement : le premier de 50 à 55 ans, une subite reculade, cette débandade de tout ce qui naguère formait la trame de mon paysage mental, une déroute de toutes préoccupations sexuelles, de tout ce qui faisait je le crains la pierre de touche de mes jugements sur autrui. Le second décrochement, plus sournois, c'est ce vieillissement, cette résignation et non pas sagesse (je dénonce cette imposture) consistant à tout considérer désormais à

travers le filtre crasseux de sa disparition prochaine. Je ne me suis jamais proposé, tout au long de ma vie, quelque projet que ce fût, j'entends concret, susceptible d'excéder une semaine. “Mon avenir”, aimais-je à répéter, “c'est la semaine prochaine” (c'est de la pose : j'ai tenu dix ans et plus pour l'agrégation, sans compter mon obstination à écrire ; mais ce sont là sans doute des projets trop lointains, à trop long terme, dont la réalisation se dilue dans l'écoulement hebdomadaire des années) (tout le monde s'en fout, au fait).

...Nous nous levons, nous couchons, nous recouchons l'après-midi. Nous fuyons comme la peste tout effort physique. Je bascule sur le bassin pour me relever de mon canapé de télévision, et je m'appuie sur les bras pour me hisser debout), nous n'envisageons plus jamais, tant nous fûmes échaudés, de pouvoir jamais vaincre, ou obtenir quoi que ce soit, autrement que par hasard, autrement dit jamais. Et surtout, surtout ! nous ne voulons plus entendre parler de volonté. Pour avoir vu tant d'obstinés se casser les dents et toute la gueule sur les aspérités de la vie ; subi tous ces connards d'humains si ravis, si transportés au comble de la joie, de faire obstacle aux moindres réalisations, de tout le poids pyramidal de leurs petites hiérarchies, nous ne croyons plus à la volonté.

Nous ne voulons plus nous secouer. “Mais enfin je ne sais pas, moi !” - justement : tu ne sais pas, et tu la fermes. Laisse-nous vieillir, laisse-nous enfoncer. Ne nous rebats plus les oreilles de tous tes fameux petits vieux pleins de vie et tout pétillants comme une cohorte de nains de jardin qui s'enculent : ils ont été toute leur vie tout pétillants. Je ne vois pas où est leur mérite. Ils se sont agité le bocal toute leur vie, et ils continuent à s'agiter le bocal. Comme des mécaniques. Comme des chiens qui s'enfilent et qui ne peuvent plus s'arrêter. Nous sommes lourds, nous sommes lents, comme engoncés dans nos rêves mouvants. Bienvenue à tous.

 

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...Sionparlaitduchat?Lesproposdechachatàsamémèrepartagentlestémoinsauriculaires,contraintsetsarcastiques,enrailleurs,eten(plusrares)admirateurs. C'est très bien d'aimer un chat. Nous avons acquis Hermine par le caprice d'une ancienne maîtresse, j'entends maîtresse de chat. “Prenez-la si vous y tenez”. Une pauvre chatte sauvage, toujours réfugiée sur ou sous les meubles, se voyant reprocher à la fois de fuir et de s'offrir. Epineuse. Nous avons emmené

chez nous, précieusement, religieusement, de banlieue à banlieue, une splendide Sacrée de Birmanie de six mois ; nous l'avons promenée sur l'épaule, lui présentant tous les endroit de l'appartement. Nous l'avons dorlotée à un point inimaginable. Je l'ai malaxée en tous sens, passionnément aimée et dépendante, comme nous le sommes. Parler d'Hermine dans l'histoire de notre amour, c'est reconnaître combien elle a fourni à point nommé le dérivatif à toutes mésententes, exigeant de sortir au moindre alourdissement de l'atmosphère, ou sujet de conversation permettant de renouer par quelques phrases sur la nourriture ou la litière à renouveler.

Elle mourut faute de soins, d'incessants vomissements pour lesquels Sylvie Nerval m'empêcha de consulter le vétérinaire, trop cher. Nous finîmes trop tard par débourser cette somme apparemment considérable ; nul jamais dit le médecin ne lui avait confié d'animal si faible. Intestins obturé Hermine ne prenait plus même d'eau. Elle n'eût résisté ni à l'anesthésie ni à l'opération. Elle est morte la nuit les yeux grand ouverts. J'ai enterré son corps raidi : douze ans de bonheur dans un sac en plastique, mes mollets battus par ce corps raidi. J'ai creusé sa petite fosse dans le jardin tandis qu'on inhumait partout, à la suite du tsunami, des milliers d'humains.

Vous ne confiez cela à personne ; qu'est-ce qu'un chat ? Et je regrette sa présence dans notre appartement, comme un petit fantôme vivant la nuit, se glissant parfois l'hiver dans le lit, entre nos pieds, comme de son vivant. Ceux qui l'ont remplacée ne l'ont pas remplacée. Je n'oublierai jamais Hermine, 1992-2004.

 

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L'enfantquirapproche:userdelaplusextrêmecirconspection.AnaïsNín,danssonJournal,necitejamaissonépoux,cequimelarenddifficilementfréquentable.Cesontpourtantsesscrupulesquejenepuism'empêcherd'observeràl'égarddemonpropreenfant;sijemeursdemain,quimelira?...J'ignoresilefaitd'avoireuunenfantnousarapprochés.Unenfantn'estpasfaitpourça.IlsembleplutôtquemaproprefilleaittoujoursestiméqueSylvieetmoin'étionspasfaitsl'unpourl'autre,etqu'elleeûtsupporté,voiresouhaitéundivorcetoujourspossibledébut80.Ilestdifficiledejugerdelaforced'inertie,lorsqu'onestàlafoisjugeetpartie.D'oùlanécessité,uneautrefois” – autantdirejamaisducadrefictionnel.

 

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Amoureuxdetoutescellesquejevois,danslarue,danslestransports.Aucoupd'œilinstinctifdumâleverslebas-ventresijustementdénoncésuccèdelamontéeversleregarddelafemme,lemiroirdel'âmedit-on,devantlequelseposeàmoilaquestionsansfindeconnaîtremonsort,sicelle-ci,outelleautre,m'eûtchoisi...Dévoration,déploration.Adorationsystématique.Cessonsdoncunefoisnossottisesféministesd'aliénation” et de “victimes”, “forcément victimes” - assumons l'abîme de la Femme Preuve et Garantie du monde. Femme qui définit. Me détermine. Prisonniers que nous sommes de la minute et du mètre carré, qui briserait ces cercueils de verre où nous vivons ? aucune assurément - du moins ce miroitement de la multiplication des femmes, en ces hôtels dont je rêve la nuit, où le gérant d'étage en étage me poursuit pour que je le paye. Femmes des rues et des hôtels, femmes des transports en commun,serrures n'ouvrant que sur l'impasse des générations et non sur quelque ciel ventral où l'on pourrait enfin vivre sans souffle ni besoins... Mon ami B. me dit : laquellechoisis-tu?je répondis “Je ne choisirai pas”, j'ai dit “Je n'aurai pas le choix ni le droit du refus, unefemmequim'aimeetmecomprend, désirs inclus, qui me sourirait pour autre chose que mes ridicules (dieNudel,terriblecourt-métrageéchouelebeauténébreux,visagebarréd'unelonguenouilleau point que l'élue de son cœur s'enfuit hors champ pour éclater de rire) “qui verrait mon trouble autrement qu'une offense à dénoncer d'urgence” disais-je “si éminemment exceptionnelle que je l'absorberais de toutes mes lèvres” “Faudrait-il” ajoutais-je “que je choisisse en vérité ?” - comparaison : dans la merde jusqu'au cou, supposées six ou sept perches tendues vers toi de couleurs différentes - quelle serait ta couleur préférée ?

Jesaisislapremièreàsetendre. Et merde au petit malin qui me parle de symboles phalliques. ...Mais il te faut de nos jours, camarade ! baisser les yeux. Eteindre l'étincelle, enthousiaste ou panique ; il n'est pas un exemple, pas le moindre à ma connaisssance, où j'aie tant soit peu regardé une femme inconnue sans illico récolter ce grognement, ce rictus, cette moue méprisante. Que vous me croyiez ou non. “Le mâle propose, la femelle dispose”, dit Boris Cyrulnik, quelle que soit l'espèce”). Je ne puis dire “Toi, avance ; non, pas toi, toi, tu dégages. Toi, là, oui, tu viens.” Les hommes rêvent de cela.

Les cons ! Recalés. Parfois ils violent. Parfois ils vont aux putes. Peur et misère. Combien nous sommes là aux antipodes des jurisprudences, des entretiens de citoyens-trottoirs, des

phrases qui se transmettent psittacisquement sur les Femmes et les Hommes “bénéficiaires de la Liberté” - telleestlavéritvraie:naguèrelafemmecroisaitl'hommeensongeantJetefaisdoncbander,pauvretype;etàprésentils'enfautdebienpeuqu'ellesemetteàgueulerQu'est-cequ'ilmeveutceconnard?

 

 

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Voicihuitjours,pasdavantage,à59ansbiensonnés,j'aienfincomprisleCodedelaSéduction.Avanttoutetsurtoutnejamaisfaireapparencequ'ilyaitnefût-cequelepluslégersoupçondedésirdeséduction,lamoindreoncededésirvoiredeconscienced'unequelconquedifférencesexuelle.Lajouerpurscamarades,sanslamoindre,laplusmicroscopiqueéventualitéderapportssentimentaux.Justedesbidasses,despensionnairestorsenuaupetitmatindevantlerobinetd'eaufroideduterraindecampingl'ons'aspergeenchantant.Pasmêmelamoindrediférencesexuelle,pasmêmelamoindreappartenanceàquelquesexequecesoit.

Çaleurplaîtbeaucoup,ça,auxfemmes:plusdebites,plusdecouilles,plusdepoils,petiteslèvres,grandeslèvres,toutça,plusriendutout,enfindébarrassés,lacamaraderie,dieKameradenschaft.Hommesetfemmesautantdemorceauxdeviandepure,sympa,quiseregardentdroitdansleursyeuxdeviande,sansfaillenidéfaillance,nilemoindrefrémissementdanslapaupière,leplusminusculetressaillementdel'irisoudufinfonddelapupille.Alorsonseparle,d'unevoixfrancheetclaire,biencommeilfaut,commeaucampdescouts,dansl'estimeréciproqueetsoigneusementaseptisée.

Etc'estseulement,seulementquandlafemmevousabientorché,vousabienchâtréàfonddetoutemauvaisepensée,detoutembryondedésir,quandelles'estbienunefoisassuréedel'absencetotaledetoutetentationd'effleurement,detoutinfléchissement,detouteflexibilitédeslèvresoudelavoix,detoutbattementintempestifdespaupières,aprèslamiseenœuvreinterneetinvisibledetouteunebatteriedeconsidérationsindécelables,lorsqu'enfinlafemmeadécrétédansquelquerepliobscurdesaconscienced'éternelle(etencensée)victimequ'aveccelui-làaumoinsilnepeutrienm'arriver,qu'ellecondescend,duhautdesasublimepureté,àlaisserentrapercevoir,peut-être,àl'extrêmelimitedel'extrêmerigueur,àfaireentendreàquartdemotqu'éventuellement,enfonctiondevosincommensurablesméritesd'incomparableeunucité,ilpourraitêtreenvisageabledeconsidérerqu'unedifférenceanatomiqueexisteraitpeut-êtreaprèstoutquelquepartentrevous,etquecetteindéfinissablechose-lamèneraittrèséventuellementàl'undecesinnombrablesstadesintermédiairesàpeinemoinsangélisésquel'onpourraitqualifierd'approchesdudésir;delabête;del'ignoblebhhhhîîîîtttthhe.Eussè-jesucelaplustôt,infinimentplustôt,dutempsdemesflorissantsdix-huitouvingtans,j'auraiseuleplaisirdevoircesangestroisfoisfrottésaupursavond'amandedouceetravagédebranlettesserapprocherdemoipourm'effleurer,mesusurreràl'oreillej'aienviedetoietpourfinirmesaisirlemancheàpleinpoing.

Maisjesuisungrandromantique.J'aicomprislesfemmesexactementcommeSaülavuDieusurlechemindeDamas,d'uncoup,d'uncoupdegrâce:toutcomprisàprésentquejesuistropvieux,queçanerisqueplusdemeserviràquoiquecesoit,qu'ilnemerestepluslamoindrebribed'éventuabilitéquecelapuissemeservirenquelqueoccasionquecesoit,maitenantquejesuisterne,moche,flasque,désabusé,définitivementrongéparuneflemmemagistrale,impériale,papale.Commequoiilestbienutiled'acquérirenfinvieillesseetmaturité.Quantàmonépouseproprementdite,justeessayerunpeuvoirdelapriverdesexependantplusdehuitjours,etfondrontsurmoid'inépuisablesavalanchesd'aigreurs,derâleriesetdepureetsimpletronche;vite,augland,àlalangue!

 

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Que me disent les autres, les autres hommes, mes Frères en couilles ? ...Je n'ai jamais l'impression qu'ils pouvaient ne pas me mentir, les autres, les mecs. D'ailleurs c'est un tort d'employer le pluriel. Il n'y a jamais, il n'y a jamais eu qu'un seul homme, qui me dise vraiment la vérité, la réalité, de ce qu'il vit en sa véritable expérience sexuelle. C'est un ami. Mais nos ne coucherions jamais ensembl, n'en déplaise aux psychanalystes de salon. Psychanalystes femmes, bien entendu. ,

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Ilestparticulièrementrebattudes'extasiersurl'extraordinaireénigmeducorpsfémininpourunhomme,disonspourl'hommequejesuis,carquesais-jedesautresbâtardsdeporte-couillesdontjesuiscenséfairepartie.Lemoinscurieuxn'estpasd'ailleursquepourlesfemmesaussi,c'estleurproprecorpsquidemeureuneénigmeàelles-mêmes.Etlenôtre?Ignoré.Noussommesbanals.Noscorps,nosgenitalia,ignoblesoudérisoires,nevalentpaslapeinedelamoindreconsidérationnidumoindreregard.Dumoindrerespect.Dumoindremystère.Commentvit-onavecuncreux?Cen'estpasuncreux.Cesseinsquiballentoumenacentdeballer.Commentnepassombrerdanslepluspathétiquegrotesqueenparlantdecela,enécrivantsurcela.Commentfait-onpourmarcher,courir,sesentirfemme.Parvient-onàoubliersonsexe,oubientoutest-ilfait,incessamment,pourvouslerappeler,vousavertirquevousêtesendanger,uneproie,toujoursplusoumoinsexposéeauvioloudumoinsauxregards,auxsalesérections?

Peut-on se sentir en sécurité quelque part ? Seule dans son lit ? Même là menacée, à la merci de sa propre et menaçante physiologie ? Terre parallèle dérivant éternellement à quelques encâblures, dans ma rue, mon bus, la maison que j'occupe. M'interroger avec tous, Otto W. suicidé à Vienne, Villiers de l'Isle-Adam, Lautréamont, le Christ, élucubrateurs scientifiques ou prophètes, sur la femme peut-être bien issue d'une autre race, d'une autre physiologie, d'une autre espèce totalement, radicalement différente, d'une autre planète, méditant toute une nuit sur les hauteurs dominant les campements des hommes avant de descendre les circonvenir et les séduire, ayant inversé à leur profit le rapport entre les Anges et les filles de Seth qu'ils devaient couvrir, longtemps après la Chute - en vérité, c'est nous qui nous unissons, en inversion totale et très exactement symétrique, aux innombrables filles des anges.

Qui rigolent bien en se branlant avec des bras en bielles de locomotives. Parce que c'est raide, un avant-bras de femme qui se branle, ça je peux vous le garantir, et régulier, et mécanique, et bien frénétique sur la fin, juste avant le bon gros orgasme. Ah je t'en foutrais moi de la “dignité de la femme”...pauvres cons... Bien sûr, bien sûr, depuis Simone de Beauvoir, ce qui ne nous rajeunit pas, nous savons tous et toutes que la femme n'a nul besoin d'une telle idéalisation, ni d'un tel rabaissement à la plus pure bestialité, mais qu'elle voudrait tout simplement, loin de toutes ces légendes, qu'on lui foute la paix.

Voir plus haut. L'égalité. La camaraderie. Pas de sexe. Mais comment voulez-vous que le sexe fonctionne avec toute cette suppression de fantasmes pas propres et attentatoires à la pureté qu'on veut, suppression que les femmes, je maintiens, que les femmes veulent nous imposer ? Pour les remplacer par quoi ? Par de douces caresses impalpables qui ne mèneraient je ne sais pas moi peut-être que dans un ou deux pour cent des cas à une très très éventuelle, dangereuse et aliénante pénétration, nullement nécessaire en tout cas ni indispensable au plaisir féminin, comme elles ne cessent de nous le rappeler ? On se la coupe et on se greffe un clito, il faut le dire, franchement, bien en face, et qu'on n'en parle plus. Qu'est-ce qu'elles doivent rigoler, les lectrices, s'il en reste, qu'est-ce qu'elles doivent les trouver niaises, et dépassées, et ringardes, mes angoisses... Et les hommes donc, les vrais, qu'est-ce qu'ils doivent se foutre de ma gueule... Mon hymne à l'amour, ce long, subtil et sincère travail de réflexion, bien oubliée, délaissée, fourvoyée dans ce dépotoir, cette décharge à ciel ouvert, ce déballage, ce débagoulage par tombereaux entiers de la litanie la plus rebattue, la plus triviale et la plus vulgaire ?

Dans ce qu'ils appellent, les autres, là, en face, hommes et femmes, pour bien humilier, pour bien nier l'angoisse, ma Mmmmmisogynie. Tas de cons mes frères.

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SylvieNervaletmoinousattendrissonssurnous-mêmes.Nousnepourrionsplusnousregarderenface,carnousperdrionstoutedignité,nepourrionsplusreveniràlaviecourante,ilfautvivre.Etnousnepourrionsplusnousregardersanshainepeut-être,ousansbesoindedissolutionl'undansl'autre,préludeaumeurtreouaudoublesuicide.Nousnesommesplus,n'avonsjamaisétéarméspourcegenred'émotions,àsupposerqu'onlesoitjamais.Nousfuyonsl'orgasmedesyeux,ducœur,desexaltationsmenantàlafusioncorporelle,parlesorganes,au-delàdesorganes,celuid'oùl'onnerevientplus(ilexistepourtantparaît-ildespratiquestantriques,maisilmefutconfiéàquelpointcelapouvaitdevenirgymnastique,danslarecherched'unniveaucommun);pleurerions-nous?lavoluptédeslarmesdégrade-t-ellequiconques'yadonne?

Nous nous détruirions. Félicitons les sexologues d'avoir remis tout cela en place.

 

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L'hommen'estquel'hôtedesonproprecorps.Iltiresursabitepourladétacher.Ilsedemandecequec'estquecedisgracieuxappendice.Lafemmeestsonproprecorps.Lejugeât-elledépourvud'attraits,elleestcecorps,jusqu'ensesdernierspores.Latouteextrémitédelacourbedefessed'unefemmeestencorecettefemme,enentier.Jemesensenrevanche,moihommehélas,commeunpetitpoisdecervelle,brimbaléaucentredemoncrâne,toutausommetdemoncorps,dominantdeloin,en-dessous(gauchecommeleschenillessouslatourelled'unchard'assaut),mupesamment,poussifetlaid,inopérant,moncorps. Qui m'obéitmal.Quiseflanquepartout,danslescartonsàterre,tournantsousleschambranlesqu'ilheurte.Quidoitpisser,chieràintervallestyranniques.Dontjenepuissortir.Déjàmesurplombelavaguerecourbée,mespiedsdéjàbaignés,jerouleraidansl'hébétude,corpssouillédelimonqu'onrepêcheausommetdesaréquiers.C'estpourquoilecul,lebalancementduculd'unefemme,saplénitudeetsasincérité,lorsquenousl'aimons,représenteenréalité,ensatotalité,lemondeetDieu.

Jenesaisplusquiaécrit:Labeautédesfemmesestunedespreuvesdel'existencedeDieu.Ornotreinconduiteenverselleslesarenduesànotreégardhélasmurées,farouchementscelléesdansleurpuritanismebête,dansleurpusillanimitémasturbatoire.Noussommesaccuséspêle-mêle-debassesse,deviandardisme.Est-il en vérité indispensable de mépriser le désir de l'homme ainsi que tout désormais y invite ? estmonhistoired'Amour?

 

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L'expérienceféminineestsisouventdécrite,analysée,quel'onpourraitcroirelacauseentendue.Etcelafaitsilongtempsquejen'aiplusvoulum'informer.Quejesuppose,quenoussupposonsquelafemmejouitpartoutleventre,quecelaremontesouslesépaules,danslessalièressouslesclavicules,danslesbrasqu'elleramollit?Jusqu'ausommetducrâne.Radotagequetoutcela.Jouissanceégaledissection.Unefiction.Quiéditelafiction?Jesuishorssujet.Profondément,désespérémenthors-sujet.

 

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Hommessicertainsd'eux-mêmes.Femmes,nedébouchantquesurelles-mêmes,dansunimmensecreuxdevanité,d'incessantesquerelles,delabyrinthesdepetitessesl'hommeatort.Oubienlevide,justelavie.Nousrevenonsl'unversl'autre,SylvieNervaletmoi,irrémédiablementincapablesdenousdissimulerquoiquecefûtdenospiètresaventures.Tousettoutesayantdéçu.Nousserinanttousinvariablementquenousavionsdéjàunpartenaire-lavirginitéseraitdoncobligatoire?...incommensurable,effrayantestéréotypadedesAutres!désespéranteéquivalencedetoutautreàtoutautre!(necraignezrien;cesontdesbribesquimereviennent)-revenantaumême!Inanitédesséchante,detouterecherche... Cellesqu'onn'apaseues...Absencededésirs.Affolementrétrospectif..Cequej'auraisfaire.Uneparalysie.Passeulementpourlesfemmes.Pourtout.Logique.Existe-t-ilenmoicettecapacité.Quipourpeuquejel'eussecultivéeeûtmisàmespieds,eûtlittéralementsubjugué(toutesces)touscesmarouflesquejecourtisaiscariln'estrienqu'ilsdésirentplusprofondémentqued'êtredominés.Lafouleestfemme.

Paralysé.Sachantprécisémentvingtansplustardcequej'auraisosé.Pressentantaussiquepourpeuquejem'yfussehasardé,touteûtsemblécontraint,forcé,violent;ridicule.Cellequimefourrasalanguetoutentièredanslaboucheetl'enôtajeneladésiraispasdisait-elle qu'en savait-elle ? (une des plus puissantes sensations gustativesde ma vie). La véritable jouissance est passive. Perdre la tête, lancer grotesquement mes fringues en haletant aux quatre coins de la pièce - sauf les chaussettes - commeonvoitdanslesfilms-ceseraitdonccela,ledésir ? ces souffles, ces saccades, ces convulsions avantmêmequel'acten'intervienne?

S'humilier? ...Celles qu'on n'a pas eues... Telle qui me fit tenir de si près ce collier trop étroit pour examiner sa médaille, était-ce pour l'embrasser doucement sans rompre le collier d'or fin ? Telle collée debout contre moi devais-je l'effleurer par-dessus son nuancier d'encres ? M'eût-elle repoussé en hurlant ? devais-je murmurer “je vous aime beaucoup madame Catherine ?” - toutes les deux s'appelaient Catherine. Nadine dans mon dos, à me frôler, pour chercher des indications imaginaires dans un dossier : je voyais de près les mailles filées de son tricot de laine, le désir ne montait pas, une vague odeur de suint, de corps humain – quel sang-froid, quelle présence d'esprit ne faut-il pas toujours, en toutes circonstances !

Véra m'accueillant sur son lit en milieu de journée, penchée de côté les yeux clos bras ballants, j'attends sans approcher, j'attendrais encore si elle ne s'était redressée, rectifiant ses cheveux Tudormais?“ - Non dit-elle (improbable en effet dans une position si peu propice). Tuétaismalade?Tuavaisunmalaise? - Non. - Alorspourquoi?-Commeça. Jamais une femme ne dira J'avaisenviequetum'embrasses.Jamais.C'estàl'hommeàdevinercela.Cen'estpasmarrantd'êtreunhomme.Mesdames.Vingt années, pour me rendre compte de son intention, vingt années pour repasser le film dans ma tête.

La morale de l'histoire, c'est MORT AUX CONS. C'est tout. Ça ne va pas plus loin. MORT AUX CONS. La veille encore, sur la table où nous révisions le bac, j'avais effleuré son petit

doigt, qu'elle m'avait retiré en poussant un petit cri de vierge effarouchée. Mort aux connes aussi tant qu'à faire. Serait-ce trop demander qu'un strict minimum de cohérence. Quand ma prof de philo m'a reçu en juin, 8 mois avant sa mort, toute négligée dans sa robe de chambre inondée de parfum, accourant vers moi en criant mon nom ; qu'elle m'a fait asseoir près d'elle sur son divan, je n'ai pas davantage imaginé qu'elle pût me désirer. Vingt ans plus tard, repassant en mon esprit cette scène, aucun doute n'et plus permis.

Je pensais en toute bonne foi qu'il était impensable que les femmes, à plus forte raison les profs de philo, puissent se conformer, descendre, s'avilir au désir de l'homme et de cette chose si répugnante au bas du ventre appelée bite. Et je le pense encore. Et c'est déjà le moment de mourir, et sans savoir ? qu'est-ce que l'espoir à soixante ans et demi ? dites-moi ce que j'aurais dû faire de telle nouvelle collègue, affolée, qui me collait partout, que je n'avais qu'à enlacer ? De Mme Roux, qui fit tout un trajet en voiture, sa tête sur mon épaule 40 km durant ? Quelles que fussent les circonstances, glacé, paralysé, pétrifié !

Quelle honte pour moi de faire le mauvais geste, le moindre geste ! Qu'elle ait pu se raviser, se foutre de moi, me dire “Ce n'était que de la camaraderie, qu'est-ce que tu es allé t'imaginer ?” Quelle marche à suivre ? Arrêter la voiture et baiser sur un bas-côté ? Fixer un rendez-vous, laissant bien en vue sur mon visage l'anxiété qu'on me refusât ? La moindre remise dans le temps n'eût-elle pas entraîné, immanquablement, un cruel ravisement de la femme, une reprise de conscience et de dignité ? ...Quel désir de moi ? On en reviendrait ! On me referait vite fait le coup de l'amitié !

Vite, se ruer sur ces lèvres offertes, sur ce cul tendu, avant que tout cela ne change d'avis, vite, au risque de faire mal, au risque du ridicule, au risque d'entendre “Pas ici, pas maintenant, pas comme ça” ! Et pas un mode d'emploi à portée de main, pas un fascicule de procédure à feuilleter vite fait, un doigt tournant les pages ! Le désir féminin cesse d'un coup, à la moindre intonation malhabile, au moindre geste raté ou ridicule. Confirmez-moi, je vous en supplie, que les femmes désirent lentement, longuement, qu'elles laissent à l'homme le temps de ne pas se précipter comme un dément à l'assaut d'une fortif ?

C'est vrai ? Vous ne changez pas d'avis d'une seconde à l'autre ? ...cela se produit paraît-il lorsque l'homme à peine introduit dans l'appartement demande sontlestoilettes...Netremblezpascommecela,medisaitMargueritelorsquejelaserraissousl'archedupont,àMussidan.Ellemevouvoyait:j'avais18ans,ellen'enavaitquequinze;jenel'auraisjamaistouchéeau-dessousdelaceinture.PlustardSuzanne et Marie-Do, pissant sous la douche – comme j'aurais monté le long de cette jambe passant nue par-dessus moi. Me rendant compte enfin pourune fois – suis-je sot ! – de l'immense possibilité qui m'était offerte : “je dois rester, leur ai-je dit, huit jours sans rapports, vu la chtouille que je me suis prise” - qui se souciait de cela - elles s'en sont enchaîné bien d'autres, de chtouilles, c'étaient des filles sans moralité.

Comme on dit. Sanscomptertantd'autresquis'imaginaientmedraguer,àl'aidesansdoutedecesfameuxsignesimperceptibles,dececodeindécis,ambigus,toujoursdéniables!j'avaisunemultituded'élèves.Jelesaimaistoutes.L'uned'elleblondeetmyopenousrangionsaprèslecourschacunnotresacdepartetd'autredubureau-meditsoudain:Sijetombaisenceinte,vousseriezbienemmerdé.J'airéponduqu'ilfallaitsefaireconfiancemutuellement,qu'autrement,lavieseraitinvivable.Mapsym'adit(j'avaisdesélèves,j'avaisunepsy)c'étaituneavance.Croyez-vous,Madamelapsy?

N'y aurait-il pas plutôt que les femmes pour interpréter, déchiffrer, décrypter, ces signaux unilatéraux qu'elles adressent – disent-elles ! - aux hommes ? Savez-vous que les pédophiles, là-bas en prison, se voient imposer des cours de reconnaissance sexuelle? Leur enseignant l'art indubitable de déceler le désir d'une femme ? afin d'éviter toute récidive ? N'est-ce pas le comble du scandale, qu'ils aient, ces gens-là, les pédophiles, ce privilège inouï de se voir révéler tous les arcanes ? “évidents” je suppose ? Au point qu'il soit jugé sans nécessité, voire ultraridicule, d'en conférer la connaissance à tous ? A moi ?

Hors sujet vous dis-je, hors sujet. Je devais parler de cet amour, le mien, en particulier, voici bien longtemps que mon sang-froid m'a quitté - mes élèves n'étaient que des filles, rien que des filles ; fascinantes par la prodigieuse quantité de branlettes cachées sous tant de visages angéliques (les petits mecs m'indifféraient, me répugnaient ; l'onanisme des filles est l'apprentissage de leur corps, en toute connaissance ; les garçons n'expriment que l'impossibilité absolue de faire autrement ; exaltation chez elles, basses frustrations chez eux, chez moi ; la seule façon d'être mâle est la brutalité ; je refuse.) .

J'étaisamoureuxdetoutes.Jelesimaginaisjambesouvertes,doigtvigoureux.Lesmanuelsd'éductaionsexuelleàl'usagedesfillesmentionnentquecertainesdécouvrentleplaisirsolitaire-toutes,oui!Unegranderouquine,rassemblantautourd'ellesesamies,leurmimaitdudoigtlabranlette,commeungrandsecret;elles'entenditrépliquer,parunegrandelianeaucouinterminablemaisnousfaisonstoutesça!Amoureuxd'aumoinsunefilleparclasse,unetouteslestroisouquatresemaines-Socrateaimantlesgarçons:levieuxcon!inimaginablefautedegoût!aimerd'amourcesexenaviguantduhideuxaudérisoire!...augrotesque!cettecolonnebrutale,cescouillessansgrâce!cespermesalissant,diluateurdemerdeendiarrhée,gerçantledessusdesmainsquandilsèche!

J'aiapprisàmesfillescequ'étaitl'érotismepédagogique.Ellesm'écoutaient,goûtanttoutdel'intérieur,tandisqu'unamideseizeans,medisait,deslueursdanslesyeux:Onlesaitquevousnousaimez!-ungarçonpourtant.Imaginiez-vousseulement,jeunesfilles,quepourchacuned'entrevousj'imaginaisunevietotaled'amour?Uncycled'amour.ThéophileGautierrenouvelaittouslescinqsesamours,jetanttouteuneexistencedansunseullustre.Jel'admirais.Pourtantjevilipendeencore,jevitupèrelespignoufsdesdeuxsexesdivorçantsiimpudemmentdèsleurstroispremièresannéesdemariage,seprivantdesinestimablesétapesdesdix,vingt,trenteans,detantd'innombrablesaspectsdifférentsd'unseulêtre,quelalenteetsacréematurationdutempsleureûtrévélés,préférant,lessots!reprendresanscesselesvagissementsstérilesdesrudimentsd'amour,telsceuxquiempilent,entassantleslanguesétrangèressansjamaisenmaîtriseraucune.

Les féconds marécages de la maturité, de la vieillesse avec un seul et même être, ne sont jamais sondés. La mort ensemble ne sera jamais affrontée.

 

X

 

Chacundenous,SylvieNervaletmoi, s'est donc estimé rejeté par l'autre sexe. L'homme pour Sylvie est le père qui traverse sa chambre de nuit pour remonter de son cabinet de consultation, et lui palpe le ventre en arguant de sa qualité de médecin. J'éprouve à l'instant la nostalgie de cet appartement si clair et si bruyant où nous avons vécu si longtemps, si jeunes que c'en est effrayant. J'ai conservé cette femme, tant il me semblait de la plus haute improbabilié, voire grotesque et cruelle imagination, qu'une autre personne de sexe féminin pût éprouver la moindre velléité de s'intéresser à moi.

C'était Sylvie Nerval ou les affres mornes de la prostitution, de la pédérastie inacceptée, de la tentative minable de viol. J'ai toujours en tête l'obsédant destin de mon cousin et parrain, Hugues dit Tom : touchant double pension, claquant son fric dans la boisson, la clope, arrosant tous les pochards et clochards de Cusset, pour finir entre des pyramides de mégots, d'un cancer de l'œsophage, tandis que ses amis cuvaient leur vin le jour des obsèques, nul ne s'y présenta. J'aurais fini là, j'ai échappé à ça. Je ne pense pas que j'aurais vécu autre chose. Rien de ce qui m'est advenu n'est à regretter, n'aurait pu se produire autrement. Je suis resté fidèle à la confiscation de mon destin.

C'est pourquoi je repousse comme la pire des impostures, comme la peste, ces exortations, ces injonctions des bien-portants à la “découverte de soi”, à la “fidélité à soi-même”. Je sais ce que c'était. La camisole et la bouteille. Merci bien. Ce n'est en général que lorsqu'ils ont perdu leur femme que les hommes s'aperçoivent qu'ils l'ont aimée ; j'espère en avoir pris conscience longtemps auparavant. Dans cette tromperie je veux vivre et mourir.

 

X

 

C'estainsiquenousnaviguonsindissolublementliés,commedeuxnaviresdeconserve.Noussavonsquandnousmourrons.àdixansprès.Sylviefumeetnemaigritpas.Onnedéménagepasaprèsledécèsd'unproche,on ne devient pas fou. La maison devient hantée, le corps de l'autre occupe chaque point de l'espace, on croit ne pas le supporter, puis tout s'estompe, à ce qu'on dit. L'enfant revient, dans le meilleur des cas vous soigne, et vous demeurez là entre vos souvenirs de larmes et vos fauteuils dont l'un restera vide. Je tends parfois l'oreille la nuit à la recherche des rumeurs pouvant me rappeler ces frôlements nocturnes de mon chat mort.

Cela fera au survivant le même effet. Les chats nous voient comme autant de grands chats supérieurs. Puissions-nous disparaître comme eux.

 

 

 


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